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famille - Page 15

  • A tout jamais

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    « Or qu’y a-t-il de plus extraordinaire : que les magiciens puissent transformer une chose en une autre, même faire disparaître et réapparaître les gens, ou que les gens puissent être présents un jour – oh, tellement présents – et plus le lendemain ? A tout jamais. »

    Graham Swift, Le grand jeu

  • Sur scène à Brighton

    Here we are de Graham Swift a été traduit en français (par France Camus-Pichon) sous un autre titre : Le grand jeu (2020). Le romancier britannique excelle à nous entraîner, de livre en livre, dans des milieux différents – ici la scène d’un spectacle de variétés offert aux vacanciers de Brighton durant l’été 1959 – et au cœur des relations entre ses personnages.

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    Palace Pier, Brighton. Photograph : Heritage Images/Getty Images (The Guardian)

    « Jack était maître de cérémonie cette saison-là (sa deuxième) et Ronnie et Evie passaient en premier après l’entracte. C’était grâce à Jack s’ils faisaient partie du spectacle, et c’était bien de passer juste après l’entracte. Quand, ce fameux mois d’août, tout changea et vola en éclats, ils avaient gravi les échelons et passaient en dernier, sans compter le numéro de Jack qui fermait le ban. »

    Portant beau son habit noir et blanc, Jack Robinson a le sens du spectacle et de la réclame. Comment Ronnie et Evie sont-ils devenus des vedettes ? Pourquoi ont-ils disparu de la scène au mois d’août ? Jack a en quelque sorte créé leur duo : quand le comédien a retrouvé Ronnie le magicien rencontré quelques années plus tôt durant leur service militaire, il l’a encouragé à prendre une assistante – « la magie plus le glamour, ça devenait vraiment quelque chose. » C’est pourquoi Evie White, en plus de mettre ses jambes en valeur et de sourire, portait une bague de fiançailles.

    Contrairement à Jack et à Evie, Ronnie Deane n’a pas grandi avec une mère qui l’a poussé sur scène. Femme de ménage, elle l’a élevé seule dans une maison très modeste, son marin de père presque toujours absent. Vingt ans plus tôt, en 1939, elle l’avait conduit à la gare – une grande campagne nationale invitait les familles londoniennes à envoyer leurs enfants en lieu sûr. Ronnie, à huit ans, était attendu dans l’Oxfordshire, chez M. et Mme Lawrence, Eric et Penelope, « d’un certain âge et sans enfants ».

    C’est la chance de sa vie. Ronnie découvre à Evergrene la sécurité et le confort, en plus de la tendresse qu’il n’a jamais connue. Eric et Penny invitent parfois des amis, tous bien habillés et aimables, qui le trouvent « charmant » – « Était-ce ça qu’on entendait par « sortir le grand jeu » ? » Sur les cartes postales envoyées à sa mère, le garçon se contente d’écrire que « tout va bien ». Tout lui semble fantastique dans cette demeure et encore plus le don d’Eric Lawrence, « un magicien accompli », chez qui il va faire son « apprentissage de sorcier ».

    Quand il rentre chez sa mère en juin 1945, elle explose de colère quand Ronnie dit vouloir devenir magicien. Il sait qu’il devra se débrouiller seul et que ce sera difficile, son « deuxième père » le lui a assez dit. Lawrence s’appelait Lorenzo à la scène ; Ronnie opte pour son deuxième prénom, Pablo. Au service militaire, il rencontre Jack Robbins – le futur célèbre Jack Robinson. Evie, engagée pour l’assister dans ses « illusions », sera Eve, tout simplement : Pablo et Eve.

    En 2009, Evie a 75 ans et vit seule avec ses souvenirs, dans le luxe, grâce à la réussite de son mari à laquelle elle a contribué. Qu’est-il advenu entre-temps de Ronnie ? de Jack ? Graham Swift, « un maître des atmosphères, un talentueux magicien des brouillards et des sentiments » (Didier Jacob dans L’Obs) réserve plus d’une surprise dans Le grand jeu en racontant l’histoire de ces trois-là, de leurs spectacles pleins d’élégance et d’audace et des tournants inattendus de leur vie et de l’amour.

  • Images anciennes

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    Agnès Desarthe, L’éternel fiancé

    © Jean-Michel Folon, La lecture

  • Tout pour la musique

    Le dernier roman d’Agnès Desarthe, L’éternel fiancé, débute comme une romance d’enfance et se termine sur des larmes silencieuses, bien des années plus tard. Chaque fois que sa vie a croisé celle d’Etienne (le fiancé de toujours), la narratrice en a été bouleversée.

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    La première rencontre a lieu lorsqu’elle a quatre ans : les enfants de l’école maternelle vont au concert de Noël, dans la salle des mariages de la mairie. « Chez elle, il y a toujours de la musique. Elle est contente d’en entendre. Elle se récite les noms des compositeurs que sa maman et son papa aiment. Il y a Beethoven. Mais maman préfère Brahms. Il y a Schubert que papa adore, mais Lise, la grande sœur, veut toujours du Chopin. »

    La mélodie s’élève quand soudain, le garçon devant elle se retourne et lui dit qu’il l’aime, parce qu’elle a les yeux ronds. Elle ne répond pas, la musique a commencé. Il insiste et pour le faire taire, elle rétorque : « Je ne t’aime pas. Parce que tu as les cheveux de travers. » Il pleure en silence, elle est sauvée. « Mais elle songe qu’ils sont à présent fiancés, à cause de la beauté de la musique ; officiellement fiancés, à cause de la salle des mariages. »

    Les trois sœurs, Lise l’aînée à l’alto, Dora la cadette au violoncelle et elle au violon, comme son père, ont répété des années le Quatuor en mi bémol majeur de Fanny Hensel-Mendelssohn. Elles jouaient faux et mal, mais Lise, la meilleure des quatre, les reprenait. Leur famille n’était pas « comme tout le monde » mais cela ne les gênait pas : « Nous étions le monde et mon regard demeurait myope au reste de l’univers. » L’éternel fiancé raconte la vie de famille, l’école, la vie sans télévision ; un passé dont certains pans semblent avoir quitté la mémoire alors que d’autres s’y sont gravés avec précision.

