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histoire - Page 38

  • Max et Morisot

    La Résistance a pour moi, d’abord, le visage d’un jeune homme fusillé dans un champ le 3 septembre 1944, Hilaire Gemoets, et celui de sa sœur, ma mère. En ouvrant Max de Michel Quint, publié en 2008, ses lecteurs vont à la rencontre d’une figure autrement célèbre, celle de Jean Moulin, alias Max, dont l’auteur fait alterner le récit monologue avec celui d’Agathe, une étudiante en histoire qu’il croise de temps en temps au café de L’Etoile à Lyon. « Qu’on me pardonne de faire de Jean Moulin un héros de roman », écrit Michel Quint au début de son « Avertissement » suivi d’une « Liste des principaux résistants cités dans le roman et de leurs pseudonymes » et de quelques sigles de l’époque, d’AS à STO.

     

     

    Mai 45. Janvier 43. Juin 40. Le récit remonte le temps, retrouve ensuite la succession des mois, de février à juin 43, pour se clore en juin 45. La scène d’ouverture est terrible : « Je suis entrée aux enfers par une rue en pente. » Agathe, la guerre à peine finie, a pris l’autocar pour se rendre dans un village aux allures de fantôme, avec ses portes de maisons ouvertes sur des pièces silencieuses, vidées de leurs habitants. Vers le centre, des vociférations, une grosse rumeur de fête s’échappent de la place. « Sur l’instant, je n’ai pas compris la bacchanale, le carnaval sanglant qui s’organisait là, farouche et cruel, pire qu’aux sauvages prescriptions, aux folies des saturnales perverses de la Rome antique… » On se bouscule, on crie « A mort ! ». L’homme et la femme « qu’on massacre en kermesse », elle les connaît – « je n’ai entrepris ce voyage que pour les rencontrer, me montrer vivante à eux. » Douleur d’en être témoin, nausée, souvenirs.

     

    Agathe a ses habitudes au bistrot de M. Antonin, c’est là qu’elle fait la connaissance de Jacques Martel, décorateur, un homme dans la quarantaine qu’elle a déjà croisé dans l’immeuble d’en face où elle loge dans une chambre sous le toit. Le courant d’air, quand il a ouvert la porte, a éparpillé son cours d’histoire. Il l’aide à ramasser ses feuilles, s’excuse, bavarde, trouve qu’elle est, à vingt et un ans, « exactement le portrait de Berthe Morisot ». L’étudiante ne connaît pas cette « femme libre » dont Martel aimerait exposer des dessins dans la galerie qu’il va bientôt ouvrir à Nice.

     

    Martel-Moulin-Max a quatre ou cinq mois pour « mettre sur pied quelque chose comme un Conseil de la Résistance » commandé par de Gaulle, qui soit prêt au cas où un débarquement aurait lieu en juillet. Méfiant par rapport aux manœuvres du PC qui aimerait diriger la résistance intérieure mais soucieux de donner à tous « la juste place due à leur courage », il veille à répartir équitablement les subsides entre Combat, Libération et Franc-Tireur.

     

    Il ignore, en offrant un thé de cassis à la jeune Agathe, que dès son arrivée à Lyon en juin 40, celle-ci est tombée amoureuse de Maurice, le fils des pharmaciens Noël – « pas de bol de commencer l’amour de sa vie au début d’une guerre » – et qu’à sa suite, elle est entrée dans le Réseau, gentille assistante de la bibliothèque paroissiale qui distribue livres et fiches avec son triporteur. Elle-même s’est étonnée de trouver sur sa liste de contact les Desmedt, des amis de son père chez qui elle était censée loger et qui n’avaient pas du tout l’air de mener des activités clandestines, ce qui est la règle, bien sûr.

     

    Marcel Quint accompagne Jean Moulin de Londres en France, de Paris à Lyon, de contact en réunion secrète. Lui qui se voit en « paysan de la politique » devient le « ministre plénipotentiaire de la France libre » mais doit faire face aux partisans impatients d’agir, en particulier les réfractaires au STO, et conseiller la prudence, rappeler les ordres. Les rivalités sont incessantes – « Je suis un veilleur, un gardien de phare, un chien de troupeau. Vous ne m’atteindrez plus, messieurs les chicaniers. » Colette, Antoinette – dans la compagnie des femmes il retrouve un peu de légèreté, prend parfois des risques.

     

    Mais le danger se rapproche, la Gestapo multiplie les arrestations, Maurice arrêté, torturé, se pend dans sa cellule, Agathe doit prendre encore plus de précautions. Max la croise à L’Etoile, bien habillée, mais « parfumée au chagrin ». Sur lui aussi, l’étau se resserre. Marcel Quint, en mêlant les destinées du chef de la Résistance française et de l’étudiante au grand cœur, réussit à nous faire partager leurs élans et leurs craintes, et à nous faire mieux comprendre l’héroïque générosité de ceux qui ont risqué, voire donné leur vie à l’histoire de la Liberté.

  • Monologue

    Monologue de Marat, personnage central, résistant (et libertin) :

     

    « … C’est vrai, je mange seul, je parle seul. Un conspirateur est bien obligé de vivre seul : le métier l’exige. Je monologue à longueur de journées dans les rues et les jardins, les cafés et les restaurants, les trains et les gares, les salles d’attente et les chambres d’hôtel, ah ! j’aurai mené mon monologue intérieur dans tous les hôtels de France, zone sud et  zone nord, commis voyageur en terrorisme. La Résistance, le terrorisme comme disent les journaux, est essentiellement une longue promenade solitaire avec toutes sortes de pensées,
    de souvenirs, de projets, d’amours secrètes et de rages étouffées, qu’on remâche sempiternellement, entre les rendez-vous d’une minute, entre deux signaux,
    entre deux messages attendus huit jours et qu’il faut aussitôt brûler, entre deux amis fusillés, entre les yeux des flics qui vous guettent, entre chaque station de l’interminable itinéraire qui mène – malheur à soi s’il n’y mène pas -, qui mène au grand jour de sang où seront lavées toutes les hontes… »

     

    Roger Vailland, Drôle de jeu, Phébus libretto, 2009, 297 p., page 48.

