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essai - Page 40

  • Je choisis

    barillé,petit éloge du sensible,essai,littérature française,solitude,choix,sensibilité,corps,femmes,joie,culture« Je choisis ce qu’il y a en moi d’essentiel, d’infini et de non monnayable. Je choisis de cultiver l’esprit de finesse, les émotions délicates, les sensations patiemment tamisées, sachant que si la faim du corps, tout impérieuse soit-elle, a ses impasses, celle de l’esprit, elle, s'accorde à l’illimité, tout comme les nourritures dont il se rassasie : l’offrande ultime d'une rose de novembre, l’âcreté sensuelle d'un feu de cheminée, le nuancier d’un ciel normand, l’ivresse du baiser qu'on n'attendait plus.
    Je choisis l’ordre sensible contre la tyrannie sclérosante des ambitions. »
     

    Elisabeth Barillé, Petit éloge du sensible

  • Eloge du sensible

    Dans la collection « Petit éloge » (Folio), voici Elisabeth Barillé avec Petit éloge du sensible (2008), vingt textes, courts pour la plupart. « Prologue en cuisine », le seul dialogue de cet essai très accessible, donne le ton de cette épicurienne avouée : « Comment fais-tu ? – Pour quoi donc ? – Pour avoir l’air heureuse ? – Mais je le suis vraiment ! – Toujours ? – Chaque jour m’apporte une occasion de l’être… » 

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    Matisse, Tête de femme

    Elisabeth Barillé se sent bien dans sa peau, dans son corps comme elle dit, même si les années passent. Comparant les corps aux violons, elle déclare que « les neufs vont aux débutants, les historiques aux virtuoses. » Son conseil à qui est malheureux ? « Sortez ! » Le bonheur demande de la volonté. Ce dialogue a lieu dans sa cuisine – écrire et cuisiner font bon ménage, voir Duras et sa soupe aux poireaux. Les gestes simples, humbles, font la richesse de la vie.

    C’est un art de rester dispos, curieux du monde comme il va, ce qui n’empêche pas de s’emporter contre l’immaturité et la grossièreté affichées en société à propos du sexe (« Femmes, on vous ment ! ») au point que « La retenue signe désormais la prétention. » Absurde, bien sûr, de prétendre parler « au nom des femmes » parce qu’on en est une, comme s’en targuent certaines dans les témoignages ou les débats.

    « Je ne supporte ni les voix aiguës, ni les voix brutales, ni les voix impérieuses, ça fait du monde… » (« Féconde surdité ») Elisabeth Barillé aime être seule et relie cela à la perte de l’oreille gauche à sept ans, qui l’a rendue vulnérable à certains sons. « Je lui dois la solitude, cette royauté secrète. » Elle y a gagné d’échapper « aux remous du monde » : « Je redoute tout ce qui fait grappe, groupe et débat, forums, assemblées et fêtes. »

    A la solitude aimée (on pense à Jacqueline Kelen) se joint le goût des endroits paisibles, quand elle décrit son refuge au cœur de Paris qui lui offre le matin le chant des oiseaux, le soir le silence, ou sa vie en Normandie : « Ici, seule face aux mouettes, j’écris, je ris et je rends grâce. »

    Ce n’est pas une vie d’ermite, mais une liberté choisie, un renoncement qui mène à la joie, aux antipodes des faux besoins (les soldes dans « Néant tangible », un dépôt-vente dans « Sac rouge souris grise ») et du pouvoir de l’argent qui aveugle et emprisonne. Elisabeth Barillé s’insurge contre « l’esclavage consumériste ». « Se réjouir pour peu de choses, se contenter du minimum, festoyer d’un rien : si c’était là l’ultime scandale ? » Son premier roman, Corps de jeune fille, avait fait sensation en 1980. Depuis lors, la romancière française a publié une vingtaine de titres, dont les derniers sont inspirés par la Russie, le pays de sa mère.

    Petit éloge du sensible m’a permis de faire connaissance avec une écrivaine qui refuse le conformisme sans prétendre à la perfection (elle fume deux cigarettes par jour, elle se souvient de ses années anorexiques) et qui rejette les fausses jouissances (contre le succès des sex toys, elle écrit « Appel au ressentir »). On y croise des papillons, quelques écrivains, de bonnes formules : « L’insupportable bisou. Votre ennemi personnel en ce moment. »

  • Halo

    macé,gérard,l'art sans paroles,essai,littérature française,mime,cinéma muet,cirque,art,geste,culture« Il y a dans la pantomime une grammaire des gestes, mais s’en tenir à cette grammaire, c’est agiter le squelette des trains fantômes.
    Cependant, ce n’est pas l’épaisseur réaliste de la chair qu’il faut ajouter aux différents membres de la phrase, mais le halo poétique de la métaphore.
    D’après les témoins qui l’ont vu jouer La maladie, l’agonie et la mort, c’est précisément ce que faisait Jean-Louis Barrault. Au lieu de représenter le mourant dans les affres et les tortures, comme l’aurait fait n’importe quel acteur confondant l’art du mime et la vulgaire imitation, il redressait le buste d’un mouvement brusque, et de la main qui s’abaissait avec lenteur il éteignait le souffle de la vie, comme on éteignait autrefois la flamme d’une chandelle. »

    Gérard Macé, L’art sans paroles

  • Sans paroles

    « Les emprunts trop voyants au monde extérieur, les objets introuvables et encombrants sont contraires à l’idéal du cirque où tout doit se dérouler à mains nues, de même que dans un livre une citation trop longue vient toujours casser le rythme, et même briser l’élan. L’érudition est nécessaire pour éviter le flou, la précision est utile pour ne pas tomber dans l’arbitraire, mais ce sont des tremplins qui doivent se faire oublier le plus vite possible. »  

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    Le trio Dario au Cirque Royal à Bruxelles - Photo Stern, 1925.

    Gérard Macé : L’art sans paroles (1998) révèle une écriture rare, profonde, concise. Ce sont des réflexions sur la pantomime, le cinéma muet, le cirque – l’expression. Des fragments d’une page ou deux, séparés par des silences ouverts au songe.

    J’aimerais dire simplement le bonheur à le lire et remercier celui qui me l’a mis entre les mains. De l’âme des mimes incarnée en Deburau ou Baptiste (Jean-Louis Barrault dans Les enfants du paradis) à la naissance de Pierrot, les petits textes de Gérard Macé suspendent le temps, nous rassemblent devant une scène, une image, un geste.

    Au cinéma, tout est d’abord visuel : « Le vent est un grand personnage du cinéma muet, qu’il faut montrer d’autant plus qu’on ne l’entend pas. » Des lettres écrites à l’écran, pour résumer une situation, Macé souligne l’élégance graphique et s’interroge – « on se dit même que l’écriture pourrait disparaître en même temps que l’artisanat dont elle est la contemporaine, et qui était comme elle un accord entre la main, l’œil et l’esprit. »

    Allez au cirque avec ce poète-lecteur-artisan des mots, vous verrez, vous entendrez de belles choses. L’art sans paroles est édité dans la jolie collection « Le cabinet des lettrés », dédiée aux livres qui « vont se loger plutôt dans les interstices et les replis, la solitude, les oublis, les confins du temps, les mœurs passionnées, les zones d’ombre. » (Note de l’éditeur)