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Société - Page 105

  • Margolin en URSS / 1

    Quand j’ai lu le nom de Julius Margolin pour la première fois, il m’était complètement inconnu. Mais j’ai su aussitôt que je lirais ce « témoignage irremplaçable » (A sauts et à gambades). Voyage au pays des ze-ka (traduit du russe par Nina Berberova et Minat Journot, édition révisée et complétée par Luba Jurgenson, Le Bruit du temps, 2010) est la première édition complète du récit de ce docteur en philosophie polonais, écrit en 1946-1947, après sa libération des camps soviétiques où il a survécu cinq ans, où il est passé de 80 à 45 kilos, et où il a échappé miraculeusement à la mort. Sa première publication chez Calmann-Lévy en 1949 s’intitulait La Condition inhumaine - treize ans avant Une journée d'Ivan Denissovitch de Soljenitsyne !

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    Julius Margolin vers 1930

    Né en 1900 dans une famille juive de Pinsk (« zone de résidence » de l’Empire russe, précise l’éditeur), Margolin « entend le yiddish et le polonais », mais est élevé dans la langue et la culture russes. Il étudie la philosophie à l’université de Berlin. En 1936, après un voyage en Palestine, sa femme et son fils s’y installent. Sioniste, il devient résident permanent de la Palestine et conserve la citoyenneté polonaise. Il se trouve chez sa mère à Pinsk quand on l’arrête, le 19 juin 1940, dans la ville envahie par l’armée Rouge.

    Pendant ses années de captivité, Julius Margolin s’est rappelé la « littérature touristique » d’écrivains qui avaient passé quelques semaines en URSS, comme Gide. Il s’est souvenu des transfuges qui ne voulaient pas rester en Pologne capitaliste, fascinés par la « patrie de tous les travailleurs », des anonymes disparus sans laisser de traces. « Le pays des Ze-Ka ne figure sur aucune carte soviétique et ne se trouve dans aucun atlas. C’est le seul pays au monde où il n’y a aucune discussion sur l’URSS, aucune illusion et aucune aberration. (…) Je ne suis pas allé en Russie par l’Intourist, et je n’ai pas traversé, par une nuit sans lune, la frontière de la Polésie. Je fus un touriste d’un troisième genre, très particulier. Je n’ai pas eu besoin d’aller en Russie, c’est elle qui est venue à moi. »

     

    Septembre 1939. Quand la guerre éclate, l’armée polonaise n’y est pas préparée, ni les deux cent cinquante mille Juifs de la ville de Lódz. Julius Margolin n’a qu’une idée en tête : retrouver le plus vite possible sa famille en Palestine. Fuyant les bombardements, il espère passer en Roumanie. Mais la confusion est totale. Beaucoup accueillent l’Armée rouge avec enthousiasme et les frontières sont fermées. Pas moyen d’obtenir un laissez-passer. Il prend le train pour Pinsk, y demande un visa, en vain.

     

    Il assiste alors à la rapide soviétisation de la société polonaise, qui fait bientôt l’unanimité contre elle : disparition des administrateurs polonais, déportation des propriétaires de terres agricoles, des marchands, des avocats, abolition des institutions culturelles, interdiction de l’hébreu, destruction des organismes politiques et sociaux, fin du zloty… Le travail devient obligatoire et de plus en plus mal payé, la médecine gratuite mais mauvaise. Les vraies réalités soviétiques sont révélées aux Polonais : pauvreté, contraintes, mensonge.

    « Quelqu’un nous ferma la bouche et parla en notre nom. Quelqu’un entra dans nos maisons et dans notre vie et, sans notre consentement, en devint le maître. »

     

    Margolin est dans une souricière. A Pinsk, on l’engage d’abord pour trier des livres dans la riche bibliothèque du séminaire transformé en hôpital de l’Armée rouge – « de ma vie, je n’ai jamais accompli un travail qui correspondait mieux à mes goûts ». Le soir, il rentre chez sa mère pour manger et pour dormir. Ensuite, il travaille comme traducteur. Ce sont ses derniers jours « normaux ». Le 19 juin 1940, un milicien vient l’arrêter, l’assurant que ni argent ni bagages ne sont nécessaires, juste un pardessus.