     

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    Affiche du Secrétariat Général de l'Information,
    Vichy, 1943 (Photo JEA)

  • Drôle de jeu / JEA

    Antisémitisme, Ardennes de France, Baroque, Bibliothèque, Brel, Brèves, Caussimon, Chansons, Chronique, Cinéma, Ferré, Histoire, Histoire 14-18, Histoire 40-45, Itinéraires, Pages nomades, Photographie, Poésie, Racisme, Reggiani, Ruralité, Toponymie, Village, Voyage(s) - vous vous situez ? 

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    Quand j’ai lancé Textes & Prétextes, j’imaginais une aventure plutôt solitaire, or la blogosphère bruisse de liens. Pas seulement de renvois vers d’autres pages, d’autres sites, mais de relations inédites qui se nouent avec le temps entre ceux qui écrivent et ceux qui lisent, ou l’inverse, par l’échange des commentaires. Si vous avez cliqué sur ces initiales, JEA, vous connaissez déjà « Mo(t)saïques », son blog remarquable écrit « dans la marge – et pas seulement par les (dis)grâces de la géographie et de l’histoire… » A travers ses chroniques blanc sur noir, rigoureusement documentées, ses poèmes parfois toponymiques au rythme des saisons et des paysages, le rouge entretient les braises d’un bon feu de mémoire et de solidarité au présent voyez sa 200e page, généreusement fêtée. JEA a récemment ouvert des « pages nomades » où il m’a fait l’amitié d’une invitation. Dans l’esprit de cette « amicale », je lui laisse la plume pour vous présenter Drôle de jeu, de Roger Vailland. 

     

    * * *

     

    La première page porte la date du 17 juin 1940. Ce Journal se referme le 23 juin 1943.

    Son auteur, Daniel Cordier, « Alias Caracalla » (1), y décrit scrupuleusement son  itinéraire depuis Bayonne. Quand le dos tourné à une France se pétainisant, il va s’engager à 19 ans dans les Forces françaises libres à Londres. Y rongeant à sang toutes ses impatiences. Jusqu’au 25 juillet 1942. Volontaire, il est parachuté près de Montluçon. Envoyé pour devenir le radio (Bip W) de Georges Bidault (2), il se retrouve secrétaire de… Jean Moulin. Daniel Cordier en sera inséparablement fidèle jusqu’à l’arrestation de Rex, le 21 juin 1943.

    Parti en Angleterre antisémite impur et dur, son cheminement le conduit à voir de ses propres yeux les préparatifs et les applications journalières du judéocide en France.
    Il ne s’en guérira pas.

    Parti d’Angleterre avec la conviction que la résistance en France était idéaliste et « efficace », il est obligé de comprendre que « la réalité est tout autre : les mouvements sont incapables de mobiliser des hommes déterminés, même peu nombreux, en vue d’opérations de choc » (3) telle la libération de Jean Moulin…

    D’ailleurs, quels responsables de mouvements ont-ils voulu seulement lever le petit doigt pour arracher aux bourreaux nazis ce président du Comité National de la Résistance ?

    Et Daniel Cordier de conclure sans exagération : « La vérité est parfois atroce ».

     

    Ce Journal de plus de 900 pages s’ouvre sur cette explication du titre :

    - « En 1943, je fis la connaissance de Roger Vailland, dont je devins l’ami.
    Après la libération, il m’offrit
    Drôle de jeu, récit à peine romancé de notre relation. « J’ai choisi pour votre personnage le pseudonyme de « Caracalla ». J’espère qu’il vous plaira. »

    Aujourd’hui, pour retracer une aventure qui fut, par ses coïncidences, ses coups de théâtre et ses tragédies, essentiellement romanesque, ce pseudonyme imaginaire a ma préférence sur tous ceux qui me furent attribués dans la Résistance. » (4)

     

    Drôle de jeu ? Buchet-Chastel l’a publié en 1945. « Le livre de poche » l’inscrivit ensuite à son catalogue en 1973. En avant donc pour le tour des bouquinistes… Avec des prix parfois indécents. Mais au Journal de Daniel Cordier mis en librairies en mai 2009, succède en novembre une réédition du roman de Vailland par Phébus libretto. Avec sans doute un lien de cause à effet. Ce libretto 303 sera notre référence. 

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    Vichy et la Résistance...  Affiche sortant de l'Imprimerie centrale de Beauvais. (Photo JEA)

     

    Dès la découverte du 4e de couverture, les lecteurs (masc. gram.) coincent sur ces précisions soulignées par Roger Vailland en 1945 :

    « Drôle de jeu est un roman – au sens où l’on dit romanesque –, une fiction, une création de l’imagination.

    Ce n’est pas un roman historique. Si j’avais voulu faire un tableau de la Résistance, il serait inexact et incomplet puisque je ne mets en scène ni les maquisards ni les saboteurs des usines (entre autres exemples), qui furent parmi les plus purs et les plus désintéressés héros de la Résistance. Mais Drôle de jeu n’est pas un roman sur la Résistance. Il ne peut fournir matière à aucune espèce de polémique – autre que purement littéraire –, et tout argument d’ordre historique ou politique qu’on y puiserait serait, par définition, sans valeur.

    Si enfin le nom ou le pseudonyme d’un de mes « héros » se trouvait appartenir à un personnage existant réellement, ce serait pure coïncidence, indépendante de ma volonté et sans aucune signification. »

     

    Voilà qui, avec du recul, semble distillé par des cornues bien précautionneuses. Si pas hypocrites. Vailland se réfugie dans les brumes de la fiction pour mieux enfumer ses lecteurs. Ou se protéger des antagonismes entre gaullistes et communistes, entre résistants de la première heure et de la dernière seconde, entre partisans d’une littérature réaliste et ceux qui s’embarquent pour des navigations plus surréalistes ???

     

    Mais dès la première page, l’auteur se dément lui-même. En présentant immédiatement « le patron » :

    - « Caracalla, qui bien qu’admirateur de l’Armée rouge (5), est loin d’être un révolutionnaire ; on raconte même qu’avant la guerre, il était inscrit à l’Action française. » (P. 13).

