Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

enquête - Page 7

  • Guerre lente

    Qu’ajouter aux multiples commentaires qu’ont valus aux Ames grises les prix littéraires de 2003, puis le film qui en a été tiré ? Tout ce bruit m’avait rendue méfiante. Mais le roman de Philippe Claudel y résiste. Il distille l’inquiétude de la première à la dernière page, dans une langue simple et forte.

    Toile de fond, la première guerre mondiale. Figure marquante, un procureur d’une terrible indifférence envers les accusés, Pierre-Ange Destinat. (A tous les personnages, de premier ou de second plan, Claudel a donné des noms très parlants.) Au restaurant où Destinat a sa table, comme le juge Mierck, les filles du restaurateur servent gracieusement. Mais Belle, la petite dernière, dite Belle de jour, dix ans, est retrouvée morte un matin, étranglée, près du petit canal, non loin du « Château » où vit le procureur. C’est l’hiver de décembre 1917, et dans le froid coupant, le juge Mierck, pas malheureux d’avoir un crime à se mettre sous la dent, commande des œufs mollets en attendant le médecin.

    a985343d2d7935f88f5d221f8f498ecd.jpg

    L’Affaire est au cœur du roman – qui est l’assassin de la petite ? a-t-on désigné le
    vrai coupable ? Les soubresauts de l’enquête permettent au narrateur, un policier qui revient des années plus tard sur ces événements, de portraiturer toute une galerie de riches et de pauvres, de forts et de faibles, de perdants – d’abord tous ces soldats partis se faire tuer ou blesser – et de « chanceux », les gars qui travaillent à l’Usine locale, réquisitionnés et donc restés chez eux, « c’est-à-dire nulle part, c’est-à-dire dans un pays où pendant des années la rumeur ne nous est parvenue que comme une musique lointaine, avant un beau matin de nous tomber sur la tête, et de nous la casser de manière effroyable, quatre années durant. » 

    L’arrivée d’une jeune institutrice ramène de la lumière. Lysia Verhareine a vingt-deux ans, elle attire tous les regards et éblouit les écoliers par ses manières douces, son élégance. Mais elle aussi a rendez-vous avec un destin tragique, longtemps inexpliqué. « Rien n’est tout noir, ni tout blanc, c’est le gris qui gagne. Les hommes et leurs âmes, c’est pareil… T’es une âme grise, joliment grise, comme nous tous » dira une voisine au policier revenu des années plus tard pour enterrer son père. Au premier rang des salauds, le juge s’est trouvé un complice, le colonel Matziev désigné pour l’enquête. A ceux qui souffrent, ils donnent sans vergogne le spectacle de leurs appétits insatiables, de leur mépris pour ceux qui ne sont pas de leur milieu.

    L’horreur ne manque pas dans ce récit qui va et vient dans le temps, au gré des souvenirs et du désespoir qui saisit le narrateur irrésistiblement poussé à tout raconter, puisque s’y mêle son drame personnel. Sa rencontre avec un curé amoureux des fleurs, qui voit dans leur beauté la preuve de l’existence de Dieu, offre une courte respiration.

    Quand un jour, longtemps après la mort de Destinat, le policier solitaire pénètre dans la bibliothèque du Château, il découvre le fauteuil qui garde l’empreinte du procureur, les Pensées de Pascal souvent lues, la fenêtre avec vue sur le canal et sur la Guerlante qui coule non loin de là, et sur la maison du parc où logeait l’institutrice. Dans le secrétaire, « un petit carnet, rectangulaire et fin, recouvert d’un joli maroquin rouge. La dernière fois que je l’avais vu, il était dans les mains de Lysia Verhareine. » Ce que l’institutrice y a consigné va lever bien des mystères, révéler ce qu’elle pensait d’eux tous, elle, la souriante. « On sait toujours ce que les autres sont pour nous, mais on ne sait jamais ce que nous sommes pour les autres. » Cette note rouge, dans la grisaille de la guerre et des vies perdues, annonce le temps des aveux.

