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  • 1924-2024, Imagine !

    Le 21 juillet, l’exposition Imagine ! 100 ans de surréalisme international fermera ses portes aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. Organisée pour le centième anniversaire du Manifeste d’André Breton, en collaboration avec le Centre Pompidou (exposition à Paris à partir du 4 septembre), elle ira ensuite à Madrid, à Hambourg et à Philadelphie.

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    A l’entrée de l’exposition, Chien aboyant à la lune, de Miro, voisine avec La mélancolie d’une belle journée, signée Giorgio De Chirico. Un grand bronze de Max Ernst, Capricorne trône devant la ligne du temps, qui débute ici dans les années 1880. En effet, Imagine ! « se concentre sur les liens, les similitudes, mais aussi les lignes de fracture, entre le surréalisme et un de ses précurseurs, le symbolisme. » (MRBAB) L’exposition regroupe des œuvres de différentes époques autour de dix thèmes (le labyrinthe, la nuit, la forêt...). En voici quelques bribes.

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    Fernand Khnopff, La Méduse endormie, [1896],
    pastel sur papier, Collection privée

    « La nuit » nous mène des Yeux clos d’Odilon Redon à L’Empire des lumières de Magritte (photo 1), devant une Impasse de Vogels, puis à la Méduse endormie (1896) de Khnopff. Cette juxtaposition d’univers si différents me laisse d’abord songeuse. Certaines œuvres se répondent. Ainsi, Extrême nuit de Léonor Fini (1977) reprend à Khnopff la Méduse aux superbes ailes repliées, mais ici l’œil ouvert de la Gorgone pétrifie la jeune fille qui lui fait face.

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    © Leonor Fini, Extrême nuit, 1977, huile sur toile, Paris, Galerie Minsky

    Dans l’œuvre de Max Ernst, l’oiseau est un leitmotiv. Son Armée céleste intrigue par les effets de matière. Dès 1925, Ernst a pratiqué le « frottage » et puis le « grattage » du pigment, directement sur la toile. On voit se multiplier sur cette peinture des têtes rondes d’oiseaux et des roues, dans des couleurs subtiles à la fresque.

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    © René Magritte, Les grands voyages, 1926, huile sur toile, Collection privée

    Parmi les Magritte de l’exposition, voici Les grands voyages (collection privée), au format panoramique inhabituel. Au-dessus des montagnes flottent une silhouette féminine (sans tête, aux jambes peintes de divers bâtiments) et une créature tentaculaire. Autre énigme, Le sentiment de vitesse de Dali : les ombres de deux cyprès s’étirent, la plus longue marque l’heure sur le cadran incrusté dans une chaussure. Le paysage surréaliste ouvre à l’imaginaire.

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    Picasso, L'acrobate bleu / Arp, "Mirr" / Magritte, Les idées de l'acrobate

    Picasso, Arp et Magritte : des formes « acrobatiques » se répondent. Je m’attarde devant Un tableau très heureux signé de l’Américaine Dorothea Tanning (qui exposait déjà avant d’épouser Max Ernst). Je n’avais jamais vu cette peinture qui « caricature le cliché du voyage de noces » (commentaire de l’exposition Surréalisme au féminin du musée de Montmartre où elle était exposée l’an dernier). Le tourbillon d’une grande toile blanche attire l’œil avant de laisser voir des éléments qu’elle relie « comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie » (Lautréamont).

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    © Dorothea Tanning, Un tableau très heureux (détail), 1947, huile sur toile, Paris, Centre Pompidou

    De gauche à droite : dans un espace voûté, des caisses, des malles sur lesquelles un personnage assis tient un parapluie noir ; un kiosque rond surmonté d’une horloge ; une silhouette bleue, une bouche souriante ; un nu, derrière un bouquet de roses rouges ; des volutes de fumée grise s’échappant de cheminées, sur un panneau peint posé au sol. Tanning peint l’énigme humaine, la magie de l’hallucination, les pouvoirs de l’œil, la folie et ses visions. Elle ne voulait pas être réduite à l’étiquette « surréaliste » : « But I have no label except artist. » (Fondation D. T.)

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    © Valentine Hugo, Le rêve du 21 décembre 1929, 1929,
    mine de plomb sur papier, Collection Mony Vibescu

    Dans « Rêves et cauchemars », un des thèmes de l’exposition, je découvre une autre œuvre également présentée à Montmartre : Le rêve du 21 décembre 1929, de Valentine Hugo, dans un cadre d’époque orné de deux dragons. Ce beau visage est déjà blessé par de terribles griffes, et la partie inférieure du rêve n’a rien de rassurant !

