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Peinture - Page 57

  • Deux soeurs au piano

    Dominique Bona m’avait enchantée avec Berthe Morisot, Le secret de la femme en noir. Deux sœurs (2012) raconte la vie des « muses de l’impressionnisme » qui ont servi de modèles au célèbre Renoir, Yvonne et Christine Lerolle au piano (1897), aujourd’hui au musée de l’Orangerie. Berthe Morisot avait rencontré leur père en Normandie, ils y ont même peint ensemble. Et elle avait choisi Renoir et Mallarmé pour veiller après sa mort (en 1895) sur sa fille Julie Manet, qui sera une amie très proche des deux sœurs. 

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    Auguste Renoir, Yvonne et Christine Lerolle au piano, 1897 / Photo © La Parisienne du Nord

    C’est leur vie, et celle de deux familles : les Lerolle et les Rouart – elles ont épousé deux frères. Yvonne et Christine ont grandi dans un milieu ouvert à l’art : leur père, Henry Lerolle, « héritier d’une entreprise prospère de bronziers d’art », est lui-même peintre, avec modestie, et collectionneur d’art, par amour de la peinture et des artistes qu’il reçoit chez lui. « Tous les gens qu’elles fréquentaient étaient peintres, poètes ou musiciens : elles ont vécu, avec un parfait naturel et sans aucun snobisme, dans un bouillon artistique où les génies se bousculaient. »

     

    Qui étaient les sœurs Lerolle ? La question que Dominique Bona s’est posée au départ – « Renoir ne livrait le nom de famille de ses modèles que lorsqu’il s’agissait de personnalités ayant pignon sur rue » – l’a conduite vers un « condensé d’artistes autour des deux sœurs, comme une ronde enchantée, dans les dernières années du XIXe siècle. » Derrière la vision heureuse sur la toile, elle a découvert « des ombres et des drames », et plus qu’il n’en faut pour tenir les lecteurs en haleine.

     

    Bona rapporte bien sûr l’histoire du tableau, des circonstances dans lesquelles il a été peint jusqu’à son arrivée dans la collection Paul Guillaume-Jean Walter. Mais du vivant d’Auguste Renoir, la toile qu’on aurait imaginée à la place d’honneur chez les Lerolle n’a en fait jamais quitté le peintre, qui l’a toujours gardée près de lui. 

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    Auguste Renoir, Yvonne et Christine Lerolle au piano, 1897, Musée de l'Orangerie, Paris

    Quand Renoir les peint, Yvonne et Christine Lerolle ont vingt et dix-huit ans. L’aînée (en blanc) est la plus musicienne, la cadette (en rouge) la plus enjouée. Leur mère, Madeleine Escudier, « grande et belle femme », belle voix, chante et récite des poèmes, elle règne avec charme. Leur père peint des paysages, des scènes religieuses ou symboliques, commandes d’Etat ou d’Eglise. Dans leur hôtel particulier à Paris, la vie est facile pour les deux sœurs et leurs deux jeunes frères : « On ne manque de rien. On reçoit beaucoup, rien que des amis. »

     

    Debussy vient souvent chez Henry Lerolle, peintre « enivré de musique », loin de la bohème, mais artiste authentique. Il expose au Salon, déteste l’académisme, et doute tellement de son art qu’il finira par renoncer « à ses pinceaux officiels » pour ne montrer ce qu’il dessine ou peint qu’à ses intimes. Son tableau le plus connu est au Metropolitan, A l’orgue, une toile dans la gamme des bruns et des gris qu’il chérissait, à l’opposé d’un coloriste comme Renoir.

     

    Lerolle collectionne les œuvres d’artistes qu’il admire, à une époque où les impressionnistes sont encore mal considérés : Corot, Fantin-Latour, Eugène Carrière, Puvis de Chavannes, Morisot, Monet, Maurice Denis, Degas (en nombre), Gauguin, Camille Claudel… Son beau-frère, le compositeur Ernest Chausson, est pour Henry Lerolle plus qu’un ami, un frère. Lui aussi collectionne dessins et peintures, ils rivalisent même dans la « course aux Degas ». 

