Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

maison - Page 7

  • Intérieur

    « L’intérieur de la maison ne démentait pas la banalité de l’apparence extérieure. […] Lorsqu’on pense au luxe et au raffinement avec lesquels Matisse choisissait chaque objet qui l’entourait, on reste confondu. Mais Bonnard n’avait nul besoin de fauteuils vénitiens, de vases chinois, pour créer la féerie autour de lui. Son pinceau poétisait les objets les plus quotidiens, des tubulures de radiateur à la vétuste baignoire ; il leur communiquait une vie mystérieuse et chatoyante. Peu lui importait (sic) les ateliers improvisés, granges, chambres d’hôtel. Il avait le luxe en horreur ; les somptueuses installations l’intimidaient et, somme toute, un certain inconfort lui convenait. » 

    Brassaï, Les artistes de ma vie (cité dans le catalogue de « Bonnard et Le Cannet. Dans la lumière de la Méditerranée », Le Cannet, 2011)

    bonnard,le cannet,exposition,musée bonnard,peinture,maison,culture
    http://www.lecannet.fr/page-627-de-la-villa-du-bosquet-au-musee-bonnard.html

     

     

     

  • Maison mère

    « La maison où je suis née je n’en ai pas voulu. Je pourrai encore y venir mais
    ce sera comme invitée. C’est moi qui en ai décidé ainsi.

    Aujourd’hui je suis revenue voir cette maison et je me demande pourquoi. Pourquoi cela me fait mal. Et j’essaie d’y voir clair.

    Je suis allée au village et suis revenue à pied avec ma fille et me suis assise sur
    le parapet du port, regardant la rivière couler. Je voulais refaire exactement la promenade que j’avais si souvent faite le dimanche matin. Mais les jours d’enfance à quoi bon courir après ? Ils ne reviendront jamais. Même si la maison était à moi je serais la maîtresse de maison et non l’enfant. Il n’est pas possible de vivre deux fois dans la maison de sa mère.

    Et encore : qui d’abord et toujours habite une maison, si ce n’est une femme, mais à quel prix ? Je ne voulais pas être une femme vouée à une maison et j’ai passé à une autre la maison où je suis née. Et je suis devant une feuille blanche, me demandant : fallait-il choisir entre cette maison mère et les mots sur le papier ? Pourquoi ? »

    Véronique Ingold, La maison où je suis née… in Sorcières, Espaces et lieux,  n° 11 (1978)

    Chantal Petit (illustration Sorcières).jpg

    Dessin de Chantal Petit (Sorcières)

  • Chocs d'âme

    « M’émerveillerai-je jamais assez des bêtes ? Celle-ci est exceptionnelle comme l’ami qu’on ne remplacera pas, comme l’amoureux sans reproche. D’où vient l’amour qu’elle me porte ? Elle a, d’elle-même, réglé son pas sur le mien, et le lien invisible, d’elle à moi, suggérait le collier et la laisse. Elle eut l’un et l’autre, qu’elle porta avec l’air de soupirer : « Enfin ! » Le moindre souci vieillit et semble pâlir son très petit visage serré et sans chair, d’un bleu de pluie autour des yeux qui sont d’or pur. Elle a, des amants parfaits, la pudeur, l’effroi des contacts appuyés. Je ne parlerai guère plus d’elle. Tout le reste est silence, fidélité, chocs d’âme, ombre d’une forme d’azur sur le papier bleu qui recueille tout ce que j’écris, passage muet de pattes mouillées d’argent… »

     

    Colette, La naissance du jour 

    Nina.JPG
  • Colette en été

    Combien de fois ai-je ouvert La naissance du jour (1928) pour en relire les premières pages fameuses, où Colette reprend le billet de sa mère, Sidonie Colette, soixante-seize ans, à son second mari, pour décliner son « aimable invitation » : « Voici pourquoi : mon cactus rose va probablement fleurir. » Et de dire la force qu’elle puise à son exemple : « Puissé-je n’oublier jamais que je suis la fille d’une telle femme qui penchait, tremblante, toutes ses rides éblouies entre les sabres d’un cactus sur une promesse de fleur, une telle femme qui ne cessa elle-même d’éclore, infatigablement, pendant trois quarts de siècle… » Lettre arrangée, explique Michèle Sarde dans Colette, libre et entravée. Sido évoquait bien dans la lettre originale un sédum prêt à fleurir mais avait accepté l'invitation puisqu'elle ne résistait jamais à « voir le cher visage de sa fille » et à « entendre sa voix » – et finalement elle n'avait pas pu se déplacer.

