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états-unis - Page 16

  • Charisme

    les-hommes-du-president-affiche.jpg« Spielberg met ici en scène le prequel du « Watergate », dans un style d’un classicisme hollywoodien à la Pollack. C’est, d’une part, le récit palpitant d’un bras de fer entre le pouvoir exécutif et la presse. Et d’autre part, c’est la trajectoire d’une femme, que les circonstances conduisent à un choix douloureux : être fidèle à ses amis ou assumer sa responsabilité.

    Spielberg Pentagon-Papers.jpgPar leur charisme, l’ampleur de la carrière, l’amour du public, Meryl Streep et Tom Hanks sont les héritiers des grands acteurs de l’âge d’or hollywoodien, la Katharine Hepburn et le James Stewart de notre époque. Ils jouent à l’ancienne mais avec leur modernité et leur profondeur, ils emportent jusqu’à aujourd’hui toute une tradition, une expérience, un idéal qui vient de Capra et communiquent la nature de leur personnage, sans avoir recours aux mots. »

    Fernand Denis, "Pentagon Papers" : L'hommage de Spielberg au journalisme, La Libre Belgique, 24/1/2018

  • Liberté de la presse

    On peut aller voir un film pour un formidable duo d’acteurs – en l’occurrence, Meryl Streep et Tom Hanks – et sortir du cinéma emballé par un puissant éloge de la liberté de la presse, ou bien l’inverse. Dans The Post (diffusé chez nous sous le titre Pentagon Papers, au Québec, Le Post, tout simplement), Spielberg raconte avec l’art et le fini qu’on lui connaît ces jours historiques pour le journal The Washington Post, en 1971. 

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    Ecœuré par les mensonges du gouvernement américain sur ses succès militaires au Vietnam, un analyste militaire est à l’origine du dévoilement de ces archives confidentielles du Pentagone : une étude sur les avancées réelles de la guerre au Vietnam dont plusieurs présidents américains, successivement, n’ont pas tenu compte, prolongeant le mensonge d’Etat et l’envoi de jeunes soldats, toujours plus nombreux, dans le bourbier vietnamien.

    C’est le New York Times qui publie en primeur ces documents secrets à la une, mais très vite, une injonction de la justice à la demande de Nixon lui interdit de continuer à porter ainsi atteinte à l’image des Etats-Unis. Le rédacteur en chef du Post, Ben Bradlee (interprété par Tom Hanks) y voit une occasion inespérée pour un journal à l’audience plus limitée et qui cherche de nouveaux moyens financiers pour se développer : il voudrait persuader la directrice du journal, Katharine Graham (interprétée par Meryl Streep) de publier ces « Pentagon Papers » s’il arrive à mettre la main dessus. Elle hésite d’autant plus qu’elle est stressée par l’entrée en bourse imminente du Post, groupe familial dont elle a pris la direction après le suicide de son mari.

    Au comité d’administration, les conseillers sont nombreux à préférer la prudence, surtout en ces circonstances où il vaudrait mieux ne pas affoler les banquiers. Spielberg filme à de nombreuses reprises la directrice du Post entourée d’hommes en costume et cravate, seule présence féminine dans un monde majoritairement masculin – il fallait du cran. Certains n’hésitent pas à la mettre en cause, à dévaloriser ses compétences, d’autant plus qu’elle est arrivée à son poste parce qu’elle était l’épouse du directeur précédent.

    Plusieurs scènes montrent bien l’attention de Spielberg à cette question du genre : lorsqu’elle fait son discours pour l’entrée officielle en bourse ; lorsqu’elle donne une réception et se retire avec les dames à l’heure où celles-ci laissent les messieurs discuter entre eux ; lorsqu’elle quitte le tribunal à la fin, après que le Post et le New York Times ont gagné devant la Cour Suprême des Etats-Unis – laissant le patron du New York Times pavoiser devant les micros des journalistes, la patronne du Washington Post descend les marches de son côté, entre de nombreuses jeunes filles levant vers elle un regard admiratif.

