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littérature - Page 14

  • Du luxe

    « Que vient faire la littérature dans le storytelling global d’un géant de luxe ? S’il est difficile de jeter un quelconque opprobre sur le fait qu’un écrivain réalise un travail de commande – la chose n’est pas nouvelle et plutôt courante –, force est de constater que, du côté de la marque, ce positionnement littéraire n’est en aucun cas une danseuse, une « parenthèse ». Au contraire, c’est une manière pour la griffe d’embarquer pour un territoire inattendu et ô combien légitime. » 

    Clément Ghys, « La littérature, c’est du luxe », Libération, 1/11/2013. 

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     http://www.slate.fr/life/74907/lire-pour-mieux-vieillir

     



  • Fabrique romanesque

    C’est un parti-pris sur ce blog de ne pas faire de publicité aux romans dont la lecture ennuie ou agace, abandonnés en cours de route ou achevés par curiosité pour l’éventuel rebond romanesque qui sauverait la mise. Il en va souvent ainsi pour ces signatures connues mises en évidence sur les tables des librairies ou des bibliothèques, best-sellers dont on est désolé de découvrir le vide affligeant – désolé non pour ceux qui en tirent profit, mais pour la littérature contemporaine ainsi desservie. 

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    Illustration © Jean-Baptiste Talbourdet

    Je ne m’attarderais pas sur leurs ingrédients censés faire pleurer Marco ou Margot – un héros ou une héroïne solitaire, un secret de famille, des péripéties sentimentales (un homme, une femme, ou plusieurs partenaires, c’est plus excitant), un peu d’exotisme et beaucoup d’érotisme voire de porno (c’est dans l’air du temps) – s’il ne fallait y ajouter désormais ce qu’on appelle au cinéma le « placement de produit », expression qui s’affiche à présent sur l’écran de télévision de temps à autre, un mal venu du grand écran.

    « Les placements sont de plus en plus nombreux dans les livres et tout particulièrement les romans. L’investissement pour la littérature américaine a été évalué à 26,6 Millions de dollars. » (Wikipedia, qui en cite quelques exemples.) Pour une telle fabrique romanesque, on installe volontiers l’intrigue dans un cadre luxueux, par exemple un hôtel cinq étoiles, avec tous les détails concrets aujourd’hui signes convenus de la richesse. Les beaux vêtements ne sont pas décrits, il suffit de citer leur marque pour les faire étinceler, les montres sont forcément des exemplaires de collection, les téléphones portables du dernier modèle, on y précise même la marque des savons et des boissons.

    Bien sûr, XXIe siècle oblige, on évoque l’un ou l’autre événement dramatique qui a nourri l’actualité médiatique durant des semaines, « people » de préférence, le personnage se montre accro aux réseaux sociaux et fait un usage immodéré de son portable jour et nuit. Au bout du compte, une fin heureuse ou du moins apaisante, qui joue sans doute le même rôle que la musique d’ambiance dans les grands magasins, au bonheur des marques. 

    Fumer tue, affichent les emballages de cigarettes. Enfumer les lecteurs de publicité quaisi explicite ou sous-jacente (voir la définition de la publicité subliminale) ne les tue pas, certes, et peut-être en devient-on même dépendant, comme si un exhausteur de goût donnait l’envie de recommencer encore et encore la même histoire au paradis des choses qui s’achètent et des gens qui s’enrichissent. Ils ne manqueront pas la prochaine mouture de leur fournisseur d’histoires préféré, ravis de ce merveilleux à la sauce mercatique pour lecteurs-consommateurs.

    A ces acteurs du marché du livre – rien à voir avec la Petite fabrique de littérature – manque l’ironie d’un Perec qui concluait ainsi, il y a une cinquantaine d’années déjà : « Le voyage sera longtemps agréable. Vers midi, ils se dirigeront, d’un pas nonchalant, vers le wagon-restaurant. Ils s’installeront près d’une vitre, en tête à tête. Ils commanderont deux whiskies. Ils se regarderont, une dernière fois, avec un sourire complice. Le linge glacé, les couverts massifs, marqués aux armes des Wagons-Lits, les assiettes épaisses écussonnées sembleront le prélude d’un festin somptueux. Mais le repas qu’on leur servira sera franchement insipide. » (Les Choses)

  • Sanary, Amer azur

    Son Exil en Paradis devenu introuvable dans ma bibliothèque et indisponible en librairie, j’ai trouvé sur place Amer azur (2007), le nouvel ouvrage consacré par Manfred Flügge aux « artistes et écrivains à Sanary ». Deux cents pages d’informations et d’anecdotes passionnantes pour qui s’intéresse au passé de Sanary-sur-Mer et à ceux qui y trouvèrent refuge et inspiration dans la première moitié du XXe siècle, en particulier des écrivains allemands. Ce nouveau titre, qui reprend et complète le premier, dit mieux leur situation, la souffrance de l’exil et des années de guerre. 