     

     

    C’est juillet en Provence – « Est-ce ma dernière maison, celle qui me verra fidèle, celle que je n’abandonnerai plus ? » A sa manière, Colette peint La Treille Muscate, la petite maison de la Baie des Caroubiers qu’elle a achetée à Saint-Tropez en 1925 et où elle écrit ce roman en partie autobiographique. « Fins fauteuils à bras fuselés, rustiques comme des paysannes aux attaches délicates, assiettes jaunes chantant comme cloches sous le doigt plié, plats blancs épaissis d’une crème d’émail, nous retrouvons ensemble, étonnés, un pays qui est le nôtre. » Et un jardin à cultiver. Sur la table, à l’ombre, elle dispose parfois un second couvert en face du sien, pour « l’ami qui vient et s’en va », un de ses amis plus jeunes qu’elle.

     

    « D’autres pays m’ont bercée, c’est vrai, – certains d’une main dure. Une femme se réclame d’autant de pays natals qu’elle a eu d’amours heureux. » Fin de sieste, la chatte s’étire, il est plus de quatre heures. L’été est la saison des corps. « Une des grandes banalités de l’existence, l’amour, se retire de la mienne. L’instinct maternel est une autre grande banalité. Sortis de là, nous nous apercevons que tout le reste est gai, varié, nombreux. Mais on ne sort pas de là quand, ni comme on veut. » En réalité, trois ans avant de publier La Naissance du jour, Colette a rencontré Maurice Goudeket, qui deviendra officiellement son troisième mari en 1935. Mais ici, dans ce roman-journal, elle exalte d'abord le temps d’écrire, de faire le point, d’imaginer.

     

    La présence de Sido, ses gestes, emplissent les heures d’insomnie, de souvenance. « Elle se levait tôt, puis plus tôt, puis encore plus tôt. Elle voulait le monde à elle, et désert, sous la forme d’un petit enclos, d’une treille et d’un toit incliné. » Deux fois veuve, sa mère qui « se rembrunissait » à son premier divorce, plus encore au second, fâchée de voir sa fille offrir ce qu’elle portait en elle de plus précieux à un autre, alors qu’elle avait tant de belles choses à écrire… « Imagine-t-on, à me lire, que je fais mon portrait ? Patience : c’est seulement mon modèle. »

     

    Vial, trente-cinq ans, qui habite à trois cents mètres, vient troubler ce dialogue avec la vieillesse à apprivoiser, de « son torse nu, lustré de soleil et de sel, dont la peau mire le jour. » Il tient à Paris un petit magasin « mi-librairie romantique, mi-bibelot, comme tout le monde… », aime la compagnie des peintres, dessine des meubles. Elle le tutoie, il la vouvoie. Hélène Clément, qui « peint d’une manière obstinée »,
    est amoureuse de lui, qui feint de n’en rien savoir. Aux dîners entre amis (Kessel, Carco, Segonzac…), Colette les observe, puis rentre chez elle : « Et reprise, agrippée par des plantes juste assez hautes pour donner de l’ombre à mon front, par des pattes qui d’en bas cherchent ma main, par des sillons qui demandent l’eau, une tendre lettre qui veut une réponse, une lampe rouge dans le vert de la nuit, un cahier de papier lisse qu’il faut broder de mon écriture – je suis revenue comme tous les soirs. »

     

    Entre Vial, qui recherche sa présence, et Hélène, qui lui confie son dépit amoureux, une femme prête à renoncer à l’amour, prête à vieillir dans un dialogue serein avec Sido, n’a pas le courage de renvoyer pour de bon celui qui s’attarde chez elle et avoue vivre de peu de chose : « De peu de chose… et de vous. » Que faire de Vial ? d’Hélène ? d’elle-même ? « Ce n’est pas trop que de naître et de créer chaque jour. »

  • La véranda d'Alexis

    « Véranda », ce mot qui nous vient du portugais par l’intermédiaire du hindi et de l’anglais, m’a toujours attirée par sa promesse de lumière et d’échange intime entre le dedans et le dehors. Il m’avait déjà poussée vers un roman plutôt mélancolique de Salvatore Satta (La véranda, 1981), auquel j’ai nettement préféré La véranda de Robert Alexis (2007), découverte en ce début d’année. 

