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nazisme - Page 3

  • Questions

    adler,dans les pas de hannah arendt,essai,pensée,vie,oeuvre,hannah arendt,heidegger,jaspers,blücher,philosophie,nazisme,engagement,politique,antisémitisme,juifs,culture« En avril [1965], Heinrich échappe, par miracle, à la mort. Il rentrait avec des collègues de Bard College dans un taxi, sur l’autoroute, quand le chauffeur à ses côtés s’est effondré sur lui, mort : crise cardiaque. Heinrich a eu la présence d’esprit d’appuyer sur le frein. Hannah en tremble encore. Elle se réfugie avec lui en juin dans sa maison d’été pour nager et marcher dans la forêt. « Rester loyal envers le réel à travers vents et marées, c’est bien ce que réclame l’amour de la vérité ainsi que la gratitude d’avoir été mis au monde », écrit-elle à Jaspers. Elle travaille magnifiquement et transforme deux conférences en essais. La vérité et la politique, depuis l’aube de l’humanité, n’ont jamais fait bon ménage. Est-il de l’essence même de la vérité d’être impuissante et de l’essence même du pouvoir d’être trompeur ? Et une vérité impuissante n’est-elle pas aussi méprisable qu’un pouvoir insoucieux de la vérité ?

    Hannah Arendt formule avec acuité des questions fort embarrassantes que nous nous posons tous à un moment ou à un autre de notre existence. »

    Laure Adler, Dans les pas de Hannah Arendt

  • Suivre Hannah Arendt

    Sous le titre Dans les pas de Hannah Arendt, Laure Adler ne propose pas une biographie au sens strict. Elle veut la faire mieux connaître, « tenter de restituer sa force et son courage dans les combats qu’elle a menés durant toute son existence », donner envie de la lire, « tant sa pensée donne de l’élan, de la force, de l’énergie », écrit-elle dans l’introduction.

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    Laure Adler suit le parcours de cette intellectuelle juive allemande passionnée par la philosophie – elle sera toute sa vie liée à ses deux maîtres, Heidegger et Jaspers, dans une relation plus sereine avec celui-ci qu’avec le premier. L’étudiante de Heidegger lui gardera toujours son admiration, son amour même, malgré son égocentrisme et ses silences, malgré sa collaboration avec le nazisme, au grand étonnement de l’ami Jaspers. Hannah Arendt apparaît libre et déchirée, « partagée en deux » : entre langue allemande et culture juive, entre Heidegger et Blücher (son mari), entre philosophie et politique, entre vie contemplative et vie active.

    Née en 1906 à Linden, près d’Hanovre, elle doit à sa mère Martha, cultivée, engagée, une éducation dans le respect de son individualité. A son grand-père Max, favorable à l’intégration et opposé au sionisme, sa culture juive. Son père et son grand-père meurent en 1913. Comme sa mère, Hannah admire Rosa Luxembourg, un modèle.

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    Hannah Arendt (8 ans) et sa mère

    Quand Martha se remarie après la première guerre mondiale, Hannah, quinze ans, est forcée de la partager avec deux belles-filles de dix-neuf et vingt ans. A l’université de Berlin, où elle étudie le latin, le grec et la théologie chrétienne, elle a une première liaison amoureuse. Les cours d’Heidegger la passionnent, ils portent sur des questions existentielles. A dix-huit ans, Hannah comprend que « penser, c’est vivre. Vivre, c’est penser ». Elle suit aussi les cours d’Husserl, le maître d’Heidegger.

    Celui-ci publie en 1927 son fameux essai « Etre et Temps ». Ses critiques envers Husserl et son arrivisme déplaisent à Jaspers. Heidegger devient une sorte de gourou, ses cours ont un grand succès. La première trace écrite de la relation entre Hannah Arendt et Heidegger date de 1925 – il a 35 ans, elle 19. Si le professeur aime se retrouver avec femme et enfants dans son chalet de Todtnauberg, il se comporte volontiers en séducteur discret. Avec Hannah, les échanges sont intenses, l’entente profonde, sur tous les plans. Hannah voudrait vivre avec lui, ce n’est pas réciproque. Elle rompt en 1926, quitte Marbourg pour suivre à Fribourg les cours d’Husserl et de Jaspers (43 ans, elle en a 20).

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    Les sœurs Beerwald et Hannah Arendt (15 ans)

    L’année précédente, Hannah a rencontré Günther Stern, « jeune et brillant » intellectuel. Elle s’installe avec lui à Berlin, ils se marient en juin 1929. Tous deux rejettent d’emblée le nazisme, alors que Heidegger y adhère. Hannah s’intéresse au sionisme, uniquement dans la perspective d’un Etat binational en Palestine. Choquée par la nomination de Heidegger comme recteur par le régime nazi, suivie de l’exclusion des professeurs juifs, elle milite contre la « propagande de l’horreur ». Sa mère et elle sont arrêtées, interrogées, relâchées. Lucide, Hannah se décide à quitter l’Allemagne sans attendre.