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    Henry Lerolle, La répétition à l'orgue, 1885, Metropolitan Museum of Art, New York

    Le troisième homme, le plus sérieux au milieu de ces doux rêveurs, c’est Arthur Fontaine, qui a épousé la plus jeune sœur Escudier, Marie, la cadette de Madeleine Lerolle et de Jeanne Chausson (c’est elle qui tient une partition et chante sur le tableau A l’orgue). Œuvrant pour le progrès social, ce haut fonctionnaire est un « bourreau de travail ». Au contact des Lerolle et des Chausson, il développe son goût pour les arts et devient lui aussi un grand collectionneur.

    A cette époque, chaque famille bourgeoise possède un piano. Jeunes filles au piano est le premier Renoir acheté par l’Etat, une date dans sa carrière. Pour Yvonne et Christine Lerolle au piano, il change de format, peint en largeur, ce qui donne plus de place au piano (elles sont de vraies musiciennes) et laisse entrevoir le décor : deux chefs-d’œuvre de Degas sur le mur du salon, Danseuses et Avant la course.

     

    C’est Degas, « célibataire endurci », qui a « l’idée de marier deux fils d’Henri Rouart aux deux filles d’Henry Lerolle » et ensuite Ernest Rouart à Julie Manet. Il ignore qu’Eugène Rouart, grand ami de Gide, est tourmenté par ses penchants sexuels. Yvonne est d’abord rassurée par cette amitié, elle-même est amie de Madeleine Rondeaux que Gide vient d’épouser. Louis, le benjamin des quatre frères Rouart, brille en société, se passionne pour l’art et la littérature, c’est aussi un provocateur impétueux, ce qui semble convenir à Christine, qui aime rire et se moquer.

     

    Et pourtant ces deux mariages vont mettre les deux sœurs à l’épreuve, sans jamais nuire à leur attachement. L’aînée se retrouve éloignée des siens, de Paris, par son mari qui se lance dans l’agriculture, la fait passer d’une ferme d’Autun à un château à Bagnols-de-Grenade, du côté de Toulouse. La cadette garde son environnement familier et ses relations parisiennes, mais elle subit les crises d’humeur de Louis, homme « orageux ». Dominique Bona raconte les « deux versions du malheur conjugal ».

     

    Affaire Dreyfus, première guerre mondiale, créations, décès, héritages, collections dispersées, Deux sœurs est le récit d’une époque, d’un milieu, avec une incroyable « galerie de personnages », membres des deux clans et amis artistes. Deux sœurs nous introduit dans leur intimité et fait rêver devant cette formidable proximité entre collectionneurs et artistes au tournant d’un siècle, pour l’amour de l’art.

  • Jaillir

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     « Ce qui importe par-dessus tout dans une œuvre d’art,

    c’est la profondeur vitale de laquelle elle a pu jaillir. »

     

    James Joyce

     

    Une citation proposée par Nouria Bajat,
    « Le voyage de mes couleurs »,

     

    Galerie Art Nomade, Bruxelles,
    du 7 au 29 mai 2015.
    Nocturne ce vendredi 29 mai, de 17h à 22h, 
    exposition prolongée jusqu’au 7 juin. 
     

    © Nouria Bajat, L’éternité (détail)

  • Nomade Nouria Bajat

    Dans la petite galerie Art Nomade, tout près de la Porte de Hal, Nouria Bajat présente « Le voyage de mes couleurs », jusqu’à la fin du mois. Cette artiste d’abord tournée vers la céramique, la mosaïque – la table au plateau vert et bleu est son œuvre –, a osé le grand saut dans la peinture, avant tout par amour de la couleur. 

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    Le tableau de l’affiche qui m’a décidée à pousser la porte, avec aussi la recommandation d’un ami, est un beau portrait de petit format mais très présent, « Mon James Joyce avec le chapeau à la plume de James Ensor » (ci-dessus). Il voisine avec un « Hommage à Egon Schiele » original où elle a repris dans le haut de la toile des mains de Schiele à la gestuelle si particulière. Près de ces deux œuvres de 2002, des peintures plus récentes et plus sombres, où le bleu domine, montrent une évolution récente vers l’abstraction.