    Et d’insister, deux pages plus loin :

    - « Au fait, tu ne sais pas, Caracalla c’est un des chefs de la délégation gaulliste…

    - Une huile !

    - Dissident de juin 40, école spéciale en Angleterre, envoyé en France avec trente de sa promotion ; les vingt-neuf autres ont été pris ou tués… Il n’a que vingt-trois ans.

    - Tu travailles avec lui ?

    - Pas directement, mais c’est un ami personnel… » (P. 15).

     

    Impossible de ne pas reconnaître Daniel Cordier.

     

    Ainsi, les voies de deux lectures (au moins) sont-elles ouvertes dans ce Drôle de jeu. L’histoire. Le roman. En complément, voire se confondant, et non au détriment l’une de l’autre.

     

    Pour l’histoire, se distingue par exemple, la figure immédiatement identifiable de Lucie Aubrac. Elle va vraiment arracher Raymond, son mari, des griffes de la Gestapo (6) :

    - « Un jour, elle apprit qu’il allait être transféré dans une autre prison. Elle parvint à avoir la date et l’heure du transfert. Elle courut chez les camarades,
    ils restèrent sceptiques – on se méfie des illusions d’une femme aimante. Elle parvint à les convaincre. Ils n’avaient pas d’armes, tout venait d’être raflé, elle les secoua tellement qu’ils s’en procurèrent et réunirent quelques copains. Elle eut une mitraillette pour elle, car elle les avait persuadés de la laisser participer à l’affaire. Une heure avant l’action, elle parvint à s’isoler quelques instants avec le plus jeune, celui qui lui avait paru le moins sévère :

    « - Montre-moi comment on se sert de cet outil-là, demanda-t-elle. » (P. 34).

     

    Quant à la fiction, Pierre-Robert Leclercq la décrit en ces termes :

    « Drôle de jeu, le plus étonnant des romans que la période de l'Occupation ait inspirés. Son personnage central, François Lamballe, dont le nom de résistant est Marat, mène en effet une vie double, celle d'un combattant et celle d'un libertin. Une coexistence qui n'a rien de schizophrénique.

    Guerre et hédonisme. Les compagnons de Marat s'interrogent. Au cours d'une conversation avec son camarade Rodrigue, Marat donne sa réponse : "La guerre exige la même loyauté que l'amour, c'est pourquoi l'homme noble n'admet que deux occupations, la guerre et l'amour." Lui entend vivre les deux. Homme de plénitude, il est entré en résistance comme on entre en religion, sans renoncer à la sienne, qui est la religion du plaisir (…).

    En filigrane, et donnant une dimension supplémentaire à son propos, le roman nous dit aussi qu'il ne sert à rien de combattre une oppression si c'est pour aller vers la servitude. Quelque peu oublié, Drôle de jeu est en tout cas une grande oeuvre à retrouver ou découvrir. Un livre nécessaire. »

    (Le Monde, 12 novembre 2009).

     

    NOTES :

     

    (1) Daniel Cordier, Alias Caracalla, Coll. Témoins Gallimard, 2009, 931 p.

    Lire : http://motsaiques.blogspot.com/2009/07/p-145-daniel-cordier-une-si-rare.html

    (2) Georges Bidault (1899-1983) succèdera à Jean Moulin comme président du Comité national de la Résistance.

    (3) D. Cordier, op. cit., pp. 899-890.

    (4) id., p. 9.

    (5) Un oubli se creuse. Jusqu’aux débarquements de Sicile puis d’Italie, l’URSS fut seule en Europe à tenir tête aux nazis.

    (6) Le 21 octobre 1943, avenue Berthelot à Lyon, le groupe de Lucie Aubrac (1912-2007) libère d’un fourgon cellulaire Raymond (né en 1914).

  • Souvenirs de guerre

    Ma mère m’a raconté bien des choses de la guerre. J’ai dit comment à la suite de son frère Hilaire Gemoets, elle était entrée dans la Résistance. 

    Promenade à Duisburg (novembre 2009) - le kouter.JPG


    Au printemps 1944, il avait beaucoup plu pendant plusieurs jours. Occupée à la cuisine, ma mère entend un avion qui vole vraiment très bas. Tout le monde sort dans la rue. L’avion repasse, un Thunderbolt américain, un avion de chasse. Maman se précipite vers la plaine d’aviation provisoire qui servait de piste de secours aux avions en détresse. Là, rien. Mais en remontant en bout de piste, elle voit l’avion, caché par la ferme d’E. Schroeven tout près, les roues en l’air. Avec un autre, le fermier finit de déterrer le pilote, choqué, mais qui n’a finalement qu’une grosse bosse au front. Comme il parle aux hommes qui ne le comprennent pas, maman lui adresse la parole en anglais, ce dont il est très content. Il voudrait téléphoner, mais le téléphone le plus proche se trouve à deux kilomètres. A pied, il passe d’abord à la maison où elle lui lave sa blessure et où sa mère lui prépare de l’ersatz de café, qu’il n’arrive pas à boire. Puis ils vont à la laiterie, au village, là elle demande au téléphone le champ d’aviation de Brustem où se trouvait une escadrille américaine. Quand elle a dit qui elle était, on lui a répondu : "Yes, we know you.
    You are the only english speaking family over there."

     

    Maman avait suivi des cours d’anglais à Louvain pendant la guerre, dans un institut privé, à défaut d’avoir pu étudier à l’Ecole Normale comme elle l’aurait souhaité. Son père était un homme très curieux de tout et faisait partie d’un club d’espéranto. Il n’avait pu faire des études mais avait commencé son service militaire près de la frontière allemande, et appris ainsi un peu d’allemand. Grâce à cela, un jour de la Grande Guerre où les Allemands avaient rassemblé des gens dans une maison à laquelle ils comptaient mettre le feu, il s’était adressé à l’officier dans sa langue. On ne sait pas ce qu’il lui a dit, mais tout le monde a pu sortir. Grâce à lui, disait-on. Il fut le seul de quatre enfants à survivre à la grippe espagnole.

