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Visage

« Maintenant, calcula le père Orduña, l’inspecteur devait avoir atteint la cinquantaine, mais ce qui lui était le plus difficile n’était pas de se rappeler comment il était dans son enfance, quand on l’avait amené au pensionnat, mais de porter une véritable attention à ses traits d’aujourd’hui, à son visage commun, énergique et marqué, à sa présence robuste et gauche d’adulte sur le déclin. Avec la nostalgie d’une paternité impossible, le prêtre pensait qu’on ne peut peut-être jamais voir tout à fait comme un adulte celui qu’on a vu enfant et dont on se souvient, et que la véritable mémoire des premières années de notre vie ne nous appartient jamais en propre, mais appartient plutôt à ceux qui nous ont connus, élevés et vus grandir. Sur le visage rude et rouge, dans les cheveux gris décoiffés et rares, dans le cou vieilli et assez mal rasé de l’inspecteur, il n’y avait pas trace de l’enfant aujourd’hui invraisemblable et qui pourtant avait existé ; le père Orduña sentit avec un orgueil mélancolique que c’était lui le dépositaire du passé intime d’un autre homme, d’un inconnu. »

Antonio Muñoz Molina, Pleine lune

Juan Gris, Portrait de Maurice Raynal.jpg

Juan Gris, Portrait de Maurice Raynal

Commentaires

  • Plutôt impressionnant cet extrait, tout comme le portrait. C'est très juste cette réflexion qu'il fait sur la mémoire des premières années.

  • Ah, ces moments figés dans le temps que représentent les photos de classes avec leur instit ou leur prof... Des documents précieux. Et qui parlent pour qui souhaite entendre.

  • @ Aifelle : Est-ce que les autres ne connaissent pas mieux notre visage que nous - et pas seulement notre visage d'enfant ?

    @ JEA : ... et où les instits et les profs en prennent chaque fois pour un an !

  • Je ne suis pas sûre qu'ils le connaissent mieux, ils le connaissent autrement. As-tu lu un livre de Simenon, où plusieurs personnages dressent le portrait d'une femme qui vient de mourir ? On dirait que pas un n'a connu la même personne ?. Nous sommes à facettes multiples.

  • Ce n'est pas étonnant que les cubistes aimaient peindre des visages...

  • @ Aifelle : "autrement", c'est mieux que "mieux", en effet. Je ne vois pas de quel Simenon tu parles - si tu retrouves le titre?

    @ MH : avez-vous déjà vu les cubistes exposés au Musée d'Ixelles en ce moment?
    Un très intéressant billet chez BOL sur Juan Gris :
    http://lancelot-d-oslo.over-blog.com/article-juan-gris-le-cubiste-48168215.html

  • Non, je n'ai pas été. Je ne suis pas une grande fan du cubisme mais je trouve la démarche passionnante.
    Merci pour le lien vers le billet de BOL ! Intéressant, en effet.

  • Je me demande si ce n'est pas "la disparition d'Odile" encore que celui-ci parle plutôt de façon déguisée du suicide de sa fille. Il a tellement écrit et ma lecture est ancienne.

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