Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

histoire - Page 36

  • Fontaine d'amour

    « Ce tryptique évoque la légende de la Fontaine d’Amour. Placé judicieusement sur le manteau d’une cheminée, ce tableau devenait visible lors de l’ouvertures des portes de la salle dévolue aux mariages*. (…) »

    Fabien de Roose, Bruxelles vue par les peintres  (* A l’Hôtel communal de Schaerbeek – Fontaine du parc Josaphat, une des sources du Roodebeek)

     

    Richir La fontaine d'amour.jpg

    Herman Richir, La fontaine d’amour (photo Simonis 2 sur Flickr)

     

    « Aujourd’hui, la croyance existe encore que deux amants qui ont bu de cette eau ensemble dans le même verre se verront unis avant la fin de l’année. »

    Emile Vanden Putte, échevin, lors de l’inauguration du parc (cité par F. de Roose)

  • Balades picturales dans Bruxelles

    La ville est une succession de tableaux pour les promeneurs qui aiment la regarder : façades, portes, décors de fenêtres, jardinets, jeunes et vieux arbres, passants, marchés, roses trémières et grimpantes de trottoir, carrefours animés, commerces, parcs… Sous un angle très original, Fabien De Roose propose des « promenades au cœur de la ville » dans Bruxelles vue par les peintres, dont je viens de découvrir le deuxième tome. Fondateur et animateur de l’asbl Dédale, guide à la Fondation Monet à Giverny, il organise des « promenades picturales » en France et en Belgique.

    de roose,bruxelles vue par les peintres,essai,littérature française,belgique,bruxelles,promenades,ville,guide,histoire,art,peinture,culture

    Auderghem, Saint-Josse-ten-Noode, Schaerbeek, Watermael-Boitsfort, Woluwe-Saint-Lambert et Woluwe-Saint-Pierrre, ce sont ces six communes de l’est de Bruxelles qu’il donne à voir ici sous l’œil d’une cinquantaine de peintres, « reconnus ou méconnus ». Sept balades dans l’espace et dans le temps. Chacune s’ouvre sur un rappel historique pour présenter les quartiers traversés et un plan numéroté (avec l’indication précise des transports en commun). Chaque numéro correspond à un tableau. Une double page raconte l’histoire du lieu et met à notre disposition texte, illustration et photographie. Le temps de lire et de regarder.

    La première, « Du Botanique à la place Saint-Josse », comporte sept arrêts sur image. « Victor Hugo avait affirmé : « Bruxelles possède deux merveilles uniques au monde : la Grand-Place et le panorama du Jardin Botanique. » Pierre-François Gineste (Paris, 1769 – Evere, 1850) a peint le Jardin Botanique à Bruxelles vers 1840. Sous l’illustration, une photo de l’endroit tel qu’il se présente aujourd’hui, sous le même angle de vue, permet la comparaison, dans ce cas-ci, peu flatteuse. Le magnifique panorama montré par Gineste à l’époque où se construisait la Gare du Nord n’a pas résisté aux pressions immobilières et au développement urbain. Le beau bâtiment néo-classique a été sauvé, mais les jardins, « désertés suite au transfert des collections botaniques à Bouchout en 1939, commencent leur descente aux enfers. » Puis viendront les tours de bureaux. Reste un patrimoine architectural préservé, et Le Bota, très vivant centre culturel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, avec son Orangerie.

    de roose,bruxelles vue par les peintres,essai,littérature française,belgique,bruxelles,promenades,ville,guide,histoire,art,peinture,culture
    Carte postale, vers 1910

    C’est très gai de se promener ainsi, qu’on connaisse bien le quartier ou qu’on n’y ait jamais mis les pieds. Le familier des lieux découvre qu’il est loin d’y avoir tout vu, il les redécouvre à travers le texte et l’œil du peintre. Les nouveaux venus font connaissance avec un coin de Bruxelles d’une manière originale. Les amateurs de peinture iront de l’image au paysage en de multiples et excitants allers-retours.

