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art - Page 51

  • Pourquoi moi ?

    « – Pourquoi moi ?
    – Parce que vous êtes complètement inconnu, expliqua le colonel Massinger. Genève ressemble à un cloaque d’espions, d’informateurs, d’agents, et autres émissaires. Buzz, buzz, buzz. Tout Anglais, quelle que soit son histoire, est enregistré dans les minutes qui suivent son arrivée. Noté, étudié, examiné et, tôt ou tard, exposé.
    – Je suis anglais 
    », rétorqua en toute logique Lysander, s’efforçant de garder un visage impassible. « Il est donc évident que cela se produira aussi pour moi. 
    – Non, déclara le colonel avec un léger sourire qui découvrit ses dents jaunies. Parce que vous aurez cessé d’exister. 
    – En fait, j’aimerais bien une tasse de thé, après tout. »

    William Boyd, L’attente de l’aube

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  • Acteur et espion

    Excellent cru dans l’œuvre de William Boyd, L’attente de l’aube (Waiting for Sunrise, 2012, traduit de l’anglais par Christiane Besse) raconte les aventures de Lysander Rief, acteur et espion malgré lui, entre Vienne, Genève et Londres, de 1913 à 1915. 

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    A Vienne, en août 1913, un jeune dandy se rend à son premier rendez-vous chez le Dr Bensimon. Dans la salle d’attente, il se laisse persuader par une jeune femme elle aussi « à l’évidence anglaise malgré son teint exotique », de la laisser passer en premier, « une urgence ». Quand la porte du cabinet s’ouvre, un homme grand et mince en sort et Miss Bull, s’y précipite en pleurnichant. « Elle m’a l’air un peu dangereuse », dit le lieutenant Alwyn Munro après s’être présenté.

    Rief consulte pour un problème d’ordre sexuel. Fiancé à une grande et belle actrice, il n’ose fixer la date de leur mariage à cause de ses ennuis. Bensimon lui conseille en premier lieu de noter ses rêves, ses pensées furtives, « tout et rien ». Au magasin de fournitures qu’il lui a recommandé, Lysander choisit un carnet à son goût juste avant de se retrouver en face de la petite Miss Bull, à présent souriante – sculpteur, pas sculptrice, insiste-t-elle. Elle vit à Vienne avec le peintre Udo Hoff et lui demande son adresse pour l’inviter à l’une de leurs soirées. 

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    Dans ses « Investigations autobiographiques », Lysander Rief note le trouble né de cette rencontre. A Vienne, il préfère éviter les contacts et en particulier avec l’un des « êtres blessés, imparfaits, déséquilibrés, déréglés, malades » qui vont chez le Dr Bensimon. A la pension de Frau K, il prend des leçons d’allemand chez un vieux professeur de musique. Un lieutenant qui loge là aussi lui signale qu’il peut coucher avec la servante pour vingt couronnes. Si leur logeuse, qui classe tout en « bien » ou « agréable », représente la Vienne de surface, polie avant tout, en dessous « le fleuve coule, sombre et puissant – Quel fleuve ? – Le fleuve du sexe. » 

    Tôt ou tard, quand il rencontre quelqu’un, Lysander est amené à reconnaître qu’il est le fils de Halifax Rief, acteur connu, mort quand il avait treize ans. Sa mère, Lady Anna Faulkner, 49 ans, s’est remariée. Mais c’est un épisode de 1900 qui hante Lysander, un jour d’été où, surpris par sa mère – à quatorze ans, il s’était endormi à moitié déshabillé dans un bois après s’être masturbé – il se tire d’embarras en accusant le fils du jardinier, renvoyé sur le champ. Bensimon, disciple de Freud, se targue de pouvoir guérir Lysander grâce au « parallélisme »,  une sorte de réinvention imaginaire de l’épisode traumatisant, sujet de son « opus magnum » : « Nos vies parallèles, une introduction ».

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    Paul-Gustave Doré, Andromède

    Entretemps, au vernissage d’Udo Hoff,  Lysander reconnaît l’affiche originale de « Andromeda und Perseus », un opéra de Toller, l’image provocante qu’il a vue partout déchirée dans Vienne : « une femme pratiquement nue, les mains pressées sur les seins » menacée par un dragon à la langue fourchue de serpent tendue en direction de ses parties intimes. Impossible à présent de ne pas y reconnaître Andromède, Miss Bull en personne. Celle-ci voudrait le sculpter, trouve son visage « des plus intéressants ». Lundi, 16 heures, à son atelier ? Il accepte.