     

    Revenons à la deuxième guerre. Un autre souvenir terrible : un jour de beau temps, maman décide d’aller chez sa tante Emily à Onze-Lieve-Vrouw Tielt, à environ sept kilomètres, pour chercher du ravitaillement sans doute (on ne se déplace que quand il le faut, la guerre n’est pas finie et régulièrement des combats aériens opposent alliés et Allemands). De loin, elle voit quelques bombardiers qui reviennent d’Allemagne. Sur la chaussée de Louvain, il lui est facile de les suivre du regard. Un des avions est à la traîne, ce qui cause sa perte. Des chasseurs allemands ont commencé à tourner autour et à le mitrailler. Un moteur a pris feu, puis le deuxième. Un parachute blanc s’est ouvert, un autre, cinq en tout. Donc deux hommes n’ont pu sauter, sans doute blessés. Mais l’horreur, ce fut de voir les chasseurs allemands tourner autour des hommes en parachute et tirer sur eux. Ma mère a pleuré tout le long du chemin et sa tante n’a pas pu la consoler.  

     
    Promenade à Duisburg (novembre 2009) - les chevaux.JPG

     

    « Josée », le nom de ma mère dans la Résistance, se chargeait du courrier, le plus souvent à vélo. Une après-midi, elle va chercher un colis chez un inconnu, qui lui donne le mot de passe. Sur le chemin du retour, sur la route de Louvain, le pneu avant de son vélo éclate. Moment de panique. En plus des lettres, elle transporte quelques grenades et deux pistolets. Un contrôle de la Sicherheitspolizei (qui supervisait la Gestapo) est toujours possible, partout. Elle finit par trouver quelqu’un qui lui répare son pneu et rentre sans incident.

     

    Quelques semaines plus tard, elle doit partir subitement : son frère lui donne une lettre à porter à un officier du Quartier Général de la gendarmerie à Etterbeek, en mains propres. Elle attrape le tram à la grand-route, de justesse ; plusieurs contrôles de la Sicherheitspolizei entre Assent et Louvain l’ont sérieusement énervée. Elle ne connaît pas le contenu de la lettre mais Hilaire a dit que c’était très important. Elle doit rentrer sans faute avant vingt-deux heures ou trouver un abri quelque part, après cette heure on ne peut circuler en ville sans permis spécial. Mais elle rate la correspondance à Louvain et n’arrive sur place que vers vingt heures.

     

    Au corps de garde d’Etterbeek, on la fait attendre une demi-heure. Elle entend tout à coup des bruits de voitures et de bottes et des ordres criés à haute voix. L’officier qu’elle doit voir arrive, prend la lettre et lui dit : « Sauvez-vous vite, c’est une rafle », puis s’encourt. Dans la rue, des Allemands en uniforme armés de fusils ont coupé le trafic, peu dense à cette heure-là. Ma mère s’attend à être arrêtée mais personne ne
    lui adresse la parole. Soulagée, elle marche le long du boulevard mais la nuit tombe. Le plus vite possible, elle se rend chez des connaissances où elle se réfugie juste après le couvre-feu.
     

    Promenade à Duisburg (novembre 2009) - le clocher.JPG

     

    En juin 1944, après l’arrestation de son père, elle s’est sauvée à vélo avec sa petite valise, à travers champs, dans la lueur de l’aube naissante, pareille à un rêve étrange. Comme sa mère le lui a demandé, elle va d’abord prévenir les frères Jonckers, également résistants. Là on la fait entrer, on lui donne du café. Les hommes ne sont pas à la maison. Une heure plus tard, elle se remet en route pour aller chez une amie d’Hilaire à Diest. Sa maison se trouvait juste à l’angle du petit pont qui enjambe le Demer, en face de l’entrée du pensionnat. Dans la Demerstraat, où elle a fréquenté l’école avec sa sœur, elle aperçoit de loin des voitures. A sa droite, la porte d’une maison s’ouvre : « Mademoiselle, vous n’êtes pas une fille Gemoets ? N’allez pas plus loin, votre papa se trouve dans une des voitures et aussi un de vos frères. » Maman ne connaît pas cette femme mais ne se pose pas de questions et fait demi-tour.

     

    Après un long temps d’hésitation, elle décide de rentrer chez elle où sa mère lui raconte que, quelques minutes après son départ, les Allemands sont revenus à sa recherche. Heureusement, grâce à cette inconnue, elle leur a échappé. Plus question de rester à la maison dorénavant. Les deux premières nuits, elle dort dans le foin au-dessus d’un hangar. Le troisième jour, sa mère lui fait parvenir un billet : quelqu’un viendra la chercher. John Vandevloed, le propriétaire d’une pension de famille non loin de l’abbaye d’Averbode, l’emmène chez lui à la tombée du jour. Elle partage la chambre de sa fille Marie-Louise et donne un coup de main à celle-ci pour dresser les tables – il y a entre trente et quarante pensionnaires. On la fait passer pour une nièce.

     

    L’hôtel était plein de vacanciers, surtout de la région d’Anvers. Dans cette pension de famille dont la nouvelle aile avait été réquisitionnée par des officiers allemands, certains d’entre eux sont visiblement fatigués et découragés à la fin de la guerre ; d’autres, fanatiques, menacent de revenir avec des armes nouvelles. Ma mère apprendra plus tard que s’y cachaient aussi des Juifs. C’est là qu’elle se trouvait le 3 septembre 1944, le jour où son frère a été fusillé – ce dont elle reste à jamais inconsolable.

     

    Quand son père est revenu du camp de concentration en juin 1945, tout le village est passé à la maison pour témoigner sa sympathie, une longue file qui entrait par devant et sortait par derrière. Mais mon grand-père ne voulait parler ni de la guerre ni des camps, où les prisonniers mis au travail sabotaient la fabrication des V2, sauf avec un ancien déporté de la région d’Anvers qui venait lui rendre visite. Il ne supportait plus qu'on jette des restes de nourriture et exigea longtemps de manger avec la cuiller de métal tordu qu’il s’était fabriquée là-bas, à l’exclusion de toute autre. C’est en lisant Si c’est un homme de Primo Levi que maman comprendra beaucoup plus tard cet étrange attachement à un objet qui agaçait ma grand-mère. Trois ans après le retour d’Allemagne de mon grand-père, une infirmière allemande qui l’avait soigné à Weimar, à sa sortie du camp, est venue le visiter chez lui avec son mari : elle lui a rapporté son chapelet qu’il avait oublié là-bas. "Ecris-le aussi, me dit maman, c’est tellement beau." 

