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film - Page 3

  • Werk ohne Autor

    D’emblée, je l’écris : Werk ohne Autor de Florian Henckel Von Donnersmarck (2018) est un film à ne pas manquer. Long (trois heures) mais sans longueurs, intense de bout en bout, rythmé, avec des acteurs admirables et Tom Schilling en premier, d’une présence si forte dans le rôle d’un jeune artiste peintre pris malgré lui dans la trame de l’histoire allemande, de la fin des années 1930 aux années 50.

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    Kurt (Tom Schilling) au chevalet (Cinebel)

    1937. Le petit Kurt tient la main de sa tante Elisabeth (Saskia Rosendahl) pour visiter l’exposition d’art « dégénéré » à Berlin, où le guide tient des propos édifiants (cela m’a rappelé l’exposition 21 rue La Boétie). En disant au gamin, devant un Kandinsky, qu’il pourrait bien en faire autant et que personne ne lui donnerait d’argent en échange, il ne se doute pas qu’une vocation est en train de naître chez le petit garçon à qui Elisabeth apprend à « regarder » vraiment (la peinture moderne lui plaît, mais il ne faut pas le dire).

    Cette séquence initiale ouvre tous les axes du film : l’art, la liberté de créer, la lourdeur de l’idéologie, l’amour entre Kurt et sa jeune tante, les pensées à garder secrètes quand l’absence de liberté d’expression enjoint au silence. Aux mots qu’il ne faut pas dire en public va répondre un concert de klaxons grandiose déclenché par Elisabeth, avec la complicité des chauffeurs d’autobus.

    La fantasque Elisabeth initie Kurt à la beauté, lui apprend à ne pas détourner les yeux de ce qui est vrai, jusqu’à se mettre toute nue pour jouer au piano. Choquée, sa mère l’emmène chez le médecin, un gynécologue renommé. Mal lui en a pris, elle le comprend trop tard. Le professeur Seeband (Sebastian Koch) est aussi un officier SS responsable d’une campagne de stérilisation ; on tremble pour Elisabeth quand on le voit saisir le formulaire où inscrire « - » pour l’internement, « + » pour l’élimination.

    Le père de Kurt, un enseignant, a refusé d’adhérer au parti national-socialiste, ce qui lui a valu d’être écarté ; il ne trouve plus qu’un emploi de nettoyeur. Avec la guerre, les conditions de vie deviennent de plus en plus précaires pour les civils. Le jeune Kurt et sa famille assistent de loin aux bombardements qui détruisent la ville de Dresde. Comme Elisabeth le lui a appris, Kurt ne détourne pas les yeux.

    Après la guerre, l’URSS victorieuse impose une nouvelle idéologie en Allemagne de l’Est. Le garçon qui aime dessiner s’inscrit à l’académie, où on respecte à présent un nouveau code esthétique : le réalisme soviétique. Les qualités de Kurt le font remarquer, le maître l’apprécie tout en enseignant la méfiance totale à l’égard des nouveaux courants artistiques occidentaux où règne, selon lui, le détestable moi : « Ich, Ich, Ich ». (L’acteur Tom Schilling, qui a grandi en Allemagne de l’Est, voulait d’abord devenir peintre.)

    A l’atelier de couture, Kurt fait la connaissance d’une belle jeune femme, elle s’appelle Elisabeth comme sa tante qu’il aimait. Quand elle accepte de se promener avec lui, Kurt lui demande s’il peut l’appeler autrement – ce sera « Ellie », le petit nom que lui donne son père. En tombant amoureux d’elle, Kurt ignore de qui Ellie (Paula Beer) est la fille. Dans la grande maison de ses parents, la seule de la rue épargnée par les bombes, le passé, la guerre vont leur retomber dessus.

    Aussi le jeune couple saisit l’occasion de passer à l’Ouest, juste avant la construction du Mur de Berlin. Kurt choisit d’aller à Düsseldorf, réputée pour son avant-gardisme. Il y obtient une chambre d’étudiant et un atelier. Là, peindre est une pratique dépassée aux yeux des jeunes créateurs qu’il fréquente. Ce qui compte, c’est « l’idée », le choc de la nouveauté, la rupture avec les conventions. Le directeur de l’Institut (Oliver Masucci) en donne l’exemple, un beau personnage inspiré par Joseph Beuys, comme Kurt Barnert l’est, très librement, par Gerhard Richter.

