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Culture - Page 11

  • Essais personnels

    La quatrième de couverture de Plaidoyer pour Eros de Siri Hustvedt, dont je vous ai présenté les premiers textes il y a peu, annonce avec justesse qu’elle y dresse « avec autant de simplicité que d’humanité la cartographie d’une vocation impérieuse, indissociable d’un parcours très personnel ». Ce recueil d’essais comporte en effet beaucoup plus d’éléments personnels que je ne m’y attendais, et cela dès le premier, Yonder, où elle évoquait son enfance.

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    Siri Hustvedt & Paul Auster © Sébastien Micke (source)

    A la lecture du titre « Franklin Pangborn : apologie d’un comparse », ne connaissant pas cet acteur américain, j’étais prête à sauter le texte quand j’ai repéré un début de paragraphe autobiographique : « Quand j’étais enfant, ma Norvégienne de mère manifestait un respect des formes… ». Par exemple, ne jamais disposer de bougies à table sans avoir allumé les mèches, pour qu’elles soient entamées. Deux pages plus loin, l’empreinte maternelle se concrétise : « devenue une adepte zélée du ménage », Siri Hustvedt aime organiser et ranger, elle explique pourquoi, avant de revenir au personnage titre.

    « Huit jours en corset » est beaucoup plus amusant : elle y raconte une expérience de figurante, avec sa fille, dans le film Washington Square réalisé par une amie, la réalisatrice Agniezka Holland. Habillée d’un corset, d’une crinoline et d’un jupon, elle manque s’évanouir une fois son corset ajusté ; on lui apporte de l’eau et du raisin, elle se remet. Voilà Siri Hustvedt engagée dans une réflexion sur l’image de soi dans le miroir – une vision qu’elle n’aime pas – et sur la sensation très particulière ressentie dans ce corset, sur son air de « girafe à bouclettes » une fois coiffée, sur son rapport avec les vêtements. C’est à la fois drôle et intéressant.

    Etre une femme et parfois, dans ses rêves, un homme, cette ambivalence lui est familière : Hustvedt le raconte dans « Etre un homme ». Rendre visite à sa fille au camp lui sert d’entrée en matière pour « Quitter sa mère » où elle revisite aussi ses propres souvenirs d’enfance. New York, sa ville d’élection depuis les études à Columbia, est au centre de « Vivre avec des inconnus » sur son expérience de citadine. Dans « 9/11 : le 11 septembre, ou un an après », elle raconte comment elle a vécu ces événements et comment les New-Yorkais se sentaient un an plus tard. Comme d’habitude, elle développe un point de vue original dans son commentaire sur les attentats.

    « Les Bostoniennes : propos personnels et impersonnels » m’a donné fort envie de relire ce gros roman d’Henry James lu vers mes vingt ans et dont j’avais complètement oublié la couverture Folio typique du féminisme de ces années-là. Sept cents pages en petits caractères, mazette ! (Cela devrait exister, un site d’archives qui montrerait la succession des illustrations choisies par les éditeurs au fil des années, on y reconnaît des époques.) Siri Hustvedt écrit qu’elle a vécu « des années en compagnie des personnages et des récits de James » et qu’ils ne la quittent pas. Sa lecture de L’ami commun de Charles Dickens – Siri Hustvedt a rédigé une thèse sur Dickens à Columbia en 1986 – m’a laissée en dehors de « Charles Dickens et le fragment morbide ». Je n’ai pas lu ce roman.

    Plaidoyer pour Eros se termine avec « Extraits d’une histoire du moi blessé ». On y apprend que Siri Hustvedt est née prématurément et a passé quinze jours en couveuse. « J’ai été séparée de ma mère pendant les premiers jours de ma vie et je pense aujourd’hui que cette expérience se trouve à l’origine d’une personnalité particulière. » Elle dit avoir toujours porté en elle « l’impression d’être blessée » et  relie cette impression à diverses problématiques vécues : les nombres qui la faisaient souffrir « terriblement », la solitude durant ses années d’école où elle était harcelée (un mot qu’elle n’emploie pas), des migraines depuis l’âge de vingt ans – « mon système nerveux était instable », entre autres.