    Klimt Chambre sur l'Attersee.jpg

    Klimt, Chambre sur l’Attersee

     

    « La neige. Un paysage sous la neige. » Les premiers mots du récit, qui semblent évoquer notre hiver, correspondent aux visions d’un passager de train, peut-être en son dernier voyage, ce qui laisse infiniment de place aux souvenirs. Constantinople, Cassis… Dans sa rêverie, le narrateur garde les yeux ouverts : une jeune femme qui descend à Vienne, après avoir essayé en vain d’engager la conversation avec lui, ramène les images de nuits passées dans l’un ou l’autre grand hôtel viennois, de concerts, de restaurants, de soirées au cabaret. « Ma vie avait suivi le cours habituel réservé aux riches héritiers. Mais ce que certains prenaient pour les méandres d’une oisiveté privée de fin, je le considérais comme une recherche sans limite. »

     

    Lors de la traversée d’un lac autrichien, comme il savourait le paysage, il avait aperçu pour la première fois, dans un panorama qu’il pensait connaître, une haute bâtisse dans les bois à flanc de colline, une terrasse à balustres avec, sur la gauche, « une véranda soutenue par des colonnettes ». Plutôt qu’au sentiment de « déjà vu » qui lui avait fait soudain battre le cœur, alors qu’il n’était jamais venu en cet endroit par le passé,
    il préférait croire à une « fulgurance » du hasard, née d’une affiche « vantant la beauté de Steinbach » sur le quai d’une gare et à cause de laquelle il s’était rendu dans cette région. « Cette paix intérieure, cette tranquillité de l’âme, je les dois à ce que je vécus au bord de l’Attersee. »

     

    Le roman de Robert Alexis – un mystérieux écrivain lyonnais édité chez Corti - conte l’étrange relation entre l’éternel voyageur et cette maison « reconnue » pour la sienne, d’emblée. Il se renseigne. La villa appartient à un comte, un original que personne n’a jamais vu, un homme « sans âge ». Deux femmes, l’une de vingt-cinq ans, très belle, une autre plus âgée, toutes deux en sombre, s’en occupaient. L’adresse d’un notaire figure sur la grille, pour un éventuel acquéreur. « Je me souviens de ce moment comme l’un des plus forts de ma vie. » Aux sensations et aux réminiscences provoquées par sa première visite se mêlent une voix de femme, des rires, des silhouettes. « Une telle fantasmagorie ne m’étonnait pas. Je reconnaissais les hallucinations provoquées par la prise régulière d’Ayahuasca » - cette poudre des shamans en Amérique du Sud à laquelle un ami l’a initié.

     

    S’il accepte d’entrer dans ces mystères, le lecteur de La véranda embarquera dans une intrigue très romanesque, de la visite chez le notaire à la rencontre avec la propriétaire de la villa. La comtesse habite à Salzburg un immense appartement très dépouillé, suivant la volonté paternelle, à l’inverse de la maison de Linz où se superposent les tissus et les tapis, les bouquets et les meubles – « Les femmes, plus que les hommes, aiment la compagnie des choses. » Ils s’entendent parfaitement, Alicia et lui, et se réapproprient ensemble la charmante demeure, dans une complicité rare.

     

    Jusqu’à ce que l’appel du voyage entraîne à nouveau l’incurable vagabond à Bucarest, où l’attend la jeune Clara, puis en Orient, malgré l’épidémie de choléra à Istanbul. Reverra-t-il Linz un jour ? A-t-il vécu ? A-t-il rêvé ? Sans chronologie véritable, éveillée par le spectacle du monde, nourrie des élans de l’imaginaire, c’est une collection de tableaux vivants qui nous est proposée par Robert Alexis. Avec le goût du mot rare, parfois précieux, il trace peu à peu les lignes de force d’un destin partagé entre le mouvement et l’immobilité, entre le dehors et le dedans d’une vie, entre le présent et le passé, où même l’identité des êtres reste incertaine.