    La ville aux quatre saisons, ses fêtes – Kermesse Saint-Corneille, le soir, place de la Reine (Liévin Herremans), ses événements – Matinée d’élection (Clément Brems), L’Hôtel communal en ruines (Paul Leduc). Ses monuments et ses avenues pittoresques. Mais c’est surtout la ville au quotidien, animée ou non. Bruxelles la secrète aussi avec ses beautés qui ne sont pas forcément visibles de la rue – il faut franchir une porte cochère pour accéder à La maison des Arts (Agnès Bogaert) – et ses légendes. Bruxelles la verte inspire les peintres de paysages – Le potager du Rouge-Cloître (Adolphe Keller) – et d’atmosphères, parfois surréalistes – Le peintre ou image de la brièveté de la vie (André Poffé).

    de roose,bruxelles vue par les peintres,essai,littérature française,belgique,bruxelles,promenades,ville,guide,histoire,art,peinture,culture
    Auguste Oleffe, En août (1909) - Terrasse de la maison du peintre, chaussée de Wavre

    Certains seront peut-être étonnés de découvrir dans la capitale de l’Europe des fermes et des moulins. Je leur en laisse la surprise, la couverture donne le ton avec Le moulin de Lindekemale à Woluwé-Saint-Pierre (aujourd’hui un bon restaurant). Fabien De Roose fournit à la fin de l’ouvrage un plan des transports en commun – le tram bruxellois figure évidemment sur les toiles contemporaines, comme Le tram vert, place Keym (Anne-Pierre-de-Kat) –, ainsi qu’une table des illustrations et une liste des peintres représentés.

    J’espère que vous vous laisserez tenter par ces balades particulièrement inspirées. Pour ma part, je compte bien emporter ce livre et emboîter le pas au guide in situ, à la première occasion. Au plaisir de marcher dans Bruxelles.

  • Ton propre étranger

    banks,le livre de la jamaïque,roman,littérature américaine,histoire,peuple marron,rastafari,culturebanks,le livre de la jamaïque,roman,littérature américaine,histoire,peuple marron,rastafari,culture« Tu reviens à tout cela, à cette île sanglante, sombre et splendide de la Jamaïque qui est l’envers presque parfait de ton monde. Tu retournes à ce sol contre lequel se détache ta propre altérité, et tu le vois encore comme si c’était la première fois. Devant ces voix d’acajou qui t’emplissent les oreilles, tu continues à éprouver la sonorité plate et métallique de la tienne et les minces filaments en spirale de tes phrases et de tes pensées. Auprès de ces corps élancés, noirs, à la démarche sensuelle, le tien t’apparaît couleur de parchemin, raide et épais ; c’est un corps dont l’évolution s’est faite au long de millénaires dans les forêts rocheuses du Nord, sous des cieux noirs. Et sur ce fond de versions du passé qui se révèlent à toi par des contes, des gestes, des liens familiaux, des rêves et des documents, tu te mets à remarquer la complexité de ton propre passé ; car si tu peux commencer à saisir le passé d’un inconnu au moyen de ses contes, de ses gestes, de sa parentèle, de ses rêves et de documents, le tien aussi doit pouvoir être dévoilé de la même manière. Tu deviens ton propre étranger et c’est ainsi que lorsque tu retournes sur l’île de la Jamaïque, comme le vieil homme l’avait prédit, tu reviens à toi-même. »

     

    Russell Banks, Le livre de la Jamaïque

     

  • Jamaica blues

    Troisième roman de Russell Banks, Le livre de la Jamaïque (1980, traduit de l’américain par Pierre Furlan) est un voyage au cœur de cette île des Caraïbes – embarquement pour plus de quatre cents pages. Le narrateur est un Américain décidé à résider quelque temps là-bas (comme l’auteur qui y a vécu deux ans) « sous le prétexte d’étudier les conditions de vie et les coutumes des Marrons, un peuple à l’état de vestige descendant directement d’esclaves ayant échappé à leurs maîtres espagnols, puis anglais, au cours des XVIIe et XVIIIe siècles » et menant ensuite avec succès « une guérilla de cent ans contre les Britanniques ».

    banks,le livre de la jamaïque,roman,littérature américaine,histoire,peuple marron,rastafari,culture
    Marrons de Moore Town

    1976. Pendant son séjour, en dehors de ses recherches, l’écrivain (qui préfère se présenter aux gens comme un enseignant) se mêle à la vie ordinaire des Jamaïquains, boit et fume de la ganja avec eux, joue aux dominos, et devient ami avec quelques-uns. En particulier avec Terry Musgrave – Terron – un Marron de Nyamkopong. Ce petit homme très musclé qui a le même âge que lui, trente-cinq ans, le séduit par la beauté de son langage : « Il possédait une voix de baryton, profonde et sonore, qui sortait tout droit de sa poitrine, et le mélange exotique d’anglais jamaïquain, de patois paysan et de néologismes rastafaris qui, dans toute autre bouche, aurait déjà constitué un poème, devenait un chant dans la sienne, un chant d’acajou et d’oiseau en vol qui s’étire et roule sourdement. »