    L’autrice raconte des moments forts qui ont marqué sa destinée, son plaisir à lire et à écrire, des rencontres. A plusieurs reprises, dans le recueil, elle parle de Donald Woods Winnicott, pédiatre et psychanalyste britannique dont les idées l’ont aidée. J’ai pris un plaisir particulier à son récit du 23 février 1981 : sa première rencontre avec le poète Paul Auster (le romancier m’est familier, il serait temps de lire ses poèmes). Ils ont souvent parlé ensemble du besoin d’écrire – « Mon mari a dit souvent : « Ecrire est une maladie. » ». Ella a « peur d’écrire, aussi ». « Le moi blessé est-il le moi qui écrit ? Le moi qui écrit est-il une réponse au moi blessé ? » Bref, un recueil d’essais à lire, si l’on s’intéresse à cette écrivaine si singulière, à la littérature, à l’exploration du « moi ».

  • Ma chère Macha

    A Maria Pavlovna Tchekhova [sa sœur].

    tchekhov,vivre de mes rêves,lettres d'une vie,correspondance,littérature russe,culture,olga knipper,testamentMa chère Macha, je te lègue la propriété à vie de ma datcha de Yalta, l’argent et les revenus de mes œuvres dramatiques et à ma femme, Olga Leonardovna, je lègue la datcha de Gourzouf et cinq mille roubles. Tu peux, si tu le souhaites, vendre les biens immobiliers. Donne à notre frère Alexandre trois mille roubles, à Ivan – cinq mille et à Mikhaïl trois, à Alexeï Doljenko – mille roubles et à Elena Tchekhova (Lelia), si elle ne se marie pas – mille roubles. Après ta mort et celle de notre mère tout, hormis le revenu des pièces, sera mis à la disposition de l’administration municipale de Taganrog pour les besoins de l’instruction publique, quant aux revenus des pièces, ils iront à notre frère Ivan, et après sa mort, à lui, Ivan – à l’administration municipale de Taganrog, pour ces mêmes besoins relatifs à l’instruction publique.
    J’ai promis aux paysans du village de Melikhovo cent roubles pour le paiement de la grande route ; j’ai également promis à Gavril Alexeevitch Khartchenko* (Kharkov, Moskalevka) de payer le lycée pour sa fille aînée, tant qu’elle ne serait pas dispensée des frais de scolarité. Aide les pauvres. Ménage notre mère. Vivez en bonne harmonie.

    Anton Tchekhov

    Le 3 août 1901, Yalta

    Anton Tchekhov, Vivre de mes rêves. Lettres d’une vie

    *Connaissance de Taganrog [sa ville natale] où, enfant, il travaillait à la boutique du père de Tchekhov.

    Cette lettre-testament, certifiée par notaire, fut apportée à Yalta par Olga Knipper après la mort de Tchekhov en juillet 1904.

    Photo : Anton Tchekhov et sa femme, Olga Knipper-Tchekhova, Yalta, 1901

  • Lettres de Tchekhov

    Poursuivons la lecture de la correspondance de Tchekhov dans la collection Bouquins. De Melikhovo, en mars 1892, Anton Tchekhov décrit dans une lettre la propriété qu’il vient d’acheter, enthousiaste malgré les punaises et cafards découverts dans la maison et l’endettement. Dans une autre, à propos d’une école primaire aux mains du clergé, il se souvient de la sinistre formation religieuse que ses frères et lui ont reçue (« de religion, je n’en ai plus maintenant ») et s’interroge sur les enfants qui y étudient : « Leurs âmes sont pour moi un mystère. Si elles sont emplies de joie, alors ils sont plus heureux que mes frères et moi pour qui l’enfance a été une souffrance. » (Lettre du 9/3/1892)