     

    Schiele, Kokoschka, Klimt, le fameux trio viennois, on ne s’étonne pas qu’elle les admire, en regardant « L’éternité » aux couleurs vibrantes. A gauche de l’entrée, « Le Pierrot  russe » de Nouria Bajat, qui m’a subjuguée, est tout mouvement, fantaisie. Sur un fond bleu et or, comme une mer profonde, Pierrot n’a gardé de blanc que le visage aux yeux ourlés de noir, sous un calot rouge, et le bas de son vêtement, où quelques pétales de couleurs semblent tombés de la cascade florale du haut – même la fraise de son costume se pare ici de bleu, de rouge, de vert, de jaune. Un Pierrot pas du tout lunaire, plutôt oiseau de paradis. A côté de lui, « Les mariés de Chagall », en blanc, sont un peu pâles.  

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    © Nouria Bajat, Un Pierrot russe (détail)

    Dans le passage vers la seconde salle est accrochée une esquisse de Nouria Bajat pour une fontaine installée à la Fondation Maeght, un mur d’eau mosaïque de toutes les nuances du bleu. Et voici deux petites peintures de fleurs exubérantes, un hommage aux tournesols de Van Gogh et « La nature sauvage », face à une grande toile plus abstraite, verticale, « Le jardin de Cézanne ». 

    C’est là que l’artiste, qui m’a accueillie avec un large sourire dès que je lui ai adressé la parole, m’a gentiment offert un thé tout en répondant à mes questions. Le Maroc qu’elle a redécouvert longtemps après l’avoir quitté (à l’âge de trois ans), la difficulté d’être une femme artiste, encore aujourd’hui, l’importance d’une chambre ou d’un atelier à soi, l’art « nomade » par nature – d’où le titre de cette exposition –, nous avons abordé bien des sujets. Une belle rencontre. 

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    Photos par courtoisie de l'artiste, Nouria Bajat, 20/5/2015

    « Le voyage de mes couleurs » de Nouria Bajat, une exposition qui sera peut-être prolongée au-delà du 29 mai prochain (à vérifier*), est visible à la Galerie Art Nomade tous les jours sauf le dimanche de 10 à 16h. et le samedi de 11h30 à 16h. On y oublie instantanément la grisaille des jours sans soleil.

     

    *Après une nocturne ce vendredi 29 mai, de 17h à 22h,
    l
    exposition se prolonge jusqu’au 7 juin.
    (Mise à jour 26/5/2015)

  • Couleurs d'amour

    « Dans l’Art comme dans la vie tout est possible si, à la base, il y a l’Amour. » 

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    © Marc Chagall, Le Cantique des Cantiques IV, détail, 1958.

    « Si toute la vie va inévitablement vers sa fin, nous devons durant la nôtre, la colorier avec nos couleurs d’amour et d’espoir. »

     

    Marc Chagall (Discours d’inauguration du musée, 7 juillet 1973)

  • Musée Chagall, Nice

    Au bas de la colline de Cimiez, le Musée national Marc Chagall est un bâtiment clair et moderne niché dans un jardin où, cela tombe bien, une cafétéria propose de quoi reprendre des forces en terrasse ou sous une gloriette blanche – pourquoi pas une salade, niçoise par exemple ? Il y a du monde ici, plus qu’au musée Matisse vu le matin, des autocars, des groupes scolaires, mais les espaces du musée sont vastes et nous pourrons le visiter bien à l’aise. 

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    D’abord une exposition temporaire : « Marc Chagall Œuvres tissées » permet d’apprécier le travail d’Yvette Cauquil-Prince, qui a reproduit des œuvres du peintre en veillant à rendre fidèlement ses couleurs, le passage de l’une à l’autre, dans des tapisseries de basse lisse. Le garçon dans les fleurs (1955, collection particulière), une scène joyeuse dans les tons roses et verts, a été choisi pour l’affiche. La Tapisserie pour l’entrée, dite aussi Paysage méditerranéen, y est exposée (on l’a déplacée à l’ombre pour la protéger). 

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    © Marc Chagall, Le garçon dans les fleurs, gouache sur papier, 1955.

