Après l’exposition Joie de Vivre, une collation et une promenade dans le vieux Lille sous le soleil, je suis retournée au Palais des Beaux-Arts faire un tour dans les salles du XIXe siècle. On monte au premier étage par un bel escalier monumental dont les vitraux sont dédiés aux différents métiers d’art. Il ne me restait pas assez de temps pour une visite complète, mais assez tout de même pour admirer quelques toiles, du réalisme au symbolisme, surtout des paysages et des portraits.
Jules Breton, Plantation d'un calvaire, 1858 (Palais des Beaux-Arts, Lille)
J’ai d’abord pris pour une mariée la Jeune fille portant une bannière de Jules Breton, une petite huile préparatoire pour Plantation d’un calvaire, une grande toile accrochée très haut au-dessus de celle-ci. Je ne connaissais pas ce peintre poète que Van Gogh admirait, ni sa fille, également peintre, Virginie Demont-Breton.
Carolus-Duran, L'Homme endormi, 1861 (Palais des Beaux-Arts, Lille)
En revanche, je connaissais Carolus-Duran, mieux représenté au musée d’Orsay. On le trouvait conventionnel par rapport aux impressionnistes, ses contemporains, mais ses portraits ont de la présence. L’homme endormi est inspiré de Courbet – la cravate rouge dénouée rehausse l’éclat de la chemise blanche, et rouges aussi, la tranche du livre posé près de lui, les fleurs dessus.
Carolus-Duran, Le Baiser, 1868 (Palais des Beaux-Arts, Lille)
Qu’il est séduisant, ce Baiser où le peintre embrasse son épouse Pauline ! A nouveau du rouge pour le châle sur la robe blanche et la rose dans les cheveux. Pastelliste et miniaturiste, Pauline Croizette a posé pour la belle Dame au gant (Orsay). Mais pourquoi donc ne trouve-t-on sur la Toile aucune de ses œuvres personnelles ?
Louis Gallait, Charles Cousin, peintre et graveur, en costume arabe, 1838 (Palais des Beaux-Arts, Lille)
Signé par un peintre belge, Louis Gallait, le portrait de Charles Cousin, peintre et graveur, en costume arabe (de fantaisie, ajoute la notice) – turban, barbe, manteau à capuche et sabre. Je n’ai pas trouvé d’informations sur son modèle, mais une rue de Schaerbeek porte le nom de Louis Gallait (il y est décédé) de même qu’à Tournai, sa ville natale, où il a dirigé l’Académie des Beaux-Arts.
Corot, Le pâtre aux deux chèvres ou Effet du matin, vers 1865 (Palais des Beaux-Arts, Lille)
Du côté des paysages, un très beau Corot, Le pâtre aux deux chèvres ou Effet du matin (vers 1865), baigne dans cette lumière subtile propre au précurseur de l’impressionnisme. Des bords de mer (Lepic, Georges Michel) plaisants mais assez conventionnels précèdent L’incendie de Constantinople par Turner.
Meissonier, Le Voyageur (Palais des Beaux-Arts, Lille)
Le Voyageur de Meissonier, réplique en bronze de la sculpture du musée d’Orsay (où cheval et cavalier dans le vent sont en cire, tissu et cuir), a belle allure au centre de la salle – comme Carolus-Duran, voici un artiste populaire à son époque considéré ensuite comme « pompier » en raison de son académisme.
Mikhaïl Vroubel, Cheminée russe de la légende de Volga et Mikoula, 1898-1900 (Palais des Beaux-Arts, Lille)
Quelle surprise de trouver au Palais des Beaux-Arts de Lille un manteau de cheminée de Mikhaïl Vroubel ! L’œuvre en céramique, conçue pour le pavillon russe de l’Exposition universelle à Paris en 1900, a été fabriquée à Abramtsevo (village d’artistes au nord de Moscou) en six exemplaires, celui-ci est le seul conservé hors de Russie. Sa restauration a duré quatre ans. « Néo-russe », inspirée par l’art nouveau, la céramique montre le guerrier Volga, incarnation de la Russie aristocratique, et le laboureur Mikoula, avec sa charrue et sa jument. La légende « raconte l’affrontement des deux hommes qui voit triompher la force surhumaine de Mikoula. »
Alfred Agache, Vanité, 1885 (Palais des Beaux-Arts, Lille)
Un peu plus loin, j’ai fait connaissance avec un peintre lillois, Alfred Agache, à travers deux beaux portraits de femme : Vanité et Jeune fille assise tenant des fleurs dans les bras. La première est assise sur un trophée d’armes et de livres, image du caractère éphémère de la beauté, du savoir et du pouvoir ; elle tient un globe doré, symbole d’universalité d’après le cartel. La seconde, de profil, respire la sérénité, présente de jolis tons de rose pour la jupe et la brassée de pavots.
Luc-Olivier Merson, Le loup d’Aggubio, Salon de 1878 (Palais des Beaux-Arts, Lille)
Très intéressant aussi, Le loup d’Aggubio peint par Luc-Olivier Merson : la conversion miraculeuse du loup converti par saint François d’Assise (dont la statue figure dans le coin supérieur droit) lui vaut une auréole, mais c’est le décor hivernal et ses couleurs, la robe bleue de la femme au centre de la toile, le mouvement vers le loup de l’enfant qu’elle tient par la main, les autres personnages, un fichu rouge, l’étal du boucher et tous les détails pittoresques de l’architecture (fontaine, colonnes…), le ciel au-dessus de la ruelle, qui donnent présence et vie à cette scène.
Edouard Vuillard, Bouquet de roses (Palais des Beaux-Arts, Lille)
J’ai tenté de photographier quelques œuvres impressionnistes dans la galerie qui leur est consacrée, mais les murs sont d’un rose si vif que, même avec l’éclairage zénithal, les couleurs des peintures sont faussées, et davantage encore pour l’appareil photo que pour l’œil. Quel dommage ! Il y a là, entre autres, un beau paysage d’hiver de Sisley, Berthe Morisot à l’éventail de Manet, et deux Vuillard : Fleurs (bouquet, étoffes et papier mural imprimé) et surtout Bouquet de roses, un chef-d’œuvre.
Odilon Redon, Le silence, 1895-1900 (Palais des Beaux-Arts, Lille)
Pauvre Bonnard : la richesse des tons dans Paysage, Le Cannet se perd dans la lumière saturée de rose. Pareil pour Le Silence, un somptueux Redon, « empreint d’une forte puissance symbolique qui caractérise l’œuvre de ce peintre si singulier » (cartel). Peut-être est-ce mieux de flâner là à la lumière du matin qu’en fin d’après-midi, il faudra y penser à la prochaine visite des collections lilloises.