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    Francis Picabia, L'éclipse, vers 1922-1923, huile sur toile, Bruxelles, MRBAB

    En résumé, malgré l’accrochage thématique assez disparate, l’exposition offre  à découvrir. L’audioguide y est plus pratique que la transcription téléchargée sur un petit écran. Pour terminer, je vous montre encore L’éclipse de Picabia, seule œuvre de cet artiste dans les collections des MRBAB. Ce détournement de la Vierge au serpent n’est pas plus politiquement correct aujourd’hui qu’à l’époque ! L’étoile d’or qu’elle porte sur l’épaule l’intègre dans « Le cosmos », la dernière section d’Imagine !, près des Corps célestes de Tamayo et de Naissance d’une galaxie de Max Ernst.

  • L'album Rousseau

    Mariette Rousseau-Hannon (mycologue réputée, sœur de Théo Hannon, épouse d’Ernest Rousseau) était très proche de James Ensor. Elle fut sa « responsable logistique ». Elle l’approvisionnait en fournitures artistiques et servait d’intermédiaire entre l’artiste et les imprimeurs bruxellois.

    Ensor à Bxl (64) Souvenir de la forêt.jpg
    Page présentée à l'exposition James Ensor. Inspired by Brussels

    Sur cette page de l’album Rousseau présentée à l’exposition, on découvre le dessin par Ensor d’une amusante chasse à la mygale dans la forêt à l’aide d’un parapluie. Le texte en est peu lisible, mais en bas, à gauche, Ensor a noté « FIN » et, en post-scriptum, « ON VA ECRIRE ».

    Ensor Coeur caché.jpg
    Source : KBR

    La Bibliothèque royale (KBR) a lancé une récolte de fonds pour la restauration de cet album Rousseau, « véritable témoignage patrimonial de la correspondance intime » entre Ensor et la famille Rousseau. Il contient des œuvres réalisées à l’aquarelle, au crayon, au fusain, à la plume et à l’encre sur papier. En cliquant sur le lien, vous trouverez des explications sur cette souscription (qui prendra fin le 16 juin prochain).

  • Ensor & Bruxelles

    L’exposition James Ensor. Inspiré par Bruxelles vient de fermer ses portes à la Bibliothèque royale (KBR). En collaboration avec les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (MRBAB), la KBR y montrait le rôle joué par Bruxelles dans le développement de l’artiste ostendais (2024 est l’année Ensor à Ostende) en exposant des peintures et des œuvres graphiques dans un lieu magnifique où Ensor (1860-1949) est souvent venu, juste à côté : le palais de Charles de Lorraine.

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    James Ensor, Mon portrait, 1884, fusain, craie blanche sur papier, Bruxelles, MRBAB
    "Un autoportrait le montre jeune un doigt en l’air se désignant comme très ambitieux." (Guy Duplat)

    Le parcours commence dans la Bibliothèque royale avec des peintures de ses débuts : des paysages – Le phare d’Ostende, La lisière du bois –, un beau portrait de son père lisant, un autoportrait de 1884 (ci-dessus). La Maison Ensor à Ostende expose actuellement ses autoportraits. Un extrait d’une lettre de mars 1887 envoyée d’Ostende à des amis bruxellois témoigne de son attachement pour Bruxelles :

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    James Ensor, Le phare d'Ostende, 1885, huile sur toile, Bruxelles, MRBAB

    « Le paysage grand, nu et déplumé des environs d’Ostende aurait largement contenté mon imagination mélancolique et sensible et m’eut permis d’y trouver facilement mille caractères chimériques et fantastiques  formant le fond sans forme de mes idées présentes, si je ne vous avais regrettés vivement ; plus je m’éloignais plus mes regrets augmentaient et aujourd’hui ils sont tout à fait vifs et profonds. » En cette année-là, il peint le magnifique Carnaval sur la plage.

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    On accède ensuite à une rotonde, à l’entrée du Palais de Charles de Lorraine : au centre, sur un plan de Bruxelles, on a indiqué les différents endroits fréquentés par James Ensor, comme le 12, rue Saint Jean, où il avait son « kot » durant ses études (1877-1880) ; le Comptoir des arts (magasin de fournitures) rue de la Violette, 28 ; place du Musée, 1, le Musée d’art moderne et le Cabinet des Estampes dans l’ancien palais de Charles de Lorraine, le « point de chute des XX et l’endroit où Ensor revendiquera à jamais sa place dans le monde de l’art ».

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    Au pied du grand escalier avec sa rampe en fer forgé ornée de panneaux en bronze doré se dresse une grande statue d’Hercule en marbre blanc. Il faut monter pour accéder aux  anciens appartements du prince Charles du côté de la place du Musée, restaurés en 1976-1978. Le décor de ces salles donne un aperçu de leur richesse d’antan – l’intérieur est décrit dans l’Inventaire du patrimoine architectural.