    Très vite, la voilà au lycée Gustave Courbet où elle reconnaît le garçon « intensément contemplatif » devant la fresque du hall, au rez-de-chaussée : « ses cheveux ne sont plus de travers ». Etienne est le frère de Martin Charvet, qui « capte la lumière » et réussit tout, « l’élu entre les élus », déjà en première. Elle l’adore, comme les autres, mais survient une grave maladie, l’hôpital, et elle doit redoubler la seconde. Fini le quatuor. Elle prend des cours de violon avec une dame qui répète « Eh ben, c’est pas brillant brillant » et lui conseille d’intégrer l’orchestre du lycée.

    C’est à la répétition qu’elle revoit Etienne, à présent en première, qui ne la reconnaît pas. Elle s’émerveille de distinguer si clairement « toutes les voix » des instruments – « la sensation d’un tissage dont j’aurais été simultanément le fil et la trame ». Etienne tient une espèce de râpe à fromage et un peigne en métal, sorte de « güiro ». Elle le trouve changé, plus lumineux – grâce à l’amour d’Antonia, qu’il a rencontrée pendant qu’elle gisait à l’hôpital. « Antonia danse comme personne. » Elle joue de l’euphonium et l’a convaincu de rejoindre l’orchestre.

    Etienne et Antonia deviennent le couple d’amoureux le plus admiré du lycée, un duo d’anticonformistes et lanceurs de modes. Tout le monde achète les bijoux qu’ils fabriquent pour les vendre aux terrasses des cafés. Le monde change. A la maison aussi, où la mère de la narratrice est tombée amoureuse du dentiste, son patron. Avec le temps, tout change. Elle-même sort à présent avec Martin, le grand frère, qui ne se doute de rien quand elle décide de l’accompagner à l’exposition d’Etienne et Antonia, pour le revoir, lui.

    Il en ira ainsi d’année en année. A la sortie d’une soirée, elle qui s’est entretemps mariée (avec un autre) rencontre son « fiancé » avec un bébé dans les bras, désespéré parce que sa fille n’arrête jamais de pleurer. Etienne est en perdition. Avec la musique, un temps abandonnée, mais pas pour toujours (la chanson de France Gall m’a trotté en tête en lisant, d’où le titre de cette lecture), il reste l’autre obsession de la narratrice. Comme si sa vie à lui était plus réelle, plus fascinante, comme s’il s’inscrivait davantage dans le monde qu’elle.

    L’éternel fiancé, « fausse autobiographie empreinte de merveilleux », conte une histoire douce-amère où l’on s’accorde et se désaccorde. Ce roman des sensations, des sentiments, des souvenirs épars est plein de changements de ton, de rêveries secrètes, d’images parfois floues parfois nettes, au fil d’une vie de femme. Agnès Desarthe y conjugue le récit d’une époque et une exploration de la mémoire intime.

  • 1961, Charlotte

    Ruge couverture.jpg« On entendait un brouhaha et des rires à travers la double porte de l’ancienne cave à vin. Vingt et une heures trente et ils étaient toujours là en bas. […]
    – Désolée, je ne voulais pas déranger, dit Charlotte, soudain décidée à se retirer sans engager les hostilités.
    Mais avant qu’elle ait pu refermer la porte, Wilhelm lui lança :
    – Ah, Lotti, tu ne pourrais pas nous faire en vitesse quelques sandwichs, les camarades ont faim.
    – Je vais voir ce que j’ai, marmonna Charlotte, et elle remonta l’escalier à pas lents.
    Elle resta un instant dans la cuisine, éberluée par tant d’impudence. Finalement, comme si elle avait été télécommandée, elle prit un pain frais dans le placard (heureusement que Lisbeth avait fait les courses) et commença à en couper des tranches. Pourquoi faisait-elle ça ? Etait-elle la secrétaire de Wilhelm ? Elle était la directrice d’un Institut !... Non, évidemment non, elle n’était pas la directrice d’un institut. A son grand regret, on avait rebaptisé les instituts « sections », si bien qu’elle n’était maintenant plus que « chef de section », ce qui était moins prestigieux mais ne changeait rien à l’affaire : elle était active, elle travaillait comme une mule, elle occupait un poste important dans cette académie où étaient formés les futurs diplomates de la RDA (…). Elle était chef de section dans une académie – et qui était Wilhelm ? Rien. Un retraité, mis sur la touche de façon anticipée… Et il était vraisemblable, se dit Charlotte, tandis que, figée par la fureur, elle regardait dans le réfrigérateur à la recherche de quelque chose qu’elle pourrait tartiner sur les tranches de pain, il était vraisemblable que Wilhelm, après son échec comme directeur administratif de l’Académie,
    aurait fini dans le ruisseau si elle n’avait pas foncé à la direction du district et supplié les camarades de donner à son mari une tâche au moins honorifique, quelle qu’elle soit. »

    Eugen Ruge, Quand la lumière décline