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Colette en Vagabonde

La Vagabonde de Colette raconte la vie de music-hall que mène Renée Néré depuis trois ans. Devant le miroir de sa loge, avant de monter sur scène, c’est l’heure du face à face avec « cette conseillère maquillée » aux pommettes vives, aux lèvres rouge noir, « avec de profonds yeux aux paupières frottées d’une pâte grasse et violâtre ». Désormais seule, elle gagne vaillamment de quoi vivre avec Brague, son camarade de scène, qui l’a initiée à la pantomime.

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Colette sur scène dans Rêve d’Égypte en 1907 (Source : Les amis de Colette)

En rentrant dans son rez-de-chaussée parisien, un soir de décembre, elle soupire – « de fatigue, de détente, de soulagement, ou l’angoisse de la solitude ? Ne cherchons pas, ne cherchons pas ! » Est-ce bien elle, cette « bohémienne » dans la trentaine, à l’air découragé ? « Il y a des jours où la solitude, pour un être de mon âge, est un vin grisant qui vous saoule de liberté, et d’autres jours où c’est un tonique amer, et d’autres jours où c’est un poison qui vous jette la tête aux murs. »

« Femme de lettres qui a mal tourné », Renée fait du théâtre, sans être pour autant actrice. Son divorce l’a fait échouer dans une chambre banale, où elle n’a plus de temps pour écrire. Elle a fait sienne une sorte de « gaîté funèbre » en cachant ses pensées et en noircissant ses cils « au mascaro » (sic). Un soir, un inconnu « grand, sec, noir » force la porte de sa loge : un admirateur. Ce n’est pas le premier qu’elle décourage. « Ouf ! ce grand serin d’homme a coupé la crise noire : c’est toujours autant. »

Après huit ans de mariage, elle s’est séparée d’Adolphe Tallandy, un pastelliste, quand elle n’a plus pu supporter ses maîtresses et ses mensonges. Elle l’aimait, elle a souffert ; un soir, elle n’est pas rentrée. Elle y a gagné une résistance infinie, la solitude, la liberté, la nécessité de travailler plutôt que d’écrire. Elle en a gardé la défiance des hommes.

Le « cachet en ville » la terrifie, Renée craint que quelqu’un la reconnaisse dans un de ces salons parisiens friands de divertissements, mais comment refuser ce supplément de cinq cents francs bienvenu pour Brague et pour elle-même ? C’est là que reparaît Maxime Dufferein-Chautel, le frère cadet de leur hôte, qui désire « si vivement » lui être présenté – le « grand serin » de la veille. Et voici bientôt des fleurs dans sa loge et au premier rang des fauteuils d’orchestre, « un homme patient » qui la guette.

La Vagabonde dépeint la vie d’artiste que Colette a bien connue, après avoir quitté Willy. Entre débrouille quotidienne, quand « ça ne dessine pas », et camaraderies de théâtre, Renée n’a conservé que quelques vrais amis : Margot, la sœur cadette de son ex-mari ; Hamond, un vieil ami avec qui partager sa mélancolie ; Brague, qui veille sur elle, sur le métier, sur son avenir. Sans oublier Fossette, la chienne.

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La Vagabonde
a paru d’abord en feuilleton
dans La Vie parisienne, du 21 mai au 1er octobre 1910

Margot déconseille à Renée tout « collage », mais Dufferein-Chautel trouve des appuis. Hamond le connaît depuis l’enfance, Brague dit à sa camarade que c’est l’amant qu’il lui faut : « Bonne santé, ne joue pas, ne boit pas, fortune suffisante… Vous me remercierez ! » La voilà donc pourvue d’un « amoureux », ni amant, ni flirt, ni gigolo, enchanté qu’elle accepte de le recevoir dans son « joli coin intime ».

Maxime est véritablement épris et donc patient. Renée l’observe et se dérobe à ses avances, même s’il offre à Fossette un collier rouge à clous dorés. Le souvenir de son mari la rend, pense-t-elle, à jamais incapable d’amour. Mais elle ne refuse pas de se promener avec son amoureux, lui laisse de l’espoir – « Il faut terriblement vieillir, (lui) a dit un jour Margot, pour renoncer à la vanité de vivre devant quelqu’un ! »

Dans son miroir, Renée se dévisage. L’âge s’y marque déjà, sous le maquillage. Il va falloir prendre un parti, et cela l’angoisse. Maxime est si gentil, si prévenant, elle s’est tout de même laissé embrasser, elle l’aime peut-être. Mais elle ne veut plus jamais de maître, plus de cette « domesticité conjugale, qui fait de tant d’épouses une sorte de nurse pour adulte », comme elle l’explique à Hamond étonné de sa résistance.

