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enquête - Page 6

  • Inexplicable

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    « Une demi-heure plus tard, tandis que les deux policiers quittaient la maison de Walton Street, Morse songea aux paroles du Dr Hans Gross, ancien professeur de criminologie à l’université de Prague. Il les connaissait par cœur : « Nul acte humain ne survient par pur hasard, sans le moindre lien avec d’autres actes. Nul n’est inexplicable. » Morse avait toujours partagé cette opinion. Pourtant, en sortant dans la rue silencieuse, il commençait à se demander si elle était toujours valable. » 

    Colin Dexter, Les silences du professeur

  • L'inspecteur Morse

    Les enquêtes de l’inspecteur Morse, une de mes séries préférées à la télévision, ont cessé avec le décès soudain de son interprète John Thaw, en 2002. Barnaby ou, plus récemment, un nouveau Morse à ses débuts (série Endeavour, d’après le prénom secret de Morse) ne peuvent faire oublier cet inspecteur hors norme écoutant des airs d’opéra, évoluant dans les rues d’Oxford, au volant de sa Jaguar rouge ou buvant une bière… 

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    Colin Dexter entre les deux acteurs de la série, John Thaw (Morse) et Kevin Wathely (Lewis) (Photo DailyMail online)

    Pourquoi ne pas remonter à l’original, me suis-je dit en cherchant Colin Dexter à la bibliothèque ? J’ai ouvert Les silences du professeur (The Silent World of Nicholas Quinn, 1977, traduit de l’anglais par Elisabeth Luc) et assez vite, j’ai reconnu l’histoire ; je connaissais le coupable, mais peu importe.

    J’ai souvent confronté un film à l’œuvre littéraire dont il s’inspire – c’est souvent, pour les amoureux des lettres, une déception par rapport aux subtilités du texte et au vagabondage imaginaire de la lecture. Cette fois, allais-je retrouver des images dans ce roman policier ?

    Il débute en pleine réunion du Syndic des examens à l’étranger, pour choisir un nouveau membre. Bartlett, le secrétaire général, a examiné toutes les candidatures et présente les meilleures : en deuxième place, Quinn, « honnête, intelligent, décidé » mais handicapé par sa surdité (comme Colin Dexter lui-même), ce qui plaide à son avis pour Fielding, un historien aux références « exceptionnelles ».

    Le doyen croit l’affaire réglée quand un jeune professeur de chimie, Roope, prend la défense de Quinn, pour ses qualités personnelles et aussi parce que leurs statuts prévoient d’employer des personnes handicapées. Bien sûr, il y aura des problèmes au téléphone, mais Roope rappelle que lors des entretiens avec Quinn, celui-ci « a donné l’impression de (les) entendre parfaitement » (il lit parfaitement sur les lèvres). Au vote, Quinn l’emporte. 

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    Toute une page sur l’évolution d’Oxford et ses « imposantes demeures » (chapitre II) nous renvoie en imagination au somptueux décor de la série télévisée : vieilles pierres blondes, clochers, fenêtres à pignons, bâtiments, porches et cours de l’université…  Le chapitre III s’ouvre sur une phrase à l’ironie bien dexterienne : « Pendant tout le mois d’octobre, la santé de la livre sterling suscita un intérêt universel teinté de mélancolie. »

    Des professeurs s’affairent, d’autres entretiennent une liaison secrète, tandis que Bartlett se fait du souci et maudit cet « imbécile » de Roope à l’approche de la visite des « émissaires de l’émirat de Al Jamara » (l’université ne peut plus se passer des investisseurs étrangers). Enfin Morse apparaît, au chapitre V, en train d’étudier son reflet dans un petit miroir tenu derrière lui par le coiffeur, avant de prendre le bus pour rentrer dans son appartement de célibataire.

    Il en repart aussitôt, appelé au commissariat : « un dénommé Quinn » est mort. Un de ses collègues, inquiet de son absence, l’a trouvé au rez-de-chaussée de la maison où il vivait. Morse se met en route avec le sergent Lewis. Le premier dialogue entre les deux policiers révèle le petit jeu habituel d’escarmouches, Morse se servant de Lewis pour exciter son esprit d’analyse, essayer des hypothèses et à l’occasion, faire preuve d’érudition ou d’autorité, souvent à ses dépens. 