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    Les terrasses du quai Charles de Gaulle

    C’est en se documentant sur l’histoire de Jules et Jim que l’auteur a fait connaissance avec « la capitale de la littérature allemande en exil » (dixit Ludwig Marcuse) : c’est à Sanary que se réfugient en 1939 l’écrivain Franz Hessel (Jules) et Hélène Grund, sa femme, (les parents de Stephane Hessel), qui ont inspiré le roman écrit par Henri-Pierre Roché (Jim) à la mort de Franz sur leur amitié et leurs amours. 

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    Pour qui a déjà parcouru la liste des exilés affichée sur le mur de l’Office du tourisme de Sanary ou s’est arrêté avec curiosité devant les plaques commémoratives indiquant où certains d’entre eux ont vécu, Amer azur est une lecture indispensable. Huxley a écrit ici Le Meilleur des Mondes, Thomas Mann y a passé sa première année d’exil, Walter Bondy y a eu un atelier de photographie – précieux apport aux archives locales. 

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    « Le mistral devint mon ami, écrit Ludwig Marcuse, car il faisait pour moi la même chose que pour le ciel : il chassait les nuages et apportait de la clarté. » Beaucoup d’écrivains et artistes allemands ou autrichiens ont fui le nazisme dans les années 1930 et ont trouvé refuge sur la Côte d’Azur, entre Marseille et Menton. Flügge résume d’abord l’histoire des échanges culturels franco-allemands et l’évolution de cette région paradisiaque par son climat et ses paysages, mais où ces exilés ont souffert de leur situation hasardeuse et de la méfiance à leur égard. 

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    Une « brève histoire de Sanary » précède un chapitre consacré aux auteurs anglais qui ont découvert les premiers les charmes du littoral varois : le Midi attire d’abord Katherine Mansfield à travers les couleurs de peintres comme Cézanne ou Van Gogh. La mort de son frère tué à la première guerre mondiale la pousse à quitter l’Angleterre pour se réfugier à Bandol : « Et in Arcadia ego », note-t-elle dans son journal en 1915. D.H. Lawrence s’y installe avec sa femme en 1928 pour soigner ses poumons malades, jusqu’à ce qu’une pleurésie l’emporte en 1930. Ses amis Aldous et Maria Huxley résideront sept ans à Sanary. 

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    Que tant d’Allemands viennent s’établir non loin de Toulon, le plus important port militaire français, a éveillé bien des soupçons quand la seconde guerre a éclaté. La romancière anglaise Sybille Bedford (von Schönebeck) a beaucoup parlé de Sanary dans ses livres, souvent de façon imprécise. Flügge l’a rencontrée en 2000 et la première biographe d’Huxley lui a laissé l’impression de ne pas avoir tout dit de ce qu’elle savait des intrigues politiques des années 30 et 40. Mais elle a laissé de belles pages sur l’atmosphère de Sanary dans ces années-là. 

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    « Walter Bondy, de Montparnasse à Sanary » m’a fait connaître ce « peintre, dessinateur, photographe, collectionneur d’art et auteur ». Né à Prague, formé en Autriche et en Allemagne, il a vécu à Paris jusqu’en 1914, il y fréquentait les artistes de Montparnasse. Durant un séjour à Sanary en 1926, Bondy peint des paysages et des jardins : « Il aimait l’intensité de la lumière, le mistral, le caractère sauvage de l’arrière-pays. » Après qu’on l’a insulté en rue à Berlin, il décide de quitter l’Allemagne en 1932. « Emigré avant l’heure », il se fixe à Sanary. Tombé amoureux de Camille Bertron, une jeune peintre qu’on lui a présentée, il y loue avec elle un appartement et y installe un atelier de photographie. Les habitants de Sanary se rendent volontiers chez cet Autrichien qui travaille à la lumière du jour et pense que « la photographie doit documenter la beauté ». 

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    Walter Bondy, Port dans le Sud de la France
     http://www.arcadja.com/auctions/en/bondy_walter/artist/34695/

    Manfred Flügge insiste sur la présence des peintres dans le Midi, comme Erich Klossowski qui a obtenu la nationalité française en 1939 et décidé alors « de ne plus prononcer un mot d’allemand ». Ses fils seront peintre (Balthus) et écrivain (Pierre Klossowski). Ou le peintreAnton Räderscheidt et sa compagne Ilse Sahlberg qui achètent Le Patio, une maison cubique qui existe encore sur la colline de La Cride. Fin 1940, il est interné au camp des Milles, mais réussit à s’échapper du « train fantôme vers Bordeaux » pour rentrer à Sanary. Un brave boucher les a fait passer en Suisse, mais ses tableaux ont été perdus. Ou encore Moïse Kisling, « le grand nom lié à Sanary dans le monde artistique ».