Quand Brague évoque la possibilité d’une tournée en province au printemps, elle y voit un regain de liberté, de légèreté. En l’apprenant, Maxime est furieux d’abord : avec lui, elle pourrait se passer du music-hall. Puisqu’elle tient si fort à cette tournée, il est prêt à l’accompagner. Renée refuse, demande à Max d’attendre son retour – ils s’écriront et, au retour, ils auront tout le temps de s’aimer.

Parfois teinté de gouaille au début de La Vagabonde, le style de Colette s’affine pour évoquer des souvenirs ou décrire la nature, les saisons et les variations sentimentales d’une femme tentée par l’amour mais attachée avant tout à sa liberté. Ce beau roman où l’écrivaine a mis beaucoup d’elle-même date de 1910, l’année de son (premier) divorce.

Commentaires

  • J'ai eu un ami poète belge, pas très connu mais publié (nom de plume Jean Falaise), aujourd'hui disparu qui, lorsqu'il évoquait Colette, fermait les yeux et joignait le pouce et l'index en rond, pour marquer l'excellence, et s'exclamait : "une écriture !".
    .

  • Beau compliment. (Avez-vous présenté Jean Falaise sur Marque-Pages ? Je ne l'ai pas trouvé, ni sur la Toile.)

  • J'ai relu ce roman il y a peu et je l'ai beaucoup aimé. On y retrouve la Colette qui voulait être libre, quel qu'en soit le prix.
    Bonne journée de lundi. Je t'embrasse.

  • Et dire que c'était il y a plus de cent ans. Merci de partager cette lecture, Marie, bonne journée. Ici la lumière est revenue après un dimanche très gris.

  • Bonjour,
    J'ai lu ce roman il y a quelques années et il faudrait que je le relise.
    Pour son époque cette femme n'était pas du tout dans les normes et elle devait choquer.
    Bon début de semaine.

  • Ce fut le cas, mais elle a tenu, aimé, écrit une belle œuvre.
    Bonne semaine à toi aussi.

  • C'était mon cas aussi et je suis contente de la relire.

  • Je reviens ici car je me souviens à l'instant (et votre réponse me confirme l'inexactitude), j'ai indiqué Jean alors qu'il s'agissait de Henri Falaise. Voyez http://www.leshommessansepaules.com/auteur-Henri_FALAISE-403-1-1-0-1.html
    c'est celui que j'ai assez connu (pas trop sous son nom de poète) pour le considérer comme un ami. Je ne l'ai pas évoqué sur mon blog.

  • Merci beaucoup pour la correction, Christian, j'irai voir le lien.

  • Un si beau roman, une écriture dont on se souvient.
    Je retiens ces mots sur la solitude qui peut être"vin grisant" "tonique amer" ou "poison". Et pas seulement à son âge (jeune) comme écrit, je crois.
    Un beso de sol.

  • Une observation qui vaut à tout âge, en effet. Un baiser pour toi.

  • J'aime beaucoup Colette, et pourtant je ne pense pas avoir lu ce roman. Une bonne surprise donc, comme de trouver encore un chocolat au fond de la boîte. C'est de saison !

  • Jolie comparaison, merci, Annie.

  • D'accord avec toi. Et certaines phrases, comme celle reprise par Colo, gagnent à être relues un peu plus loin sur la route.

  • Bonne découverte si tu te décides à le lire, Eimelle.

  • Je l'ai lu il y a longtemps ; ce n'est pas celui de Colette qui m'a laissé le plus de souvenirs (je préfère "La naissance du jour"). Chaque fois que je me retrouve dans les jardins du Palais Royal, j'ai une pensée pour elle.

  • "La naissance du jour" est un chef-d'œuvre. J'ai tout de même envie de relire ses autres titres, on sent un cœur de femme qui bat chez cette romancière. Je l'associe aussi spontanément aux jardins du Palais-Royal, où il y a trop longtemps que je ne me suis plus promenée.

  • tu cites deux phrases qui me parlent terriblement, celle sur la solitude et celle sur la domesticité...
    je n'ai pas lu ce livre-là, il faudra
    merci Tania

  • J'imagine qu'il te parlera, chère Adrienne. Bon courage pour la fin du trimestre.

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