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art - Page 51

  • Tout Max Jacob

    1824 pages, 203 documents, tout Max Jacob en Quarto : Oeuvres. Je ne m’attendais pas à trouver cette brique de papier à la bibliothèque, je l’ai emportée chez moi avec curiosité. Cette édition de 2012 « établie, présentée et annotée par Antonio Rodriguez » s’ouvre sur une belle photo noir et blanc d’André Rogi, « Portrait de Max Jacob méditant » (1937) : de profil, à sa table de travail, souriant, la main gauche soutenant le front, la droite tenant un livre ouvert sur ses feuilles, sa plume posée sur le papier. 

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    En couverture : Marie Laurencin, Portrait de Max Jacob, 1907. 

    Allais-je tout lire ? Non, pas tout, pas d’un coup. Mais faire mon miel çà et là, et d’abord, de la préface de Guy Goffette, « Portrait de Max en accordéon », trois volets qui commencent ainsi : 

    « I. La première image, c’est un petit homme frêle,
    mais qui ne tient pas en place une fois qu’on l’appelle…

    II. C’est un petit homme gris, mais il a des yeux d’opéra,
    des yeux de femme, des yeux de velours noirs avec comme une aura…

    III. C’est un petit homme grave, mais qui pleut en courant comme une averse d’été
    quand la terre a soif et que l’âme penche du mauvais côté… »

    Un auteur « touchant, déroutant », un projet esthétique, poétique et narratif dont la puissance et la cohérence n’ont cessé de fasciner les peintres et les écrivains de la première moitié du XXe siècle, annonce Rodriguez. Max Jacob est déjà l’ami de Picasso – rappelez-vous Bohèmes de Dan Franck – quand il est bouleversé, à 33 ans, par une apparition mystique – « christique » – sur un mur de sa chambre, un des signes qui le mèneront, lui qui est juif, à se convertir au catholicisme. 

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    Max Jacob par Picasso, 1907. 

    « Max Jacob est aujourd’hui un classique du modernisme. » (Rodriguez) Sa vie et son œuvre (1876-1944) sont très bien présentées, la chronologie richement illustrée de photographies, autoportraits, manuscrits où dessin et texte se côtoient, citations, couvertures anciennes... La dernière photo de Max Jacob a été prise (par/avec Marcel Béalu) le 20 février 1944, quatre jours avant son arrestation à son domicile par la police allemande. Ensuite ce sera Drancy où il décèdera, deux jours avant la date prévue pour sa déportation vers Auschwitz.

    Histoire du roi Kaboul Ier et du marmiton Gauwain (1904), première œuvre publiée, est un conte drôle et féroce où le jeune François Gauwain, fils d’un maréchal-ferrant, arrive à se faire engager comme cuisinier au service du roi. Son rêve : épouser la plus jeune fille du souverain – il y arrivera, bien sûr. 

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    Max Jacob par Picasso en 1915.
    Picasso déclara avoir voulu voir
    « s’il pouvait encore dessiner comme tout le monde » 

    Je me suis surtout intéressée aux textes de Max Jacob sur l’art et sur l’écriture, comme cette Lettre à un éditeur (1907) pour accompagner un envoi de poèmes. Il y précise ses principes : « Un artiste doit considérer deux objets : la création ou réunion de forces constituant un noyau nouveau dans l’univers ; et l’émotion esthétique qui doit résulter de la création. L’émotion esthétique est une joie. » Il revient sur le conseil donné aux artistes d’étonner : « Les vieux psychologues disaient avec raison, selon moi, que le plaisir est dans le mouvement, il faut balloter le spectateur ; l’émotion esthétique, c’est le doute. »

    Après vient le cycle Matorel : Saint Matorel, roman publié chez Kahnweiler, galeriste et éditeur de livres d’artiste, est suivi des Œuvres burlesques et mystiques de frère Matorel mort au couvent. Y sont reprises les belles gravures sur bois d’André Derain qui contribuent au plaisir de la lecture. L’ensemble sera dédié plus tard à Picasso : « pour ce que je sais qu’il sait / pour ce qu’il sait que je sais. » 

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    Picasso et Max Jacob devant La Rotonde, photo Jean Cocteau, 1916.