    Dans l’atelier aménagé dans une vieille grange, loin de la maison où elle vit avec Udo, Hettie lui sert un verre de madère avant de passer aux choses sérieuses, une fois qu’il se sera déshabillé – elle ne sculpte pas le corps vêtu. Décontenancé, ne voulant pas paraître collet monté aux yeux de cette « gamine » artiste, Lysander se soumet, s’efforce de paraître détendu en songeant à un monde parallèle. Miss Bull lui montrera son dessin, une étude très détaillée de ses organes génitaux, juste avant de l’entraîner au lit. Il surprend Bensimon, à la séance suivante, en lui apprenant que tout a parfaitement « fonctionné » avec cette femme pas du tout son genre ! Et le voilà engagé dans une liaison, à l’insu du peintre jaloux, et même après avoir découvert que le disciple de Freud fournit de la cocaïne à « l’effrontée ».

    Le destin de Lysander bascule quelques mois plus tard, quand la police viennoise vient l’arrêter : il est accusé de viol par Hettie Bull, enceinte de quatre mois, c’est le peintre qui a porté plainte contre lui. Ridicule, pense Lysander, convaincu de pouvoir démontrer l’existence d’une liaison consentie, lieux de rendez-vous, billets et lettres à l’appui, mais la police ne transige pas jusqu’à ce que Munro, venu lui rendre visite en prison, l’informe que l’accusation a été modifiée en « attentat à la pudeur », ce qui autorise le versement d’une caution par l’ambassade anglaise où il sera confiné jusqu’à son procès.

    S’ensuivra l’évasion rocambolesque qui ramène Lysander à Londres. Il y reçoit une facture énorme du Ministère de la Guerre qui lui sera rappelée quelque temps plus tard : Munro vient l’arracher au régiment d’infanterie où il s’est engagé. On a besoin de lui et de ses talents d’acteur connaissant l’allemand pour résoudre une affaire de courrier codé. 

    Lisez L’attente de l’aube pour découvrir les tenants et les aboutissants de ces complexes affaires de cœur, de sexe et de haute trahison : un suspense de plus de quatre cents pages en format de poche où William Boyd déploie tout son talent de romancier – parfait pour les vacances.

  • Tout Max Jacob

    1824 pages, 203 documents, tout Max Jacob en Quarto : Oeuvres. Je ne m’attendais pas à trouver cette brique de papier à la bibliothèque, je l’ai emportée chez moi avec curiosité. Cette édition de 2012 « établie, présentée et annotée par Antonio Rodriguez » s’ouvre sur une belle photo noir et blanc d’André Rogi, « Portrait de Max Jacob méditant » (1937) : de profil, à sa table de travail, souriant, la main gauche soutenant le front, la droite tenant un livre ouvert sur ses feuilles, sa plume posée sur le papier. 

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    En couverture : Marie Laurencin, Portrait de Max Jacob, 1907. 

    Allais-je tout lire ? Non, pas tout, pas d’un coup. Mais faire mon miel çà et là, et d’abord, de la préface de Guy Goffette, « Portrait de Max en accordéon », trois volets qui commencent ainsi : 

    « I. La première image, c’est un petit homme frêle,
    mais qui ne tient pas en place une fois qu’on l’appelle…

    II. C’est un petit homme gris, mais il a des yeux d’opéra,
    des yeux de femme, des yeux de velours noirs avec comme une aura…

    III. C’est un petit homme grave, mais qui pleut en courant comme une averse d’été
    quand la terre a soif et que l’âme penche du mauvais côté… »

    Un auteur « touchant, déroutant », un projet esthétique, poétique et narratif dont la puissance et la cohérence n’ont cessé de fasciner les peintres et les écrivains de la première moitié du XXe siècle, annonce Rodriguez. Max Jacob est déjà l’ami de Picasso – rappelez-vous Bohèmes de Dan Franck – quand il est bouleversé, à 33 ans, par une apparition mystique – « christique » – sur un mur de sa chambre, un des signes qui le mèneront, lui qui est juif, à se convertir au catholicisme. 

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    Max Jacob par Picasso, 1907. 

    « Max Jacob est aujourd’hui un classique du modernisme. » (Rodriguez) Sa vie et son œuvre (1876-1944) sont très bien présentées, la chronologie richement illustrée de photographies, autoportraits, manuscrits où dessin et texte se côtoient, citations, couvertures anciennes... La dernière photo de Max Jacob a été prise (par/avec Marcel Béalu) le 20 février 1944, quatre jours avant son arrestation à son domicile par la police allemande. Ensuite ce sera Drancy où il décèdera, deux jours avant la date prévue pour sa déportation vers Auschwitz.

    Histoire du roi Kaboul Ier et du marmiton Gauwain (1904), première œuvre publiée, est un conte drôle et féroce où le jeune François Gauwain, fils d’un maréchal-ferrant, arrive à se faire engager comme cuisinier au service du roi. Son rêve : épouser la plus jeune fille du souverain – il y arrivera, bien sûr. 

