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film - Page 5

  • Des visages surtout

    Que dire du dernier film d’Agnès Varda et de JR, L’Oeil d’Or du meilleur documentaire 2017 au festival de Cannes, que vous ne sachiez déjà ? Je suis allée voir Visages, villages en bonne compagnie dans le cinéma de mon enfance, au rendez-vous de l’amitié et des souvenirs (mais sans ouvreuse qui passe à l’entracte avec des friscos ou des noisellas). Le générique graphique surprend avec une longue liste de donateurs – les réalisateurs ont fait appel au financement participatif.

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    Dans le camion de JR, les deux complices – lui en chapeau et lunettes noires, elle avec sa coiffure inimitable, ils se chamailleront gentiment à ce propos – se mettent en route pour aller à la rencontre des gens dans les villages de France, à la recherche des visages surtout. JR les invite à entrer dans le photomaton du camion d’où sortent leurs photos en grand format, photos qui seront collées ensuite sur des façades, des murs ou des endroits inattendus.

    Pourquoi ? La question leur est souvent posée par ceux qui se prêtent au jeu : la dernière habitante d’un coron voué à la démolition, un agriculteur qui s’occupe seul de cultiver 800 hectares, un vieil artiste solitaire… Et même des dockers, quoique Le Havre où JR emmène Varda ne soit pas à proprement parler un village – et surtout leurs femmes, une des plus belles séquences du film.

    Plus cadré, si je puis dire, que Les Plages d’Agnès, par le côté répétitif du procédé – la fantaisie, ici, réside dans le choix des rencontres et des lieux – Visages, villages véhicule ainsi toutes sortes de choses bonnes à dire ou à montrer. Où une personne aime vivre, ce qu’elle fait dans la vie, pour quoi elle se bat. Chacune laisse ici son empreinte, sur un mur et sur la pellicule, comme ce vieil ouvrier à son dernier jour d’usine qui se sent au bord d’une falaise, le vide de la retraite lui donnant le vertige. La guitare de Matthieu Chedid accompagne à merveille le déroulé du film.

    Toutes sortes de rencontres sont partagées avec les spectateurs et parmi elles, la rencontre entre une réalisatrice d’un certain âge qui a des problèmes aux yeux et un jeune photographe-colleur qui cache les siens derrière des verres foncés. Leurs échanges m’ont semblé parfois plus parlants à l’image que dans le dialogue, où certaines paroles, certains mots sonnent un peu trop préparés.

    On ne s’ennuie pas une seconde en regardant Visages, villages qui nous emmène loin des sentiers battus du cinéma. Les gens ordinaires n’en sont pas les vedettes mais tout de même les acteurs, d’une certaine façon, au risque de devenir populaires. Ainsi, sa photo en grand sur un mur du village a transformé une serveuse saisonnière en célébrité, on la reconnaît dans la rue et son image captée par les touristes se multiplie sur les réseaux sociaux. Cela ne lui plaît qu’à moitié.

    Depuis le tournage, leur vie à tous continue, les photos collées subissent les effets du temps, comme ce magnifique collage éphémère sur une plage – moment fort du film repris par la plupart des critiques. La peau des murs vieillit comme celle des humains. La nostalgie, la vieillesse et la mort s’invitent dans ce documentaire d’Agnès Varda et JR, mêlées à la fantaisie et à l’humour, moins allègres toutefois que dans Les Plages d’Agnès.

    Bien des thèmes de Varda (née à Ixelles) reviennent dans Visages, villages sur un ton différent, comme le rapport de l’image avec la mémoire, le goût du hasard, du quotidien. Fernand Denis écrit avec enthousiasme dans La Libre Belgique : « C’est fini, qu’est-ce qu’on a aimé ce Visages, villages ! Parce que c’est inattendu, parce que c’est humain, parce que c’est beau, parce que c’est poétique, parce que c’est chaleureux, parce que c’est drôle, parce que c’est émouvant, parce que c’est espiègle. Parce qu’avec les regards d’Agnès Varda et JR, on voit la vie autrement. »

  • Sous le signe

    Parce que j’ai beaucoup aimé

    Leur vie au jour le jour

    Son regard à lui sur les choses et surtout sur les gens

    Sa fantaisie à elle sans cesse renouvelée

    L’amour des mots

    Les échanges

    L’humour

    Le visiteur du dimanche – ha ha

    Paterson duo.jpg
    Source : Fernand Denis,
    "Paterson", film de l'année (La Libre Belgique, 7/12/2016)
    (L'article qui m'a donné envie de le voir, à ne pas lire si vous ne voulez pas tout savoir.) 

    Parce que j’ai beaucoup aimé

    Qu’un tel film sorte sur les écrans en 2016,

    C’est sous le signe de Paterson,

    le « meilleur film d’auteur de l’année » signé Jim Jarmush,

    un film habité par la grâce,

    que je vous souhaite, à vous toutes et tous

    qui me rendez visite ici,

    une bonne et heureuse année 2017 !