    « Brouillard, étoile d’araignée. » Le cornet à dés, l’ouvrage le plus connu de Max Jacob, un chef-d’œuvre dans l’histoire du poème en prose, offre des images éblouissantes. « Dans la nuit d’encre, la moitié de l’Exposition universelle de 1900, illuminée de diamants, recule de la Seine et se renverse d’un seul bloc parce qu’une tête folle de poète au ciel de l’école mord une étoile de diamants. » (Un peu de modernisme en manière de conclusion)

    « Le nuage est la poste entre les continents » est le premier vers du poème A M. Modigliani pour lui prouver que je suis un poète (Le laboratoire central). En 1922 paraît Art poétique, un ensemble de maximes dont l’édition originale se présentait au format de poche : « Le bleu de la couverture annonce bien ce livre « céleste » et qui, par chance, entre dans ma poche, dite « de revolver » – Je ne le quitte plus. Il me défendra plus qu’une arme » écrit Jean Cocteau à Max Jacob.

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    Max Jacob par Cocteau (1961)

    Les amitiés sont fortes dans la vie du poète : Picasso, Apollinaire, Modigliani, Cocteau… En revanche, cet homosexuel discret ne masque pas sa misogynie, ses rares jugements sur les femmes sont imbuvables. L’édition Quarto permet de se faire une idée plus complète de cet artiste inclassable. Saviez-vous qu’il avait écrit des Conseils à un jeune poète ? des Conseils à un étudiant ? C’est dans ces derniers que j’ai repris ceci, pour terminer : « Courteline disait à Jules Renard : « Ne vous amertumisez pas. » Ah ! quelle profonde parole ! Pas d’amertume ! Qualité rare. Rester un enfant, un enfant prudent, intelligent, profond, sensible. Pas d’amertume, jamais de votre vie. Pourquoi seriez-vous amer ? Dieu est avec vous. »

  • Dans le jardin

    « Dans le jardin, de temps à autre, Enjo voyait passer l’homme aux tempes grises, une bêche sur l’épaule ou un éventail à la main. Elle ne lui avait encore jamais adressé la parole et celui-ci semblait l’éviter, arborant un sourire contrit lorsque leurs itinéraires malgré tout se croisaient. Son livre tombé sur les genoux, délaissant les dragons et les princes, c’est d’une attention soutenue qu’elle l’observait alors qu’il taillait un arbre avec une application d’orfèvre, ou agençait des pierres comme s’il s’agissait d’ossements d’un dinosaurien. Il y avait dans ses gestes toute l’étrangeté de la constance. »

    Hubert Haddad, Le peintre d’éventail 

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    Maison de thé dans le jardin aux azalées 
    Yoshida Hiroshi, 1876–1950 © Museum of Fine Arts Boston

     




  • Le peintre jardinier

    Retour au Japon avec le dernier roman de Hubert Haddad, Le peintre d’éventail. Celui qui ouvre et ferme le récit, Xu Hi-Han, né de parents chinois (Taïwan), avait quinze ans quand il a rencontré Matabei Reien et fréquenté son atelier à Atôra. Ce peintre d’éventail inconnu avait choisi de finir sa vie là, « entre montagne et Pacifique », parmi les grands arbres. 

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    "Fin novembre au parc Hibiya" © Tokyo-Paris allers-retours, le blog de sylvie b 

    Hi-Han, à dix-huit ans, est parti étudier à Tokyo et c’est en reconnaissant le vieil homme en piteux état, sur une photo de magazine, qu’il décide, plein de repentir, d’aller le retrouver. Il recueillera ses dernières paroles : « Ecoute le vent qui souffle. On peut passer sa vie à l’entendre en ignorant tout des mouvements de l’air. Mon histoire fut comme le vent, à peu près aussi incompréhensible aux autres qu’à moi-même. »

    Vivre d’espérance jusqu’à l’heure du chaos, voilà comment Matabei résume sa vie : « L’histoire vraie de Matabei Reien – celle qui concerne les amateurs de haïkus et de jardins – commence vraiment ce jour d’automne pourpre où dame Hison l’accueillit dans son gîte. » Quand il s’est installé dans la pension « en bas de la première montagne », c’était au départ pour quelques jours, « histoire de changer d’air ». Les arbres, le lac Duji, la forêt de bambous géants, « cette lumière cendrée », voilà ce qui l’y a retenu, et les chants d’oiseaux si variés.

    La plupart des pensionnaires, célibataires comme lui, sont heureux de s’éloigner du bourg et de découvrir derrière l’auberge « le plus beau jardin qui fût ». Il faut presque un an à Matabei pour remarquer la présence du peintre jardinier – « maître Osaki avait atteint un rare degré d’invisibilité » – et sa baraque à l’ombre d’un grand châtaigner, au fond du jardin. Leur hôtesse, une « belle femme mûre », est une ancienne courtisane d’un commerce agréable.