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    Max Jacob par Picasso en 1915.
    Picasso déclara avoir voulu voir
    « s’il pouvait encore dessiner comme tout le monde » 

    Je me suis surtout intéressée aux textes de Max Jacob sur l’art et sur l’écriture, comme cette Lettre à un éditeur (1907) pour accompagner un envoi de poèmes. Il y précise ses principes : « Un artiste doit considérer deux objets : la création ou réunion de forces constituant un noyau nouveau dans l’univers ; et l’émotion esthétique qui doit résulter de la création. L’émotion esthétique est une joie. » Il revient sur le conseil donné aux artistes d’étonner : « Les vieux psychologues disaient avec raison, selon moi, que le plaisir est dans le mouvement, il faut balloter le spectateur ; l’émotion esthétique, c’est le doute. »

    Après vient le cycle Matorel : Saint Matorel, roman publié chez Kahnweiler, galeriste et éditeur de livres d’artiste, est suivi des Œuvres burlesques et mystiques de frère Matorel mort au couvent. Y sont reprises les belles gravures sur bois d’André Derain qui contribuent au plaisir de la lecture. L’ensemble sera dédié plus tard à Picasso : « pour ce que je sais qu’il sait / pour ce qu’il sait que je sais. » 

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    Picasso et Max Jacob devant La Rotonde, photo Jean Cocteau, 1916.

    « Brouillard, étoile d’araignée. » Le cornet à dés, l’ouvrage le plus connu de Max Jacob, un chef-d’œuvre dans l’histoire du poème en prose, offre des images éblouissantes. « Dans la nuit d’encre, la moitié de l’Exposition universelle de 1900, illuminée de diamants, recule de la Seine et se renverse d’un seul bloc parce qu’une tête folle de poète au ciel de l’école mord une étoile de diamants. » (Un peu de modernisme en manière de conclusion)

    « Le nuage est la poste entre les continents » est le premier vers du poème A M. Modigliani pour lui prouver que je suis un poète (Le laboratoire central). En 1922 paraît Art poétique, un ensemble de maximes dont l’édition originale se présentait au format de poche : « Le bleu de la couverture annonce bien ce livre « céleste » et qui, par chance, entre dans ma poche, dite « de revolver » – Je ne le quitte plus. Il me défendra plus qu’une arme » écrit Jean Cocteau à Max Jacob.

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    Max Jacob par Cocteau (1961)

    Les amitiés sont fortes dans la vie du poète : Picasso, Apollinaire, Modigliani, Cocteau… En revanche, cet homosexuel discret ne masque pas sa misogynie, ses rares jugements sur les femmes sont imbuvables. L’édition Quarto permet de se faire une idée plus complète de cet artiste inclassable. Saviez-vous qu’il avait écrit des Conseils à un jeune poète ? des Conseils à un étudiant ? C’est dans ces derniers que j’ai repris ceci, pour terminer : « Courteline disait à Jules Renard : « Ne vous amertumisez pas. » Ah ! quelle profonde parole ! Pas d’amertume ! Qualité rare. Rester un enfant, un enfant prudent, intelligent, profond, sensible. Pas d’amertume, jamais de votre vie. Pourquoi seriez-vous amer ? Dieu est avec vous. »

  • Dans le jardin

    « Dans le jardin, de temps à autre, Enjo voyait passer l’homme aux tempes grises, une bêche sur l’épaule ou un éventail à la main. Elle ne lui avait encore jamais adressé la parole et celui-ci semblait l’éviter, arborant un sourire contrit lorsque leurs itinéraires malgré tout se croisaient. Son livre tombé sur les genoux, délaissant les dragons et les princes, c’est d’une attention soutenue qu’elle l’observait alors qu’il taillait un arbre avec une application d’orfèvre, ou agençait des pierres comme s’il s’agissait d’ossements d’un dinosaurien. Il y avait dans ses gestes toute l’étrangeté de la constance. »

    Hubert Haddad, Le peintre d’éventail 

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    Maison de thé dans le jardin aux azalées 
    Yoshida Hiroshi, 1876–1950 © Museum of Fine Arts Boston

     




  • Le peintre jardinier

    Retour au Japon avec le dernier roman de Hubert Haddad, Le peintre d’éventail. Celui qui ouvre et ferme le récit, Xu Hi-Han, né de parents chinois (Taïwan), avait quinze ans quand il a rencontré Matabei Reien et fréquenté son atelier à Atôra. Ce peintre d’éventail inconnu avait choisi de finir sa vie là, « entre montagne et Pacifique », parmi les grands arbres. 