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    Anton Tchekhov lisant sa pièce La Mouette pour la compagnie du Théâtre d'art de Moscou, 1898.
    À sa droite, Stanislavski, assis, et à côté de lui, Olga Knipper (de profil).
    (Tous les noms figurent au bas de la photo de Petr Pavlov (1860-1925) sur Wikimedia

    Vivre de mes rêves comporte de nombreuses lettres à Lika (Lydia Mizinova), une « blonde plantureuse » réputée pour sa beauté, une amie de sa sœur. Dans leur correspondance, Tchekhov badine volontiers, par exemple quand, en juillet 1892, il l’invite malgré l’épidémie de choléra qui a gagné Moscou et les environs : « Je sais tellement bien soigner le choléra que vivre à Melikhovo est parfaitement sans danger. »  Il aime la compagnie des femmes, s’ennuie sans elles, où qu’il soit. Lydia se laissera séduire par un ami de Tchekhov.

    Ne plus vivre en ville lui permet d’avoir des chiens : à l’arrivée de deux teckels sur le domaine, Tchekhov les baptise « Brome » et « Quinine ». A Souvorine, il rapporte que le peintre Levitan, son hôte, emmené à la chasse, a tiré une bécasse sans la tuer et sans avoir le courage de l’achever, s’était tourné vers lui : « Il fallut obéir à Levitan et la tuer. Il y eut ainsi sur terre une belle créature de moins, tandis que les deux nigauds rentraient à la maison et s’attablaient pour le dîner. » On retrouvera cette scène dans La Mouette. Souvorine reste longtemps son interlocuteur idéal, le seul « avec qui converser longuement » et avec qui il se sent « libre » (1893).

    A cause de sa toux, Anton Tchekhov se rend à Yalta au printemps en mars 1894, mais il s’y ennuie, malgré les visites ; il trouve les gens « assommants, saumâtres, blafards ». Dans ses lettres de 1892 à 1904, déjà présentées à la lecture d’une ancienne édition, il parle plus souvent de Tolstoï et explique un jour pourquoi « la morale de Tolstoï » a cessé de le toucher : « Dans mes veines coule du sang de moujik et l’on ne m’épatera pas avec les vertus des moujiks. Dès l’enfance, j’ai cru au progrès. Je ne pouvais pas ne pas y croire, puisque la différence entre l’époque où l’on me fouettait et celle où on cessa de le faire était considérable. » (27/3/1894)

    Conseils aux jeunes écrivains des deux sexes, vie quotidienne, temps qui passe, ennuis de santé (le chat qu’il pose sur son ventre comme compresse contre la diarrhée !), il y a de tout dans sa correspondance. Après sa première visite à Tolstoï à Iasnaïa Poliana en 1895, il confie à Souvorine la « merveilleuse impression » ressentie. (Tolstoï écrit de son côté à son fils que Tchekhov lui a plu : « Il est très doué et semble avoir un cœur bon. Par contre, il n’a jusqu’à présent pas de point de vue à lui. » (note en bas de page) La Mouette, écrite cette année-là, sera jouée l’année suivante – un four à la première, un grand succès ensuite, ce qui aura de quoi rassurer celui qui se sent « un piètre dramaturge ».

    En mars 1897, en plein dîner avec Souvorine à Moscou, « un véritable flot de sang » est sorti de la gorge de Tchekhov et il est hospitalisé. A sa sœur, il écrit de n’en rien dire à ses parents. Tolstoï vient le voir à la clinique. A Souvorine, il donne le diagnostic, « tuberculose pulmonaire » ; les médecins lui ont prescrit « un changement de vie ». Il va cesser sa pratique médicale au village. En automne, il entreprend un voyage à l’étranger : Paris, Biarritz, puis Nice, où il loge à la pension russe. Le beau temps lui fait du bien. A Lydia, en octobre, il écrit qu’il est « dans la joie de vivre » ; « j’aurai du moins passé les trente premières années de ma vie, comme on dit, selon mon bon plaisir. »

    C’est là qu’il prend connaissance de l’affaire Dreyfus et s’enthousiasme pour Zola – « une âme noble ». « La France est un pays merveilleux. Elle a de merveilleux écrivains. » Cette affaire va l’éloigner de Souvorine, dont Temps nouveau (journal de Saint-Pétersbourg dont Souvorine est propriétaire) se montre « simplement répugnant » sur le sujet. Il lui écrit une longue lettre de désaccord.