    Le thème majeur du film est la liberté de la presse, et en particulier, la liberté de critiquer la politique gouvernementale. Le début du film illustre parfaitement le décalage entre la réalité du terrain (les soldats morts au Vietnam) et le discours de propagande des responsables politiques, pour le prétendu bien du pays, alors même qu’ils viennent d’être informés de défaites calamiteuses.

    Spielberg montre la proximité entre les journalistes et la sphère politique : la directrice du Post considère Robert McNamara comme un ami. Quand son rédacteur en chef soulève la question de son indépendance réelle, elle riposte en lui rappelant ses propres liens avec le président Kennedy et sa femme. Le film souligne également le rôle crucial de la justice pour protéger les droits des uns et des autres. Désobéir à l’injonction d’un magistrat peut conduire en prison, le journal risque gros dans l’aventure – et tous ses employés. Spielberg a construit « un haletant suspense uniquement avec des discussions, des réunions et des échanges téléphoniques » (Marcos Uzal, Libération)

    Pentagon Papers a été présenté comme un film « anti-Trump » : Tom Hanks est un opposant notoire au président actuel des Etats-Unis, celui-ci n’a pas hésité à dévaloriser la réputation de Meryl Streep, récemment récompensée par un Oscar pour son premier rôle dans The Post. Le journalisme est un métier de passion, c’est ce qu’incarnent parfaitement Meryl Streep et Tom Hanks dans les rôles principaux, et aussi Bob Odenkirk dans le rôle de Ben Bagdikian décidé à tout risquer pour cette cause juste, comme Matthew Rhys dans celui de Daniel Ellsberg, le lanceur d’alerte.

    Où en est la grande presse presque cinquante ans plus tard ? Quelle est son indépendance par rapport aux gouvernants dont elle ne fait trop souvent que répéter le discours, au détriment de l’analyse et de la critique ? On mesure aussi, devant les superbes images des salles de rédaction, de la composition des articles au plomb, de l’impression, des rotatives, de l’empaquetage, à quel point le travail technique a changé, sans parler du recul actuel de la presse papier au profit du numérique.

    Pentagon Papers de Spielberg, qui nous plonge littéralement dans l’époque et le décor des années septante, m’a passionnée de bout en bout. Je laisse la conclusion à Armelle Barguillet : « Ce film tombe au bon moment pour deux raisons : primo, il rend compte du devoir de vérité d’une presse indépendante et courageuse ; secundo, il se glisse dans l’actuel débat féministe sur les inégalités de traitement faites aux femmes, les humiliations quotidiennes qu’elles subissent en affirmant leurs convictions, leur intelligence et leur perspicacité, y compris dans les décisions historiques de la nation. » (La Plume et l’Image)

  • Cloche

    patti smith,glaneurs de rêves,récit,littérature anglaise,etats-unis,enfance,poésie,nature,culture,woolgathering,traductionPuis-je t’offrir cette cloche
    marchande le murmure
    Elle est extrêmement précieuse,
    une pièce de collection, qui n’a pas de prix
    Non merci, répondis-je
    je ne souhaite pas de possessions
    Mais c’est une cloche fabuleuse
    une cloche de cérémonie
    une belle cloche
    Ma tête est une cloche
    chuchotai-je
    entre mes doigts bandés
    déjà endormie

    Patti Smith, Rubis indien (Glaneurs de rêves)

    Photo de couverture : Patti Smith, CM1, 1955, New Jersey

  • Attentive à l'infime

    C’est une glaneuse de bonheurs qui m’a mis dans les mains Glaneurs de rêves de Patti Smith et je l’en remercie. Je me suis souvenue de ce moment intense, lors d’une rencontre avec François Busnel pour La grande Librairie en 2014, chez elle, quand elle disait son poème « People have the power ». En frontispice, la première des photos (une vingtaine) qui illustrent ce livre montre les premiers paragraphes de Woolgathering (traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Héloïse Asquié), la fine écriture penchée de Patti Smith sur un feuillet quadrillé.  