  • De noirs secrets

    La vie secrète de E. Robert Pendleton de Michael Collins commence comme un de ces romans au décor universitaire dont les Anglo-Saxons ont le secret : rivalités entre professeurs, problèmes de publication, fêtes rituelles. Tout oppose Pendleton, qui enseigne l’art d’écrire à l’université Bannockburn et s’y sent « vieux, inutile et perdu », au romancier Allen Horowitz, auteur à succès, qui vient y donner une conférence. « Y avait-il un jour précis où les choses changeaient, où l’on se retrouvait de l’autre côté de la vie ? » C’est le genre de question qui tourmente Pendleton en attendant l’arrivée de son « ennemi et compagnon d’autrefois à Columbia ».

    A ses côtés, le professeur sur le déclin peut tout de même compter sur une étudiante attardée, Adi Wiltshire, désignée pour le comité d’accueil, en plus du photographe attitré du campus, Henry James Wright. Il y a des années, celui-ci a suivi les cours de Pendleton dans l’intention d’améliorer sa formation de reporter, mais son admiration inconditionnelle pour Stephen King, méprisé par le professeur, a suscité entre eux d’interminables conflits. Adi s’étonne que Pendleton n’écrive plus et considère qu’il se sous-estime comme écrivain. Quand Horowitz débarque à l’aéroport en chemise hawaïenne et les pieds nus dans ses mocassins, la peau bronzée, il arrive sans peine à détourner sur lui l’attention de l’étudiante. Pendleton, encore une fois, se sent floué.

    2cc12f0c44ebe5c364fa1cc0cfd3ea40.jpg
    Mais le méli-mélo universitaire change rapidement de ton. Pendleton, au bout du rouleau, a décidé à cette occasion de mettre fin à ses jours. Adi arrive à temps chez lui pour appeler les secours, sa tentative échoue. C’est elle, à qui il a légué par lettre tous ses écrits, qui devient la « gardienne de sa vie, de sa maison et de son œuvre ». C’est elle qui fait la découverte capitale, près de la chaudière, d’un carton contenant des exemplaires reliés d’un roman inconnu de Pendleton, Le Cri.

    Adi découvre un « cauchemar autobiographique et existentiel, totalement personnel », un récit plein de haine de soi avec une scène de meurtre particulièrement horrible, celui d’une fille de treize ans descendue d’un bus scolaire et poursuivie dans les champs. Fascinée par la force épouvantable de l’œuvre, l’étudiante décide de la faire publier, avec l’aide d’Horowitz qui connaît toutes les ficelles de l’édition. Celui-ci, vaguement gêné par la tentative de suicide de Pendleton lors de sa visite, intéressé aussi à plus d’un titre par une association avec Adi, met tout en œuvre pour assurer à cette publication un succès rentable.

    Tout se complique lorsque Adi, maintenant certaine de pouvoir enfin décrocher un doctorat avec sa thèse sur Pendleton, découvre que le meurtre du Cri correspond exactement à un crime non élucidé, celui de Amber Jewel. Pire encore, elle observe que le cadavre en morceaux n’a été retrouvé qu’après la date d’impression qu’elle a découverte sur la facture d’impression dans la boîte en carton, ce qui fait de Pendleton le meurtrier présumé.

    L’enquête policière menée par Jon Ryder est déclenchée par l’envoi d’une bande enregistrée signalant la coïncidence entre le meurtre fictif et l’affaire Jewel. La vie secrète de E. Robert Pendleton tourne alors en un véritable roman noir. Liaisons sordides, traumatismes familiaux, suspects divers, désirs inavoués, policiers douteux, de terribles vérités émergent peu à peu. Adi commence à perdre le contrôle, Horowitz veut rester le maître du jeu. Pendleton ne reprend conscience que pour exprimer son désir d’en finir, quand son infirmière est tuée chez lui, peut-être parce qu’on l’a prise pour l’étudiante.

    Amateurs d’intrigues compliquées et de noirs secrets, ce livre est pour vous.