    Pour conclure ces souvenirs de guerre rédigés par « devoir de mémoire », une dernière anecdote. Un commandant de bord américain, que maman avait vu tomber du ciel un jour de l’hiver 44/45, dans le verger, et qui avait été accueilli chez eux, lui avait remis son parachute en souvenir. Quand fut fixée la date de son mariage avec un jeune aviateur wallon qui venait d’obtenir « ses ailes » à la R.A.F., sa mère et ses sœurs ont mis des heures à découdre les coutures très serrées de ce magnifique parachute blanc, très fin, avec un reflet argenté, dont une couturière allait faire sa robe de mariée. Le 8 septembre 1948, je peux encore le voir sur une photo ancienne, maman resplendit au bras de papa dans sa robe en soie de parachute. La paix l’a emporté sur la guerre.

  • Un Résistant / Een verzetstrijder

    Il avait vingt ans, le 3 septembre 1944, lorsqu’on lui a fait creuser sa propre tombe, au bord d’un champ, avant de le fusiller. Le jour de la Libération de Bruxelles. Dans l’énorme joie d’une guerre qui se termine, que de larmes dans la famille Gemoets d’Assent, près de Diest. Ce jeune frère de ma mère ne verrait jamais la paix. Sur le monument élevé à sa mémoire à Webbekom, près de l’endroit où des Allemands lui ont ôté la vie, on peut lire en flamand :

    Cérémonie d'hommage à Hilaire Gemoets le 3 septembre 2009 (2bis).JPG
    « Ici fut fusillé Hilaire GEMOETS
    Assent 14 janvier 1924
    Webbekom  3 septembre 1944
    Commandant de corps des Partisans Belges
    Membre du groupe G
    Pour le peuple et la patrie » 

    Chaque année, le 3 septembre, une cérémonie est organisée à sa mémoire. J’y ai assisté pour la première fois cette année, aux côtés de ma mère et de la famille. Une centaine de personnes, dont plus d'une trentaine de porte-drapeaux, s’étaient déplacées, soixante-cinq ans après sa mort, pour un double hommage, d’abord au monument, puis autour de sa tombe au cimetière d’Assent. Discours. Musique. Fleurs. La mémoire de la Résistance est forte et fidèle. C’est une image de la Flandre que les médias ne montrent pas souvent, où les drapeaux belges flottent fièrement.

    Mes parents – mon père wallon, ma mère flamande – ont souvent raconté leurs souvenirs marquants de la guerre. Ceux qui prétendent que tant d’années après, ces blessures sont fermées, ne peuvent imaginer à quel point ceux qui les ont vécus restent hantés par ces événements. Leur évocation reste si sensible qu’on n’en parle encore dans ma famille maternelle qu’au bord des larmes.

    Pourquoi n’avoir pas écrit toute votre histoire en détail après la guerre, ai-je demandé à ma mère. La souffrance était trop insupportable. Mon grand-père, arrêté en juin 1944 – parce qu’on n’avait trouvé ni le fils ni la fille engagés dans la Résistance, c’est-à-dire mon oncle Hilaire et ma mère – et emmené au camp de Dora puis de Buchenwald, n’est revenu chez lui, d’une maigreur effrayante, qu’en juin 1945. Puis il fallait se tourner vers l’avenir, il fallait vivre. 

    HIlaire Gemoets.jpg
     
    Je ne suis pas historienne, et j’ignore s’il existe des archives de la Résistance belge où seraient mentionnés les faits et gestes du groupe de partisans de mon oncle Hilaire, qu’on appelait « Frans » dans la Résistance. Même ma mère, dite « Josée », n’en connaît que des bribes. Le silence était la première des sécurités. Mais il a confié certaines choses à sa sœur.

    Un jour de 1941 ou 1942, Hilaire Gemoets prend le tram vicinal pour Louvain. Comme cela arrivait régulièrement, le tram s’arrête et deux membres de la Gestapo montent pour contrôler les identités. Une dame s’approche alors de lui et lui demande en lui montrant une lettre de la porter à une adresse précise à Louvain. Il. Il comprend que cette femme se sent en danger, met la lettre dans sa poche. C’était une ancienne institutrice de Bekkevoort, Céline, qui a été arrêtée plus tard et déportée. 

    Les parents d’Hilaire s’inquiètent de ses escapades mystérieuses de jour ou de nuit. Petit à petit, ils devinent que ce fils de dix-sept, dix-huit ans, particulièrement intelligent et débrouillard,  est entré dans la Résistance. Au début, son père y est tout à fait opposé, pour les dangers auxquels il expose toute sa famille (trois filles, trois garçons). Mais Hilaire a une bonne couverture : il achète du beurre et des œufs dans les fermes des environs et les revend chez des particuliers à Bruxelles, à Louvain. Il multiplie ainsi ses contacts.

    Cérémonie d'hommage à Hilaire Gemoets le 3 septembre 2009.JPG

    Un jour, ma mère l’accompagne à un rendez-vous sur une route déserte entre Onze-Lieve-Vrouw Tielt et Tirlemont. Elle l’entend expliquer avec calme et clarté aux sept hommes présents ce qu’ils ont à faire, elle comprend qu’il est leur chef. Il s’agissait d’un parachutage de matériel divers à Holsbeek, près de Louvain. Chacun avait sa part de travail. « Josée » se chargerait du courrier. Mais voici que passent deux hommes en bicylette : Hilaire leur demande de s’arrêter, vérifie avec soin leur identité. Ils ne disent rien, impressionnés. Hilaire leur rend leurs papiers et leur demande de passer leur chemin sans dire un mot de cette rencontre. Ils s’en vont, puis tout le groupe se disperse. Le parachutage s’effectue quelques jours plus tard à l’aube, dans une propriété près d’une carrière déserte. Tout se passe très bien. Juste avant la fin de la guerre, le propriétaire, un résistant, sera arrêté.

