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amour - Page 18

  • Noël et Luise

    Un titre parfait pour un cadeau de Noël (merci) : Noël en décembre (2015) de Bernard Tirtiaux conte une histoire d’amour, celui de Noël pour Luise. Dans ce septième roman du maître verrier dont vous avez peut-être lu le premier, Le passeur de lumière, c’est Noël Molinaux qui raconte : « Je t’ai vue naître, Luise, de mes yeux vue, et, tout enfant que j’étais, ta venue est restée incrustée en moi comme si tu t’étais ramifiée à mes veines, greffée comme un écho aux battements de mon cœur, au timbre de ma voix. » (Incipit)

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    Sur les hauteurs de Saint-Jean-Sart (Aubel) © Isa (Les photos d’Isa)

    Un jeu de circonstances amène Klara von Ludendorff, fille unique d’un Berlinois fortuné, étudiante en chimie à l’Institut Solvay (Bruxelles), à accoucher en terre wallonne. Son amant enfui, elle a décidé de garder l’enfant. Ses parents chez qui elle rentre à la fin de l’année universitaire n’en savent rien. Le 27 juin 1914, dans un train en route vers Cologne, elle ressent les premières contractions.

    Au signal d’alarme, le train s’arrête « en pays de Herve entre bocages et prairies », près d’une route où Léopold, 13 ans, et Noël, 4 ans et demi, accompagnent le vieux Jeff sur une charretée de foin. Coïncidence, leur mère est sur le point d’accoucher en présence du Dr Duculot, un cousin. C’est la grand-mère de Noël qui vient en aide à Klara : Luise naît sous les yeux du gamin, juste avant sa petite sœur, Lucienne.

    Klara n’a pas de lait – la mère de Noël allaite donc aussi « ce petit chat blond aux yeux très bleus dont la fixité (le) fascinait ». Sur les conseils du grand-père, ancien maïeur du village, Klara regagne Berlin seule, à la mi-juillet, « pour se donner le temps d’arrondir les angles ». Mais elle ne revient pas en août 1914, entre-temps l’Allemagne a envahi la Belgique.

    Le père de Noël est appelé ; il compte sur Léopold, « un débrouillard de première » pour veiller sur la ferme avec ses grands-parents. Bientôt les bombardements autour de Liège leur font prendre la route de l’exode. Deux mois plus tard, ils retrouvent la maison pillée, tout sens dessus dessous.

    Noël 2014 est le premier des nombreux Noëls racontés dans ce roman, un moment fort dans la famille, « l’événement majeur de l’année ». Malgré la guerre, on décore le sapin, on prépare le banquet familial, l’abbé Varlet est convié : grives et sandres de Meuse en entrée, purée de marrons et biche rituelle, grâce au grand-oncle braconnier. La cave a été dévalisée, mais Léopold a ramené du vin et du champagne d’une maison en ruine.

    Le grand-père tient son interminable discours de circonstance quand des soldats « boches » font irruption, les enferment tous dans l’arrière-cuisine pour se rassasier de toutes ces bonnes choses. Il ne leur reste que les bûches à se partager. Fou rire tout de même quand un oncle reprend alors un passage du discours tenu juste avant : « Ayons une pensée solidaire pour nos braves soldats et les quelque 600 000 prisonniers… » !

    Ambiance de guerre, passage des saisons. Noël entre à l’école primaire en septembre 1915. Son père est prisonnier en Allemagne, ses sœurs grandissent – Luise est considérée comme telle – et Noël veille sur elles quand sa mère ou sa grand-mère sont trop occupées. Doué pour le dessin, il aime les croquer, Lucienne la ronde et Luise la claire qui chantonne, matin, midi et soir.

    Leur grand frère Léopold s’amuse de tout, ose tout. A la messe de minuit de Noël 1917, à laquelle des Allemands assistent aussi, Léopold disparaît après la communion. Une embuscade attend au retour la voiture de l’officier et de ses acolytes, attaquée, brûlée. La réponse est terrible : les trois fils aînés des voisins sont fusillés et cinq autres adolescents. Quand Léopold réapparaît à la fin de la semaine, sa mère lui donne une gifle monumentale et il s’en va.

    La guerre terminée, le père revient, affaibli. Léopold donne rarement des nouvelles, ne parle que de lui et de ses exploits dans ses lettres. Tous craignent à présent le retour de Klara pour venir reprendre Luise, mais elle ne se manifeste pas. Quand la petite « va sur ses huit ans », on décide de lui raconter d’où elle est venue. Elle confie à Noël sa tristesse de ne pas être de leur sang. Il la rassure : depuis sa naissance, elle est son « étoile » et il la défendra toujours, y compris contre ceux qui l’accusent d’être allemande ou juive.

    Ce n’est qu’en 1922 qu’une lettre arrive de Vienne : Klara y explique son silence par obéissance à son mari épousé pendant la guerre, mort depuis deux ans. Elle vient de se remarier avec Josef Stern, un juriste, et ils sont prêts à accueillir Luise. Quand ils l’emmèneront, Noël, le cœur arraché, les traitera de « Sales Boches ! Voleurs d’enfants ! » Son premier Noël sans Luise est d’une tristesse à peine consolée par un merveilleux cadeau : un appareil photographique.