    Ne manquez pas Werk ohne Autor, film d’une richesse peu commune, drame familial, fresque sur l’Allemagne de ces années terribles, histoire d’amour. Je m’en voudrais de dévoiler davantage l’intrigue, plus dure et plus tendre que vous ne l’imaginez. Sebastian Koch y joue un personnage-clé, le père d’Ellie, à l’opposé de son rôle de dramaturge surveillé par la Stasi dans La vie des autres (Film européen de l’année en 2006, Oscar du meilleur film étranger en 2007).

    Florian Henckel von Donnersmarck sait raconter, émouvoir, inquiéter, faire réfléchir. J’ai beaucoup aimé ce film captivant sur les débuts, les désirs et les doutes d’un artiste qui peint sans se considérer comme l’auteur de son œuvre. Le flou utilisé par moments invite à regarder mieux. Il est rare que le cinéma interroge ainsi la création artistique.

     

  • Claudinemania

    colette,film,wah westmoreland,keira knightley,dominic west,claudine,colette et willy,littérature française,bisexualité,paris,émancipation,culture« A travers la « Claudinemania » déferlant sur Paris comme un vent frais et libérateur, le film rappelle que les Beatles n’ont pas inventé l’hystérie collective : Claudine, l’écolière frondeuse, se décline en produits dérivés multiples tandis que les sosies prolifèrent à travers cette Belle Epoque dont on a oublié la liberté de mœurs. Fière, intense, vive, Keira Knightley, toujours à l’aise dans les rôles historiques, campe une Colette remarquable, tandis que Dominic West, massif, jovial et impérieux, est parfait en Willy. »

    Antoine Duplan, « Colette, femme de lettres, femme libérée » (Le Temps, 23/1/2019)

    Keira Knightley dans Colette de Wash Westmoreland (2018)

  • Colette s'émancipe

    Un chat roux fait posément sa toilette sur un lit, aux pieds d’une dormeuse. C’est la première séquence du film Colette, où le réalisateur britannique Wash Westmoreland raconte les premiers pas de Sidonie-Gabrielle Colette (1873-1954) dans sa vie de femme ou plutôt sa première expérience du mariage. Avec Henry Gauthier-Villars (1859-1931), connu sous le nom de Willy, la jeune campagnarde de vingt ans qui aime tant la nature, monte à Paris.

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    Keira Knightley, la séduisante Elizabeth d’Orgueil et préjugés (2005), incarne la jeune femme qui découvre la vie parisienne en même temps que la personnalité mondaine et séductrice de l’homme qu’elle a épousé. Willy, journaliste, critique musical et romancier, joué par Dominic West, aime se faire remarquer, flirter avec les jolies femmes, dépenser plus qu’il ne possède. Quand un huissier se présente à leur appartement pour saisir quelques meubles, leur situation apparaît bien précaire. Les avances de l’éditeur fondent avant que Willy n’honore ses engagements. Il fait travailler ses collaborateurs pour qu’ils écrivent d’après ses directives, mais il ne les paie pas et ils en ont assez.

    Dès le début du film, on voit Colette écrire des lettres. Découvrant son goût pour la correspondance, Willy lui suggère de contribuer à son entreprise littéraire en racontant ses souvenirs de Saint-Sauveur-en-Puisaye. Mais le résultat ne convient pas à la publication, estime-t-il. Trop de descriptions, trop peu d’intrigue. Il faudrait mettre cela au goût du jour, ajouter du piquant à ses relations féminines. Qu’elle invente, qu’elle transforme ! Ce sera Claudine à l’école, signé Willy, tandis que Sidonie-Gabrielle décide d’abandonner son double prénom pour se faire appeler simplement Colette (le nom de son père).

    Le film montre cet apprentissage littéraire sous la coupe d’un mari très intéressé, qui n’hésite pas à enfermer sa femme pour qu’elle écrive, quand elle renâcle. Vu l’engouement des jeunes filles pour le personnage de Claudine, Willy veut qu’elle continue et raconte la vie de Claudine à Paris, puis en ménage, etc. Encore et toujours sous la seule signature de son mentor, qui lui fait garder le secret.

