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poésie - Page 39

  • A des amis perdus

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    Vous étiez là je vous tenais

    Comme un miroir entre mes mains

    La vague et le soleil de juin

    Ont englouti votre visage

     

    Chaque jour je vous ai écrit
    Je vous ai fait porter mes pages

    Par des ramiers par des enfants

    Mais aucun d'eux n'est revenu

     

    Je continue à vous écrire

    Tout le mois d'août s'est bien passé

    Malgré les obus et les roses

    Et j'ai traduit diverses choses 

    En langue bleue que vous savez

     

    Maintenant j'ai peur de l'automne

    Et des soirées d'hiver sans vous

    Viendrez-vous pas au rendez-vous

    Que cet ami perdu vous donne

    En son pays du temps des loups

     

    Venez donc car je vous appelle

    Avec tous les mots d'autrefois

    Sous mon épaule il fait bien froid

    Et j'ai des trous noirs dans les ailes

     

     

    René Guy Cadou (1920 - 1951), Lettre à des amis perdus  (Pleine poitrine , 1946)

  • La parole

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    Voleuse

    O perle noire enrichie d'étincelles

    Ecuyère des mots

    Trapéziste du sang

    Lancée sur le circuit vertigineux du temps

    Convoi de mon amour

    Echarpe lumineuse

    Je te perds

    Je te prends

    Je te mets en veilleuse

     

    A nous deux

    Dans la nuit sans hâte des cachots

    Sur les marches du ciel

    Sur les premiers tréteaux

    Dans l'ascenseur doré de la lampe

    Tressant la flamme avec les barreaux de la cage

      

    Tu passes sur mes dents comme un givre léger

    Tu n'as pas le dédain des souffles étrangers

    Tu n'es que l'horizon des âmes

    L'aventure

    Le vent qui va plus loin achève ton murmure

    L'arbre mêle ses bonds à ton élan sans bord

    Et l'oiseau qui revient te reconduit au port.

     

     

    René Guy Cadou (1920 - 1951), La parole (La vie rêvée, 1944)

  • Les rêves impossibles

     

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    Tout est à jamais perdu pour l’homme

    qui sans retour renonce à son passé

    aux jeux à l’enfance des jours ensoleillés

    et ce qu’il n’a pas reçu en partage il l’invente

    Le ciel laissait tracés sur la pierre sèche

    les échelons des marelles de craie blanche

    La tête couronnée de l’odeur des lilas

    cueillis derrière les murs de la cour de l’école

    où je faisais les cent coups sous la pluie d’été

    j’escaladais les remblais des chantiers en détresse

    et dans l’angoisse des veillées les orages épiés

    venaient délirer tout haut leurs rêves impossibles

    Au bord des champs troués de pauvres fleurs de sang

    j'écoutais balbutier les complicités de la terre

    le langage entêté des oiseaux en colère

    je découvrais les feintes les soupçons trompeurs

    dans les souvenirs de jeunesse chassés à grands cris

    Le temps qui a passé et les jours de reste

    n'ont pas arrangé toujours au mieux mon lot

    la mémoire n’a pas eu la peau assez dure

    pour que j’oublie le poids et la brûlure des larmes

     

    Albert Ayguesparse (1900-1996), La traversée des âges (1992)

     

  • Musique verte

    Florilège d’automne / Poésie

     

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    Et chacun faisant son métier,
    voici planter le jardinier
    selon sa vie,
    d’être aux plantes, avec ses mains,
    doux et bon comme à des humains,

    sous le soleil et sous la pluie,

     

    en son royaume des jardins,
    des parterres et des chemins

    où tout concerte ;

    tonnelles, quinconces, berceaux,
    et par ses soins, branches, rameaux,
    pour faire à tous, musique verte,

    Or c'est ici ses harmonies
    et voyez, lors, et tout en vie,
    chanter les fleurs ;
    puis, pour l’ornement du feuillage,
    mûrir les fruits, sur les treillages,
    en senteurs, parfums et couleurs ;

    Et yeux alors, comme un dimanche,
    voici fête d’arbres et branches
    de toute part,
    et la terre comme embellie
    de tant de choses accomplies
    par ses mains et selon son art.

    Max Elskamp, Enluminures in Œuvres complètes, Seghers, Paris, 1967.

  • Attendre

    Florilège d’automne / Poésie

     

     

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    Attendre         sans savoir si entrer est encore
    attendre         ou non    avec à parcourir immobile
    un chemin         partir         alors qu’on est parti
    depuis longtemps         pour arriver où depuis
    toujours on était arrivé         passer très pur
    le seuil         vers plus de pureté qu’on n’imagine
    pas     danser gravement avec l’arbre         sans
    interrompre les signes visibles de la marche
    danser         avec ces vents du vide    où naissent
    des étoiles qui s’écartent
    aller   pour attendre         sans savoir si entrer
    était la seule chose à faire          ou pas

     

     

    Werner Lambersy, Maîtres et maisons de thé, Labor, Bruxelles, 1988.