    Noël en décembre suit les péripéties de cet amour indéfectible de Noël pour Luise. Entre les deux familles, des liens forts subsistent, on se revoit, on s’écrit, on fête Noël ensemble, en Belgique ou à Vienne. Noël devient journaliste, Luise musicienne, une pianiste très appréciée. Mais la deuxième guerre mondiale les entraînera tous dans la tourmente : sans nouvelles de Luise, Noël fera tout pour la retrouver, en espérant qu’elle ait survécu.

    Le récit parcourt une trentaine d’années, de juin 1914 à décembre 1945, au sein d’une famille wallonne confrontée deux fois à la guerre avec l’Allemagne. Comme l’écrit Marguerite Roman (Le Carnet et les Instants), Bernard Tirtiaux y a mis « des personnages attachants, ce qu’il faut de suspense, d’inquiétude et de consolation. »

  • Sous le signe

    Parce que j’ai beaucoup aimé

    Leur vie au jour le jour

    Son regard à lui sur les choses et surtout sur les gens

    Sa fantaisie à elle sans cesse renouvelée

    L’amour des mots

    Les échanges

    L’humour

    Le visiteur du dimanche – ha ha

    Paterson duo.jpg
    Source : Fernand Denis,
    "Paterson", film de l'année (La Libre Belgique, 7/12/2016)
    (L'article qui m'a donné envie de le voir, à ne pas lire si vous ne voulez pas tout savoir.) 

    Parce que j’ai beaucoup aimé

    Qu’un tel film sorte sur les écrans en 2016,

    C’est sous le signe de Paterson,

    le « meilleur film d’auteur de l’année » signé Jim Jarmush,

    un film habité par la grâce,

    que je vous souhaite, à vous toutes et tous

    qui me rendez visite ici,

    une bonne et heureuse année 2017 !

  • Désormais

    Spilliaert Le poète dans la forêt vu de dos.jpg« Désormais il veut voir. Il veut savoir. Il veut connaître. Il ne se tiendra plus à l’écart comme sa mère d’abord en avait décidé, pour des raisons connues d’elle seule, comme son propre instinct ensuite le lui dictait. Désormais il veut suivre d’autres voies que celles empruntées par des reptiles ou des quadrupèdes. Il veut se frotter à ses semblables. A compter de ce jour il ne refusera plus leur compagnie, et même il la recherchera, et cela ne changera pas jusqu’au crépuscule de sa vie où sans doute alors il aura fait le tour de ce qu’ils sont et de ce qu’il est et jugera bon de s’en détacher et où de nouveau il aspirera à la solitude qui est au final la seule certitude et l’unique vérité sur lesquelles l’homme peut se reposer. »

    Marcus Malte, Le garçon

    Spilliaert, Le poète dans la forêt, vu de dos (vers 1935)

  • Le garçon sans nom

    Sur la table des nouveautés à la bibliothèque, Le garçon de Marcus Malte. Récompensé par le prix Femina 2016, ce romancier est né en 1967 à La Seyne-sur-Mer – deux prétextes (s’il en fallait) pour emprunter ce gros roman de plus de cinq cents pages. De 1908 à 1938, on y suit la destinée d’un héros sans nom ni prénom, « le garçon ». En 1918 tout sera dit, ou presque. Sans nom, sauf ceux qu’on lui donnera, et sans parole, jamais.

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    L’enfant sauvage a quatorze ans quand il apparaît en silhouette sur la lande, portant une femme sur le dos, sa mère. Elle lui a dit « Mer » pour qu’il l’y emmène avant de mourir – mais quand ils y arrivent enfin, elle ne respire plus. Et ce n’est pas vraiment la mer, toute cette eau, c’est l’étang de Berre. Alors il rebrousse chemin vers la cabane où elle l’a élevé et prépare, comme elle le lui avait appris, un bûcher dans la cour. « Il n’a pas la moindre notion d’âme et pourtant quelque chose s’entrouvre au fond de lui, quelque chose qui l’interroge et le désarme. »

    Sa mère ne lui a pas dit quoi faire après. Quelques jours plus tard, il se met en route vers le nord, franchit les limites du domaine de son enfance, traverse l’été « aux trois quarts nu, la peau cuite et tannée ». Repos, nourriture, eau, telles sont ses préoccupations – trouver sa place dans la nature, vivant dans un monde vivant. Quand il arrive à proximité de villages, le garçon observe les hommes, les imite : « eux savent, pas lui ».

    Les animaux sont les premiers à sentir sa présence et un jour, le sauvageon se retrouve mis en joue par un villageois, qu’il baptise à sa façon : « l’homme-renard ». Heureusement arrive Joseph, « l’homme-chêne », qui le prend sous sa protection, après que son fils « le Gazou » s’est précipité sur le garçon pour l’embrasser. Le voilà valet de ferme au service de tous et solide à la tâche : il veut tout apprendre.