    Rentré à Melikhovo en mai, il lui faut se remettre à écrire, gagner de l’argent, pour lui et pour les écoles qu’il aide à construire. Mais il doit repartir avant l’hiver, ce sera à Yalta où il loue une petite datcha, deux pièces et un grand jardin. Avant cela, il avait pu assister à une répétition théâtrale et y  avait trouvé une actrice « grandiose » dans son rôle : c’est la première allusion à Olga Knipper, sa future femme. En Crimée, écrit-il, les rivages sont beaux, « seulement le malheur, c’est cette absence totale de culture. »

    Et pourtant, le voilà bientôt dans de nouveaux rêves immobiliers qu’il expose à sa sœur : l’achat d’une propriété « à trente verstes » de Yalta, pour toute la famille. Quasi toutes ses lettres à Macha abordent surtout des questions pratiques, financières, familiales. En octobre, il apprend à Yalta la mort de son père en son absence. Il pressent que  sans celui-ci, la vie à Melikhovo ne sera plus la même. Raison de plus pour devenir propriétaire à Yalta.

    Au nouvel an 1899, il projette de vendre tous ses récits à l’éditeur Marx. Il estime sa santé « honorable », mène « une vie de vieux célibataire, qui n’est ni celle d’un bien portant, ni celle d’un malade, mais une vie couci-couça. » Il tombera d’accord avec Marx qui lui donnera quinze mille roubles pour ses récits publiés et à venir. Mais le revenu des pièces revient à Tchekhov, et après lui, appartiendra à ses héritiers.

    A partir du 16 juin 1899, la correspondance avec Olga Knipper, qu'il a fini par fréquenter, est lancée : des lettres très enjouées, et toujours avec de joyeux souhaits pour terminer : « Portez-vous bien, soyez gaie, heureuse, travaillez, sautez, ayez des amourettes, chantez et, si possible, n’oubliez pas l’écrivain en disponibilité, votre admirateur empressé A. Tchekhov. » Il suit de près le travail du Théâtre d’Art de Moscou, « les plus belles pages qu’on écrira jamais du livre sur le théâtre russe contemporain. » Il pense déjà à un nouveau sujet : Les trois sœurs. Il achète encore « un petit bout de rivage à Gourzouf » (petite crique, vue splendide, rochers, baignade et pêche privés).

    Le mariage d’Anton et d’Olga, en mai 1901, ne changera pas grand-chose à leur rythme de vie, lui en cure, elle en tournée théâtrale. On se souvient de son rêve ancien d’« une femme qui, comme la lune, n’apparaisse pas chaque jour dans [son] ciel ». Mais Olga Knipper-Tchekhova tombe très malade en avril 1902 et ce n’est qu’en juin que Tchekhov sera rassuré sur son état, « sévère, mais pas critique », elle finira par se remettre sur pied. Ils passeront ensemble un été idyllique à Lioubimovka, dans une propriété de Stanislavski, metteur en scène et ami. Il leur reste deux ans avant la mort de Tchekhov en juillet 1904.

  • Exactement

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    Siri Hustvedt, Yonder (Plaidoyer pour Eros)

    Rik Wouters, Femme écrivant (détail)

  • Yonder, Eros, Gatsby

    Laissons Tchekhov un moment, le temps d’ouvrir Plaidoyer pour Eros de Siri Hustvedt (traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christine Le Bœuf) : une douzaine d’essais, un genre où elle excelle. Dans les deux premiers – Yonder (mot anglais souvent traduit par « là-bas ») et Plaidoyer pour Eros –, la réflexion générale est reliée à son expérience personnelle. Le troisième, Les lunettes de Gatsby, propose une lecture très intéressante du célèbre roman de Fitzgerald. Ils datent de 1997-1998 (avant Souvenirs de l’avenir et Vivre penser regarder).