     

    « Jamais, de ma vie, je n’avais été en prison. Au moment de mon arrestation j’avais trente-neuf ans. J’étais un père de famille, un homme matériellement et moralement indépendant, habitué à l’estime de ceux qui m’entouraient, un citoyen tout à fait loyal. Je n’avais fait de mal à personne. Je n’avais pas violé la loi, et j’étais fermement convaincu de mon droit à la considération et à la protection des institutions de chaque Etat, sauf de celui de Hitler. En somme, j’étais un intellectuel assez naïf qui, après s’être battu pendant neuf mois dans la toile d’araignée soviétique, se sentait toujours, dans son esprit et dans son cœur, un citoyen de la superbe Europe, avec son Paris, son Athènes et les horizons d’azur de la Méditerranée. Le seuil de la maison de la rue Logiszynska une fois franchi, je cessai d’être un homme. Ce changement se produisit de but en blanc, comme si, brusquement, par un beau jour clair, j’étais tombé dans une fosse profonde. »

     

    Détenu dans une cave à pommes de terre du NKVD, Margolin commet l’erreur, lors de son interrogatoire, de discuter, de se défendre. Au lieu de prendre trois ans comme « fugitif », il en prend cinq. Ils se retrouvent à septante-cinq juifs dans une cellule de sept mètres sur cinq. Son père, le vieux Dr Margolin, frappera en vain à la porte de la prison pour protester. La déchéance physique est rapide : otite non soignée et perte d’audition, poux, douches trop rares, promiscuité. Après six semaines, on leur apporte des vêtements et du savon avec un colis de nourriture pour le voyage.

     

    Leur convoi comporte dix wagons de marchandises, septante personnes par wagon, comptées et recomptées de jour et de nuit, et passe la frontière russe. C’est comme descendre sous terre, « hors du monde des vivants », sur la route d’un autre monde. « Et nous savions que, lorsqu’elle finirait et que nous sortirions de ce cercueil, tout autour de nous serait autre, et nous-mêmes nous aurions changé. » L’idéal européen de l’homme libre et de la dignité humaine laisse la place, en Eurasie, à une « civilisation de masses ».

     

    Les juifs polonais apprennent qu’ils sont désormais des « prisonniers » destinés aux camps du canal Mer Blanche-Mer Baltique. Margolin devient un des mille ze-ka polonais du 48e carré, « un camp ordinaire en URSS » au nord du lac Onega. Chaque camp comporte dix à quinze carrés (divisions), ce qui porterait le nombre de ze-ka à dix millions dans toute l’Union soviétique, les chiffres exacts étant du ressort du GOULAG, la direction générale des camps. C’est le premier grand complexe industriel de l’histoire mondiale.

     

    Les ze-ka ne sont pas des travailleurs, ce sont des esclaves affectés à l’abattage du bois, des bêtes de somme. Les tâches sont en principe distribuées en fonction des forces, la nourriture aussi, selon la catégorie et le pourcentage de la norme réalisé. Parmi les compatriotes de Julius Margolin, une majorité d’intellectuels, beaucoup refusent d’abord ce travail de bûcheron hors de leurs compétences et sans matériel correct. Mais il vaut mieux ne pas discuter au camp, on risque de perdre son emploi et la nourriture correspondante.

     

    On leur envoie alors des criminels russes de droit commun pour former des brigades « mixtes » et les initier à leurs nouvelles tâches. Margolin abat des sapins à la hache.  Ses forces ne lui permettent pas de porter des lattes pesantes, il maigrit, tombe malade, on le vole pendant un évanouissement. Le réveil à l’infirmerie est luxueux : repos, lecture. Cinq jours après, il reçoit un emploi de traducteur auprès du juge d’instruction.

     

    Le philosophe polonais décrit minutieusement, jour après jour, le processus de la déshumanisation, résultat du travail épuisant et de la misère. Les ze-ka n’ont pas de vêtements corrects, leurs liens familiaux ont été brisés, les femmes sont poussées à se prostituer pour être mieux traitées. C’est l’univers de l’humiliation, où l’on est obligé de mentir continuellement pour éviter les ennuis.  (A suivre.)

