Hrabal, « avec Milan Kundera, au premier rang des écrivains tchèques de sa génération » (notice de présentation), est décidément un fabuleux conteur ! Moi qui ai servi le roi d’Angleterre, monologue de près de trois cents pages, nous entraîne dans l’irrésistible ascension d’un petit groom apprenti dans un hôtel, A la Ville dorée de Prague. Il rêve de devenir millionnaire. Sa taille menue alimente son ambition fondamentale, celle d’être un jour traité d’égal à égal par les grands hôteliers de la capitale.
Le culte de l’argent lui vient de la fréquentation des voyageurs de commerce – l’un deux tapisse le plancher de sa chambre des billets gagnés pendant la semaine pour les compter, les contempler - et de la découverte des femmes, les jolies hôtesses de l’Eden avec qui, dès qu’il le peut, il dépense ses économies comme un prince. M. Walden, le gros représentant qui place partout ses balances de précision et sa trancheuse qui débite en une pyramide impressionnante de fines tranches de salami hongrois, lui procure bientôt une nouvelle place dans un hôtel féerique, le Relais du Silence, à la campagne. Son propriétaire aux allures de bonhomme Michelin y mène tous ses employés à la baguette en sifflant, assis dans sa voiturette. Peu de clients, mais des plus chic, pour qui l’on monte comme au théâtre un décor chaleureux. Les pourboires somptueux rendent très supportable le calme des longues journées d’attente, avant que l’arrivée des clients en soirée réveille l’hôtel comme la Belle au Bois dormant.
Mais c’est de retour à Prague, à l’Hôtel de Paris, que le groom va vraiment prendre du galon, formé par un maître d’hôtel hors pair, qui a servi un jour le roi d’Angleterre. A son contact, le garçon apprend à deviner la personnalité des clients et leurs goûts. Dans le « pavillon de visite » où s’attardent les libidineux, le voilà bientôt promu « roi de ces dames » que les agaceries de riches clients ont mises en appétit. S’ouvre alors une ère d’élégance. Il s’offre de fines chemises et arbore des cravates raffinées dérobées dans une penderie de l’hôtel. Monsieur parade en ville après s’être fait placer dans les règles de l’art au magasin une « pochette blanche, qui montrait des bouts d’oreille conquérants et pointus comme l’ourlet d’une feuille de tilleul ». Un extraordinaire banquet offert par l’empereur d’Ethiopie au président tchèque – il leur faut absolument des couverts en or pour trois cents personnes – fournit au héros l’occasion de s’illustrer et d’être décoré.
Rien ne semble plus pouvoir l’arrêter, lorsqu’il tombe, lui, « le blond filasse aux grands yeux bleus de veau », amoureux d’une belle Allemande, Lisa, la première femme qu’il trouve vraiment à sa taille. L’Allemagne vient d’annexer les Sudètes, les Tchèques s’en méfient. Mais fasciné par Lisa, heureux de se faire valoir en faisant ami-ami avec les nouveaux maîtres de Prague, le garçon d’hôtel si doué et aryen vérifié ne mesure pas encore où cela va le mener. Il est prêt à tout pour cesser d’être « le petit groom, le petit loufiat condamné à rester petit jusqu’à la fin de ses jours en se laissant traiter de nabot, de minus ou d’autres sobriquets du même genre ».
Moi qui ai servi le roi d’Angleterre décrit les coulisses de l’hôtellerie, mais aussi l’occupation nazie, l’eugénisme, les soubresauts de l’histoire tchèque vue par les yeux naïfs et avides d’un petit homme qui veut réaliser son rêve coûte que coûte. Les scènes cocasses ne manquent pas, comme celle d’un Enfant Jésus de Prague en or que des Boliviens veulent absolument faire bénir par l’archevêque ou les cours de littérature française d’un vieux professeur devenu ouvrier forestier à une jeune ouvrière de chocolaterie. La faconde de Bohumil Hrabal surprend par les trouvailles de l’intrigue, les images inattendues, les leitmotivs ironiques, la profusion, l’humour.
Lorsque l’ancien groom, qui a servi l’empereur d’Ethiopie, sort de ses rêves de grandeur et rencontre la vraie beauté du monde, le récit entre en résonance, comme cette espèce rare d’épicéa qu’on abat précautionneusement pour en faire des instruments à cordes – « il fallait conserver à tout prix cette musique des sphères vibrant dans ses fibres ». Dans la solitude, dans le dialogue avec soi-même et avec la nature, une autre conception du bonheur se fait jour.
Commentaires
Tes études bihebdomadaires sont précieuses pour ceux qui n’ont pas l’occasion ou le temps de lire des ouvrages si intéressants. On entrevoit ainsi des auteurs aussi surprenants que ce Hrabal dans « son monologue de trois cents pages ». Histoire d’un groom qui nous rappelle le Spirou de notre enfance, et qui nous révèle son existence de petit garçon d’hôtel devenu grand … On regrette de ne pas entrer davantage dans son "monologue" et ainsi participer à son parcours "à la rencontre de la vraie beauté du monde"
bonjour Tania
votre commentaire m'a fait très plaisir, d'autant plus que je ne vous connais pas alors je trouve cela encore plus gratifiant... J'espérais pouvoir répondre directement sur vote adresse mail mais je patauge parfois sur internet, j'y suis pas arrivée. voilà, j'arrive à la réponse à votre question : je travaille sur pc, dans word où je fais la mise en page, puis je copie-colle sans utiliser les outils du blogs mais bien ceux de word... je n'ai jamais eu le problème que vous rencontrez, par contre quelques fois la mise en page change toute seule en passant de word au blog... tout cela est très mystérieux... c'est la première fois que je viens sur votre blog, j'y ai passé cinq minutes et je compte bien y retourner plus longuement - quand les enfants seront couchés... merci pour voter lecture...
Merci beaucoup, Maille, je ferai une nouvelle tentative.
La vision des "grands" par les "petits", ceux qui passent inaperçus de ceux qu'ils servent, m'a toujours parue des plus intéressante. Ainsi avons-nous des récits remarquables de concierges, valets, chauffeurs... Je pense à L'élégance du hérisson, à Retour à Howard End...mais je n'ai jamais rien lu sur les grooms et ce roman-monologue me tente fort.
Ta reproduction du groom est superbe! Un beso,
Voilà Prague à ma porte , merci de me faire découvrir ce livre et le groom qui m'a fait sourire...