    Après avoir vécu dans les ghettos de Kingston, servi d’intermédiaire dans le commerce de la ganja (nom local du cannabis), Terron est devenu lui-même planteur de ganja au pays de ses ancêtres et s’est converti à la religion des rastafaris. Tous deux se méfient du gouvernement d’alors, « une bande d’ambitieux des deux sexes, corrompus et incompétents », Terron y voit le présage d’un soulèvement futur et l’Américain « un nouvel épisode déprimant de l’histoire du Nouveau Monde ». Ils sont si différents l’un de l’autre – un noir, un blanc ; un rasta jamaïquain, un étranger sceptique et curieux ; un Marron, un descendant de leurs ennemis etc. – qu’ils se retrouvent « comme des aimants soudés ensemble ».

     

    L’écrivain considère son ami davantage comme un phénomène que comme une source d’informations, mais Terron lui facilite l’accès à son monde. Et il l’intrigue fort quand il lui raconte ce qu’il sait d’Errol Flynn, qu’on dit mêlé à une incroyable histoire de meurtre. Les membres d’une femme disparue avaient fini par échouer sur une plage et le boucher, son mari, avait été condamné, mais d’après le Jamaïcain, il était innocent. La première partie du roman, « Le capitaine Blood », tourne autour de ce crime mystérieux et de la personnalité de Flynn, « prince des ténèbres au rire orgueilleux » tantôt « mafioso », tantôt « débauché », tantôt « hobereau » attaché à ses privilèges.

     

    Son premier séjour en Jamaïque, à partir de décembre 1975, l’écrivain l’avait projeté simplement parce que, libéré pour quelques mois de ses obligations d’enseignant, il pouvait échapper au froid et à la neige d’un hiver en Nouvelle-Angleterre (on se souvient du terrible accident de car dans De beaux lendemains). Ce qui lui plaît, c’est de « vivre dans une maison couleur pastel, aux murs de stuc, au sommet d’une colline et loin des touristes », avec sa femme et ses enfants sur cette île qui « possède une beauté et une complexité mystérieuse qui dépasse tout ce qu’on peut voir ailleurs dans le monde », selon un ami photographe, un Blanc élevé à la Jamaïque. C’est celui-ci qui lui avait parlé pour la première fois des Marrons, dont il avait aussitôt lu l’histoire dans un mince essai : « trois cents ans d’oppression raciale et d’exploitation économique sans merci. »

     

    « Nyamkopong » (deuxième partie) raconte un périple hasardeux vers le village marron, où l’écrivain voudrait rencontrer le colonel Phelps, leur représentant officiel. C’est là qu’il a fait la connaissance de Terron, le rasta bavard et souriant devenu son ami. Celui-ci l’a présenté au vrai sage du village selon lui, M. Mann, un vieil homme d’une courtoisie exemplaire, heureux de l’instruire. Il l’initie à la bonne manière de boire du rhum blanc en lui racontant l’histoire de son peuple dans un récit épique et symbolique que son visiteur mettra longtemps à interpréter, lui qui est là justement pour mieux comprendre « la manière dont les Marrons d’aujourd’hui ressentent leur monde ». Avec sa famille, il assistera à la célébration de l’anniversaire de Cudjoe, le grand chef marron, avant de quitter l’île à la mi-février. Terron lui a promis, à son prochain séjour, de l’emmener visiter les autres villages de son peuple. M. Mann, lui, l’a invité à habiter chez lui – « vous verrez ce que vous voulez voir ».

     

    Et en avril, l’Américain revient seul pour une véritable immersion dans la culture du peuple marron. Le rasta et lui, à bord d’un minibus, vont d’un village à l’autre, véhiculent des passagers éminents ou ordinaires, prennent l’initiative de faire se rencontrer des hommes qui ne se connaissent qu’à distance, souvent en désaccord, avec des conséquences parfois burlesques, parfois catastrophiques. « Obi » (l’obeah, la magie noire) et « Terreur », titres des troisième et quatrième parties du roman, annoncent la couleur. L’écrivain s’appelle désormais Johnny, même sa femme et ses enfants ont adopté ce surnom. Mais son amitié pour les Marrons et les événements auxquels il se retrouve mêlé malgré lui vont lui valoir de sérieux ennuis, jusqu’à un point qu’il n’avait pas imaginé.

