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Suivre Hannah Arendt

Sous le titre Dans les pas de Hannah Arendt, Laure Adler ne propose pas une biographie au sens strict. Elle veut la faire mieux connaître, « tenter de restituer sa force et son courage dans les combats qu’elle a menés durant toute son existence », donner envie de la lire, « tant sa pensée donne de l’élan, de la force, de l’énergie », écrit-elle dans l’introduction.

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Laure Adler suit le parcours de cette intellectuelle juive allemande passionnée par la philosophie – elle sera toute sa vie liée à ses deux maîtres, Heidegger et Jaspers, dans une relation plus sereine avec celui-ci qu’avec le premier. L’étudiante de Heidegger lui gardera toujours son admiration, son amour même, malgré son égocentrisme et ses silences, malgré sa collaboration avec le nazisme, au grand étonnement de l’ami Jaspers. Hannah Arendt apparaît libre et déchirée, « partagée en deux » : entre langue allemande et culture juive, entre Heidegger et Blücher (son mari), entre philosophie et politique, entre vie contemplative et vie active.

Née en 1906 à Linden, près d’Hanovre, elle doit à sa mère Martha, cultivée, engagée, une éducation dans le respect de son individualité. A son grand-père Max, favorable à l’intégration et opposé au sionisme, sa culture juive. Son père et son grand-père meurent en 1913. Comme sa mère, Hannah admire Rosa Luxembourg, un modèle.

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Hannah Arendt (8 ans) et sa mère

Quand Martha se remarie après la première guerre mondiale, Hannah, quinze ans, est forcée de la partager avec deux belles-filles de dix-neuf et vingt ans. A l’université de Berlin, où elle étudie le latin, le grec et la théologie chrétienne, elle a une première liaison amoureuse. Les cours d’Heidegger la passionnent, ils portent sur des questions existentielles. A dix-huit ans, Hannah comprend que « penser, c’est vivre. Vivre, c’est penser ». Elle suit aussi les cours d’Husserl, le maître d’Heidegger.

Celui-ci publie en 1927 son fameux essai « Etre et Temps ». Ses critiques envers Husserl et son arrivisme déplaisent à Jaspers. Heidegger devient une sorte de gourou, ses cours ont un grand succès. La première trace écrite de la relation entre Hannah Arendt et Heidegger date de 1925 – il a 35 ans, elle 19. Si le professeur aime se retrouver avec femme et enfants dans son chalet de Todtnauberg, il se comporte volontiers en séducteur discret. Avec Hannah, les échanges sont intenses, l’entente profonde, sur tous les plans. Hannah voudrait vivre avec lui, ce n’est pas réciproque. Elle rompt en 1926, quitte Marbourg pour suivre à Fribourg les cours d’Husserl et de Jaspers (43 ans, elle en a 20).

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Les sœurs Beerwald et Hannah Arendt (15 ans)

L’année précédente, Hannah a rencontré Günther Stern, « jeune et brillant » intellectuel. Elle s’installe avec lui à Berlin, ils se marient en juin 1929. Tous deux rejettent d’emblée le nazisme, alors que Heidegger y adhère. Hannah s’intéresse au sionisme, uniquement dans la perspective d’un Etat binational en Palestine. Choquée par la nomination de Heidegger comme recteur par le régime nazi, suivie de l’exclusion des professeurs juifs, elle milite contre la « propagande de l’horreur ». Sa mère et elle sont arrêtées, interrogées, relâchées. Lucide, Hannah se décide à quitter l’Allemagne sans attendre.

Laure Adler raconte leur vie d’exilées, la dérive de Heidegger, les petits boulots pour Hannah qui étudie le français et l’hébreu. Elle cherche à aider les Juifs de toute origine, un premier voyage en Palestine lui ôte ses illusions. A trente ans, elle s’installe à Paris avec Heinrich Blücher, 37 ans, l’épouse après son divorce. De nouveau, elle connaît la vie de paria en France : arrestation, camp d’internement. Elle s’enfuit de Gurs, prend à Marseille un train pour Lisbonne d’où elle embarque pour l’Amérique.

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Hannah Arendt en 1924

Etre libre, pour Hannah, c’est se battre. Elle devient journaliste pour vivre, pour défendre l’œuvre de Walter Benjamin, mort en 1940. Elle écrit et enseigne à mi-temps. Indignée par le silence autour du sort des Juifs d’Europe, elle lutte contre le défaitisme et dénonce chez Hitler « l’éloquence du diable » : dès 1941, le régime nazi, en décidant l’extermination, change de nature en se basant sur l’antisémitisme. C’est sa conviction.