    Laure Adler raconte leur vie d’exilées, la dérive de Heidegger, les petits boulots pour Hannah qui étudie le français et l’hébreu. Elle cherche à aider les Juifs de toute origine, un premier voyage en Palestine lui ôte ses illusions. A trente ans, elle s’installe à Paris avec Heinrich Blücher, 37 ans, l’épouse après son divorce. De nouveau, elle connaît la vie de paria en France : arrestation, camp d’internement. Elle s’enfuit de Gurs, prend à Marseille un train pour Lisbonne d’où elle embarque pour l’Amérique.

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    Hannah Arendt en 1924

    Etre libre, pour Hannah, c’est se battre. Elle devient journaliste pour vivre, pour défendre l’œuvre de Walter Benjamin, mort en 1940. Elle écrit et enseigne à mi-temps. Indignée par le silence autour du sort des Juifs d’Europe, elle lutte contre le défaitisme et dénonce chez Hitler « l’éloquence du diable » : dès 1941, le régime nazi, en décidant l’extermination, change de nature en se basant sur l’antisémitisme. C’est sa conviction.

    Même aux Etats-Unis, elle est isolée en refusant qu’Israël s’approprie la Palestine ; elle n’admettrait qu’une fédération respectueuse des Palestiniens, basée sur une coopération entre Juifs et Arabes. Antisioniste, antifasciste, elle est soulagée d’apprendre après la guerre que Jaspers et sa femme juive sont sains et saufs. En 1946, Heidegger est mis à la retraite et interdit d’enseigner.

    Hannah Arendt construit sa vie à New York avec Heinrich Blücher, dans une complicité totale qui survivra même à ses infidélités. Elle veut comprendre et décrire le totalitarisme. Elle questionne l’attitude des Juifs durant l’extermination. Elle lit Kafka ; avec Max Brod, elle fait publier son Journal. Son premier voyage en Europe après la guerre, à Paris puis en Allemagne, dans les villes détruites, la convainc que sa patrie est désormais aux Etats-Unis. Elle revoit Jaspers, en toute confiance ; et aussi Heidegger qui va la présenter à sa femme antisémite !

    Laure Adler raconte Hannah Arendt : ses amours et ses amitiés, sa vie professionnelle, sa pensée, ses cours, ses conférences, ses combats, son audace à contredire, son courage à défendre ses idées. Les polémiques seront nombreuses autour de ses livres et de ses articles. Celui sur le procès d’Eichmann à Jérusalem en 1961 lui vaudra de profondes inimitiés, on lui reprochera – même ses amis parfois – son agressivité, son radicalisme, ses exagérations. (En 2013, le film de Margarethe von Trotta est revenu sur ce sujet.)

    Travail, œuvre, action, ce sont les trois piliers de ce que Hannah Arendt appelle la « vita activa ». Cette infatigable penseuse, décédée d’une crise cardiaque en 1975, a de quoi intimider par l’exigence avec laquelle elle incarne la nécessité de « penser ce que nous faisons ».

  • Vision

    werk ohne autor,film,florian henckel von donnersmarck,2018,allemagne,histoire,nazisme,art,création,peinture,apprentissage,amour,cinéma,culture« Ne détourne pas le regard, tout ce qui est vrai est beau. »

    [Elisabeth au petit Kurt Barnert] 

    « Le cinéma de Florian Henckel von Donnersmarck a quelque chose de sensible, de beau, de vrai. Onze ans après son Oscar pour La vie des autres, le réalisateur allemand prouve une fois encore son talent et sa vision avec Werk ohne Autor, qui parle tant de la société que de l’art et de la vie. »

    Gaëlle Moury, Werk ohne Autor Un grand film beau, fort et émouvant (Le Soir)

  • Werk ohne Autor

    D’emblée, je l’écris : Werk ohne Autor de Florian Henckel Von Donnersmarck (2018) est un film à ne pas manquer. Long (trois heures) mais sans longueurs, intense de bout en bout, rythmé, avec des acteurs admirables et Tom Schilling en premier, d’une présence si forte dans le rôle d’un jeune artiste peintre pris malgré lui dans la trame de l’histoire allemande, de la fin des années 1930 aux années 50.

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    Kurt (Tom Schilling) au chevalet (Cinebel)

    1937. Le petit Kurt tient la main de sa tante Elisabeth (Saskia Rosendahl) pour visiter l’exposition d’art « dégénéré » à Berlin, où le guide tient des propos édifiants (cela m’a rappelé l’exposition 21 rue La Boétie). En disant au gamin, devant un Kandinsky, qu’il pourrait bien en faire autant et que personne ne lui donnerait d’argent en échange, il ne se doute pas qu’une vocation est en train de naître chez le petit garçon à qui Elisabeth apprend à « regarder » vraiment (la peinture moderne lui plaît, mais il ne faut pas le dire).

    Cette séquence initiale ouvre tous les axes du film : l’art, la liberté de créer, la lourdeur de l’idéologie, l’amour entre Kurt et sa jeune tante, les pensées à garder secrètes quand l’absence de liberté d’expression enjoint au silence. Aux mots qu’il ne faut pas dire en public va répondre un concert de klaxons grandiose déclenché par Elisabeth, avec la complicité des chauffeurs d’autobus.