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    James Ensor, Buste d'Homère, 1878, fusain et craie sur papier, collection privée
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    Détail des 28 marbres en étoile

    C’est là qu’on découvre les liens de James Ensor avec Bruxelles. D’abord, dans une magnifique salle circulaire (ci-dessus) au « dallage en marbre noir et blanc datant du XIXe siècle, avec motif central en étoile à 28 rayons taillés chacun dans un type de marbre belge différent gravé de son nom, placé en 1766 » (IPA), on a placé près de grands dessins réalisés par Ensor à l’Académie royale des Beaux-Arts leur modèle en plâtre, comme ce buste d’Homère.

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    James Ensor, L'intérieur des Rousseau, vers 1884, huile sur toile, Bruxelles, collection privée

    Pendant ses études, Ensor y a fait la connaissance du peintre Théo Hannon, qui lui a présenté sa sœur Mariette (biologiste) et son beau-frère, Ernest Rousseau (professeur de physique à l’ULB). C’est le début d’une belle amitié. Dans leur maison d’Ixelles, il se sent comme chez lui, ils lui achèteront plusieurs œuvres.

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    James Ensor, Le Lampiste, 1880, huile sur toile, Bruxelles, MRBAB

    Inspiré par les artistes réalistes, Ensor s’éloigne des sujets académiques (Le Chou). Il peint un personnage ordinaire, Le Lampiste, un garçon de la classe ouvrière qui entretient des lampes. Dans la même pièce, on peut voir Gamin assis, un fusain sur papier. A côté des peintures, dont la plupart viennent des MRBAB, des gravures moins connues illustrent tantôt des lieux bruxellois, tantôt des scènes fantaisistes ou satiriques.

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    Au fond, Le Chou et Chinoiseries, deux œuvres peintes en 1880 (à vingt ans).
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    James Ensor, Chinoiseries aux éventails, 1880, huile sur toile, Bruxelles, MRBAB

    En 1883, Ensor signait le document fondateur des XX, collectif de vingt artistes d’avant-garde en rébellion contre l’académisme. Ils organisaient leur propre salon annuel, qui, à partir de 1887, se tenait ici, dans l’ancien palais de Charles de Lorraine. Une affiche, la couverture d’un catalogue, une page où Ensor énumère ses peintures et dessins, rappellent cette époque. Les Vingtistes sont tous présentés sur un panneau mural, leur lien avec Ensor est chaque fois précisé.

    james ensor,inspired by brussels,exposition,kbr,mrbab,palais de charles de lorraine,bruxelles,peinture,dessin,gravure,cultureJames Ensor, Les masques singuliers, 1892, huile sur toile,
    Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles / photo : Vincent Everarts

    A cette époque, ses œuvres sont « perçues comme grotesques, criardes et choquantes ». Mais Ensor se réjouit dans une lettre aux Rousseau de sa première vente au Cabinet des Estampes en 1892. Il se moque de la politique du roi Léopold II et des dirigeants, il proteste quand le groupe se dissout en 1893. Lors d’une visite d’exposition, le roi lui avait demandé ce que représentaient ses tableaux : « Ce ne sont pas des tableaux, Sire, répondit ingénument l’artiste, ce sont des symphonies ! »

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    Page d'un catalogue des XX

    Très intéressante, très bien présentée dans ces superbes salles du Palais de Charles de Lorraine, l’exposition m’a éclairée sur cette période bruxelloise de la vie d’Ensor dont je ne savais pas grand-chose. Le parcours se terminait à la KBR avec quelques œuvres (vous en verrez d’autres en cliquant sur des billets précédents), dont une gravure et une grande reproduction de la célèbre Entrée du Christ à Bruxelles en 1889 – œuvre monumentale qui ne quitte plus le musée Getty (Los Angeles).

  • En regardant la vie

    Folon L'inutile beauté.jpg« Je crois que je suis quelqu’un qui dessine ce qu’il essaie de comprendre en regardant la vie. »

    « Je ne pense pas que mes dessins pourraient changer quelque chose. Je ne pense pas que le but du dessin soit de servir une idéologie ni même de servir à quoi que ce soit.
    Un dessin ne sert à rien ; c’est comme un arbre ou une fleur, ça ne sert à rien. Mais sans les arbres et sans les fleurs, nous serions tous morts. »

    Jean-Michel Folon

    © Folon, gravure du portfolio de L'inutile beauté, d'après G. de Maupassant, 1980

     

    Folon insolite, Maison Autrique, Schaerbeek > 29.09.2024

  • Pouvoir d'évocation

    Dufy Catalogue bis.jpg« Il transpose dans son coloris de charmeur tous les thèmes qu’il choisit : régates, salles de concert, nus à l’atelier.  […] Ses teintes sont libres au point qu’elles ne se laissent pas enfermer par les limites des objets. Et ces limites elles-mêmes n’ont rien de figé : un trait des plus elliptiques les suggère. Pourtant nous avons affaire non à une manière désinvolte, superficielle, mais à un art qui se recommande par sa justesse et son pouvoir d’évocation. »

    « Dufy » in Dictionnaire de la peinture moderne, Hazan, 1980