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roman policier

  • Ceux de l'Est

    benoît vitkine,donbass,roman,littérature française,roman policier,ukraine,guerre,culture« Comme Henrik la comprenait, cette colère sourde du Donbass ! Même lui qui avait depuis longtemps renoncé à contempler son propre passé avec la moindre complaisance.  Kiev s’était lourdement trompée sur le compte du Donbass. Elle avait fait sa révolution et cru que ceux de l’Est, les gueux, suivraient ou se tairaient, comme ils l’avaient toujours fait. Le Maïdan avait été un cri de colère contre la corruption, l’injustice… Les habitants du Donbass partageaient ce cri, mais ils n’avaient que faire du discours nationaliste et chauvin qui l’accompagnait. La menace d’enlever au russe son statut de langue officielle n’avait fait qu’accroître cette crispation. Seulement, personne n’était prêt à écouter. Alors ceux de l’Est s’étaient tournés vers ce qu’ils connaissaient ; pendant que Kiev choisissait l’Europe et s’illusionnait en songeant à un futur meilleur, le Donbass avait regardé vers Moscou et cherché refuge dans le passé. Ce que les gens du Donbass ignoraient, en revanche, c’est qu’entre-temps elle était devenue une marâtre acariâtre et cynique. »

    Benoît Vitkine, Donbass

    * * *

    Avant de prendre la route des vacances, j’ai choisi quelques livres à emporter. Vous en découvrirez bientôt les premières pages. Si cela vous dit de les commenter, voici quelques interrogations à ce sujet.
    Qu’est-ce qu’un bon début de roman ? Est-il si important ? De quelle manière nous retient-il ou pas ? Lequel vous attire le plus ? le moins ?
    Bonne rentrée, belle fin d’été à vous toutes & tous.

    Tania

  • Vivre dans la guerre

    Benoît Vitkine a obtenu le Prix Albert-Londres en 2019, un an avant la publication de Donbass, son premier roman. Correspondant du journal Le Monde à Moscou, il signe des reportages sur l’Ukraine depuis 2014, quand la guerre du Donbass éclate dans l’est du pays, juste après l’annexion de la Crimée par la Russie. Un conflit non résolu, comme l’a montré l’invasion russe en Ukraine cette année. Voilà pour le contexte de Donbass, qui ne raconte pas la guerre mais une intrigue policière dans la guerre.

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    Terrils miniers le long du Kalmious dans le Donbass, photo Andrew Butko (Wikimedia)

    Après la mort de sa fille dans un accident, douze ans plus tôt, Henrik Kavadze, le « colonel », un policier vétéran de la guerre en Afghanistan, avait convaincu sa femme de venir s’installer dans une maison avec un petit jardin du Vieil-Avdiïvka (oblast de Donetsk) aux « faux airs de village », espérant une « cure de grand air et de « simplicité » ». A l’été 2014, une contre-offensive ukrainienne a libéré Avdiïvka des séparatistes, mais quatre ans plus tard, la guerre continue : « On se tirait dessus au canon, on s’enterrait dans des tranchées, on continuait en somme à mourir, mais le front ne bougeait plus. Manque de chance, il s’était stabilisé précisément à la sortie de la vieille ville d’Avdiïvka, là où Henrik avait entraîné Anna. »

    A 54 ans, dont 25 dans la police, il n’est pas étonné, en interrogeant un jeune maraudeur, d’apprendre que son adjoint, l’a dépouillé de son argent – « trop d’expérience pour s’émouvoir de la corruption de ses hommes ». Le chef de la police a ses habitudes pas loin du commissariat, au café Out, où on vient le chercher pour un meurtre. Les cadavres de la guerre ne sont pas de leur ressort, mais on a trouvé dans un terrain vague le corps du petit Sacha Zourabov qui vivait chez sa grand-mère depuis trois semaines. « Aussi fou que cela puisse paraître, la nouvelle de la disparition de l’enfant était restée confinée aux deux appartements mitoyens occupés par Isabella et sa voisine. »

    En voyant l’enfant de six ans presque nu, cloué au sol gelé par un poignard, « comme un papillon épinglé dans le carnet d’un entomologiste », Henrik reconnaît le couteau militaire des soldats d’Afghanistan, il en avait eu un semblable. La seule à qui il peut montrer ses états d’âme, c’est une jeune prostituée qui « accepte son grand corps osseux », Ioulia, « plus précieuse qu’un bataillon d’indices » et d’une « bienveillance absolue » envers tous les êtres vivants.

    Le meurtre du garçonnet émeut particulièrement les habitants. Habitués aux tirs, aux bombardements, ils sont choqués par la nouvelle. La vieille Antonina Gribounova, une veuve qui fait régulièrement appel à Henrik pour de petits dépannages, a recueilli depuis deux ans le petit Vassili sans famille. Très curieuse, elle a préparé une tarte à la viande dont elle distribue les parts à ses voisines, qui lui offrent un verre de sherry pendant sa tournée en  plus de se raconter leurs soucis et les nouvelles. Elle passe même chez « la triste Loussia », sèche et grise alors que les autres portent des couleurs et engraissent « pour tromper la mort et le froid ». Celle-ci préfère chauffer, elle se dit frileuse comme l’est son petit Aliocha (mort depuis trente ans) et ne réagit qu’à peine.