    Une action d’éclat : le sabotage de la Centrale du chemin de fer de Diest. Le groupe de partisans voulait mettre en panne la circulation des trains de matériel de guerre en provenance d’Allemagne. Hilaire avait peaufiné le plan pendant des semaines. Et tout se passa parfaitement, à part un retard de quelques minutes pour quitter les lieux. Retranchés derrière des wagons, les partisans durent se battre et deux d’entre eux furent légèrement blessés. Le trafic ferroviaire fut paralysé pendant quelque temps. 

    Une autre fois (janvier 1944), ils sabotèrent des pylônes à haute tension, privant les Allemands de communications pendant des semaines. Un projet mis au point par Jean Burgers à l’Université Libre de Bruxelles. Le groupe d’Hilaire s’occupait également de trouver un toit et des vêtements pour les aviateurs alliés dont les avions avaient été abattus, cachés dans les environs, et de les évacuer. Avec la complicité d’employés, les résistants se procuraient des timbres, des tickets de rationnement, des cartes d’identité vierges.

    Cérémonie d'hommage à Hilaire Gemoets le 3 septembre 2009 (2).JPG

    Quelqu’un qui travaillait à la Kommandantur de Louvain les avertit un jour de la présence d’un traître dans leurs contacts. Depuis quelques semaines, des voisins voyaient des têtes dépasser de temps en temps des champs de blé sur le flanc de la colline, on surveillait la maison. Sa famille apprend aussi qu’on a mis 500.000 francs sur la tête d’Hilaire Gemoets. Un soir, ma mère a préparé des cartes d’identité, qu’elle a remplies à la machine à écrire, comme à la commune, pour deux aviateurs alliés et quatre prisonniers en fuite. A peine endormie, elle entend des coups terribles sur les portes, à l’avant et à l’arrière de la maison en même temps. Tout de suite, elle pense à la Gestapo, s’empare des faux papiers glissés dans la poche d’un cache-poussière, les met sous son drap de lit et se recouche.

    Quand la porte de sa chambre s’ouvre, deux types lui demandent de se lever. Elle répond qu’elle ne peut pas, qu’elle est grippée. Ses plus jeunes frères, de leur côté, ne bougent pas non plus. Un homme regarde sous le lit de ma mère, n’y trouve rien, insiste pour qu’elle se lève. Alors un officier allemand apparaît et dit qu’il n’y a rien, qu’il a déjà regardé. Les hommes sortent. Sauvée ! Hélas, deux minutes plus tard, une exclamation de triomphe : dans la chambre des garçons, entre l’armoire et le mur, ils ont trouvé un rouleau de petits journaux clandestins qu’Hilaire distribuait. On les rassemble tous à l’avant de la maison, dans le magasin (une épicerie). Comme on leur demande où est Hilaire, ce qu’ils ignorent – il ne leur donnait jamais d’informations précises – on emmène le père, qui s’est rhabillé complètement, vers trois heures du matin. Tous sont atterrés. Après que les voitures de la Gestapo sont parties, ma grand-mère dit à ma mère de prendre quelques affaires et de partir le plus vite possible, au cas où ils reviendraient. Et elle avait raison, ils sont revenus pour elle. 

    Je raconterai une autre fois comment ma mère a vécu cachée dans une pension de famille près de l’abbaye d’Averbode. C’est là qu’elle se trouvait le 3 septembre 1944. Le lendemain, une connaissance est venue lui annoncer que son frère était blessé, gravement. En route vers Assent, elles voyaient les avions qui mitraillaient la route de Louvain vers Diest. Les Allemands battaient en retraite. Vu le danger, la messagère lui dit la vérité, qu’il ne servait à rien de trop se dépêcher, qu’elle ne verrait plus son frère vivant.

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    Le 10 août 1944, lors d’un combat avec la Gestapo à Wilsele, près de Louvain, Hilaire avait été blessé. Soigné par un médecin de l’endroit, il fut transporté à quelques kilomètres de chez ses parents, dans une ferme, où il se rétablissait lentement. Depuis l’arrestation du père en juin, la maison d’Assent était constamment surveillée par la Gestapo. Une nuit, cependant, il avait réussi à se faufiler jusque-là pour embrasser sa mère, restée seule avec sa plus jeune fille de sept ans. Le 3 septembre, à la suite d’une dénonciation ou d’un malheureux concours de circonstances – nous ne le savons pas exactement –, des officiers allemands, accompagnés de membres de la Gestapo, sont arrivés dans cette ferme où il se reposait. Hilaire a voulu s’enfuir, mais en vain. Ils l’ont exécuté dans le champ de Webbekom, où un monument de pierre l’honore à jamais.

    Hilaire Gemoets, un Résistant dont la dépouille avait été déterrée pendant la nuit et déposée à l’église d’Assent où elle est restée jusqu’au jour de l’enterrement, a eu des funérailles grandioses, quasi nationales. L’église était pleine et dehors aussi, une foule nombreuse a rendu hommage à l’héroïsme d’un jeune homme qui avait donné sa vie pour rendre la liberté à son pays. 

     A l’aimable invitation de JEA, ce texte paraîtra aussi sur son blog : http://motsaiques.blogspot.com/

    * * *

    Mise à jour pour la traduction, 9/2/2011

    Hij is pas twintig, wanneer hij op 3 september 1944, de dag dat Brussel bevrijd wordt, zijn eigen graf moet delven. Zij trekken zijn laarzen uit, nemen zijn polshorloge af, stellen een peloton van jonge Duitse soldaten op en fusilleren hem op enkele meter van de rand van de weg. In de onbeschrijflijke vreugde over het einde van de oorlog dat nabij is, wat een leed en tranen bij de familie Gemoets te Assent, bij Diest. De jongere broer van mijn moeder zal de vrede niet meer mogen meemaken. Op het monument te zijner ere in Webbekom, net naast de plek waar de Duitsers hem het leven ontnamen, kan men het volgende lezen: 