  • Tempête

    « C’est de ça que je vis. C’est de ça que je vis : il s’agit d’éprouver encore que
    le langage est ce qui nous fait, que nous ne sommes que langage, que nous sommes dans une tempête de langue et de mots. Comme lui, comme lui. »

    Olivier Py (à propos du Roi Lear) in L'objet de...

    Le Roi Lear (détail), anonyme, XVIIIe siècle.jpg
  • Objets d'écrivains

    « Il suffit d’avancer pour vivre / D’aller droit devant soi / Vers tout ce que l’on aime… » Ce sont des vers d’Eluard que j’ai lus un de ces matins dans les Carnets de poésie de Guess Who, avec mélancolie. Il suffit d’avancer : mots cruels quand on piétine, quand le mouvement s’arrête, quand la voix s'absente. Un matin d’ailes coupées.

     

     

    Et puis, de clic en clic, me voilà sur le site d’Actes Sud et l’esprit s’envole. Joyeuse trouvaille sur la page d’accueil de l’éditeur : dix petits films diffusés il y a quelques mois sur Paris Première et la TNT, où dix écrivains « de la maison » présentent un objet fétiche, dans leur bibliothèque. La série s’intitule L’objet de… Dix fois deux minutes.

     

    Je les regarde dans le désordre, je les écoute. Je reprends, je note. Je savoure. Alberto Manguel n’a pas hésité à parler de son chien, qu’il flatte de la main et du regard, au pied d’une échelle de bibliothèque, dans la chaude lumière d’une lampe. Lucie, une chienne de presque cinq ans, est entrée dans sa vie après bien des chiens de lecture, quand il s’est installé dans le Poitou. Elle aime beaucoup la poésie, assure Manguel. Il lui récite le poème que Neruda a écrit pour son chien. Elle comprend plusieurs langues, elle aime bien le latin. Une chienne philologue.

     

    Les autres ont choisi de vrais objets. Je ne les dévoilerai pas tous, je vous laisse le plaisir de la surprise. Et des contrastes. L’un, pour qui l’écriture doit passer par la main, brandit un stylo dont il aime le sang d’encre : « Une lettre n’est une lettre qu’à partir du moment où elle est écrite avec la main » L’autre, devant de grandes cases de bibliothèque étiquetées, raconte sa conversion à l’ordinateur portable.

     

    Devinez, devant les dix noms d’écrivains, qui fantasme sur une petite chaise en bois et en paille, miniature de ces chaises que les Napolitains sortent dans la rue pour assister dehors au spectacle de la vie. Qui a ramené d’une quincaillerie un jeu de clés anglaises dont la plus petite, baptisée « grande gueule », ne quitte plus sa poche. Qui, devant une bibliothèque où les tableaux tiennent compagnie aux livres, rêve encore et toujours du Roi Lear.

     

    Anne-Marie Garat, près d’un bouquet de roses, curieusement pas très à l’aise devant la caméra, montre l’intérieur d’une chambre noire « avec des replis de cuir et un œil de verre au fond qui est assez organique, assez érotique même ». Derrière elle, de longues horizontales, des rayonnages réguliers. Il n’y a jamais, on s’en rend bien compte ici, deux bibliothèques qui soient semblables.

     

    Le chat en bois de Claude Pujade-Renaud, cadeau d’une amie, évoque des disparus : deux chats de compagnie et un compagnon d’écriture, Daniel Zimmermann. « Pour moi l’animal, outre sa présence, représente un langage différent ». Ce chat creux, dont elle montre l’intérieur, lui inspire une belle réflexion sur l’écriture et le vide.

     

    Quant à Nancy Huston et à son ange, c’est pour moi – et j’en connais une autre qui
    va adorer – le bijou de cette collection. Il faut écouter la texture de cette voix, suivre
    le langage de ces mains, de ce visage frémissant. Une femme de passion évoque son amitié avec la Québécoise Suzanne Jacob, qui lui a offert cet objet très beau et très ancien. Quand elles se sont rencontrées pour la première fois, « je me suis vue, dit Nancy Huston, c’est-à-dire j’ai cru que Suzanne était moi, et je me suis demandé pourquoi je me pressais pour arriver, alors que j’étais déjà là. » Ce sera une relation mouvementée, comme pour l’eau et la pierre dans la rivière Harricana, comme pour l’écrivain dans la tension créatrice. « Les choses trouvent leur forme. Il faut être patient. »

  • Sur du sable

    Lors d'un entretien sur Les plages d’Agnès, (Allociné), Agnès Varda commente un article qui l'appelle la "Tourneuse de plages" et revient sur une séquence : des trophées sont posés sur le sable, ceux de Jacques Demy et les siens, et un vent de tempête les recouvre peu à peu.

    « Il y a l’idée de vent dans La tourneuse de pages (sic). Il y a l’idée du sable que le vent modèle. C’est en même temps le sable dans lequel tout va disparaître, nos prix, nos trophées et nous-mêmes, et aussi le poème de Prévert : « Et la mer efface sur le sable les pas des amants désunis. » »

     
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