  • Une phrase de plus

    « Hommes et femmes souhaitent-ils autre chose qu’être écoutés, compris et par-dessus tout aimés ? Si la femme d’aujourd’hui veille davantage à son propre épanouissement qu’autrefois, l’homme aurait tort d’y voir un signe de rejet. Chaque sexe gagnerait à comprendre que ce que l’autre cherche n’est pas radicalement différent. Encore faut-il, pour que cette vérité soit comprise, que chacun s’ouvre à l’autre. Les intentions ou les projets peuvent être parfaitement identiques de part et d’autre mais leur expression émotionnelle totalement opposée. Les différences portent moins sur le fond que sur la forme. Mais combien la forme est importante ! Alors, que faire ? Toujours donner une phrase d’explication de plus. Consacrer une minute supplémentaire à se faire comprendre permet parfois d’éviter plusieurs heures d’affrontement. »

     

    Alain Braconnier, Le Sexe des émotions

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    LUDOVIC BAUËS 1864 - 1937
    Conversation dans les dunes

     

     

     

  • Du sexe des émotions

    « L’homme et la femme se prennent, se déprennent, s’entreprennent, se reprennent et de surprennent, mais se comprennent-ils ? » C’est la question soulevée par Alain Braconnier dans Le Sexe des émotions (1996-2000). Ce psychiatre et professeur d’université plaide pour une meilleure lecture de nos émotions réciproques afin de mieux nous comprendre. Plutôt qu’aux capacités intellectuelles des hommes et des femmes, il s’intéresse ici à leurs échanges affectifs.

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    http://www.chinatoday.com.cn/ctfrench/se/2010-10/26/content_306375.htm

    Trop d’inégalités persistent entre les femmes et les hommes, au travail ou à la maison. Leurs goûts diffèrent souvent dans les loisirs, par exemple pour le choix d’un programme télévisé. Mais que ressentent-ils en commun ? Selon Braconnier, les émotions positives sont mieux partagées entre homme et femme que les émotions négatives, en particulier l’angoisse. Trop de malentendus et de conflits viennent d’une méconnaissance de l’autre. « Les hommes acceptent difficilement de montrer leurs faiblesses ». Les femmes se sentent maltraitées quand elles ne peuvent partager ce qu’elles éprouvent avec eux.

    Des « histoires brèves » illustrent ces constats, inspirées à l'auteur par sa pratique de thérapeute. Quand ils lui racontent une séparation ou un divorce, un homme et une femme le font différemment, explique-t-il. Au féminin, c’est souvent une tragédie, qui culmine dans une crise ; au masculin, elle survient comme un drame, dans un « coup de tonnerre » soudain. Quand une femme rompt, sa décision longuement mûrie est irrévocable ; un homme peut partir sur un coup de tête, et revenir après.

     

    Femmes et hommes ne parleraient-ils pas la même langue ? Elles privilégient le rapport humain, à égalité entre interlocuteurs ; ils privilégient un statut, une position sociale. Par ailleurs, « les hommes supportent mal les problèmes en attente, ils cherchent et proposent rapidement des solutions à tout. » Les femmes affrontent les difficultés autrement, elles en parlent d’abord pour être comprises. Mais nous avons tous et toutes le pouvoir de « modifier notre comportement sous l’influence de nos émotions », d’agir sur elles, de les exprimer davantage ou de réprimer leurs manifestations dévastatrices. (Comment ? Ce sera peut-être le sujet d'un autre livre.)

     

    Filles et garçons éprouvent les mêmes émotions primaires : joie, colère, peur, tristesse, dégoût, surprise. L’observation des bébés permet de savoir vers quel mois telle ou telle expression émotionnelle apparaît. A trois ans, l’enfant possède « tout l’éventail des émotions humaines ». Filles et garçons crient et pleurent autant les uns que les autres dans leur première année. Les garçons, d’humeur changeante, sont plus difficiles à consoler ; les filles se montrent plus communicatives et réceptives. On échappe rarement aux stéréotypes culturels : devant la photo d’un bébé de neuf mois qui pleure, si l’on pose la question de savoir pourquoi ce garçon pleure, ce sera de colère, cette fille… de chagrin.