    La fantasque Elisabeth initie Kurt à la beauté, lui apprend à ne pas détourner les yeux de ce qui est vrai, jusqu’à se mettre toute nue pour jouer au piano. Choquée, sa mère l’emmène chez le médecin, un gynécologue renommé. Mal lui en a pris, elle le comprend trop tard. Le professeur Seeband (Sebastian Koch) est aussi un officier SS responsable d’une campagne de stérilisation ; on tremble pour Elisabeth quand on le voit saisir le formulaire où inscrire « - » pour l’internement, « + » pour l’élimination.

    Le père de Kurt, un enseignant, a refusé d’adhérer au parti national-socialiste, ce qui lui a valu d’être écarté ; il ne trouve plus qu’un emploi de nettoyeur. Avec la guerre, les conditions de vie deviennent de plus en plus précaires pour les civils. Le jeune Kurt et sa famille assistent de loin aux bombardements qui détruisent la ville de Dresde. Comme Elisabeth le lui a appris, Kurt ne détourne pas les yeux.

    Après la guerre, l’URSS victorieuse impose une nouvelle idéologie en Allemagne de l’Est. Le garçon qui aime dessiner s’inscrit à l’académie, où on respecte à présent un nouveau code esthétique : le réalisme soviétique. Les qualités de Kurt le font remarquer, le maître l’apprécie tout en enseignant la méfiance totale à l’égard des nouveaux courants artistiques occidentaux où règne, selon lui, le détestable moi : « Ich, Ich, Ich ». (L’acteur Tom Schilling, qui a grandi en Allemagne de l’Est, voulait d’abord devenir peintre.)

    A l’atelier de couture, Kurt fait la connaissance d’une belle jeune femme, elle s’appelle Elisabeth comme sa tante qu’il aimait. Quand elle accepte de se promener avec lui, Kurt lui demande s’il peut l’appeler autrement – ce sera « Ellie », le petit nom que lui donne son père. En tombant amoureux d’elle, Kurt ignore de qui Ellie (Paula Beer) est la fille. Dans la grande maison de ses parents, la seule de la rue épargnée par les bombes, le passé, la guerre vont leur retomber dessus.

    Aussi le jeune couple saisit l’occasion de passer à l’Ouest, juste avant la construction du Mur de Berlin. Kurt choisit d’aller à Düsseldorf, réputée pour son avant-gardisme. Il y obtient une chambre d’étudiant et un atelier. Là, peindre est une pratique dépassée aux yeux des jeunes créateurs qu’il fréquente. Ce qui compte, c’est « l’idée », le choc de la nouveauté, la rupture avec les conventions. Le directeur de l’Institut (Oliver Masucci) en donne l’exemple, un beau personnage inspiré par Joseph Beuys, comme Kurt Barnert l’est, très librement, par Gerhard Richter.

    Ne manquez pas Werk ohne Autor, film d’une richesse peu commune, drame familial, fresque sur l’Allemagne de ces années terribles, histoire d’amour. Je m’en voudrais de dévoiler davantage l’intrigue, plus dure et plus tendre que vous ne l’imaginez. Sebastian Koch y joue un personnage-clé, le père d’Ellie, à l’opposé de son rôle de dramaturge surveillé par la Stasi dans La vie des autres (Film européen de l’année en 2006, Oscar du meilleur film étranger en 2007).

    Florian Henckel von Donnersmarck sait raconter, émouvoir, inquiéter, faire réfléchir. J’ai beaucoup aimé ce film captivant sur les débuts, les désirs et les doutes d’un artiste qui peint sans se considérer comme l’auteur de son œuvre. Le flou utilisé par moments invite à regarder mieux. Il est rare que le cinéma interroge ainsi la création artistique.

     

  • Danses obscures

    eric vuillard,l'ordre du jour,récit,littérature française,histoire,nazisme,années 1930,allemagne,autriche,anschluss,culture,louis soutter,peinture« Ainsi, peut-être qu’au moment où Hitler jette à la tête de Schuschnigg son ultimatum, au moment où le sort du monde, à travers les coordonnées capricieuses du temps et de l’espace, se retrouve un instant, un seul instant, entre les mains de Kurt von Schuschnigg, à quelques centaines de kilomètres de là, dans son asile de Ballaigues, Louis Soutter était peut-être en train de dessiner avec les doigts sur une nappe en papier une de ses danses obscures. Des pantins hideux et terribles s’agitent à l’horizon du monde où roule un soleil noir. Ils courent et fuient en tous sens, surgissant de la brume, squelettes, fantômes. Pauvre Soutter. Il avait déjà passé plus de quinze ans dans son asile, quinze ans à peindre ses angoisses sur de mauvais bouts de papier, des enveloppes usagées, dérobés à la corbeille. Et, à cet instant où le destin de l’Europe se joue au Berghof, ses petits personnages obscurs, se tordant comme des fils de fer, me semblent un présage. »

    Eric Vuillard, L’ordre du jour

    Louis Soutter, Si le soleil me revenait
    © Elizabeth Legros Chapuis, "Soutter à la Maison Rouge" (Sédiments)