    Joseph lui raconte son histoire et la mort de sa femme amérindienne en mettant leur fils au monde, un simple, comment il a distribué tous ses biens, affranchi ses employés, gardé uniquement la ferme et un hectare de terre. Habillé et logé chez Joseph, le garçon tombe très malade, en réchappe, veillé par le Gazou. Mais l’année suivante, la terre tremble, une gamine meurt, le village accuse le muet d’avoir attiré le malheur – il s’encourt. Nouvelle errance pour le garçon, qui a perdu son innocence : « Il n’y a pas une Terre, mais des terres. »

    L’été suivant, il rencontre Brabek, « l’ogre des Carpathes ». Le lutteur de foire le prend avec lui dans sa roulotte. De marché en marché, il offre son spectacle, défie les fiers à bras et, prenant soin de n’humilier personne, gagne tous les combats. Lui aussi raconte son histoire : emmené par un manager en Amérique pour y trouver « gloire et fortune », il y a pris des leçons « de guignol en chair et en os » et de réalité. Il enseigne son savoir-faire au garçon qui devient son préparateur, son assistant, puis son soigneur, s’occupe du hongre qui les tire sur la route, apprend l’hygiène et la lutte.

    Le garçon ne parle pas, mais il écoute. Après la mort de Brabek, c’est à nouveau sur la route qu’il croise son destin, dans une collision avec une automobile. Gustave Van Ecke avait laissé le volant à sa fille Emma, la route était étroite. Inconscient, le garçon est emmené et soigné dans leur maison de campagne. Le médecin de famille attribue son mutisme au choc. Van Ecke place une annonce pour le signaler, mais personne ne le réclame. Lui reprend conscience, apprécie les pommes du verger (passion de Van Ecke) et fait connaissance avec la musique (passion commune : Emma joue du piano, son père du hautbois).

    Emma le baptise Félix pour l’extase qu’il montre en écoutant « Romances sans paroles » de Mendelssohn. Emma, 26 ans, rêvait d’un frère, Gustave d’un fils, le garçon est adopté. C’est elle qui s’occupe de tout, cuisine, nettoie, ennemie du servage et de la domesticité. Imaginez la suite, fort romanesque, sans oublier le tic tac des années. Le garçon fait partie de la famille, suit les Van Ecke dans leur appartement parisien. Emma lui montre tout : « l’amour, l’art, Paris ». En 1912, Félix a 18 ans, ils ne se quittent plus. Puis 1914 chambardera tout.

    Deux femmes comptent pour le garçon : sa mère, puis Emma. Pour lui qui ne parle pas, celle-ci veut tout nommer des choses du sexe, compose des poèmes cryptés, devient collectionneuse d’érotiques. Elle mettra autant d’ardeur à crier sa haine des guerres, son antimilitarisme, envoyant au garçon engagé des lettres improbables. Marcus Malte décrit crûment la boucherie des combats, les corps déchiquetés. Passant des heures lumineuses aux jours noirs (la couleur de son univers, à lire quelques billets sur ses précédents romans et nouvelles), il n’épargne rien au lecteur, qui se retrouve piégé comme le garçon au milieu de cette frénésie.

    Le garçon est un roman écrit dans un style rare aujourd’hui : lyrique, musical, poétique – vocabulaire recherché, « bella maniera ». L’auteur a confié dans un entretien trouver son inspiration d’abord dans la phrase, le rythme, les sonorités, cela se ressent. Ce roman d’apprentissage montre la beauté des cœurs généreux, l’ivresse de la sensualité, il dit aussi la révolte contre l’injustice et la guerre. Tantôt conteur, tantôt peintre, parfois si emporté par sa fougue verbale qu’il en fait trop, Marcus Malte déroule son récit dans le battement de l’Histoire : tandis que des hommes se rencontrent et se racontent, font l’amour, font la guerre, un souffle si fort les traverse qu’ils risquent d’y fracasser leur âme.

  • La vie réelle

    brontë,charlotte,le professeur,roman,littérature anglaise,apprentissage,société,enseignement,amour,bruxelles,culture« Si les romanciers observaient consciencieusement la vie réelle, les peintures qu’ils nous donnent offriraient moins de ces effets de lumière et d’ombre qui produisent dans leurs tableaux des contrastes saisissants. Les personnages qu’ils nous présentent n’atteindraient presque jamais les hauteurs de l’extase et tomberaient moins souvent encore dans l’abîme sans fond du désespoir, car il est rare de goûter la joie dans toute sa plénitude, plus rare peut-être de goûter l’âcre amertume d’une angoisse complètement désespérée ; à moins que l’homme ne se soit plongé, comme la bête, dans les excès d’une sensualité brutale, qu’il n’y ait usé ses forces et détruit les facultés qu’il avait reçues pour être heureux. »

    Charlotte Brontë, Le professeur

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    Avis aux amateurs : les concerts gratuits du vendredi midi (12h30) ont repris dans le jardin de la Maison des Arts.
    Tout le programme de la Guinguette 2016 sur Schaerbeek.be