    Anna s’inquiète quand Henrik la laisse seule à compter les obus qui tombent, mais leurs rapports se sont distancés, il ne se confie plus à elle. Quant au conflit larvé qui se poursuit, il convient « aussi bien à Kiev qu’aux rebelles et à leur parrain moscovite. Tant que le nombre de morts restait limité, personne n’était prêt à des concessions. Et les Occidentaux pouvaient oublier cette demi-guerre sur laquelle ils n’avaient aucune prise. » Il lui faut toute l’autorité de sa fonction et de son âge pour passer le check-point à l’entrée du village où habite Alina, la mère du petit Sacha, qu’il veut interroger. Cette ancienne comptable n’a plus d’emploi, à peine de quoi survivre. « Son fils était mort ; il n’avait rien à lui offrir. »

    L’enfant n’a pas été violé. Aucune trace d’ADN ni d’empreinte digitale. Seul indice : des résidus de poussière de charbon sur le corps. Les différentes pistes sur lesquelles le policier enquête ne mènent à rien. A l’enterrement du petit Sacha, il y a foule. Le général de police est parvenu à négocier une trêve pour la durée de la cérémonie. A la sortie de l’église, quand le petit cercueil arrive au bas des marches, Henrik voit Ioulia s’agenouiller, tête baissée, et puis tous les autres, ce qui n’est pas une coutume dans le Donbass : « Elle existait donc, se dit le policier, cette unité qui faisait défaut à l’Ukraine, cette identité introuvable. Dans la mort. » Lui se contente de s’incliner et observe.

    Un ancien camarade de combat, qu’on dit « revenu cinglé d’Afghanistan », Arseni Ostapovitch, très agité, vient alors le trouver : « Mon adjudant, ça ne te rappelle rien ? » Henrik ne se souvient pas. Ensuite c’est le gros Levon Andrassian, le patron de la ville, « aussi adroit dans la gestion des livres de comptes que dans le maniement des armes ». Henrik en profite pour l’interroger sur ses trafics : on a vu des camions déchargés en vitesse de sacs de charbon puis rechargés de caisses au contenu inconnu. L’Arménien ne nie pas la contrebande, puis le somme de trouver vite un coupable, pour que les esprits se calment.

    Enfin la vieille Loussia s’adresse à lui qui a aussi perdu un enfant, lui parle de la mère de Sacha : « Elle est encore jeune, après tout… Mais ça ne va pas aller ! Jamais. Et vous, vous le comprenez, Henrik. » Anna ne l’a pas accompagné à l’enterrement, elle lui a repassé sa chemise à la perfection, son activité préférée pour ne pas penser.

    Rumeurs et indices vont mener Henrik sur de fausses pistes, jusqu’à ce qu’il comprenne enfin le mobile du crime. Donbass raconte cette enquête policière et, tout autant, la façon dont on vit dans une région où la guerre est devenue routine, où la vie est devenue survie, au milieu des trafics, de la corruption, de la drogue et de l’alcool. Le roman de Benoît Vitkine nous bouleverse, tant l’histoire est triste et dure. Dans cette région que se disputent l’Ukraine et la Russie depuis tant d’années, tant de choses se sont passées que l’espoir d’une réconciliation paraît d’une fragilité extrême.

  • Quoi dire ?

    fred vargas,l'homme aux cercles bleus,l'homme à l'envers,littérature française,roman policier,adamsberg,enquête,culture« Elle aurait dû écrire sur tout ça. Ce serait plus marrant que d’écrire sur les pectorales des poissons. - Oui, mais quoi ? dit-elle tout haut en se levant d’un bloc. Ecrire quoi ? Pour quoi faire, écrire ? Pour raconter de la vie, se répondit-elle. Foutaises ! Au moins, sur les pectorales, on a quelque chose à raconter que personne ne sait. Mais le reste ? Pour quoi faire, écrire ? Pour séduire ? C’est ça ? Pour séduire les inconnus, comme si les connus ne te suffisaient pas ? Pour t’imaginer rassembler la quintessence du monde en quelques pages ? Quelle quintessence à la fin ? Quelle émotion du monde ? Quoi dire ? Même l’histoire de la vieille musaraigne n’est pas intéressante à dire. Ecrire, c’est rater. »

    Fred Vargas, L’homme aux cercles bleus

    Fred Vargas reçoit le prix Princesse des Asturies 2018

  • Deux fois Adamsberg

    Le roman policier n’est pas ma tasse de thé. J’avais pourtant envie de faire connaissance avec la célèbre Fred Vargas et j’ai emprunté à la bibliothèque L’homme aux cercles bleus et L’homme à l’envers. De quoi faire doublement connaissance avec le commissaire Adamsberg, Jean-Baptiste de son prénom, dont le personnage prend autant de place que l’enquête, un drôle de type. Personne ne comprend vraiment comment il raisonne, pas même lui, mais ses bons résultats suffisent à sa réputation.

