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oeuvres

  • Voix du texte

    Lemmen G. Dame lisant.jpg« On reconnaît un écrivain à sa voix. Il n’est que de le lire pour l’identifier. Un livre d’où elle ne se dégage pas, quand bien même d’autres l’appelleraient style, ton ou petite musique, n’est pas d’un écrivain mais d’un auteur. Une page, un paragraphe, parfois même une seule phrase suffisent à mettre un nom sur un texte, dès lors qu’on prête l’oreille au son qu’il émet. S’il est d’un inconnu qui signe là son premier roman, la voix suffit à flairer un nouvel écrivain. Ou pas. Elle permet de savoir à qui on a affaire, et qu’un tri s’opère. Qu’il s’agisse de Modiano, de Proust ou de Duras, la voix qui émane du livre ne trompe pas. Avec les étrangers, c’est plus délicat car la voix peut varier selon le traducteur, celui-ci superposant la sienne propre au romancier qu’il interprète en français. Mais des écrivains que l’on a eu le privilège de côtoyer et d’aimer, on retient au fond davantage la voix de la personne que celle de ses écrits. »

    Pierre Assouline, Dictionnaire amoureux des écrivains et de la littérature

    Georges Lemmen (1865-1916), Dame lisant

  • Ecrivains de A à Z

    « Je hais les livres », annonce Pierre Assouline à l’entame de son Dictionnaire amoureux des écrivains et de la littérature, las de ceux qui l’encombrent. « Quant à leurs auteurs, c’est autre chose. » Son plaisir à visiter des écrivains « est aussi une manière de dire qu’on a autant le goût des autres que celui des livres. » Sans prétendre à l’exhaustivité, son dictionnaire sera donc « subjectif, arbitraire, injuste ».

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    C’est une sorte d’autoportrait (comme il l’écrit à propos du Dictionnaire amoureux de Venise de Sollers) : un lecteur-journaliste-romancier-biographe livre ses admirations, ses rencontres, ses classiques et ses « classiques modernes », comme il dit. On n’est pas étonné d’apprendre que Pierre Assouline aime « les petites histoires sur les coulisses des élections » à l’Académie française, on l’est davantage en tombant ici sur des entrées comme « Bible » ou « Lecture numérique » – rien de ce qui touche au monde littéraire ne lui est étranger. 

    En découvrant ce dictionnaire, j’ai commencé deux listes. La première, bien sûr, est une liste de titres qu’il donne envie de lire. La seconde, abandonnée en cours de route, est celle de ses contacts personnels : Assouline a été l’ami de Blondin dans ses dernières années, il s’est rendu sur la tombe de Borges, il est tombé sous le charme de Nicolas Bouvier, il s’enorgueillit d’une lettre de réponse où Simenon, son grand maître, l’appelle « Cher confrère », il raconte un verre bu à Antibes avec Graham Greene, etc.

    Sur les écrivains qu’on a beaucoup lus, on est curieux de l’angle sous lequel il choisit d’en parler. Parfois on acquiesce – « J’aurais tant aimé être étudiante à l’école privée de Hayes Court dans le Kent en 1926 : j’aurais eu le privilège d’écouter Virginia Woolf expliquer comment on lit un livre. » (Lecture gratuite et désintéressée). Parfois pas. Assouline avertit : « Rien ne vaut l’écriture d’un Dictionnaire amoureux des écrivains et de la littérature pour se faire de nouveaux ennemis. Il est vrai que tous ne gagnent pas à être connus, et que certains y gagnent surtout en mystère. »

    Il a pris « un doux plaisir à resserrer la focale sur un détail, quitte à exclure la vue d’ensemble, qu’il s’agisse de la vie d’un écrivain, de tel incident de l’histoire littéraire, d’un aspect très particulier d’une œuvre ». Ainsi, à propos de Bartleby le scribe, il consacre deux pages à la traduction française de « I would prefer not to ». 

