Pas encore repartie dans la lecture au long cours, j’ai pêché des vers chez Guy Goffette. Le pêcheur d’eau (Poésie/Gallimard, 2007), paru en 1995, recueille des textes assez mélancoliques de l’écrivain belge « brasseur de nuages » comme ses amis poètes. Il a étudié, enseigné, voyagé, vendu des livres, il vit à présent à Paris « comme passeur de livres en partance ».
  
   
 « Que ce jour soit un jour simplement,
 un jour donné, un jour de passage encore
 Et qui traîne un peu les pieds dans ta vie 
 où rien ne bouge dangereusement »
  
 Cette strophe de Voilà (Tout un dimanche autour du cou) donne l’ambiance et le ton. Les poèmes de Goffette sont pleins d’herbe, de chiens, de vent, de lions et de chats, de bois, de filets d’eau, de roses et de pommiers, à toutes les saisons.
  
 « Mais revoici la cuisine et son train 
 d’ombres cassées par la fine lumière 
 de mars. Le chat dort sur le frigo,
 l’âme enfoncée jusqu’aux yeux
  
 dans le gant du soleil... » (9 heures en mars)
  
 Chantier de l’élégie se décline en six étapes, les vers deux par deux.
 
 « A tondre l’herbe d’octobre – la dernière
 avant la horde rousse et la poigne d’hiver,
  
 le désespoir (ou quoi d’autre si demain
 n’existe pas ?) vous prend à la gorge… »
  
 Une question de bleu s’ouvre sur l’azur : « Le ciel est le plus précieux des biens dans l’existence. Le seul qu’on puisse perdre le soir et retrouver au matin, à sa place exacte, et lavé de frais. » Bleus à l’âme – « Il y a tant à faire et tout va se défait. / Le fil bleu de ta vie, dans quelle cuisine d’ombres / l’as-tu laissé se perdre, lui qui te menait doux… »
  
 Poète du simple et des jours, du jour et des simples, Goffette rend hommage à d’autres passeurs de mots : Charles-Albert Cingria, Francis Jammes (Prière pour aller au paradis avec Jammes), Jules Supervielle, Claudel.
 Prenons un début –
 « S’il fait nuit noire et qu’on est en plein jour,
 ne vous retournez pas trop vite : un chat
  
 mal retourné peut devenir lion
 surtout surtout s’il n’est pas vraiment gris »
  – et une fin :
 « dans les jardins du rêve où nous avons
 fleuri, avant d’errer sur les chemins
  
 de l’homme, hagards et gris comme des chats
 en plein jour, des lions de mélancolie. » (Jules Supervielle, I)
  
 Mais assez de bouts rimés, pêchés çà et là toujours à tort. Un poème se livre en entier, je sais, que Goffette me pardonne. J’ai parlé ici de L’enfance lingère, je relirai son Elle, par bonheur et toujours nue sur Bonnard, son Verlaine d’ardoise et de pluie. Voici le premier temps d’une Fantaisie intitulée Blues du mur roumain.
  
 « Avec l’âge nous viennent toutes sortes de choses
 des maîtresses des varices ou la furonculose
  
 qu’on prend sans rechigner et sans dire merci
 n’ayant rien demandé  quand notre seul souci
  
 est de pouvoir encore gravir un escalier
 derrière une inconnue aux jambes déliées
  
 et frémir doucement tout en serrant la rampe 
 de ce reste d’été qui nous chauffe les tempes
  
 comme à l’heure des amours qui n’en finissaient pas
 de rallonger la route en dispersant nos pas »