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amour - Page 17

  • Toujours pareil

    keegan,claire,les trois lumières,littérature anglaise,irlande,enfance,famille,accueil,apprentissage,amour,culture« Maintenant que mon père m’a déposée et qu’il est rassasié, il lui tarde d’allumer sa clope et de s’en aller. C’est toujours pareil : il ne reste jamais longtemps une fois qu’il a mangé, contrairement à ma mère qui discuterait la nuit entière jusqu’au lendemain matin. Du moins, c’est ce que prétend mon père, même si je n’ai jamais vu ça de ma vie. Pour ma mère, le travail est sans fin : nous, la fabrication du beurre, les repas, la vaisselle, nous lever et nous préparer pour la messe et pour l’école, sevrer les veaux, engager les ouvriers pour labourer et herser les champs, faire durer l’argent et régler le réveil. Mais cette maison-ci est différente. Ici, il y a la possibilité, et le temps de réfléchir. Il y a peut-être même de l’argent à dépenser. »

    Claire Keegan, Les trois lumières

  • Lumières irlandaises

    Les trois lumières de Claire Keegan (titre original : Foster, 2010), c’est un petit bijou de justesse et de sensibilité qu’on ne résume pas. Traduit de l’anglais (Irlande) par Jacqueline Odin, ce roman bref, cent pages à peine, raconte le séjour d’une fillette irlandaise chez les Kinsella. Sa mère attend un enfant, la vie est dure, l’argent manque.

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    Quand son père la conduit dans cette maison inconnue, où il la laisse sans même lui laisser des affaires pour se changer, elle est impressionnée par la manière dont on l’accueille, par l’ordre et la propreté dans la maison, même si on y vit simplement.

    Peu à peu, elle va se détendre, observer le mode de vie de ce couple sans enfant, découvrir la douceur inconnue des attentions envers elle. Quand une lettre arrive pour annoncer la naissance de son petit frère, il n’est pas encore question qu’elle rentre dans sa famille – ils peuvent la garder tant qu’ils veulent, a dit sa mère.

    Claire Keegan recrée d’une manière étonnante la perception enfantine des choses et des gens. Si vous avez, dans votre enfance, passé du temps chez l’un ou l’autre parent ou ami de vos parents, vous aurez peut-être comme moi l’impression, en lisant Trois lumières, de replonger dans cet état d’esprit particulier où l’on s’étonne et où l’on apprend beaucoup, mine de rien, dans une autre maison que la sienne.

    La vie des paysans irlandais, l’argent perdu à boire ou à jouer aux cartes, les voisins qui s’épient, les choses qui se disent et les choses qui ne se disent pas, tout cela aussi sonne juste, mais je retiendrai surtout de ce texte la qualité, la profondeur des silences. A ranger peut-être, même si le style est différent, du côté de Génie la folle d’Inès Cagnati ou de Ellen Foster de Kaye Gibbons.

  • Anne et le capitaine

    Dès que le nom du capitaine Frederick Wentworth apparaît dans Persuasion, le dernier roman achevé de Jane Austen (publication posthume en 1817, traduction nouvelle de l’anglais par Pierre Goubert en 2011), il est clair qu’Anne Elliot, qui a été amoureuse de lui à dix-neuf ans, mais s’est laissé persuader alors par Lady Russell, la meilleure amie de sa défunte mère et sa marraine, de ne pas « gâcher sa vie » avec ce jeune homme sans fortune et sans parenté connue, reste très sensible, sept ans plus tard, à toute mention de son nom en société.

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    Sir Walter Elliot contemplant avec satisfaction l'image que lui renvoie sa psyché (C. E. Brock, 1909)

    Après Elizabeth, l’aînée, Anne est la deuxième des trois filles de Sir Walter Elliot, « du château de Kellynch, dans le Somerset », « un homme qui, pour se distraire, ne choisissait jamais d’autre livre que la Liste des Baronnets ». A 54 ans, il est encore bel homme et son bonheur « d’être bien fait ne le cédait qu’à celui d’être baronnet ». Après la mort de leur mère, treize ans plut tôt, on avait pensé qu’il épouserait peut-être Lady Russell, également veuve, mais il était resté célibataire « pour le bien de ses filles chéries » et en particulier d’Elizabeth, qui ressemblait fort à son père. Mary la cadette, a épousé Charles Musgrove, ce qui lui donne « quelque importance », mais Anne, « c’était Anne, et rien de plus. »

    Elizabeth, plus belle à 29 ans que dix ans plus tôt, dirige le château en véritable maîtresse de maison, mais se tourmente de n’avoir encore reçu aucune demande en mariage acceptable – il lui faudrait « un authentique baronnet ». Il y a bien eu l’héritier présomptif de son père, William Walter Elliot, « gentleman » qu’elle avait songé à épouser, mais il avait dédaigné Kellynch, ignoré leurs invitations et épousé une femme riche « d’obscure naissance » ; il n’y avait plus de relations entre eux depuis lors. En cet été 1814, on a appris qu’il porte le deuil de sa femme, mais on n’est pas près de lui pardonner sa conduite pitoyable envers la famille de Sir Walter Elliot.