     

    On retrouve ici le Russell Banks empathique, généreux, d’American Darling et le critique des milieux privilégiés de La Réserve. « Mon moteur n’est pas la révolte, mais la compassion », a-t-il confié dans Le Temps. « Mon désir d’écrivain a toujours été de témoigner (de) la douleur invisible des exclus, des oubliés. J’aime les héros ordinaires. Ceux qui savent que la bataille est perdue. Ils sont dignes. Mais sans illusions. » Le livre de la Jamaïque est une formidable initiation aux différents aspects de la société jamaïquaine, un livre d’amitié pure et émouvante, au plus près d’un peuple pauvre et fier, un thriller aussi. Mais il faut accepter de se perdre en route, de se mêler aux palabres, de suivre de multiples pistes qui ne mènent pas forcément à la vérité avec cet Américain jovial, disponible, prêt à prendre tous les risques, quitte à perdre toutes ses illusions.

  • La Courlande et lui

    Jean-Paul Kauffmann a évoqué, dans La maison du retour, la fusion entre un homme et une maison au milieu des pins. Courlande (2009) n’est pas vraiment un récit de voyage. Plutôt une exploration à la fois personnelle et historique. L’écrivain partage avec nous sa quête d’une vérité cachée dans un pays de la vieille Europe, à la manière d’un « puzzle ». 

    kauffmann,courlande,récit,littérature française,lettonie,histoire,châteaux,barons baltes,voyage,culture
    Kazdanga - Vues anciennes de Courlande © Andris Tomašūns, izstrādāja DSP
    http://www.latvija20gadsimts.lv/apkopojums/pilsetas-un-vietas/kazdanga0/

    « La Courlande appartient à ma propre histoire. Je suis parti à la recherche d’un nom. Je me suis lancé à la poursuite d’un souvenir. » Trente ans après, Kauffmann se souvient de « Mara du Canada », une beauté nordique rencontrée à Montréal, à vingt-deux ans. Il n’était pas le seul à tenter d’attirer son attention dans la librairie où elle travaillait. C’est l’achat d’une biographie de Louis XVIII qui déclenche la curiosité de la jeune femme : « C’est extraordinaire. Il a vécu chez moi. » (Louis XVIII s’était réfugié en Courlande.) Dès lors, Kauffmann n’aura de cesse de récolter des informations sur cette région.

    Mara l’autorise à lui faire la cour. Canadienne anglophone (ses parents ont fui l’Allemagne à la fin de la deuxième guerre, puis ont émigré au Canada, l’occupation soviétique se prolongeant en Lettonie), elle lui fait remarquer que Le coup de grâce de Yourcenar se déroule dans un château de Courlande. Quand elle l’invite chez ses parents pour la fête de la Saint-Jean – « Cette célébration du solstice d’été est la plus grande manifestation lettonne » –, la mère de Mara et ses filles portent des couronnes de fleurs, « un spectacle rare » : « Que de beauté ce soir-là ! » Une semaine après, Mara devient sa maîtresse. Après avoir prolongé son séjour pour elle, il a fini par rentrer en France. Ils se sont promis de s’écrire, il rêvait qu’elle vienne l’y rejoindre.

    Depuis lors, tout ce qui a trait à la Courlande s’imprime dans sa mémoire. Sa femme, Joëlle, le taquine à ce sujet, mais le jour où il lui annonce un reportage en Courlande, elle l’accompagne. Une lointaine cousine alsacienne lui a parlé de la « poche de Courlande » et de son père disparu là-bas en 45. Elle n’a jamais retrouvé sa tombe et insiste pour qu’il rencontre un Allemand qui repère des sépultures et identifie les morts, le « Résurrecteur ».

    Dès sa descente d’avion à Riga, le doute le prend : « La Courlande, est-ce une bonne idée ? » Laissant sa femme découvrir l’art nouveau dans la capitale, il visite, à l’écart, un village reconstitué à la gloire du patrimoine letton. Déception. A sa femme qui l’interroge, il répond faute de mieux : « C’est le contraire de l’Italie » (pour lui, « une concentration unique du beau »).