    Au bout de cette galerie, un grand auditorium sert de salle de concert. La dernière projection d’un film sur Chagall débutait à quatorze heures et nous n’en voyons que la fin. A gauche de l’écran, la lumière révèle le bleu des splendides vitraux sur La Création du monde (Chagall & Charles Marq). C’est une donation exceptionnelle de Marc et Valentina Chagall, du vivant de l’artiste et centrée sur le « Message biblique », qui est à l’origine de ce musée inauguré en 1973. L’architecte André Hermant l’a conçu comme une « maison » pour mettre en valeur les œuvres qu’elle allait accueillir. 

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    Marc Chagall, tapisserie d'après "Le Garçon dans les fleurs" (détail), 1955. Maître d'oeuvre Yvette Cauquil-Prince © Adagp, Paris 2015

    Au départ, les douze grandes peintures à l’huile illustrant la Genèse et l’Exode étaient destinées aux murs de la chapelle du Rosaire à Vence, et les cinq plus petites inspirées du Cantique des Cantiques pour la sacristie. En avançant dans son travail, « l’expression la plus achevée de sa peinture religieuse » (catalogue), Chagall a préféré « mettre l’accent sur la portée humaniste de ses œuvres » et les offrir à l’Etat français. Ces dix-sept peintures sont exposées en permanence dans le musée, c’est le cœur de la collection permanente. 

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    © Marc Chagall, Abraham et les trois anges (détail), huile sur toile, 1960-1966.

    J’ai admiré longuement Abraham et les trois anges (j’en avais vu une petite esquisse au Mucem). Trois anges sont attablés, deux portent de somptueuses ailes blanches, le troisième des ailes jaunes (couleur divine pour Chagall). De face, près de la table, Abraham se tient debout, vêtu de bleu, sa femme Sarah à côté de lui apporte un plat. Toute la scène – les anges annoncent au vieux couple étonné qu’ils vont avoir un fils, Isaac – baigne dans un rouge profond traversé de lignes et dans le haut à droite, un autre épisode de cette rencontre est évoqué dans une bulle. 

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    © Marc Chagall, Le Cantique des Cantiques II (détail), huile sur toile, 1957.

    Le buisson ardent, le déluge, l’échelle de Jacob… Même si l’on connaît peu ces épisodes de l’Ancien Testament, on est époustouflé par l’extraordinaire richesse et des couleurs et de la composition. Chagall est ici à son apogée. Que dire alors de la salle consacrée au Cantique des Cantiques, ce chant d’amour interprété par le peintre dans toutes les nuances du rouge et du rose. Un extrait au-dessus de chaque tableau en indique le thème. Une plaquette reprend la dédicace du peintre : « A Vava ma femme, ma joie et mon allégresse ». 

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    Marc Chagall, Le prophète Elie, mosaïque, 1971.

    Projet de vitrail, bas-reliefs, œuvres sur papier, toutes les facettes de son art sont illustrées dans ce musée dont l’architecture s’ouvre soudain sur un bassin, sous une mosaïque monumentale réalisée avec le mosaïste Lino Melano. On y voit le prophète Elie enlevé au ciel sur son char de feu, entouré des constellations du zodiaque. Devant la baie vitrée qui lui fait face, une banquette permet aux visiteurs de s’imprégner, de goûter la sérénité de cette « vision cosmique, baignée par la lumière méditerranéenne ». 

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    Devant La Création de l’homme, un groupe d’élèves assis par terre écoutent attentivement la conférencière qui aide à regarder, à apprécier. Il faudrait rester ainsi, longuement, devant chacun des chefs-d’œuvre réunis dans ce musée.

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    S’attarder sur les détails, comme ces arbres ou buissons lumineux, floraisons de couleurs vives (Adam et Eve chassés du Paradis, Le Cantique des cantiques V et III).  

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    Je m’étais promis de visiter un jour ce musée Chagall de Nice tant vanté, la rétrospective de Bruxelles avait sonné le rappel. En sortant dans le jardin conçu par Henri Fisch, magnifié sous un ciel d’azur, on retrouve les arbres que Chagall aimait tant. Un eucalyptus impressionnant domine le site, planté de palmiers, oliviers, cyprès – on n’a pas envie de quitter ce bel endroit.