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Textes & prétextes - Page 392

  • Galeries St Hubert

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    Il y avait du monde samedi aux Galeries Royales Saint-Hubert, un de mes endroits préférés à Bruxelles. L’architecte Jean-Pierre Cluysenaar, un des plus importants représentants du style néoclassique en Belgique, s’est inspiré de la Renaissance italienne et de la technologie moderne du fer et du verre pour ce magnifique passage couvert inauguré en 1847.

    Dans l’axe de l’ancienne et « misérable » rue Saint-Hubert, la Galerie de la Reine et la Galerie du Roi qui la prolonge sont bordées d’élégantes boutiques. On y trouve aussi le cinéma des Galeries et le théâtre des Galeries où se donne en cette période de l’année la fameuse Revue satirique de l’actualité belge et internationale.

    Ces derniers temps, les enseignes internationales chassent de plus en plus les boutiques traditionnelles, dommage. Il reste tout de même des magasins typiques où s’acheter des gants, un parapluie ou des pralines – plus abordables qu’un sac de chez Delvaux où je me contente d’admirer les vitrines. C’est dans la petite Galerie des Princes, à la perpendiculaire du passage, que je fréquente la belle librairie Tropismes au numéro 11 où Victor Hugo aurait logé sa maîtresse Juliette Drouet en 1851 (Bruxelles ma ville).

    Pour info, si vous avez soif, il suffit de traverser la rue d’Arenberg en sortant de la Galerie du Roi pour aller boire une bière à La Mort Subite, vieux bistrot bruxellois. Mais on peut aussi se rafraîchir ou se restaurer dans les Galeries Royales Saint-Hubert, tous les détails sur leur site.

  • St-Nicolas, ambiance

    Le folklore bruxellois n’est pas ma spécialité, mais voici un billet clin d’œil à Claudialucia (Ma Librairie) que j’ai eu le plaisir de rencontrer ce samedi 5 décembre, pendant son séjour à la découverte de la capitale belge. Nous avons croisé par hasard le traditionnel cortège de Saint Nicolas dans les ruelles de l’Ilot sacré. Attirés par la fanfare, nous avons pu regarder une partie du cortège qui descendait la rue des Bouchers et les géants suivis de Saint Nicolas et Zwarte Piet ou Père Fouettard.

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    Gudule, dans la famille des géants de Bruxelles

    Nous étions dans la commune libre de l’Ilot sacré, au patrimoine préservé depuis 1960. « La création de l’Ilot Sacré a eu des résultats remarquables : plus d’une cinquantaine de maisons ont depuis lors été restaurées dans le style "italo-flamand" qui fit jadis le charme et l’harmonie de notre vieille cité. Cet îlot jalousement préservé de l’anarchie architecturale qui a gravement défiguré Bruxelles est aujourd'hui considéré comme le quartier le plus typiquement bruxellois, le plus pittoresque, le plus animé de la capitale de l’Europe. En outre, au fil des ans, il a également acquis le titre de "ventre de Bruxelles", en raison du nombre impressionnant et de la grande variété de ses restaurants. » (Site officiel de l’Ilot sacré) 

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    Photo © Grégory Autiquet, avec l’aimable autorisation de la Ville de Bruxelles

    http://www.manneken-pis.be/2015/12/06/cortege-de-saint-nicolas/

    Le petit Bruxellois le plus célèbre, venu de la rue de l’Etuve, était déjà passé, en costume de Saint Nicolas bien sûr (il possède d’innombrables tenues, près de mille !) juché sur sa charrette poussée par l’Ordre des Amis de Manneken-Pis (photos). La fanfare précédait quelques géants de Bruxelles et les Poepedroegers, un des groupes de Compagnons de Saint Laurent plus couramment appelés Compagnons du Meyboom (la légende de cet arbre, planté chaque année au mois d’août, remonte à une querelle au Moyen Age entre Bruxelles et Louvain, elle est contée sur le site du Meyboom).

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    Saint Nicolas avait sa crosse dorée et sa mitre traditionnelles, Père Fouettard un costume rouge et bleu, une coiffe rouge sur ses cheveux crêpus. Entourés des Gardevils, ils saluaient enfants, touristes, passants, une foule joyeuse. Oublié, le niveau d’alerte 3 encore d’actualité en Belgique. La police de Bruxelles veillait sur le cortège où flottait le drapeau de Bruxelles rouge et vert avec l’archange Saint-Michel, patron de la ville. Bruxelles a retrouvé sa bonne humeur, les musées sont ouverts, bienvenue !

    En Belgique, le 6 décembre est par excellence le jour des cadeaux, des jouets pour les enfants, et cette année, c’était un dimanche, parfait ! Saint Nicolas m’apporte toujours un sujet surprise en chocolat – un plaisir bien belge et qui n’a pas d’âge. Et vous, avez-vous fêté la Saint-Nicolas ?