    Colette va peu à peu se rebeller, sur tous les plans. Découvrant les infidélités de Willy, elle rentre chez sa mère pour faire le point. Quand ils se réconcilient, il lui promet de ne plus lui mentir désormais. Colette, de son côté, ne passe pas inaperçue dans le monde et plaît aux femmes. Willy ne supporterait pas de rival, mais les amours féminines ne sont pas du même ordre à ses yeux, surtout quand ce sont des femmes en vue qui font des avances à sa jeune épouse.

    Le film de Wash Westmoreland montre comment Colette invente pas à pas sa façon de vivre à travers l’écriture, la bisexualité, la pantomime à laquelle l’initie Georges Wague. Elle va se produire au music-hall dans des pantomimes orientales, en tenue très légère – Willy ne craint pas le scandale, il y voit une publicité à bon compte. Ne va-t-il pas jusqu’à couper les longs cheveux de sa belle pour qu’elle ressemble à Polaire, l’actrice qui joue Claudine au théâtre avec succès, et à les faire photographier ensemble avec lui ?

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    Willy (Dominic West) et Colette (Keira Knightley)

    Mais Willy se trompe quand il s’octroie tous les droits sur les Claudine et refuse à Colette de joindre son nom au sien. La célèbre Missy (Mathilde de Morny), connue du Tout-Paris pour ses tenues masculines et ses relations homosexuelles, qui va même se produire avec Colette sur scène, l’admire et l’encourage à oser être elle-même.

    Colette s’émancipe, tel pourrait être le sous-titre de ce film sur les débuts de Colette dans le mariage et dans le monde, sur un couple hors du commun. Quand s’annonce la rupture avec Willy, quand on entend les premières phrases de La Vagabonde dont je vous ai parlé récemment – Renée Néré faisant le point devant son miroir –, le générique de fin est proche et on le regrette.

    Les acteurs sont excellents, l’époque bien rendue (décors et costumes de la Belle Epoque). Plus classique que fracassant dans la manière, Colette est un film très soigné qui réussit, grâce à la conviction de ses interprètes, à montrer l’audace de Colette dans ses choix. Le réalisateur restitue les faits sans forcer le jugement des spectateurs. J’ai préféré le voir en version française qu’en version originale.

    Vous souvenez-vous de Marie Trintignant incarnant Colette avec fougue dans le téléfilm de Nadine Trintignant en deux parties : Colette, une femme libre (2003) ? Ce fut, hélas, son dernier rôle. Pour ceux qui ne connaissent pas la femme de lettres, ce film-ci donnera envie, je l’espère, de découvrir plus avant, à travers le ravissant minois et le regard vif de Keira Knightley, la personnalité attachante de Colette. Et, ce serait encore mieux, envie de lire ou de relire cette femme passionnée d’exister.

  • Critique

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    « La critique n’est pas là que pour saisir la portée de l’œuvre, elle se confond à son paroxysme avec l’œuvre, elle est la rencontre de deux sensibilités. »

    Cyrille Falisse, Fonction et rôle de la critique (Le passeur critique)

     

     

    Quelques critiques du Cercle littéraire de Guernesey :

     http://www.allocine.fr/film/fichefilm-196612/critiques/presse/

     

     

  • Guernesey, le film

    Que vous ayez lu Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates de Mary Ann Shaffer et Annie Barrows ou non, ne boudez pas le film de Mike Newell : Le cercle littéraire de Guernesey. Catégorisée « drame, romance », l’adaptation cinématographique de ce roman à succès offre un divertissement agréable. Trop « joli », juge La Libre Culture, qui ne lui attribue qu’une étoile, précisant que le film est plombé par « la qualité anglaise » façon « Downton Abbey » – à vous d’apprécier.