    “ Hier werd gefusilleerd
    Hilaire Gemoets
    Assent 14 januari 1924
    Webbekom 3 september 1944
    Korpskommandant der Belgische Partisanen
    Lid van de Groep G
    Voor Volk en Vaderland ”

    Elk jaar op 3 september wordt voor Hilaire een herdenkingsplechtigheid gehouden, waar de stad Diest officieel aan deelneemt. Dit jaar was ik voor de eerste maal aanwezig aan de zijde van mijn moeder en de rest van de familie. Een honderdtal personen, waaronder een dertigtal vlaggendragers, waren komen opdagen, 65 jaar na zijn dood, om een dubbele hulde te brengen, eerst aan het monument zelf, daarna aan zijn graf op het kerkhof van Assent. Toespraken, The Last Post, het Volkslied, bloemen. Het geheugen van de Weerstand is sterk en trouw. Het is een beeld van Vlaanderen dat de pers maar zelden laat zien, een Vlaanderen waar de Belgische vlaggen fier wapperen.

    Mijn ouders, vader uit Wallonië, moeder een Vlaamse, hebben ons vaak verteld over belangrijke gebeurtenissen en herinneringen uit de oorlog. Wie beweert dat na al die jaren de wonden geheeld zijn, kan zich niet inbeelden hoezeer zij die het meemaakten, er nog steeds onder lijden. In de familie van mijn moeder is het met tranen in de stem dat er nog steeds wordt over gesproken.

    Waarom dit alles niet neergeschreven juist na de oorlog met alle levendige details nog vers in het geheugen? De pijn was toen ondraaglijk, zei mijn moeder. Mijn grootvader werd aangehouden in juni 44 – want men had de zoon (nonkel Hilaire)  noch de dochter (mijn moeder), die allebei in het Verzet zaten, gevonden. Hij werd eerst naar het kamp van Dora, daarna naar Buchenwald gedeporteerd, en keerde uiteindelijk terug in juli 45. Hij woog dan nog amper 40 kilo, met de littekens van hondenbeten op beide bovenbenen. Een oude, gerimpelde man. Gelukkig herstelde hij na een lang verblijf in het St-Raphaëlziekenhuis te Leuven. Om vervolgens de draad terug op te nemen, want het leven gaat door.

    Ik ben geen historica en ik weet niet of in de archieven van “Het Verzet” de feiten en acties van de groep van mijn nonkel Hilaire vermeld staan ; in het “Gouden Boek van de Weerstand” wordt er in elk geval wel over hem gesproken. Zelfs mijn moeder, die “José” als schuilnaam had, weet niet alles, want zwijgen was de wet die de veiligheid waarborgde. Maar sommige verzetsdaden werden haar door haar broer toevertrouwd.

    Op een dag, het moet 1941 of 1942 geweest zijn, nam Hilaire Gemoets de buurttram tussen Diest en Leuven. Zoals het vaker gebeurde, werd de tram tot stilstand gebracht en twee leden van de Gestapo (Sicherheitspolizei?) stapten op. Controle van de identiteitskaarten. Een dame vroeg aan Hilaire of hij de brief die zij hem in de hand stopte op een adres in Leuven wilde bezorgen. Hij begreep dat de vrouw bang was, en stak de brief in zijn zak. Deze dame, Celine Cresens, was een onderwijzeres uit Bekkevoort. Later, in mei 1944, werd ze aangehouden, en kwam in het kamp van Ravensbruck terecht, vanwaar ze terugkeerde op het einde van de oorlog.

    De ouders van Hilaire maakten zich vaak ongerust over zijn plotse verdwijnen, soms overdag, dan weer ‘s nachts. Langzaam begonnen ze te vermoeden dat hun zoon, een verstandige, begaafde jongen, bij het verzet was. Zijn vader was er eerst radicaal tegen, gezien het gevaar dat dit inhield voor de rest van het gezin van drie meisjes en drie jongens. Maar Hilaire had een goede dekmantel. Hij kocht boter en eieren in de boerderijen en verkocht die weer door bij particulieren in Brussel of Leuven. Zo vermenigvuldigde hij zijn contacten. Hij bezat ook een radiozender en stuurde berichten naar Engeland.

    Op een dag vergezelde mijn moeder hem naar een afspraak op een verlaten veldweg tussen Onze-Lieve-Vrouw-Tielt en Wersbeek. Zij hoorde Hilaire kalm en duidelijk bevelen geven aan de zeven mannen die daar kwamen opdagen en had meteen door dat hij de leider was. Iedereen wist wat hem te doen stond. ’t Had te maken met een dropping per parachute te Holsbeek bij Leuven. Plots kwamen twee fietsers de weg opgedraaid. Hilaire vroeg hen beleefd hun identiteitskaarten te tonen, schreef hun namen op en vroeg hen hierover te zwijgen. De twee mannen waren onder de indruk. Hilaire liet hen vertrekken en de hele groep verspreidde zich. De dropping gebeurde bij het ochtendgloren, in een pand in de buurt van een verlaten steengroeve. Alles verliep probleemloos. Net voor het einde van de oorlog, zou de eigenaar van het pand, een verzetsstrijder, eveneens gearresteerd worden.

    Een briljante actie : de sabotage van het treinstation door het uitschakelen van de signalisatiecabine van Diest. De verzetsleden wilden de Duitse treinen, die oorlogsmateriaal uit Duitsland aanvoerden, tegenhouden. Ze hadden deze actie gedurende weken voorbereid. En alles liept perfect, alleen konnen ze zich niet snel genoeg uit de voeten maken. Ze verschansten zich achter de wagons, en er werd heen en weer geschoten. Twee van hen raakten lichtgewond. Het spoorverkeer bleef toch enige tijd verlamd.

    In januari 1944 saboteerden ze ook de hoogspanningsmasten, waardoor het de Duitsers onmogelijk werd te communiceren, weken aan een stuk. Een actie die voorbereid werd door Jean Burgers aan de Vrije Universiteit van Brussel. De groep van Hilaire zocht ook onderdak en kleding voor de piloten van neergeschoten vliegtuigen, verborg hen in de streek, en hielp hen evacueren. Met de medeplichtigheid van enkele ambtenaars wisten de verzetsleden de hand te leggen op postzegels, rantsoenzegels, lege identiteitskaarten...