  • Don du verbe

    Lanoye couverture.jpg« Ma Pit Germaine possède le don du verbe, enrichi par la puissance d’une mémoire infaillible. Elle n’arrête pas de parler une seule seconde. Calme, imperturbable et dans les moindres détails, elle relate sa journée : qui elle a vu, à quelle autre personne ça lui a fait penser et ce qui est arrivé jadis à cette dernière, récit qu’elle tient d’une troisième qui était mariée à un quatrième, mais ces deux-là sont maintenant en bagarre à cause d’une cinquième personne, qui est justement le fils ou la fille d’une sixième, à qui, tiens, elle a parlé la semaine dernière quand elle était en route pour… Etcetera. Un flot irrépressible de récits, dont chacun a un centre bigarré et pittoresque, un début peu clair caché dans un récit précédent et une fin tout aussi indécise faisant déjà entièrement partie du récit suivant.
    Elle est l’inventrice de ce que j’appelle le racontage automatique. »

    Tom Lanoye, Les boîtes en carton

  • Les boîtes de Lanoye

    « Petit branleur du Plat pays », titrait Le Monde des livres à propos du roman de Tom LanoyeLes boîtes en carton (Kartonnen dozen, 1991), traduit en français par Alain van Crutgen en 2013, bien après La langue de ma mère qui l’a fait connaître aux francophones. Titre ironique et approprié pour ce récit d’inspiration autobiographique centré sur les émois d’un adolescent homosexuel. L’auteur, né en 1958, publiait de la poésie depuis 1980, mais selon la quatrième de couverture, c’est ce roman « qui fit connaître Tom Lanoye en Flandre ».

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    « Ceci est la révélation d’un amour banal et de son pouvoir dévorant » – l’amour de Z. au début des années septante. Le narrateur l’a rencontré lors d’un voyage bon marché organisé par les Mutualités Chrétiennes quand il avait dix ans. A la réunion de présentation de ce séjour en Ardenne, chaque enfant a reçu « deux feuilles de carton brun ultrasolide » à plier pour en faire une valise – modèle obligatoire pour tous, par souci d’égalité. C’est la première des boîtes en carton du roman où Lanoye raconte trois voyages, avec les « affections psychosomatiques » et les « images » qui y sont liées.

    Le garçon s’y amuse tellement qu’il n’écrit pas comme promis aux « quatre femmes qui (l)’avaient élevé et fait entrer dans ce monde » : sa sœur, cinq ans de plus que lui, pour qui il est une « poupée vivante » et un allié contre trois frères « trop vieux pour jouer avec elle » ; Wiske, « amie de la maison », qui passe presque tout son temps chez eux et l’emmène au cinéma ; sa mère, qui a hésité à se faire opérer après le quatrième enfant, d’où son statut de « tardillon », et a pour principes « le sens du devoir, l’ardeur au travail, la nourriture saine et des sous-vêtements propres chaque jour » ; enfin Pit Germaine, sœur aînée de sa mère et marraine du frère aîné, « l’inventrice » du « racontage automatique » ou « la chroniqueuse magnifique ».

    Ces quelques lignes peinent à rendre la faconde de Tom Lanoye pour faire vivre son petit monde sous nos yeux, camper une ambiance de famille, avant de revenir à ce camp de vacances à l’époque où Z. lui semblait un « alter ego », petit, cheveux noirs, souple et sportif, quasi son frère jumeau. La première chose qu’il a vue, le soir au dortoir, c’était son pyjama rouge foncé bordé de bleu en tissu synthétique souple et luisant – rien à voir avec le sien, « à l’ancienne mode », du solide coton rayé, feutré et délavé. Il lui faudrait le même.

    Durant ce séjour à A***, Z. avait épaté tout le monde en exécutant un double salto dans une prairie, appris au club de gymn. Le passage des infirmières à la douche pour savonner le dos des gamins et leur passer le gant de toilette entre les jambes avait été un autre moment inoubliable, et aussi ce garçon qui avait écarté l’élastique de son maillot sous une petite chute d’eau en montrant « ses coucougnettes et son index de massepain comme sur un petit plat. »

    A douze ans, l’étape suivante, c’est la découverte, grâce au « Petit Livre rouge Des Ecoliers » chipé à sa sœur, de la pratique du plaisir solitaire, et l’arrivée de Z. dans son collège, un ancien petit séminaire, qui recrute ses élèves dans la bourgeoisie aisée – les écoles de l’Etat, « c’était connu, étaient de véritables bordels. » Z. et lui se retrouvent dans la même classe.

    La description de « La Boîte » et de la métamorphose du réseau d’enseignement catholique en Flandre au début des années septante pour contrer l’attrait du réseau officiel, « sans dieu mais plus moderne », est un formidable résumé d’une époque, d’un système d’éducation, avec le passage des professeurs prêtres aux laïcs, l’arrivée de profs femmes, ceux qui fument la cigarette en classe, et les idéalistes à col roulé qui jouent les « animateurs ».

