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Nous faire entrer dans une bibliothèque aux rayonnages vides comme dans un sous-bois : c’est la belle idée de Tatiana Wolska, une artiste polonaise qui vit et travaille à Bruxelles, toujours avec des matériaux de récupération. Elle a utilisé pour cette installation monumentale des branches trouvées au parc Josaphat et construit « un nuage végétal, aux allures flottantes, dans lequel elle invite le spectateur à se déplacer ». Une des plus belles interventions que j’aie vues dans cette pièce de la Maison des Arts.
A l’extérieur, des chutes de bois de construction ont servi à l’aménagement d’une cabane « nichée tel un cocon dans le jardin ». Bonne idée d’avoir invité cette artiste (son nom de famille n’est pas très éloigné de « wolk », « nuage » en néerlandais). Je me souviens des formes rouges flottantes qu’elle avait suspendues dans les arbres au musée Van Buuren(lien rectifié) il y a trois ans.
Pour qui n’aurait jamais vu le jardin de la Maison des Arts, où beaucoup s’étaient assis pour profiter de ce dernier dimanche de l’été, en voici une photo. Un havre urbain où s’asseoir, lire, prendre un verre (l’estaminet était ouvert).
Le jardin de la Maison des Arts de Schaerbeek (19/9/2021)
Les nuages ont eu le bon goût de laisser de la place au soleil pour le dimanche sans voiture organisé ce 19 septembre à Bruxelles. Voici donc Saint-Servais sous un ciel de peintre, en haut de l’avenue Louis Bertrand fort animée pour l’occasion, en guise d’introduction à l’exposition en cours à la Maison des Arts de Schaerbeek : « Nuages (d’hier et d’aujourd’hui) ».
Temps suspendu, que Lucile Bertrand fait flotter dans une structure en métal, illustre sa prédilection pour ce qui est fragile. Elle utilise des matériaux pauvres et des matériaux organiques. Poétique, ce nuage de plumes blanches dit la beauté du monde « entre légèreté et poids, entre envol et chute », et aussi son équilibre instable.
L’atelier de la nuagerie montre dans la véranda à côté des luminaires en coton, soie et polyester, nuages d’intérieur. Objets de déco « design », à louer ou fabriqués sur mesure, ils sont connectés au wifi et on peut les faire changer de couleur. Amusant, ce nuage dans un miroir ou, vu du jardin, comme décor de fenêtre. Le monde à l’envers, en quelque sorte !
Je me demandais quelle œuvre serait à la hauteur du grand salon ancien aux murs nuageux en permanence. Jacqueline Mesmaeker y a placé un projecteur sur un trépied : les images en mouvement dans le petit cadre m’ont semblé d’abord une mer de nuages. En réalité, « l’installation évoque le Pacifique à l’aide d’une mer du Nord projetée à l’envers. Même le mouvement des vagues est inversé. » Aux Antipodes est une œuvre de la collection du musée d’Ixelles.
A l’étage, une salle est consacrée à Stephan Balleux et à sa série « Ars memoriae » réalisée en 2020 durant le confinement, une période éprouvante dont il fait le récit (illustré) sur son site. Empêché de se rendre dans son atelier, il a travaillé alors à de petits formats. Une de ses œuvres figure sur l’affiche de l’expo. Pour faire se rencontrer le dedans et le dehors, il peint des espèces de nuages bleus à la gouache sur des documents d’architecture « vintage ». Adepte de la déconstruction et de la reconstruction de l’image afin de questionner le visible, le réel, le statut de l’image et de la peinture, cet artiste perturbe la composition et interpelle le spectateur. (Son exposition au musée d’Ixelles en 2014 s’intitulait « La peinture et son double ». Une nouvelle expo est en cours au Botanique.)
Jean-Marie Bytebier dépayse autrement avec ses zooms du ciel, des toiles à la limite de l’abstrait (croisées au musée d’Ixelles également, lors de l’exposition d’Agnès Varda). Elles me paraissaient inertes jusqu’à ce qu’un rayon de soleil change tout à coup l’atmosphère de la chambre où il est exposé. Ces peintures presque immatérielles contrastent fort avec les sculptures textiles d’Elodie Antoine, en blanc ou en noir, dans la petite salle précédente.