    Dan was er die fatale nacht in juni 1944. Mijn moeder, Joséke, was haar schuilnaam, had identiteitskaarten nagemaakt zoals op het gemeentehuis, voor twee geallieerde piloten en vier ontsnapte gevangenen.  Het was voorbij middernacht wanneer het huis omsingeld werd door een aantal mannen van de zwarte brigade, zoals men ze noemde, de Gestapo of Sicherheitspolizei.  Er was ook een Duitse officier bij. Later vernamen we dat het om de bende Verbelen ging. Ze zochten overal naar Hilaire, maar die sliep nooit thuis. De buren hadden al eerder opgemerkt dat het huis bewaakt werd. In de voorbije weken zagen buren namelijk af en toe hoofden die het huis in de gaten hielden, uitsteken boven de korenvelden op de heuvel. En iemand die te Leuven in het Kommandantür werkte, had mijn grootouders laten weten dat er een som van 500.000 Belgische franken op het hoofd van Hilaire stond. En ook dat er zich een verrader bevond tussen de manschappen van Hilaire. Maar wie?

    Onmiddellijk dacht ze aan de Gestapo, stak de valse identiteitskaarten in de zak van haar jas, verborg die onder haar lakens en ging weer naar bed. Mijn grootmoeder had aan mijn moeder gezegd niet op te staan, toen ze het lawaai hoorde aan de voor- en achterdeur tegelijk. Twee mannen kwamen haar kamer binnen en vroegen haar uit bed te komen, maar de Duitse officier kwam tussenbeide en zei: “Laat maar, hier is niets, ik heb al gekeken.” Die man ging ook met mijn grootvader tot halverwege de zoldertrap en zei nogmaals: “Kom, laat maar,” waarop hij terug naar beneden ging.

    Maar in de kamer waar de twee jonge broers nog steeds in bed lagen, vonden ze achter een kast een rolletje pamfletten over de weerstand. Toen brak de hel los. De hele bende begon te roepen en te tieren en grootvader moest zich verder aankleden. De kleine zus van zeven klampte zich huilend vast aan zijn benen en mijn grootmoeder smeekte hem met rust te laten, maar ze zeiden haar : “ We moeten eerst uw zoon vinden.” En opeens waren ze weg, met mijn grootvader. Verslagen wisten ze niet wat er nu moest gebeuren. Tot mijn grootmoeder tegen haar dochter zei: “Neem gauw het hoogstnodige en ga weg. Ze kunnen terugkomen.” En ze had gelijk, ze kwamen wat later terug voor haar.

    Ik zal een andere keer vertellen hoe mijn moeder leefde, verborgen in een familiepension St. Norbertus, dicht bij de abdij van Averbode. Daar was ze ook op 3 september 1944. De volgende dag kwam een kennis haar zeggen dat haar broer ernstig gewond was. Ze gingen onmiddellijk met de fiets op weg naar Assent en zagen hoe de vliegtuigen de Duitse troepen beschoten op de weg van Leuven naar Diest. De Duitsers trokken zich terug. Gezien de gevaarlijke situatie, vertelde de kennis haar de waarheid, dat ze zich niet moest haasten, want dat ze haar broer toch nooit meer levend zou zien.

    Op 10 augustus 1944, tijdens een gevecht met de Gestapo in Wilsele, bij Leuven, raakte Hilaire gewond. Behandeld door een plaatselijke arts, werd hij een paar kilometer van zijn ouders in een boerderij verborgen, waar hij langzaam herstelde. Sedert de aanhouding van de vader in juni, werd het huis in Assent voortdurend door de Gestapo bewaakt. Op een nacht echter, slaagde hij er toch in om zijn moeder, die alleen is achtergebleven met haar jongste dochter van zeven, te gaan omhelzen. Op 3 september kwamen Duitse officieren, vergezeld door leden van de Gestapo, naar de boerderij waar Hilaire aan het herstellen was. Wij weten nog altijd niet of hij verklikt werd of dat het eerder ging om een ongelukkige samenloop van omstandigheden. Hilaire probeerde te ontsnappen, maar tevergeefs. Ze voerden hem weg naar een plek in de omgeving van Webbekom, waar een stenen monument hem nu voor altijd eert.

    Hilaire Gemoets, wiens stoffelijke overschot tijdens de nacht door zijn kameraden werd opgegraven, werd op vraag van de pastoor in de kerk opgebaard tot de dag van zijn plechtige en uiterst indrukwekkende begrafenis. De kerk was te klein en ook buiten bracht een grote menigte hulde aan de heldenmoed van een jonge man die zijn leven gaf voor de vrijheid van zijn land.

    Op 10 augustus 1944, tijdens een gevecht met de Gestapo in Wilsele, bij Leuven, raakte Hilaire gewond. Behandeld door een plaatselijke arts, werd hij een paar kilometer van zijn ouders in een boerderij verborgen, waar hij langzaam herstelde. Sedert de aanhouding van de vader in juni, werd het huis in Assent voortdurend door de Gestapo bewaakt. Op een nacht echter, slaagde hij er toch in om zijn moeder, die alleen is achtergebleven met haar jongste dochter van zeven, te gaan omhelzen. Op 3 september kwamen Duitse officieren, vergezeld door leden van de Gestapo, naar de boerderij waar Hilaire aan het herstellen was. Wij weten nog altijd niet of hij verklikt werd of dat het eerder ging om een ongelukkige samenloop van omstandigheden. Hilaire probeerde te ontsnappen, maar tevergeefs. Ze voerden hem weg naar een plek in de omgeving van Webbekom, waar een stenen monument hem nu voor altijd eert.

    Hilaire Gemoets, wiens stoffelijke overschot tijdens de nacht door zijn kameraden werd opgegraven, werd op vraag van de pastoor in de kerk opgebaard tot de dag van zijn plechtige en uiterst indrukwekkende begrafenis. De kerk was te klein en ook buiten bracht een grote menigte hulde aan de heldenmoed van een jonge man die zijn leven gaf voor de vrijheid van zijn land.