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    Elle décrit d’abord au lecteur « la tonalité » de sa vie quand elle a commencé à écrire ceci pour les livres Hanuman, 7,5 cm sur 10, « comme de petits livres indiens qu’on pouvait transporter dans sa poche. » L’avant-propos se termine ainsi : « Tout ce que contient ce petit livre est vrai, et écrit exactement tel que ça s’est passé. Son écriture m’a tirée de mon étrange torpeur et j’espère que, dans une certaine mesure, il vous emplira d’une joie vague et singulière. »

    Texte en prose, texte poétique : de Un vœu à Un Adieu, Patti Smith compose de courts paragraphes où le souvenir, l’observation, le rêve, l’imagination se sont donné rendez-vous. Entre les paragraphes, les blancs sont des silences qui mettent à l’écoute, des pauses pour accueillir la résonnance des mots. Glaneurs de rêves ne se résume pas. C’est le livre d’une femme « attentive à l’infime ».

    Enfant, elle excellait aux billes qu’elle lustrait le soir avec une peau de chamois. A la fenêtre de sa chambre « où le vent agitait les bords du tissu », elle montait la garde. « Il y avait un champ. Il y avait une haie composée d’énormes buissons qui encadraient ma vue. La haie, je la considérais comme sacrée – le bastion de l’esprit. Le champ, je le révérais, avec son herbe haute et attirante, sa courbe puissante. »

    Parfois elle se couchait dans l’herbe et contemplait le ciel : « On aurait dit que la carte de toute la création était tracée là-haut ». Immobile, il lui était possible alors « d’entendre une graine se former, d’entendre l’âme se replier comme une nappe blanche. »

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    Un vieil homme qui vendait des vairons en guise d’appâts lui a soufflé son titre : « C’est les glaneurs de rêves… » «  Je ne savais pas ce que ça pouvait bien être, un glaneur de rêves, mais ce mot avait une certaine noblesse et ce travail me semblait tout indiqué pour moi. » L’enfant, l’esprit ouvert, « entre sans effort dans l’étrange » ; « il glane, assemblant un fol édredon de vérités – des vérités sauvages et nébuleuses, dont c’est à peine si elles frôlent en fait la vérité. »

    Je n’en dirai pas trop sur ce petit bijou de Patti Smith, un récit qui a l’éclat du rubis indien qu’elle gardait dans son sac, composé comme un patchwork dont « chaque carré était aussi enivrant qu’une graine sauvage ou une tasse de thé rare ». Elle y philosophe en passant : « La seule chose sur laquelle on peut compter, c’est le changement. » Elle y parle de sa chienne Bambi, de sa petite sœur Kimberly.

    Pourquoi Millet en couverture ? Un chapitre porte son nom, où elle évoque son arrière-grand-mère qui l’avait prise en grippe mais à qui elle ressemble : « J’étais consciente, même quand elle me rabrouait, qu’à travers elle je possédais l’âme de la bergère. A travers elle, j’étais attirée par la vie des rêveurs, et je m’imaginais surveillant un troupeau, récoltant la laine dans une sacoche de cuir, et contemplant les nuages. »

    Lisez « Sur le bureau de Patti Smith » et vous verrez là aussi à qui vous avez affaire. Qu’est-ce qu’un poète, une poétesse ? Quelqu’un qui écrit : « L’air était carnaval, saisissement pur. »

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    Textes & prétextes, 10 ans

  • Pulsation

    didion,joan,un livre de raison,littérature anglaise,etats-unis,roman,traduction,culture« Et qu’avait fait Charlotte dans Boca Grande ? Marine Bogart voulait-elle savoir ce que Charlotte avait fait de sa vie ou comment elle avait bien pu se faire tuer ? Dans un cas comme dans l’autre la réponse est obscure. Dans la mesure où je suis incapable de tirer des conclusions définitives. Je sais comment établir le schéma moléculaire de la vie, représenter les hélices simples, doubles des acides aminés, mais lorsque je m’efforce de définir le modèle du « caractère » de Charlotte Douglas je ne vois qu’une pulsation lumineuse. Je songe à ces arcs-en-ciel sur les taches d’huile des boulevards de Progreso après la pluie. Il me faut tenter de percevoir ce modèle. »

    Joan Didion, Un livre de raison