    Dans une Skoda Favorit rouge 1988, les voilà en route – « route sans ornements, paysage rectiligne de forêts ». Sa femme est plus enthousiaste que lui, trouve la forêt majestueuse, la lumière différente. A Liepaja, « l’ancienne Libau », premier rendez-vous manqué avec le Résurrecteur, mais une lectrice de français, qui a passé son temps libre à étudier le letton, lui montre le port, longtemps abandonné mais qui commence à redonner des signes de vie.

    Le directeur du magazine, inquiet de ses réponses laconiques au téléphone, insiste pour qu’il aille visiter les châteaux des « barons baltes » dont il lui avait parlé. Kauffmann les connaît déjà un peu à travers les romans de Keyserling. Kazdanga sera leur premier château en Courlande – « La concision courlandaise contre la profusion italienne. Ce n’est pas tout à fait nous, mais le moule est le même. » Le parc est grandiose. A Laidi, d’autres visiteurs les ont précédés. Pas des Français, il les reconnaîtrait – « une manière froide d’être agité, quelque chose d’à la fois saccadé et contrôlé, une façon de bomber le torse et de prendre un air harassé. Il n’est pas donné à tout le monde d’avoir un style si contradictoire. »

    Un homme, son épouse et leurs deux enfants, s’en vont dans une voiture immatriculée en Allemagne. Ils se revoient dans un « Flatotel postsoviétique », en pleine nuit, réveillés par les cris de la mère qui a besoin d’une aide urgente pour sa fille. Joëlle, médecin, soigne la petite. En remerciement, « le Professeur » les invite au restaurant. Dans une salle éclairée par la « belle lumière de juin », ils font connaissance. Cet homme d’une quarantaine d’années visite la Courlande pour la seconde fois. Il instruit de futurs designers, « des hommes concrets, créateurs de formes nouvelles ».

    Au château de Pelci, où ils se sont donné rendez-vous, les attend un pique-nique d’une abondance étonnante dans ce pays où les magasins offrent un choix assez sommaire. La conversation du Professeur révèle une grande culture historique , « il a en outre cette qualité rare de ne pas chercher à imposer son point de vue. » Tout heureux de pouvoir conduire la Skoda, il les emmène au vignoble de Sabile, sur la « colline du vin ». Les villageois sont surpris de l’entendre parler le letton. Ils décident alors de gravir ensemble le coteau jusqu’au sommet. Moment de plénitude – « L’effort nous a allégés. » Des sons à la fois « doux et tendus » montent du village.  « Je me sens en communion avec le monde. » Instant parfait, « première vraie vision de la Courlande », « une représentation familière sans châteaux, sans histoire, sans rameaux d’or. Ce pourrait être n’importe où en Europe. »

    Les visites communes se multiplient,  Joëlle Kauffmann taquine son mari : « Tu dois t’y faire, il connaît parfaitement son sujet. C’est une chance pour toi. » Le Professeur, jamais à court de ressources ou d’anecdotes historiques, est un « compagnon de voyage rêvé ». Lorsque celui-ci embarque avec sa famille sur un ferry, Kauffmann a le sentiment que pour lui aussi, « la fête est finie ».

    C’était avant de découvrir « la maison du lac », une maison isolée « au milieu des forêts enneigées », très moderne, complètement ouverte sur le paysage. Ils décident de prolonger leur séjour – « La vérité de ce pays, c’est l’hiver », disait le Professeur. L’évocation des « Frères de la forêt », groupes de résistance aux Soviétiques, lui rappelle l’oncle de Mara, qui en faisait partie. Ce n’est que longtemps après son retour en France qu’il aura de ses nouvelles.

    Et la Courlande où sa femme et lui ont connu « une digression exceptionnelle » dans leur mode d’existence se rappellera à lui en la personne de Vladimir, un jeune rocker russophone qui les avait guidés dans Karosta, à qui, à sa demande, il a envoyé un dictionnaire anglais-letton, et qui débarque carrément chez eux. Apprenant que le reportage n’a jamais été publié, le jeune homme n’hésite pas à lui intimer d'écrire un livre.

    Courlande est le récit curieux, aux sens positifs du terme, des pérégrinations d’un humaniste. Un livre de bonne compagnie qui donne un corps et une âme aux syllabes si fluides, en français, d’une région d’Europe : Kurzemē, la Courlande.