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    « Mon père m’a demandé un jour si je savais ce que signifie yonder. J’ai répondu qu’à mon idée, yonder était synonyme de there, là. Il a souri et m’a dit : « Non, yonder, c’est entre ici et là. » Cette brève explication lui revient souvent à l’esprit, lié à l’image qu’elle s’en fait : du haut d’une colline, elle regarde un arbre isolé dans la vallée, entre ici et au-delà, yonder tree. « Le fait qu’ici et  glissent et s’inversent en fonction de l’endroit où je me trouve a pour moi quelque chose d’émouvant dans la double révélation qu’il apporte des relations ténues entre les mots et les choses, et de la miraculeuse flexibilité du langage. »

    A partir de là, Siri Hustvedt remonte à son enfance, quand sa carte personnelle ne comptait que « deux régions : le Minnesota et la Norvège, mon ici et mon là. » Née aux Etats-Unis, elle a parlé norvégien, la langue maternelle de sa mère et des grands-parents de son père, avant de parler anglais. L’autrice explore la part de Norvège dans sa vie, aussi liée à « mormor », sa grand-mère maternelle (le mot norvégien signifie « mère-mère »). Yonder évoque l’espace maternel et l’espace paternel dans lesquels elle a grandi. Ses lectures y ont leur place, et aussi « les lieux de la lecture », voire de l’écriture : « La fiction vit dans une zone frontière entre le rêve et la mémoire. »

    Le texte éponyme, Plaidoyer pour Eros, est né d’un échange sur le règlement qui venait d’être promulgué au collège d’Antioche  [collège privé dans l’Ohio] selon lequel, sur le campus, un consentement verbal était nécessaire à chaque étape d’une rencontre sexuelle. Siri Hustvedt examine la complexité du désir physique, distingue liberté sexuelle et érotisme, se rappelle quelques expériences personnelles au « théâtre » de la séduction : « La sincérité n’est pas en cause ici ; presque tous, nous jouons « pour de vrai ». Par le langage des vêtements et des gestes, par la parole elle-même, nous nous imaginons tels que l’autre personne nous verra, faisant d’elle le miroir de notre propre désir […] ». Elle appelle à « ne pas oublier l’ambiguïté et le mystère, à reconnaître dans les affaires du cœur une constante incertitude. »

    Dès l’entrée en matière des Lunettes de Gatsby, j’ai bu du petit lait en lisant comment Siri Hustvedt évoque « la magie de ce livre », lu et relu : « Gatsby le Magnifique a laissé aussi sa trace dans mon oreille – la trace d’une musique enchantée, de chuchotements, de rires, et de la voix de la narration même. » J’ai souvent ressenti, dans la fiction romanesque et aussi au cinéma, dans quelques films, ce charme particulier qui nous enveloppe quand le narrateur ou la narratrice nous conduit dans l’intrigue du roman. Et en particulier ce Nick Carraway qui nous raconte l’histoire de Gatsby, son voisin.

    Hustvedt n’avait pas été surprise, en apprenant dans une introduction à une édition de poche, « que Fitzgerald en avait écrit une première version à la troisième personne. Le fait de réduire le récit à la voix d’un personnage qui fait partie de l’histoire permet à l’auteur d’habiter plus pleinement les interstices de ce récit. » Des détails qui n’en sont pas, « l’homme aux yeux de hibou » ou les « yeux binoclards » de T.J. Eckleburg sur un panneau publicitaire, sont soulignés dans cette merveilleuse analyse de Gatsby le Magnifique, un éloge de la fiction et de la manière dont celle-ci devient « réelle » pour ses lecteurs.