    A cela s’ajoute l’inquiétude financière. Depuis la mort de sa femme, Sir Walter vit au-dessus de ses moyens et plutôt que réduire ses dépenses au château, il préfère encore s’installer ailleurs et le louer. Bien qu’Anne n’aime pas Bath (comme Jane Austen), c’est là qu’il choisit d’aller vivre. Lady Russell a l’habitude d’y passer une partie de l’hiver et en raffole. Mme Clay, une fille de leur homme d’affaires revenue vivre chez son père avec ses deux enfants après un mariage malheureux, et amie d’Elisabeth, va les accompagner là-bas, ce que regrette Lady Russell, qui ne la juge pas digne d’une telle proximité.

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    « Enfin, vous voilà ! », déclare à Anne sa sœur Mary, si malade, lui dit-elle, qu'elle peut à peine parler. (C. E. Brock, 1909)

    L’amiral Croft va louer le château de Kellynch, et c’est ainsi que les officiers de marine vont faire devenir plus présents dans la vie des Elliot. Mme Croft est la sœur d’un certain Wentworth. Ils ont cru d’abord qu’il s’agissait de l’ancien vicaire de Monkford mais c’est en réalité le capitaine Wentworth, qui entre-temps a fait carrière et s’est constitué une belle fortune. Anne semble la seule à s’émouvoir de l’installation de sa sœur dans leur château.

    Désolée « de devoir renoncer à l’atmosphère de douce mélancolie propre aux mois d’automne à la campagne », Anne échappe quelque temps à Bath en répondant à l’appel de Mary : sa sœur est légèrement souffrante et la réclame à la Chaumière d’Uppercross. Cela ne fait qu’accentuer les craintes de Lady Russell par rapport à Mme Clay qui suit Elizabeth et son père à Bath ; même si elle n’est pas belle, elle est peut-être intéressée.

    « Mary n’avait ni l’intelligence d’Anne ni son heureux caractère. » Une légère indisposition et elle se plaint de tout, du vacarme que font ses petits garçons, de la solitude où la laisse son mari parti chasser. Mais la compagnie de sa sœur la guérit bientôt et elles se rendent chez ses beaux-parents, « de très braves personnes » quoique sans instruction ni distinction, et leurs filles Henrietta et Louisa Musgrove, 19 et 20 ans, qui « se donnaient pour seul but d’être à la mode, heureuses et gaies. »

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    La chute de Louisa dans les escaliers du Cobb (illustration de C. E. Brock, 1909).

    Jane Austen excelle à rendre le mode de vie, les manières, les préoccupations de ces deux familles et de leurs relations. « Anne n’avait pas eu besoin de cette visite à Uppercross pour apprendre que passer d’un groupe de gens à un autre, même si la distance n’est que d’une lieue, équivaut souvent à un changement complet de conversation, d’opinions et d’idées. » Les deux sœurs se doivent de rendre visite aux Croft une fois installés à Kellynch et elles apprennent ainsi que le frère de Mme Croft y est attendu pour bientôt. Un fils des Musgrove devenu marin et mort deux ans plus tôt à l’étranger disait souvent du bien du capitaine Wentworth dans ses lettres, sa mère a fait le rapprochement en entendant son nom associé à celui des Croft et espère quelque réconfort à le rencontrer.

    Pour découvrir le capitaine en chair et en os, observer comment Louisa tombe amoureuse de lui, comment Anne vit tout cela en gardant ses sentiments pour elle, à la campagne puis à Bath, où M. Elliot réapparaît dans la famille de Sir Walter sous des dehors très séduisants, il vous faut lire Persuasion, quelque trois cents pages où la romancière, sœur de deux officiers de marine, « prend fait et cause pour des hommes qui ont bien mérité de la nation et possèdent toutes les qualités requises pour être admis au même respect que les vieilles familles de propriétaires terriens » (notice du traducteur). Le titre est posthume, Jane Austen l’appelait « Les Elliot ». Positions sociales et affaires de cœur, voilà son sujet dans ce roman de mœurs et d’analyse, à travers les pensées d’une héroïne très attachante dans sa recherche du bonheur.

  • Jaloux

    Tirtiaux couverture.jpg« Luise, ma Luise, que n’as-tu commencé une seule de tes lettres par « Mon amour » plutôt que par ce « Mon grand frère adoré » qui maintient entre nous cette distance dommageable à mon cœur ? Tu me libérerais d’un poids terrible.

    Il y a un mot pour nommer ce sentiment, un mot qui me fait horreur parce qu’il rapporte tout à soi, qu’il juge et emprisonne l’autre, s’attribue ce qui ne nous appartient pas ; et ce mot n’est autre que « jalousie ». Je deviens jaloux de ton Daniel, de toi, de vous, d’un bonheur qui, dans ma petite tête, me revient de droit et qui m’est subtilisé. »

    Bernard Tirtiaux, Noël en décembre