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    L’ironie de cet inspecteur « intelligent, fantasque, misanthrope, alcoolique, mélomane et libidineux, un caractériel autant qu'un caractère » (Le vent sombre) s’exerce aussi face au légiste, qui a du répondant : « – C’est moche, la mort, fit Morse. – Mors, mortis, genre féminin, marmonna le vieux médecin légiste. – Ne m’en parlez pas, répondit Morse en hochant tristement la tête. » Et me revoilà en manque d’images : j’aimerais voir leurs mimiques et les entendre – même si, je l’avoue, je suivais cette série en français où Morse avait la voix de William Sabatier.

    Le professeur Quinn définitivement silencieux, il reste bien d’autres silences dans cette affaire, et des mensonges, c’est la règle – à Morse et à Lewis de faire parler les morts et les cachottiers. Entre prologue et épilogue, Les silences du professeur comportent quatre parties : pourquoi ? quand ? comment ? qui ? 

    Diplômé d’Oxford en 1953, Colin Dexter a enseigné le grec et le latin pendant treize ans dans les Midlands, puis à l’université d’Oxford. Il a publié son premier « Morse » au début des années soixante, Le dernier bus pour Woodstock. Savez-vous que Colin Dexter fait une apparition à la Hitchcock dans chaque épisode de la série télévisée ? A présent, il ne nous reste pour regretter avec nous l’inspecteur Morse que son fidèle sergent, incarné par Kevin Whately, dans Inspecteur Lewis. Ou à suivre, dans un style très différent, le travail des « petites cellules grises » de David Suchet, alias Poirot.

  • Les faibles

    « Il avait proclamé son innocence, il avait essayé de se suicider… Non, il n’avait pas été un personnage très brillant… Dieu merci, pensa Studer ; il n’aimait pas particulièrement les héros. Il trouvait que c’était justement les faibles qui rendaient les hommes dignes d’être aimés… »

    Friedrich Glauser, L’inspecteur Studer

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  • Le Maigret suisse

    Le Maigret suisse, vous vous souvenez ? Le thé des trois vieilles dames m’a menée à L’inspecteur Studer de Friedrich Glauser (traduit de l’allemand par Catherine Clermont). Dans la préface, Frank Göhre, auteur d’une biographie de cet écrivain singulier, indique qu’il a écrit ce roman policier en deux mois.

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    Edition de 1941 © Schlick.ch

    Nous suivons l’inspecteur attaché à la police du canton de Berne jusqu’à la cellule du prisonnier Schlumpf dans le château de Thoune, où il vient de se pendre avec sa ceinture à une barre de la fenêtre. Studer se précipite, le détache et lui fait la respiration artificielle, juste à temps. C’est lui qui a arrêté ce garçon pour le meurtre d’un commis-voyageur, Wendelin Witschi, dont le cadavre a été retrouvé dans la forêt, délesté des trois cents francs (suisses, n'oubliez pas) que contenait son portefeuille. Or le jeune Schlumpf, aide-jardinier aux pépinières Ellenberger et sans le sou, connu de la police pour divers cambriolages, a sorti un billet de cent francs pour payer ses consommations (inhabituelles) à l’auberge de l’Ours.

    Studer est étonné : le garçon se tenait tranquille depuis deux ans, et Sonia, la fille de Witschi est sa petite amie – ça ne colle pas. En parlant avec Schlumpf, il apprend qu’il allait bientôt succéder au jardinier-chef, Cottereau, l’homme qui a trouvé le cadavre. Devant le juge d’instruction en chemise de soie blanche, Studer est clairement le plus expérimenté des deux – « un homme plus tout jeune, qui n’avait rien d’extraordinaire : chemise à col mou, costume gris quelque peu déformé par sa corpulence », visage pâle et maigre, moustache. Il ne croit pas à la culpabilité de Schlumpf et, après avoir compris à temps que le juge ne supporte pas l’odeur de son cigare Brissago, obtient de continuer l’enquête.

    Studer joue au billard quand il entend quelqu’un parler de Witschi : c’est Ellenberger, le pépiniériste qui emploie Schlumpf et d’autres anciens prisonniers. Il invite l’inspecteur à se rendre sur place, à Gerzenstein, s’il veut comprendre quelque chose à cette affaire. Dans le train, l’inspecteur remarque une jeune fille en train de lire un stupide roman de Felicitas Rose et d’y écrire une dédicace avec un stylo masculin (un Parker Duofold) : « Ta Sonia… » C’est la fille de Witschi, la petite amie du présumé coupable.

