Vous étiez là je vous tenais
Comme un miroir entre mes mains
La vague et le soleil de juin
Ont englouti votre visage
Chaque jour je vous ai écrit
Je vous ai fait porter mes pages
Par des ramiers par des enfants
Mais aucun d'eux n'est revenu
Je continue à vous écrire
Tout le mois d'août s'est bien passé
Malgré les obus et les roses
Et j'ai traduit diverses choses
En langue bleue que vous savez
Maintenant j'ai peur de l'automne
Et des soirées d'hiver sans vous
Viendrez-vous pas au rendez-vous
Que cet ami perdu vous donne
En son pays du temps des loups
Venez donc car je vous appelle
Avec tous les mots d'autrefois
Sous mon épaule il fait bien froid
Et j'ai des trous noirs dans les ailes
René Guy Cadou (1920 - 1951), Lettre à des amis perdus (Pleine poitrine , 1946)
Commentaires
La place vide de l'homme qui était seul sur le banc, dans la froidure. Les mots et l'image. Superbe!
"Et j'ai des trous noirs dans les ailes"... des mots qui touchent en pleine poitrine !
Quel beau poème … mais si triste … complainte aux amis perdus … leur visage englouti par la vague et le soleil de juin, d'août, d'automne… nostalgie des amis qui n’ont pas répondu et à qui on écrit toujours …ce sera l’hiver triste sans eux … vont-ils rejoindre dans le souvenir ceux qui ne sont plus ?
J'aime cette tristesse. Ce poète est mort à 31 ans, plus jeune que Rimbaud.
Je découvre ce poème! Je l'aime vraiment beaucoup.