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    Mike Newell a réalisé entre autres Avril enchanté (1992), Quatre mariages et un enterrement (1994), L’amour au temps du choléra (2007). Les acteurs qu’il a choisis sont bien dans leur rôle, avec une mention spéciale pour Penelope Wilton qui incarne une Amelia secrète et émouvante. Elle jouait la mère de Matthew Crawley dans Downton Abbey. Lily James, qui tient ici le rôle principal, y apparaissait dans le rôle de Lady Rose Aldridge, petite-cousine de Lord Grantham.

    L’heure du couvre-feu est passée depuis longtemps sur l’île anglo-normande de Guernesey occupée par les Allemands (du 30 juin 1940 au 9 mai 1945) quand un petit groupe joyeux se fait surprendre par une patrouille. Sommés de justifier leur sortie tardive, ils sont sauvés de l’arrestation par une jeune femme, Elizabeth, qui sort un livre de sa poche et justifie leur présence par une séance tardive du Cercle des amateurs de littérature... et de tourte aux épluchures de patates de Guernesey – pour justifier ladite tourte que transporte l’un d’eux.

    A Londres, en 1946, une jeune écrivaine qui vient de remporter un beau succès, Juliet Ashton, manque d’enthousiasme pour la tournée de promotion mise au point par son éditeur, ainsi que pour les soirées brillantes où l’emmène son petit ami, un jeune et riche Américain qui couvre de fleurs sa chambre dans une pension modeste. Juliet ne veut pas du splendide appartement qu’il lui propose, elle ne s’y sentirait pas à l’aise.

    Quand arrive une lettre d’un inconnu, envoyée de Guernesey, Juliet est tout de suite charmée par le ton de Dawsey Adams, un jeune fermier qui a trouvé son adresse manuscrite dans un livre d’occasion : ils commencent à correspondre, il lui raconte la naissance et les rituels du fameux cercle de lecture. En panne d’inspiration pour un nouveau livre, elle décide d’aller rencontrer ces gens sur leur île et d’y glaner des informations sur l’Occupation allemande. Son éditeur lui rappelle de rentrer rapidement. Quant à son chevalier servant, il la surprend juste avant qu’elle n’embarque, la demande en mariage sur le quai et lui offre une superbe bague en diamant (art déco) – les voilà fiancés.

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    Ces quelques ingrédients vous donnent une idée de l’intrigue, que l’arrivée sur l’île de Guernesey va développer sur fond de superbes paysages, bords de mer et campagne pittoresques. On y fait la connaissance avec Juliet des différents membres du cercle littéraire, du plus âgé, l’inventeur de la tourte aux épluchures de pommes de terre, Eben Ramsey, au plus jeune, son petit-fils. Mais elle ne tarde pas à se heurter à des réactions hostiles ou des silences quand elle les interroge sur ce qu’ils ont vécu ; il est des drames, des secrets qu’ils n’ont pas envie de lui confier.

    Juliet, curieuse, va donc prolonger son séjour et participer aux réunions du cercle de Guernesey, qui continue les lectures à voix haute suivies d’échanges sur les livres lus. Les films qui donnent une si belle place à la littérature et à la lecture, à la correspondance aussi, ne sont pas si fréquents, celui-ci touchera la fibre sensible de bien des lecteurs et lectrices, a fortiori de ceux qui ont aimé le roman éponyme.

    « Amitié, camaraderie, solidarité, amour, pouvoir de la littérature, beauté du dénuement… Tous les thèmes sont là et bien là dans cette adaptation très mièvre, qui fait passer presque au second plan le seul aspect un peu intéressant : le récit d’une histoire méconnue, celle de l’occupation de Guernesey par le IIIe Reich », écrit Hubert Heyrendt dans La Libre. Sévère. Moins que ce que j’ai lu dans Le Monde, où un critique y voit un « pudding industriel » pour « public féminin du troisième âge » !

    Le film est trop léché et certains personnages ou situations, stéréotypés, c’est vrai. Est-il interdit pour autant d’échapper parfois aux soucis de la vie réelle pour prendre plaisir à une histoire romanesque bien racontée, où tout n’est d’ailleurs pas rose ? Pour ma part, j’ai aimé y découvrir l’île de Guernesey et certains personnages secondaires plus nuancés que le trio sentimental. Comme à la lecture, le sympathique cercle littéraire m’a été d’agréable compagnie, deux heures durant. Un film délassant.