     

    Le contexte familial est essentiel. Les parents réagissent différemment avec un garçon ou une fille, leur parlent en d’autres termes : « sois gentille » – « défends-toi ». Leurs jeux ne sont pas pareils, ni même les histoires qu’on leur raconte. Les filles sont encouragées à la compréhension, les garçons à la compétition. Alain Braconnier les suit à chaque étape – enfance, adolescence, âge adulte – et observe la manière dont se constitue « l’identité de genre ».

     

    S’il préconise l’école mixte pour apprendre à mieux se connaître et se comprendre, il constate pourtant qu’au bout d’un apprentissage scolaire commun, les projets des unes et des autres se conforment aux stéréotypes : les filles veulent généralement informer, communiquer, aider, soigner, s’occuper des autres ; les garçons fabriquer, réaliser, rechercher, inventer, étudier.

     

    Les femmes se montrent généralement plus émotives et plus expressives, les hommes plus agressifs et impulsifs. En public, elles font preuve de plus de retenue qu’eux. Braconnier explique ces différences par des facteurs culturels, psychologiques et sociaux. Il interroge aussi la biologie : l’étude du cerveau montrerait une répartition différente entre les hémisphères droit et gauche selon le sexe lors de l’expression des émotions. L’anxiété, la dépression, touchent davantage les femmes ; les obsessions, les hommes.

     

    L’auteur remonte l’histoire des femmes et des hommes, retrace l’évolution du discours psychanalytique, reprend les tendances indiquées par les études statistiques. S’il décrit bien les différences de comportement, l’essai n’éclaire pas forcément la problématique des émotions, si difficiles à partager parfois. A lire donc avec recul et humour, comme Braconnier nous y invite, cette « réalité toujours mouvante » d’être homme ou d’être femme, et de l’être ensemble.

     

    Le Sexe des émotions n’apprend pas grand-chose à qui vit en couple, mais permet de vérifier des impressions personnelles. Oui, les stratégies diffèrent souvent entre les femmes et les hommes. Oui, chacun, chacune, comme le rappelle l’auteur, a droit à la fragilité. Faire preuve d’empathie est essentiel, de bienveillance – des deux côtés. L’essai d’Alain Braconnier appelle à un nouvel art du dialogue entre les sexes qui rende la vie plus excitante et moins conflictuelle. Pour contrer les méfaits des préjugés, il revendique pour chaque être humain la liberté d’exprimer toutes ses émotions.

  • La douleur

    « Pendant un long moment,  je restai assis entre les deux tombes et je pleurai. Quand mes larmes se furent taries,  je sentis le calme prendre possession de moi. Je sentis le cercle de famille se refermer enfin. Je compris que ce que j’étais, ce qui m’importait, n’était plus une simple question d’intellect ou de devoir moral, n’était plus une construction verbale. Je vis que ma vie en Amérique – la vie chez les Noirs, la vie chez les Blancs, le sentiment d’abandon que j’avais ressenti quand j’étais enfant, la frustration et l’espoir dont j’avais été témoin à Chicago –, tout cela était relié à ce petit morceau de terre, au-delà de l’océan, mais par une chose plus importante que le hasard qui m’avait donné mon nom ou la couleur de ma peau. La douleur que je ressentais était celle de mon père. Mes questions étaient celles de mes frères. Leur lutte, mon droit acquis à la naissance. »

     

    Barack Obama, Les rêves de mon père

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  • Obama, le fils

    Barack Obama porte le nom et le prénom de son père. Il a publié en 1995 Les rêves de mon père. Son élection à la tête de la Harvard Law Review lui avait valu l’avance d’un éditeur pour l’écrire. Des ventes décevantes, mais l’investiture démocratique pour un siège au Sénat en 2004 en a entraîné une réédition , sous-titrée L’histoire d’un héritage en noir et blanc. Obama s’est alors relu – « afin de voir si ma voix avait beaucoup changé au cours du temps ». Convaincu d’avoir « quelque chose d’original à dire sur les relations entre les races », il a finalement opté pour le genre autobiographique, un « voyage personnel, intérieur, la quête d’un garçon à la recherche de son père et, à travers cette quête, le désir de donner un sens utile à sa vie de Noir américain. » 