    C’est en se promenant que Matabei, du haut d’une élévation, retrouve devant une vue splendide le goût de dessiner. Après la disparition de sa famille dans un bombardement qui l’a laissé orphelin, « il s’était peu à peu reconstruit à Kobe, dans le quartier européen » où après des études avortées et divers emplois, il avait connu le succès comme peintre abstrait et designer. Un jour, il percute en voiture une jeune femme qui a fait irruption à la sortie d’une voie souterraine dans la banlieue de Kobe – un regard étonné, un sourire, puis le choc –, l’étudiante meurt le soir même aux urgences. Et quelques jours plus tard, c’est le grand séisme de 1995, que Matabei vit comme « une réplique » de ce drame.

    A la pension, sa chambre donne de plain-pied sur le jardin et un soir, il aperçoit dans sa baraque éclairée le jardinier en train de peindre : « Osaki Tanako élaborait des éventails de papier et de soie aux trois couleurs d’encre. » Celui qui a transformé la friche de dame Hison en jardin d’agrément offre le thé à Matabei, ils font connaissance. Mais Matabei ne confie à personne ce qui a mis fin à sa vie antérieure, la mort d’une jeune fille inconnue, plus encore que le tremblement de terre dévastateur.

    Les saisons se succèdent à Atôra, il y jouit du jardin – « Le temps s’écoulait uniformément, fleuve sans source ni estuaire. » Le vieux jardinier finit par lui proposer de l’aider un peu, il est depuis le début au service de dame Hison, comme la vieille cuisinière, fatiguée elle aussi. Osaki et Matabei parlent de l’art des éventails, du jardin, du vent.

    Sur un éventail que le jardinier lui offre, où il a peint un paysage « d’une sublime harmonie », figurent ces trois vers :

    « Chant des mille automnes
    le monde est une blessure
    qu’un seul matin soigne »
    .

    L’art du haïku est au cœur de ce roman ; l’auteur a d’ailleurs publié à part Les haïkus du peintre d’éventail (composés pendant l’écriture du roman). Quand il fait le bilan de sa vie, Matabei que personne n’attend nulle part s’interroge : « Peindre un éventail, n’était-ce pas ramener sagement l’art à du vent ? »

    Atôra ou la quête d’une sagesse nouvelle, voilà ce que conte Hubert Haddad dans Le peintre d’éventail. Une quête née d’une souffrance, d’une absence, nourrie de belles rencontres dans ce « havre d’oubli » : Osaki, dame Hison qui lui permet de partager sa couche de temps à autre, un moine aveugle, puis ce jeune garçon engagé pour aider au jardin et à la cuisine, Hi-Han. Et enfin, Enjo, une étudiante recueillie par l’aubergiste, d’une beauté troublante.

    « Le manuel du parfait jardin de maître Osaki se nichait donc, dessins et poèmes, dans les pliures de ses trois lots d’éventails. » Au fil du récit, une harmonie se dessine, mais aux deux tiers du roman, tout est balayé. Hubert Haddad, né à Tunis en 1947, en France depuis 1950, fasciné depuis toujours par le Japon, nous entraîne avec Le peintre d’éventail (prix Louis-Guilloux 2013) au pays du raffinement, et de la catastrophe. Poétique. Bouleversant.

  • Cerveaux

    « Dans une autre série, des cerveaux – qui ont peut-être un jour habité ces crânes – sont dépeints de manière clinique, à mi-chemin entre l’organique et le végétal. Certains voient leur présence rehaussée par un texte calligraphié sur un fond bleu : le cerveau humain et « l’intelligence » des insectes… La morphologie de l’organe, sa rigoureuse symétrie dissimulant une asymétrie des sens (hémisphère gauche contre hémisphère droit), prolonge le principe de dualité cher à l’artiste. » 

    « Le droit à l’image » par P-Y Desaive, octobre 2009      
    A propos des peintures de MH Vander Eecken / expo en cours       

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    MH Vander Eecken, Chapeau ! (détail)
    2009
    Acrylique sur toile 
    40 x 30cm


  • Les regards de MH

    JEA l’avait annoncé : MH expose, du 10 au 17 mars. Vous avez une semaine pour pousser la porte des Ecuries de la Maison Haute à Boitsfort (place Gilson, 3). Samedi, au vernissage, j’ai découvert en vrai les images d’une poseuse d’énigmes : MH Vander Eecken peint sans complaisance, ses images nous posent des questions et s’attaquent avec un humour féroce aux évidences.