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    "Fin novembre au parc Hibiya" © Tokyo-Paris allers-retours, le blog de sylvie b 

    Hi-Han, à dix-huit ans, est parti étudier à Tokyo et c’est en reconnaissant le vieil homme en piteux état, sur une photo de magazine, qu’il décide, plein de repentir, d’aller le retrouver. Il recueillera ses dernières paroles : « Ecoute le vent qui souffle. On peut passer sa vie à l’entendre en ignorant tout des mouvements de l’air. Mon histoire fut comme le vent, à peu près aussi incompréhensible aux autres qu’à moi-même. »

    Vivre d’espérance jusqu’à l’heure du chaos, voilà comment Matabei résume sa vie : « L’histoire vraie de Matabei Reien – celle qui concerne les amateurs de haïkus et de jardins – commence vraiment ce jour d’automne pourpre où dame Hison l’accueillit dans son gîte. » Quand il s’est installé dans la pension « en bas de la première montagne », c’était au départ pour quelques jours, « histoire de changer d’air ». Les arbres, le lac Duji, la forêt de bambous géants, « cette lumière cendrée », voilà ce qui l’y a retenu, et les chants d’oiseaux si variés.

    La plupart des pensionnaires, célibataires comme lui, sont heureux de s’éloigner du bourg et de découvrir derrière l’auberge « le plus beau jardin qui fût ». Il faut presque un an à Matabei pour remarquer la présence du peintre jardinier – « maître Osaki avait atteint un rare degré d’invisibilité » – et sa baraque à l’ombre d’un grand châtaigner, au fond du jardin. Leur hôtesse, une « belle femme mûre », est une ancienne courtisane d’un commerce agréable.

    C’est en se promenant que Matabei, du haut d’une élévation, retrouve devant une vue splendide le goût de dessiner. Après la disparition de sa famille dans un bombardement qui l’a laissé orphelin, « il s’était peu à peu reconstruit à Kobe, dans le quartier européen » où après des études avortées et divers emplois, il avait connu le succès comme peintre abstrait et designer. Un jour, il percute en voiture une jeune femme qui a fait irruption à la sortie d’une voie souterraine dans la banlieue de Kobe – un regard étonné, un sourire, puis le choc –, l’étudiante meurt le soir même aux urgences. Et quelques jours plus tard, c’est le grand séisme de 1995, que Matabei vit comme « une réplique » de ce drame.

    A la pension, sa chambre donne de plain-pied sur le jardin et un soir, il aperçoit dans sa baraque éclairée le jardinier en train de peindre : « Osaki Tanako élaborait des éventails de papier et de soie aux trois couleurs d’encre. » Celui qui a transformé la friche de dame Hison en jardin d’agrément offre le thé à Matabei, ils font connaissance. Mais Matabei ne confie à personne ce qui a mis fin à sa vie antérieure, la mort d’une jeune fille inconnue, plus encore que le tremblement de terre dévastateur.

    Les saisons se succèdent à Atôra, il y jouit du jardin – « Le temps s’écoulait uniformément, fleuve sans source ni estuaire. » Le vieux jardinier finit par lui proposer de l’aider un peu, il est depuis le début au service de dame Hison, comme la vieille cuisinière, fatiguée elle aussi. Osaki et Matabei parlent de l’art des éventails, du jardin, du vent.

    Sur un éventail que le jardinier lui offre, où il a peint un paysage « d’une sublime harmonie », figurent ces trois vers :

    « Chant des mille automnes
    le monde est une blessure
    qu’un seul matin soigne »
    .

    L’art du haïku est au cœur de ce roman ; l’auteur a d’ailleurs publié à part Les haïkus du peintre d’éventail (composés pendant l’écriture du roman). Quand il fait le bilan de sa vie, Matabei que personne n’attend nulle part s’interroge : « Peindre un éventail, n’était-ce pas ramener sagement l’art à du vent ? »

    Atôra ou la quête d’une sagesse nouvelle, voilà ce que conte Hubert Haddad dans Le peintre d’éventail. Une quête née d’une souffrance, d’une absence, nourrie de belles rencontres dans ce « havre d’oubli » : Osaki, dame Hison qui lui permet de partager sa couche de temps à autre, un moine aveugle, puis ce jeune garçon engagé pour aider au jardin et à la cuisine, Hi-Han. Et enfin, Enjo, une étudiante recueillie par l’aubergiste, d’une beauté troublante.

    « Le manuel du parfait jardin de maître Osaki se nichait donc, dessins et poèmes, dans les pliures de ses trois lots d’éventails. » Au fil du récit, une harmonie se dessine, mais aux deux tiers du roman, tout est balayé. Hubert Haddad, né à Tunis en 1947, en France depuis 1950, fasciné depuis toujours par le Japon, nous entraîne avec Le peintre d’éventail (prix Louis-Guilloux 2013) au pays du raffinement, et de la catastrophe. Poétique. Bouleversant.