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Objets d'écrivains

« Il suffit d’avancer pour vivre / D’aller droit devant soi / Vers tout ce que l’on aime… » Ce sont des vers d’Eluard que j’ai lus un de ces matins dans les Carnets de poésie de Guess Who, avec mélancolie. Il suffit d’avancer : mots cruels quand on piétine, quand le mouvement s’arrête, quand la voix s'absente. Un matin d’ailes coupées.

 

 

Et puis, de clic en clic, me voilà sur le site d’Actes Sud et l’esprit s’envole. Joyeuse trouvaille sur la page d’accueil de l’éditeur : dix petits films diffusés il y a quelques mois sur Paris Première et la TNT, où dix écrivains « de la maison » présentent un objet fétiche, dans leur bibliothèque. La série s’intitule L’objet de… Dix fois deux minutes.

 

Je les regarde dans le désordre, je les écoute. Je reprends, je note. Je savoure. Alberto Manguel n’a pas hésité à parler de son chien, qu’il flatte de la main et du regard, au pied d’une échelle de bibliothèque, dans la chaude lumière d’une lampe. Lucie, une chienne de presque cinq ans, est entrée dans sa vie après bien des chiens de lecture, quand il s’est installé dans le Poitou. Elle aime beaucoup la poésie, assure Manguel. Il lui récite le poème que Neruda a écrit pour son chien. Elle comprend plusieurs langues, elle aime bien le latin. Une chienne philologue.

 

Les autres ont choisi de vrais objets. Je ne les dévoilerai pas tous, je vous laisse le plaisir de la surprise. Et des contrastes. L’un, pour qui l’écriture doit passer par la main, brandit un stylo dont il aime le sang d’encre : « Une lettre n’est une lettre qu’à partir du moment où elle est écrite avec la main » L’autre, devant de grandes cases de bibliothèque étiquetées, raconte sa conversion à l’ordinateur portable.

 

Devinez, devant les dix noms d’écrivains, qui fantasme sur une petite chaise en bois et en paille, miniature de ces chaises que les Napolitains sortent dans la rue pour assister dehors au spectacle de la vie. Qui a ramené d’une quincaillerie un jeu de clés anglaises dont la plus petite, baptisée « grande gueule », ne quitte plus sa poche. Qui, devant une bibliothèque où les tableaux tiennent compagnie aux livres, rêve encore et toujours du Roi Lear.

 

Anne-Marie Garat, près d’un bouquet de roses, curieusement pas très à l’aise devant la caméra, montre l’intérieur d’une chambre noire « avec des replis de cuir et un œil de verre au fond qui est assez organique, assez érotique même ». Derrière elle, de longues horizontales, des rayonnages réguliers. Il n’y a jamais, on s’en rend bien compte ici, deux bibliothèques qui soient semblables.

 

Le chat en bois de Claude Pujade-Renaud, cadeau d’une amie, évoque des disparus : deux chats de compagnie et un compagnon d’écriture, Daniel Zimmermann. « Pour moi l’animal, outre sa présence, représente un langage différent ». Ce chat creux, dont elle montre l’intérieur, lui inspire une belle réflexion sur l’écriture et le vide.

 

Quant à Nancy Huston et à son ange, c’est pour moi – et j’en connais une autre qui
va adorer – le bijou de cette collection. Il faut écouter la texture de cette voix, suivre
le langage de ces mains, de ce visage frémissant. Une femme de passion évoque son amitié avec la Québécoise Suzanne Jacob, qui lui a offert cet objet très beau et très ancien. Quand elles se sont rencontrées pour la première fois, « je me suis vue, dit Nancy Huston, c’est-à-dire j’ai cru que Suzanne était moi, et je me suis demandé pourquoi je me pressais pour arriver, alors que j’étais déjà là. » Ce sera une relation mouvementée, comme pour l’eau et la pierre dans la rivière Harricana, comme pour l’écrivain dans la tension créatrice. « Les choses trouvent leur forme. Il faut être patient. »

Commentaires

  • Heureusement, aucun auteur pour évoquer une femme objet... (mes excuses pour la trivialité mais cela reste encore une réalité à la peau dure).

  • Bel enchaînement pour : « avoir le goût des autres » … et se « délecter » avec Tania, subtile interprète de ce goût des autres, quand elle nous « invite à sa table d’hôte » pour « déguster » l’art d’apprécier « les objets fétiches » insignifiants s’ils n’ont pas « le regard de dévotion » d’un autre …

  • Belle découverte que je mettrai en partage dans le vent des blogs de ce dimanche, ça me permettra de recommander (à nouveau) votre adresse. J'aime Nancy Huston (la femme et l'écrivain), Manguel et son chien, et les stylos sont ma passion comme Jean Miche Ribes. Moment très agréable en leur compagnie. Merci beaucoup

  • Merci de nous communiquer aussi fort l'envie d'aller voir ces petits films .. j'y cours.

  • Oui, grand merci de nous faire partager vos trouvailles... de découvrir ainsi d'un simple clic, le visage des auteurs et de les entendre parler de leurs affections. Un vrai cadeau !

  • Une trouvaille très sympa drôle et intéressante
    je n'ai pas encore tout parcouru mais j'aime ce que j'ai vu
    merci Tania

  • Ces dix petits films sont de vrais petits bonheurs.
    Merci de nous les avoir fait découvrir.

  • Un bel endroit avec de la passion pure et dure. Je continue d'arpenter autour de l'arbre à palabres. J'essaye de repérer les chemins de traverse. Et puis revenir à Bruxelles c'est toujours un grans moment de nostalgie. Manguel, visionné suite à votre blog, vient de me convaincre d'un truc que je savais déjà, depuis deux ans que ma chienne est perdue : je ne sais pas vivre sans chien.
    Avis à ceux qui connaissent un chiot à adopter quelque part.
    Ma famille nombreuse a un grand coeur multifonctions.

  • @ Colo: mais non, mais non, merci quand même.

    @ JEA: comme vous y allez! Pour philosopher à ce sujet, voyez
    http://www.philagora.net/corrige2/aimer-objet.htm ou bien carrément chez Olympe, bien sûr.

    @ Doulidelle: merci pour ces mots choisis, l'insignifiant peut avoir du sens - paradoxal.

    @ Zoé Lucider: c'est gentil de me citer chez vous (il paraît que ce vendredi 13 est la journée de la gentillesse!)

    @ Aifelle: cours-y vite, mais arrête-toi tout le temps qu'il faut.

    @ Claire: un cadeau, c'est comme ça que je l'ai ressenti aussi.

    @ Dominique: je suis ravie de tout cet enthousiasme, merci.

    @ BOL: des bonheurs partagés, les meilleurs, non?

    @ Taraf Zelie Bordela: je découvre chez vous la photolittérature. Bonne chance pour l'adoption!

  • Bonjour, je suis un peu mono maniaque mais j'ai pensé comme JEA :-) du coup je vais sur le site que tu lui propose ! Du beau monde et de la belle ouvrage par ici. Bon week end Tania

  • ben le site en question ne m'éclaire pas beaucoup mais la question est intéressante !

  • Je viens de revoir certains de ces petits films. J´y ai vu comme une volonté d´illustrer le "Regarder écouter lire" du grand Claude Levi-Stauss qui vient de disparaître. Remarquable, vraiment.

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