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    Dès l’escalier qui mène à la salle d’exposition sous le toit, de drôles de bêtes : Le chien linguistiqueun piercing à la langue, a vraiment du chien. Les animaux cohabitent avec les humains dans cette exposition, mais ne vous attendez pas à de la peinture animalière. Un poulet porte une feuille de vigne, le canard de Marche blanche se remonte avec une clé ! Autruche, coq ou cheval, ce sont avant tout des têtes et surtout un œil : MH peint le regard et on ne peut s’empêcher de frissonner un peu. Qui regarde, qui est regardé ?

    « C’est le regardeur qui fait le tableau », une petite toile le dit textuellement, c’est une des clés (voir The Best Is Yet To Come) proposées par l’artiste. Les mots ont une place dans son univers et les formules de MH font mouche. Mais avant de nous confronter aux insectes, regardons ce bel ensemble de quatre toiles : Apparition unique d'un lointain, si proche soit-il (2012). Troncs et branches dénudés étirent leurs lignes graphiques, cela m’a fait penser aux arbres de Spilliaert dans ses dernières années. Ici, leur noirceur d’encre de Chine conduit l’œil plus loin, jusqu’à la douceur de bandes nuageuses où bleus, gris et roses sont d’une délicatesse rare à l’acrylique.

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    Sur le portail de MH Vander Eecken, une femme en robe rouge (Hurlevent) serre les poings et sa bouche crie dans un sourire, voilà qui donne le ton. Rouges aussi, le Bouton de rose et sa larme de sang. La douleur s’invite au cœur du monde. Cette toile est accrochée près de La forme, où un cœur (lorgane) pousse en pot. Rouge : un voile enveloppe complètement une tête, partie d’un ensemble avec entre autres Langue, où le bas du visage se dévoile, un papillon posé sur la langue. 

    Les papillons ! Il y en a beaucoup dans l’univers de cette peintre, en série ou en solo. Papillons gris, papillons de nuit, papillons morts aux ailes plus ou moins déchirées, aux antennes mutilées. Ils sont les rois d’une entomologiste qui fait à ses visiteurs une proposition honnête, à côté d’une trentaine d’insectes en gros plan sur fond gris bleu : « Pour cinquante euros, payez-vous un petit cafard et gagnez un bout de survie. »

    Mais le papillon qui m’a le plus subjuguée, au bout d’un mur où cette belle toile respire à laise, c’est celui de I like Butterflies and Butterflies Like Me : sur un fond très pâle, deux personnages en gris sombre – un combat ? A l’avant, un papillon sest posé sur le sol, frémissant, dans une lumière si forte que son ombre (pas d’ombre sur les autres toiles exposées, il me semble) s’étire jusquau bord de la toile. Face à lui, quelqu’un s’est enveloppé de tissu, de la tête aux pieds, et de cette forme accompagnée elle aussi de de son ombre, dont on ne sait si elle exprime la peur ou la menace, émerge une canne brandie contre l’insecte : pour s’en défendre ? pour l’écraser ? Mystère. Impression puissante.

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    Photos prises au vernissage, par courtoisie de MH.

    A vous de découvrir cette exposition pleine de surprises, loin du convenu et du mièvre. MH y joue avec les mots – « Nos rêves les plus flous » – et lécriture, parfois. La fusée de Tintin se pose sur une toile où se répète à l’infini la phrase : « But The Struggle Is Not Yet Over ».

    Parmi les éléments d’un imaginaire où l’étrange s’invite dans ce qu’il y a de plus quotidien, MH Vander Eecken accorde une grande place à la figure humaine. Inspirée par la Dame de Brassempouy, elle en a multiplié le visage – pour elle, plutôt le visage d’un guerrier sous sa coiffe que d’une femme (cf. commentaires) – sur une grande toile très forte, dans le fond de la salle, intitulée Expériences. Ses représentations de femmes ou de fillettes sont souvent empreintes de violence. La palette des diverses émotions humaines se livre dans Je tu il (ci-dessus) : neuf visages d’hommes, ouverts, fermés, du sourire aux larmes, regards échangés ou masqués. Les regards sont le « terrain d’exploration » de MH. Allez-y voir.