Avant de descendre, si vous allez à la Maison des Arts où cette exposition sera visible jusqu’au 21 novembre, ne manquez pas sur le palier le grand nuancier du ciel de Christina Garrido, « Local color is a foreign invention » (British Islands »). Elle y a imprimé des détails de peintures du XVIe siècle à nos jours, classés selon le principe du nuancier Pantone en indiquant sous chaque fragment le titre, le peintre et la table du tableau. On peut les retrouver et les agrandir sur son site personnel.
L’exposition « Nuages » se veut une invitation « au rêve, à l’évasion et à la légèreté. » Les œuvres m’ont paru de qualité inégale, mais il y a des découvertes à faire. Parmi quelques toiles des collections communales, j’ai aimé par exemple ce portrait tout simple du roi Albert Ier devant la mer par Jacques Madyol.
Pour info, un joli cahier d’observation et de dessin conçu par Jacinthe Folon fera le plaisir des enfants qui vous accompagneraient pour cette visite (il est disponible à l’accueil). Quant à l’artiste qui a créé deux œuvres in situ pour l’occasion, je vous en réserve la surprise pour le prochain billet.
« Les œuvres textiles d’Elise Peroi sont d’une élégance intemporelle. L’artiste accorde autant d’importance au processus – le « chemin de tissage » parcouru – qu’au résultat final.
Elle maîtrise cette technique ancestrale mieux que quiconque et la compare, par ailleurs, à un processus d’écriture dans lequel les ratés profitent à de nouvelles expressions.
Sa préférence se tourne vers le fil de soie : ce matériau à la fois fragile et noble lui permet de donner vie à des paysages imaginaires, des panoramas d’une nature paisible mais ô combien vivante. »
Catalogue FIL, La Maison des Arts, Schaerbeek, 2021.
Il ne reste qu’une semaine pour visiter à la Maison des Arts de Schaerbeek la belle exposition « FIL », enfin vue la semaine dernière (entrée libre, s’inscrire sur le site) : « 9 artistes contemporains travaillent le fil ». Mélanie Coisne, directrice du TAMAT à Tournai, rappelle dans le catalogue l’évolution du tissage à l’artisanat, de l’artisanat d’art à l’art textile (à partir des années 1960).
Deux artistes très connus figurent au début du parcours dans cette Maison des Arts bien restaurée. J’ignorais que José María Sicilia, aux fleurs rouges sur cire inoubliables, s’était tourné ces dernières années vers le tissu et la broderie. Dans le hall d’entrée est suspendu un « suzani » (textile traditionnel en soie d’Asie centrale, cousu pour la dot, XIXe) où il a collé de petits ronds de peinture blanche : « El Ojo de agua » (L’œil d’eau, 2009) représente une constellation céleste. On retrouvera cet artiste à l’étage.
Le parcours commence dans la belle salle à manger où deux œuvres de Chiharu Shiota, « State of Being » (Etat d’être), distillent leur mystère dans la pénombre : la chute de lettres capitales retenues dans les fils noirs tendus dans une cage de verre et, devant les vitraux anciens d’une fenêtre, un kimono clair qui flotte dans les jeux de lumière et d’ombre des fils croisés – à la fois présence et reliquaire, c’est fascinant.
Des vidéos de deux, trois minutes permettent de faire connaissance avec les sept autres artistes intervenant dans cette exposition. Le travail d’Hélène de Gottal est présenté au petit salon. Je vous recommande de l’écouter au sujet de « Pourquoi naître esclave ? », son installation de petits objets, de pierres et de dentelles près d’une réplique d’un buste de Carpeaux qui l’a inspirée.
Mon coup de cœur va au « Sous-bois » d’Elise Peroi, une œuvre réalisée expressément pour cette expo : vers 1920, le jardin de la Maison des Arts était un sous-bois. Elle en évoque l’atmosphère en utilisant la technique de la double chaîne pour créer des effets de volume, de transparence. A partir d’une soie peinte et de fils de lin, elle établit un pont entre le passé et le présent dans ce grand salon où l’air circule à la lumière généreuse des fenêtres, entre les murs tapissés de nuages. C’est superbe ! Un détail a servi pour la belle affiche de FIL.