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    Moïse Kisling, Paysage à Sanary

    Etre alsacien n’était alors pas commode non plus. René Schickele, écrivain de langue allemande, habite Sanary de 1932 à 1934, et c’est lui qui y fait venir Lion Feuchtwanger et Thomas Mann. Schickele est le seul à avoir écrit un roman sur Sanary (La Veuve Bosca) qui commence ainsi : « En Provence, les saisons changent imperceptiblement en une nuit. » Son journal intime est un témoignage capital.  

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    Heinrich Mann connaissait la Côte d’Azur – surtout Nice, sa ville de prédilection – bien avant que son frère Thomas, Nobel de littérature en 1929, ne se résolve à l’exil. C’est à Sanary que Thomas Mann, quoiqu’il n’y soit resté qu’un an, en 1933, y a peu à peu apprivoisé ce statut frustrant. Ses enfants, Erika et Klaus Mann, l’avaient précédé, et ont décrit dans Le Livre de la Riviera les plus beaux endroits de la Côte, dont Sanary, « parfait petit port, agréable et intime » à première vue, mais en fait « point de rencontre pour le monde de la peinture venant de Paris, de Berlin ou de Schwabing, et pour la bohème anglo-saxonne. » Avant d’emménager dans la Villa La Tranquille, Thomas Mann avait commencé à Bandol ses fameuses « soirées de lectures » pour recréer l’atmosphère intellectuelle qui lui manquait tant. 

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    Entrée de la villa La Tranquille

    Lion et Marta Feuchtwanger ont séjourné à Sanary de 1933 à 1940 et y ont attiré beaucoup de visiteurs. Ils s’y plaisaient tant qu’ils ont eu du mal à en partir, même lorsque c’était devenu dangereux (deux internements aux Milles, entre autres). Arrivé aux Etats-Unis, Feuchtwanger écrira un rapport sur ce qu’il a vécu dans une France « pas si douce que ça ». 

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    D’autres noms, d’autres expériences, heureuses ou malheureuses, sont à découvrir dans Amer azur. Citons encore Franz Werfel et Alma Mahler (sa femme, veuve de Mahler, divorcée de Gropius) qui habitent un temps Le Moulin gris, dont la tour à douze fenêtres abritait la chambre de l’écrivain, le bas de l’habitation étant dévolu à Alma – elle supportait mal leur situation et considérait l’émigration comme « une maladie grave », une « solitude forcée ».

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    Le Moulin gris 

    Très documenté (chaque chapitre comporte une bibliographie), l’essai de Manfred Flügge s’attarde sur tous les noms de la plaque commémorative, bien que certains de ceux qui s’y trouvent cités n’aient pas vécu à Sanary mais ailleurs sur la Côte. L’auteur résume enfin les années de guerre à Sanary, l’occupation allemande, les destructions. « L’avenir de la mémoire », dernier chapitre dAmer azur, rend hommage à ceux qui œuvrent pour la préservation de ce patrimoine culturel à Sanary, alors « pôle Sud de l’espoir » et désormais ville témoin de l’exil, thème « inépuisable et toujours d’actualité ».

  • Sans toi

    Château de Sissinghurst,
    Kent.
    Dimanche 25 avril [24 avril 1932]

    « Ma chère, lointaine, romantique Virginia – oui, effectivement, je regarde la lune se refléter dans les flaques d’eau boueuse de l’Angleterre et je me demande où tu es : en train de glisser au large de la côte damalte (c’est ce que je me dis par moments,) de dépasser Corfou et Ithaque, (et oh Dieu ! quelles associations d’idées tous ces lieux représentent pour moi !) et puis le Pirée et Athènes – (des souvenirs encore) et puis, qu’est-ce qui t’arrive ? car je ne sais rien du tout, voilà la vérité, - l’intérieur de la Grèce, je suppose, lequel reste une région inconnue de moi jusqu’à présent – et a toutes les chances de le rester à moins que je ne m’y rende avec Ethel [Smyth], ce qu’à Dieu ne plaise. Pourquoi ne m’as-tu pas demandé de t’accompagner ? J’aurais tout jeté au gré des vents et je serais venue. Mais tu ne m’as rien demandé.

    En attendant, je cultive mon jardin, mais avril me prive de toutes les joies promises : le vent ne cesse de faire rage à toute heure, et la pluie se déverse presque sans arrêt. Un avril aussi sinistre n’avait jamais encore désolé l’Angleterre. Sois donc heureuse de t’ébattre au soleil (du moins je l’espère) de la Grèce.

    J’en suis contente en ce qui te concerne, mais l’Angleterre est vide sans toi. »

    (…)

    Vita Sackville-West à Virginia Woolf, Correspondance 1923-1941 

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    Vita Sackville-West in 1934. Photograph: BBC/Corbis