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    En commençant L’homme aux cercles bleus, je me suis vite rappelé que j’avais vu l’adaptation télévisée. Peu importe. Les images rendent une intrigue, pas l’épaisseur des personnages. Ce n’est pas le commissaire qui fait l’ouverture, mais Mathilde, une femme à la voix grave qui prend des notes dans son agenda en buvant sa bière à une terrasse parisienne. Son voisin ne cesse de pianoter sur sa table et elle finit par lui adresser la parole ; l’homme est beau, mais aveugle, il s’appelle Charles Reyer. Ils vont se revoir.

    Adamsberg, 45 ans, vient d’être nommé commissaire dans le 5e arrondissement à Paris, « la seule ville qu’il pouvait aimer », lui qui a grandi puis travaillé dans les Basses-Pyrénées, un homme de montagne qualifié de « sylvestre » à ses débuts. Petit, solide, brun, il n’est pas beau mais une inspectrice lui a dit un jour qu’il avait « de la grâce pour mille » et de s’arranger avec ça dans la vie.

    Parmi les inspecteurs, Danglard est son préféré, « pas bien beau, très bien habillé », buvant pas mal et peu fiable après seize heures. Celui-ci est dérouté par le caractère vague et lent de son nouveau supérieur, mais il le respecte, il aime sa voix, il pressent l’intelligence derrière ce visage peu harmonieux. Le commissaire a du flair, c’est indéniable.

    Adamsberg a horreur des conversations prévisibles et des idées toutes faites. Dans sa vie privée, il n’a connu qu’une fois, huit ans plus tôt, « l’impossible, la brillance, le non-prévisible, la peau très douce, le mouvement perpétuel entre gravité et futilité » : sa « petite chérie » s’appelle Camille, il espère la revoir avant de mourir.

    Dès le début, le commissaire a pressenti qu’au milieu des cercles à la craie, un jour, au lieu de menus objets sans intérêt, il y aurait un cadavre, et sans doute plus qu’un. C’est cela qui l’occupe dans L’homme aux cercles bleus, où on fait connaissance avec sa façon singulière de chercher la vérité en prenant note des détails et en s’intéressant de près aux personnalités qui surgissent autour de l’homme aux cercles.

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    Dans L’homme à l’envers, l’enquête urbaine cède la place à une traque en montagne : dans le village de Saint-Victor où Camille vit avec Lawrence, un Canadien spécialiste des grizzlis venu observer les loups d’Europe, la colère gronde contre un grand loup qui égorge des brebis dans le Mercantour. Camille admire et aide à l’occasion – elle répare sa plomberie – une grande et grosse femme aux manières peu recherchées, Suzanne Rosselin, qui dirige « d’une main de fer » l’élevage des Ecarts. Sinon Camille compose de la musique.

    Suzanne vit avec Soliman, un jeune Africain qu’elle a adopté quand, « tout bébé », il a été déposé devant l’église du village avec un billet demandant qu’on s’occupe bien de lui. « Suzanne l’avait élevé comme un garçon du pays, mais éduqué en sous-main comme un roi d’Afrique, confusément convaincue que son petit était un prince bâtard écarté d’un puissant royaume ». Soliman a tout appris des moutons grâce au vieux Veilleux, le berger des Ecarts.

    Lawrence raconte à Camille que Suzanne, elle, ne croit pas vraiment au grand loup, mais soupçonne Massart, « le gars des abattoirs », d’être un loup-garou : il n’a pas de poils – « Il a les poils dedans parce que c’est un homme à l’envers. La nuit, il s’inverse, et sa peau velue apparaît. » Quand on retrouve Suzanne égorgée dans sa bergerie, tout le monde accuse à nouveau le grand loup. Camille et Lawrence ne comprennent pas, en principe le loup a peur de l’homme et de plus, Suzanne en imposait.

    On verra comment Camille, qui se lance presque malgré elle sur la piste du loup-garou, fera appel finalement à un flic spécial qu’elle connaît. Ça ne peut tomber mieux pour Adamsberg : il se cache pour échapper à une jeune femme qui tente de le tuer pour venger la mort de son frère.

    Les deux romans m’ont divertie, le second m’a captivée. Fred Vargas sait construire un suspense et y mêler un peu du mystère que sont les êtres humains les uns pour les autres. L’ambiance y compte autant que l’affaire à résoudre. Lisez-vous Vargas ? Probablement : je lis qu’elle est sixième dans le classement des dix auteurs les plus lus l’an dernier. Mazette !

  • Inexplicable

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    « Une demi-heure plus tard, tandis que les deux policiers quittaient la maison de Walton Street, Morse songea aux paroles du Dr Hans Gross, ancien professeur de criminologie à l’université de Prague. Il les connaissait par cœur : « Nul acte humain ne survient par pur hasard, sans le moindre lien avec d’autres actes. Nul n’est inexplicable. » Morse avait toujours partagé cette opinion. Pourtant, en sortant dans la rue silencieuse, il commençait à se demander si elle était toujours valable. » 

    Colin Dexter, Les silences du professeur