Des rayons de bibliothèque sans livres, c’est triste. Erwan Maheo structure cette pièce en longueur à l’aide de cloisons textiles (recto et verso) qui rythment l’espace. Leurs motifs, signes ou mots, m’ont paru hermétiques. Le parcours fléché continue à l’étage. On y accède par un bel escalier au pied duquel une petite table vitrine contient des tissus de la famille qui habitait cette maison, construite en 1825 pour de riches drapiers. Notamment un « couvre-lit post accouchement » : était-il destiné aux visites à la jeune mère ?
José Maria Sicilia, Light on light (au début de la bande-annonce de FIL)
« Light on light »de José Maria Sicilia intrigue, dans la première chambre. Francisco Calvo Serraller, sur le site de la galerie où vous trouverez d’autres de ses créations, explique son cheminement autour de la lumière : « Il ne s’intéresse donc pas à la lumière elle-même, mais à sa fuite ; le phénomène de sa dispersion dans l’ombre. » Ses broderies sur soie jouent avec la lumière, la couleur, la transparence. Des motifs épars flottent dans l’air et sur la toile fine.
Regardez sur le site de la Maison des Arts, si vous voulez, Ethel Lilienfeld présentant sa mystérieuse vidéo « Elle essayait de se réconcilier avec la nuit ». Ecoutez Mireille Asia Nyembo expliquer ce qui la motive et toutes les phases de son travail pour « Effacement, éclatement et reconstruction » (ci-dessus) : je suis restée longuement devant cette suspension magnifique, faite de cendre de raphia sur pagne wax rigidifié (elle rappelle que le raphia est le véritable patrimoine textile du Congo, son pays natal, l’origine du wax est ailleurs).
Vue partielle d'œuvres présentées par Alice Leens (coton)
Dans les autres chambres, on découvre les enroulements en fuseau de Maren Dubnick qui enveloppe divers objets et même des éléments architecturaux – si vous ne l’avez pas remarqué en arrivant, arrêtez-vous sur le porche dont elle a entouré une colonne, ton sur ton. Les sculptures d’Alice Leens, une artiste qui travaille le fil et la corde, révèlent à la fois des textures, des volumes, des structures qui occupent l’espace et qu’on a envie de toucher : du textile devenu sculpture à part entière !
Maren Dubnick à l'oeuvre : Entasis, 2021, installation sur le porche de la Maison des Arts : ficelle agricole
FIL est une exposition très réussie, riche et diversifiée. Chaque artiste y a son espace propre, ce qui permet de bien se concentrer sur chacun de ces neuf univers. Durant ma visite, j’ai pensé à certaines d’entre vous qui tricotent, brodent, cousent, en me disant que ce serait vraiment bien de regarder tout cela ensemble. Puissent ces mots et ces photos, ces liens, vous atteindre où que vous soyez.
A voir à la Maison des Arts de Schaerbeek jusqu’au 25 avril, en nocturne le jeudi 22 (sur inscription).
Hans Hartung (Leipzig 1904-1989 Antibes) a fait l’objet d’une rétrospective au Musée d’art moderne de Paris en 2019-2020. Plusieurs galeristes de la Brafa 2021 présentaient des œuvres de ce maître de l’abstraction lyrique, un artiste français d’origine allemande à la vie mouvementée, . En voici trois qui ont retenu mon regard. La première date de 1960, année d’un « changement technique et stylistique majeur » (Wikipedia).
« Expérimentant les peintures industrielles, acryliques et vinyliques, Hartung cesse de procéder par la mise au carreau minutieuse de dessin spontané, mais attaque directement le support et recourt beaucoup au grattage dans la matière fraîche. »
La seconde est une quasi calligraphie somptueuse des années 1970, quand sa renommée lui vaut d’être exposé dans le monde entier et qu’il devient membre de l’Académie des beaux-arts. La troisième date de sa dernière année : Hartung peint plus de trois cents toiles en 1989 grâce au pistolet à peinture. Dans celle-ci, très lumineuse, entre feu d’artifice et incendie, monte une note noire qui inquiète.
« Sa peinture, qui présente toujours l’apparence de la spontanéité, est en fait le fruit d’une méditation prolongée qui l’apparente à la fois à la calligraphie extrême-orientale et à la tradition puissamment dynamique de la peinture allemande. » (Encyclopedia universalis)