Même aux Etats-Unis, elle est isolée en refusant qu’Israël s’approprie la Palestine ; elle n’admettrait qu’une fédération respectueuse des Palestiniens, basée sur une coopération entre Juifs et Arabes. Antisioniste, antifasciste, elle est soulagée d’apprendre après la guerre que Jaspers et sa femme juive sont sains et saufs. En 1946, Heidegger est mis à la retraite et interdit d’enseigner.

Hannah Arendt construit sa vie à New York avec Heinrich Blücher, dans une complicité totale qui survivra même à ses infidélités. Elle veut comprendre et décrire le totalitarisme. Elle questionne l’attitude des Juifs durant l’extermination. Elle lit Kafka ; avec Max Brod, elle fait publier son Journal. Son premier voyage en Europe après la guerre, à Paris puis en Allemagne, dans les villes détruites, la convainc que sa patrie est désormais aux Etats-Unis. Elle revoit Jaspers, en toute confiance ; et aussi Heidegger qui va la présenter à sa femme antisémite !

Laure Adler raconte Hannah Arendt : ses amours et ses amitiés, sa vie professionnelle, sa pensée, ses cours, ses conférences, ses combats, son audace à contredire, son courage à défendre ses idées. Les polémiques seront nombreuses autour de ses livres et de ses articles. Celui sur le procès d’Eichmann à Jérusalem en 1961 lui vaudra de profondes inimitiés, on lui reprochera – même ses amis parfois – son agressivité, son radicalisme, ses exagérations. (En 2013, le film de Margarethe von Trotta est revenu sur ce sujet.)

Travail, œuvre, action, ce sont les trois piliers de ce que Hannah Arendt appelle la « vita activa ». Cette infatigable penseuse, décédée d’une crise cardiaque en 1975, a de quoi intimider par l’exigence avec laquelle elle incarne la nécessité de « penser ce que nous faisons ».

Commentaires

  • "Un ensemble de courage et d'indépendance" dit Laure Adler. Bon congé, Adrienne, le pont peut-être ?

  • Voilà une lecture bien tentante ! Merci, Tania, j'espère que ce livre est encore disponible.

  • Je l'ai trouvé à la bibliothèque, tu devrais le trouver, je pense.

  • une destinée exceptionnelle, une femme que j'admire pour son intelligence et son courage, j'ai écouté il y a peu des podcasts sur elle et son travail, lire une bio est une excellente idée

  • Je l'ai peu lue, mais je vais m'y remettre.

  • On est pris de tournis en lisant ton billet, que d'énergie!
    J'avais entendu Laure Adler parler de son livre à la radio, et je l'avais déjà noté, merci Tania.

  • Sur le site de l'éditeur, Laure Adler dit ceci : "Elle plaçait la poésie par-dessus tout et n'a jamais cessé d'en écrire. Je crois que ses poèmes constituent sa colonne vertébrale intellectuelle, traduisent le mieux son rapport au monde. Ils lui ont permis, aux moments où elle allait le plus mal, de respirer." Quelques poèmes sont repris dans cet essai, j'ignore s'ils ont été publiés à part.

  • J'avais lu quelques textes concernant le procès Eichmann et la controverse sur les mots "banalité du mal" employés par Hannah Arendt. Elle avait été mal comprise et pourtant elle détaillait si bien ce coté noir de chaque être humain...
    Je ne connaissait pas sa vie foisonnante ! Je note ce titre, Merci Tania, Belle fin de semaine !

  • Sur le plan des idées, elle ne cherchait ni à plaire ni à complaire. Merci pour ton passage, bonne soirée.

  • Bonne lecture un jour ou l'autre.

  • J'ai revu récemment le film de Margarethe Von Trotta qui m'avait beaucoup intéressée. Je ne l'ai jamais lue, pensant que c'était hors de ma portée, mais une biographie pourrait être plus abordable.

  • C'est ce que je me suis dit aussi. Laure Adler s'est intéressée à sa vie de femme, sa personnalité, ses relations - tu verras, si tu te décides à la lire. Bonne fin de semaine, Aifelle.

  • Bonjour,
    Je ne connaissais pas du tout et je trouve ce récit vraiment intéressant.
    Être si libre à cette époque était déjà un exploit. Quelle personnalité !

  • Une femme de caractère, assurément.

  • Une bonne manière d'aborder une oeuvre qui m'effraie d'autant plus que j' ai tant de mal à lire les textes philosophiques et je dois l'avouer aussi, si peu envie de le faire (ceci expliquant certainement cela !). J'avais beaucoup apprécié le film tout en m'interrogeant sur son exigence. Peut-on tout dire à tout moment ?

  • J'ai lu qu'elle se disait plus "politologue" que "philosophe", comprendre et expliquer les enjeux la passionnait. Tout dire à tout moment ? Je ne le pense pas non plus.

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