    « Biographie : Meurt de son succès. » En France comme ailleurs, son âge d’or semble terminé. « Ce n’est pas tant le genre que l’époque qui a trop tiré sur la corde. En « peoplisant » à outrance la vie politique, artistique et culturelle, les médias ont tué le goût du public pour la biographie, longtemps terre d’élection du « misérable petit tas de secrets » cher à Malraux. » Assouline y voit un au revoir plutôt qu’un adieu, confiant dans le renouvellement du genre. De l’activité biographique, une des siennes, il explique avec humour pourquoi elle figure « au rang des pathologies littéraires », née non du goût des autres mais « du goût de la vie des autres ». (Vie de Samuel Johnson) 

    Dans un Dictionnaire amoureux, on récolte forcément des citations, comme celle-ci, magnifique : « Que d’autres se targuent des pages qu’ils ont écrites ; moi, je suis fier de celles que j’ai lues. » (Borges lecteur) Amusant, cet aveu d’un écrivain voyageur : « On part pour ne pas s’appeler Médor. » (Bouvier, Nicolas) Inattendue, cette formule d’un procureur lors du procès de Jérôme Kerviel chez qui il décèle « une variante financière du bovarysme, qui consiste à se voir autrement que l’on est, à se donner des sensations fortes » (Bovarysme)

    Assouline sait joliment condenser une personnalité : « Il avait l’élégance de parler de soi sans parler de lui. » (Bove, Emmanuel) « Rien n’exprime mieux cet homme-là que ses silences. » (Le Clezio) Parfois, il n’hésite pas à amuser la galerie : « « Citer, c’est ressusciter. » Ça sonne bien et ce n’est pas faux. Quelqu’un a dit cela un jour mais j’ai oublié qui. Donc c’est moi désormais. » (Citation)  

    A l’entrée « Blog », juste une définition : « Blog : Journal extime ». La république des livres de Pierre Assouline est un des blogs littéraires les plus suivis. C’est en connaissance de cause qu’il écrit : « En ligne, le goût des autres côtoie le dégoût de son prochain » ou encore « Poster un commentaire sous le billet d’un blog, c’est l’assurance de parler sans être interrompu. Un luxe de nos jours. » (Conversation en ligne)

    Composer un Dictionnaire amoureux des écrivains et de la littérature semble une gageure, tant le sujet est vaste. Celui-ci se montre fidèle à l’esprit de la collection, une approche personnelle, moderne et non encyclopédique. On y découvre des préférences, des agacements, des souvenirs, des anecdotes et certaines expressions favorites comme « pour peu qu’on soit du bâtiment » ou « Mitteleuropa », « tellement plus chantant à nos oreilles que « germanosphère ! »

  • Tout Max Jacob

    1824 pages, 203 documents, tout Max Jacob en Quarto : Oeuvres. Je ne m’attendais pas à trouver cette brique de papier à la bibliothèque, je l’ai emportée chez moi avec curiosité. Cette édition de 2012 « établie, présentée et annotée par Antonio Rodriguez » s’ouvre sur une belle photo noir et blanc d’André Rogi, « Portrait de Max Jacob méditant » (1937) : de profil, à sa table de travail, souriant, la main gauche soutenant le front, la droite tenant un livre ouvert sur ses feuilles, sa plume posée sur le papier. 

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    En couverture : Marie Laurencin, Portrait de Max Jacob, 1907. 

    Allais-je tout lire ? Non, pas tout, pas d’un coup. Mais faire mon miel çà et là, et d’abord, de la préface de Guy Goffette, « Portrait de Max en accordéon », trois volets qui commencent ainsi : 

    « I. La première image, c’est un petit homme frêle,
    mais qui ne tient pas en place une fois qu’on l’appelle…

    II. C’est un petit homme gris, mais il a des yeux d’opéra,
    des yeux de femme, des yeux de velours noirs avec comme une aura…

    III. C’est un petit homme grave, mais qui pleut en courant comme une averse d’été
    quand la terre a soif et que l’âme penche du mauvais côté… »

    Un auteur « touchant, déroutant », un projet esthétique, poétique et narratif dont la puissance et la cohérence n’ont cessé de fasciner les peintres et les écrivains de la première moitié du XXe siècle, annonce Rodriguez. Max Jacob est déjà l’ami de Picasso – rappelez-vous Bohèmes de Dan Franck – quand il est bouleversé, à 33 ans, par une apparition mystique – « christique » – sur un mur de sa chambre, un des signes qui le mèneront, lui qui est juif, à se convertir au catholicisme. 