    « Et te rappelles-tu, lecteur, dans l’odeur de poudre de cette pitoyable révolution ratée, te rappelles-tu ce garçon-là, qui était toujours assis au premier rang dans la classe ? » Ce « petit emmerdeur », « infatigable fayot », « petit trouduc », « demi-portion » à lunettes et grande gueule, c’est lui, bien entendu, adepte de « l’hypocrisie subversive ».

    Nouvelle image de Z., au cours de gymn., pendu à l’envers sur un espalier : sa chemisette se rabat sur son visage et, « coup de poing en pleine figure » pour le narrateur, son ventre n’est pas « mou et vulnérable » comme celui des autres, les muscles sont tendus, « tout ondule comme une vague lente au rythme de sa respiration ». Emoi, fantasmes, dont l’onde de choc se mêle désormais à son « rituel quotidien d’amusement solitaire ». Tom Lanoye parle de la masturbation avec autant d'inventivité verbale que physique dans l’exploration des « frontières de l’orgasme ».

    Viennent ensuite le voyage en Suisse, à quatorze ans, encore grâce aux Mutualités Chrétiennes, puis les professeurs marquants surnommés le Boche, le Jap, et en dernière année Mussolini, leur prof de néerlandais, « le monument de l’école » – hommage et reconnaissance d’un écrivain à celui qui l’a encouragé. Et Z. ? vous demandez-vous peut-être. Eh bien, le voilà, et « la maladie la plus douce qui existe en ce bas-monde » vous sera contée, ainsi qu’un troisième voyage décisif.

    Ce livre sera donc la quatrième boîte : « Car qu’est-ce que la couverture d’un livre ? L’arrière est le fond, le devant est le couvercle d’une boîte en carton dans laquelle on découvre, côte à côte, tous les trésors et toutes les pommes pourries de l’existence. »

    A la sortie en français des Boîtes en carton, vingt-deux ans après sa publication, Lanoye confiait dans un entretien : « J’avais 32 ans, et j’avais un ton léger et jeune. Et puis c’était l’âge de mon frère quand il est mort, et c’était important pour moi. Maintenant j’ai 54 ans, et ce serait dommage d’écrire un livre dans le même style ; mais c’est une double rencontre avec un personnage qui est moi-même, et celui d’un jeune écrivain qui connaît son premier grand succès. » Tom Lanoye ou le raconteur magnifique.

  • Notre époque

    ordine,nuccio,l'utilité de l'inutile,essai,littérature italienne,savoirs,enseignement,université,littérature,langues anciennes,science,abraham flexner,culture« N’est-il pas curieux que dans un monde pétri de haines insensées qui menacent la civilisation elle-même, des hommes et des femmes de tout âge, s’arrachant en partie ou totalement au furieux tumulte de la vie quotidienne, choisissent de cultiver la beauté, d’accroître le savoir, de soigner les maladies et d’apaiser les souffrances, comme si, au même moment, des fanatiques ne se vouaient pas au contraire à répandre la douleur, la laideur et la souffrance ? Le monde a toujours été un lieu de misère et de confusion ; or les poètes, les artistes et les scientifiques ignorent les facteurs qui auraient sur eux, s’ils y prenaient garde, un effet paralysant. D’un point de vue pratique, la vie intellectuelle et spirituelle est, en surface, une forme d’activité inutile, que les hommes apprécient parce qu’ils y trouvent plus de satisfactions qu’ils n’en peuvent obtenir ailleurs. On se demandera ici dans quelle mesure la poursuite de ces satisfactions inutiles s’avère en réalité, contre toute attente, la source dont procède une utilité insoupçonnée.

    On entend répéter ad nauseam que notre époque, trop matérialiste, devrait veiller à une meilleure répartition des chances et des biens matériels. La révolte justifiée de ceux que le hasard seul a privés de ces chances et de ces biens matériels détourne ainsi un nombre croissant d’étudiants des études que leurs pères ont poursuivies, au profit de l’étude non moins essentielle et urgente des problèmes sociaux, économiques et gouvernementaux. Cette tendance ne me contrarie en rien. Le monde où nous vivons est le seul dont nos sens puissent nous rendre compte. Si l’on n’en fait pas un monde meilleur, un monde plus juste, alors des millions d’humains continueront d’avancer vers leur tombe, silencieux, amers et affligés. J’ai longtemps regretté que nos écoles ne tiennent pas suffisamment compte du monde réel, celui où leurs élèves sont voués à passer leur vie. Or, il m’arrive de me demander si la tendance ne s’est pas inversée, et si l’on peut encore espérer s’épanouir dans un monde dépouillé de certaines choses « inutiles » qui lui donnent une portée spirituelle ; si, en d’autres termes, notre conception de l’utile n’est pas devenue trop étroite pour s’accorder aux facultés capricieuses et vagabondes de l’esprit humain. »

    Abraham Flexner, De l’utilité du savoir inutile, Harper’s Magazine, octobre 1939 (traduit par Patrick Hersant) in Nuccio Ordine, L’utilité de l’inutile, Manifeste, 2014.