Tout est à jamais perdu pour l’homme
qui sans retour renonce à son passé
aux jeux à l’enfance des jours ensoleillés
et ce qu’il n’a pas reçu en partage il l’invente
Le ciel laissait tracés sur la pierre sèche
les échelons des marelles de craie blanche
La tête couronnée de l’odeur des lilas
cueillis derrière les murs de la cour de l’école
où je faisais les cent coups sous la pluie d’été
j’escaladais les remblais des chantiers en détresse
et dans l’angoisse des veillées les orages épiés
venaient délirer tout haut leurs rêves impossibles
Au bord des champs troués de pauvres fleurs de sang
j'écoutais balbutier les complicités de la terre
le langage entêté des oiseaux en colère
je découvrais les feintes les soupçons trompeurs
dans les souvenirs de jeunesse chassés à grands cris
Le temps qui a passé et les jours de reste
n'ont pas arrangé toujours au mieux mon lot
la mémoire n’a pas eu la peau assez dure
pour que j’oublie le poids et la brûlure des larmes
Albert Ayguesparse (1900-1996), La traversée des âges (1992)