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    Parker Duofold 1930 © Proxibid.com

    En la suivant à la sortie de la gare, l’enquêteur la voit remettre ce stylo qui l’intrigue à un garçon coiffeur – il apprendra bientôt que c’était le Parker du père Witschi. Et comme dans un Simenon, voilà notre homme qui prend une chambre à l’auberge de l’Ours avant de se rendre chez le gendarme Murmann. Celui-ci croit comme lui à l’innocence de Schlumpf. D'abord s’imprégner de l’atmosphère des lieux, faire connaissance avec les villageois. « Mon Dieu, les hommes étaient les mêmes partout : en Suisse, ils se cachaient quand ils voulaient passer la mesure et, aussi longtemps que personne ne le remarquait, leurs compatriotes fermaient les yeux. »

    Le manège de la serveuse avec le frère de Sonia à l’auberge, l’affichette « chambre à louer » qui a déjà valu deux visiteurs intéressés à la logeuse de Schlumpf chez qui il trouve un Browning sous une pile de papiers, la disparition de Cottereau annoncée à la radio, la maison des Witschi (« Repos alpestre ») en piteux état où il trouve des douilles dissimulées dans un vase à l’intérieur, la parenté des Witschi avec Aeschbacher, le maire de Gerzenstein… Studer collectionne les indices : « Ce sont moins les faits qui m’intéressent que l’atmosphère dans laquelle ces gens vivaient », confie-t-il à son ami gendarme.

    Il n’est pas sans intérêt pour lui (ni pour nous) de voir dans la chambre de Schlumpf des romans sentimentaux ou policiers, dont l’un porte le titre de « Coupable innocent », ni d’assister à un concert de jazz du Convict Band, groupe d’anciens détenus qui se sont connus chez Ellenberger. Lorsque le maire propose à Studer de prendre sa retraite pour un emploi mieux payé qu’il lui procurera, puis lui parle de sa voiture volée, voilà qu’un coup de téléphone du juge d’instruction le rappelle à Berne : Schlumpf est passé aux aveux, l’affaire est réglée. Studer est furieux, il n’a pas dit son dernier mot.

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    Heinrich Gretler, l’interprète de l’inspecteur Studer © http://www.kinokunstmuseum.ch/movie/1215

    Une note de l’éditeur donne quelques indications sur la réception du roman d’abord intitulé « Schlumpf Erwin, meurtre ». En 1935, Glauser en avait lu des extraits devant des écrivains à Zurich, « d’une voix chantante ». Le silence, quand il s’était tu, l’avait d’abord inquiété, puis tout le monde en fit l’éloge. « C’était un roman avec un contenu social essentiel. C’était le village suisse (…) C’était un miroir de notre temps (…) qui renvoie une image non déformée, sans flatterie ni haine, avec force et clarté. »

    Wachtmeister Studer parut en 1936 puis fut adapté au cinéma, sous le même titre, en 1939. Ce collègue de Sherlock Holmes, « homme singulier, nouveau, un homme chaleureux, un simple Suisse » (d’après une annonce de l’époque), allait devenir grâce à l'écran un personnage connu, familier à beaucoup plus de Suisses que de lecteurs de Glauser. Bien avant l’apparition de Columbo sur les écrans télévisés, l’inspecteur à l’imperméable bleu, fumeur de cigares et amateur de grogs, qui fait souvent allusion à sa femme, compose un personnage d’enquêteur patient, mélancolique, curieux des êtres, comme le commissaire de Simenon que Glauser aimait lire.

  • Visage

    « Maintenant, calcula le père Orduña, l’inspecteur devait avoir atteint la cinquantaine, mais ce qui lui était le plus difficile n’était pas de se rappeler comment il était dans son enfance, quand on l’avait amené au pensionnat, mais de porter une véritable attention à ses traits d’aujourd’hui, à son visage commun, énergique et marqué, à sa présence robuste et gauche d’adulte sur le déclin. Avec la nostalgie d’une paternité impossible, le prêtre pensait qu’on ne peut peut-être jamais voir tout à fait comme un adulte celui qu’on a vu enfant et dont on se souvient, et que la véritable mémoire des premières années de notre vie ne nous appartient jamais en propre, mais appartient plutôt à ceux qui nous ont connus, élevés et vus grandir. Sur le visage rude et rouge, dans les cheveux gris décoiffés et rares, dans le cou vieilli et assez mal rasé de l’inspecteur, il n’y avait pas trace de l’enfant aujourd’hui invraisemblable et qui pourtant avait existé ; le père Orduña sentit avec un orgueil mélancolique que c’était lui le dépositaire du passé intime d’un autre homme, d’un inconnu. »

    Antonio Muñoz Molina, Pleine lune

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    Juan Gris, Portrait de Maurice Raynal