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    Max Jacob par Picasso, 1907. 

    « Max Jacob est aujourd’hui un classique du modernisme. » (Rodriguez) Sa vie et son œuvre (1876-1944) sont très bien présentées, la chronologie richement illustrée de photographies, autoportraits, manuscrits où dessin et texte se côtoient, citations, couvertures anciennes... La dernière photo de Max Jacob a été prise (par/avec Marcel Béalu) le 20 février 1944, quatre jours avant son arrestation à son domicile par la police allemande. Ensuite ce sera Drancy où il décèdera, deux jours avant la date prévue pour sa déportation vers Auschwitz.

    Histoire du roi Kaboul Ier et du marmiton Gauwain (1904), première œuvre publiée, est un conte drôle et féroce où le jeune François Gauwain, fils d’un maréchal-ferrant, arrive à se faire engager comme cuisinier au service du roi. Son rêve : épouser la plus jeune fille du souverain – il y arrivera, bien sûr. 

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    Max Jacob par Picasso en 1915.
    Picasso déclara avoir voulu voir
    « s’il pouvait encore dessiner comme tout le monde » 

    Je me suis surtout intéressée aux textes de Max Jacob sur l’art et sur l’écriture, comme cette Lettre à un éditeur (1907) pour accompagner un envoi de poèmes. Il y précise ses principes : « Un artiste doit considérer deux objets : la création ou réunion de forces constituant un noyau nouveau dans l’univers ; et l’émotion esthétique qui doit résulter de la création. L’émotion esthétique est une joie. » Il revient sur le conseil donné aux artistes d’étonner : « Les vieux psychologues disaient avec raison, selon moi, que le plaisir est dans le mouvement, il faut balloter le spectateur ; l’émotion esthétique, c’est le doute. »

    Après vient le cycle Matorel : Saint Matorel, roman publié chez Kahnweiler, galeriste et éditeur de livres d’artiste, est suivi des Œuvres burlesques et mystiques de frère Matorel mort au couvent. Y sont reprises les belles gravures sur bois d’André Derain qui contribuent au plaisir de la lecture. L’ensemble sera dédié plus tard à Picasso : « pour ce que je sais qu’il sait / pour ce qu’il sait que je sais. » 

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    Picasso et Max Jacob devant La Rotonde, photo Jean Cocteau, 1916.

    « Brouillard, étoile d’araignée. » Le cornet à dés, l’ouvrage le plus connu de Max Jacob, un chef-d’œuvre dans l’histoire du poème en prose, offre des images éblouissantes. « Dans la nuit d’encre, la moitié de l’Exposition universelle de 1900, illuminée de diamants, recule de la Seine et se renverse d’un seul bloc parce qu’une tête folle de poète au ciel de l’école mord une étoile de diamants. » (Un peu de modernisme en manière de conclusion)

    « Le nuage est la poste entre les continents » est le premier vers du poème A M. Modigliani pour lui prouver que je suis un poète (Le laboratoire central). En 1922 paraît Art poétique, un ensemble de maximes dont l’édition originale se présentait au format de poche : « Le bleu de la couverture annonce bien ce livre « céleste » et qui, par chance, entre dans ma poche, dite « de revolver » – Je ne le quitte plus. Il me défendra plus qu’une arme » écrit Jean Cocteau à Max Jacob.

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    Max Jacob par Cocteau (1961)

    Les amitiés sont fortes dans la vie du poète : Picasso, Apollinaire, Modigliani, Cocteau… En revanche, cet homosexuel discret ne masque pas sa misogynie, ses rares jugements sur les femmes sont imbuvables. L’édition Quarto permet de se faire une idée plus complète de cet artiste inclassable. Saviez-vous qu’il avait écrit des Conseils à un jeune poète ? des Conseils à un étudiant ? C’est dans ces derniers que j’ai repris ceci, pour terminer : « Courteline disait à Jules Renard : « Ne vous amertumisez pas. » Ah ! quelle profonde parole ! Pas d’amertume ! Qualité rare. Rester un enfant, un enfant prudent, intelligent, profond, sensible. Pas d’amertume, jamais de votre vie. Pourquoi seriez-vous amer ? Dieu est avec vous. »