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    La première partie, «  Les origines », commence par un coup de téléphone : à 21 ans, il apprend la mort de son père, qui était alors pour lui « un mythe ». Celui-ci avait quitté Hawaii quand son fils avait deux ans, Barack ne le connaît que par les récits de sa mère et de ses grands-parents maternels. Ce Kényan était le fils d’un fermier important, un ancien, un homme-médecine. Doué, Obama père avait obtenu une bourse pour étudier à Nairobi, puis dans une université américaine. Le premier étudiant africain de l’université de Hawaii y a rencontré une étudiante blanche qu’il a épousée, dont il a eu un fils. Mais ensuite il est parti seul pour Harvard, puis est retourné au Kenya afin de tenir sa promesse par rapport à son continent d’origine. Ce récit, Obama le fils le découvrira un jour, est un conte.

     

    Lui-même a mis du temps pour  prendre conscience des réalités du métissage. Quand, à six ans (1987),  il apprend qu’en Virginie, interdire des mariages interraciaux viole désormais la Constitution des Etats-Unis, il se demande comment ses grands-parents ont autorisé le mariage de leur fille avec un Africain. Il reprend alors l’histoire de son grand-père, un garçon assez difficile que Pearl Harbor amène à s’engager. La mère de Barack Obama est née dans une base militaire où sa grand-mère, Toot, travaillait dans une usine d’assemblage. Puis le virus du voyage a repris son grand-père – Californie, Kansas, Texas – Gramps a travaillé dans la vente et accepté de s’installer avec sa famille à Honolulu où s’ouvrait un nouveau magasin de meubles.

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    Sa mère, la fille de ce couple plutôt libre-penseur, vaguement libéral, vit une enfance assez solitaire mais joyeuse. A douze ans, les moqueries des autres parce qu’elle joue avec une petite Noire de son âge la choquent : ses parents protestent à l’école, où on leur répète que « les petites filles blanches ne jouent pas avec des filles de couleur dans cette ville ».

     

    Hawaii était un cadre paradisiaque pour Barack enfant, mais son père en était absent. Sa mère se remarie avec Lolo, un Indonésien rencontré à l’université, qu’ils suivent à Djakarta pour y vivre dans une maison neuve en périphérie. Barack y apprend à observer les animaux, à se battre pour se défendre. Son beau-père, plein de bon sens, le pousse à développer sa force et son intelligence. La mère de Barack souffre de solitude. Dans son pays, Lolo est différent, ne lui parle plus. Il travaille comme géologue pour l’armée, elle enseigne l’anglais à des hommes d’affaires. Elle se sent mal à l’aise avec la corruption du régime, et de plus en plus avec son mari qui s’est « mis bien avec le pouvoir ». La naissance de Maya, la petite sœur de Barack, n’empêchera pas la séparation du couple et le divorce.

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    Sa mère veut faire de lui un Américain, pas un Indonésien, et complète sa scolarité avec des cours par correspondance, lui fait travailler son anglais pendant trois heures avant l’école, cinq fois par semaine. Un jour où son garçon rentre avec une entaille au bras, elle lui fait la leçon : « Si tu veux devenir un être humain, il te faudra avoir certaines valeurs ». Honnêteté, justice, franchise, indépendance de jugement – elle lui donne son père en exemple. En lisant des livres sur le mouvement des droits civiques, il prend conscience, dans l’anxiété, qu’être noir est un destin à part.

     

    Barack est alors envoyé chez ses grands-parents à Hawaii : Gramps et Toot habitent maintenant un petit appartement trois pièces. Gramps peine à vendre des assurances-vie tandis que Toot est vice-présidente d’une banque régionale. Admis dans un lycée prestigieux, l’adolescent y subit, à l’appel de son nom, gloussements moqueurs et même cris de singe quand on l’interroge sur la tribu de son père, un luo. « Je passai le reste de ma journée dans le brouillard. » Il n’est pas du même milieu que les autres, ne se sent pas à sa place.  

    obama,barack,les rêves de mon père,récit,autobiographie,hawaii,indonésie,états-unis,chicago,kenya,enfance,jeunesse,race,racisme,formation,action,famille,cultureSon père, remarié, annonce son arrivée pour Noël. Ils vont vivre un mois à cinq, avec sa mère venue les rejoindre. Mais le garçon reste muet devant son père, ressent son pouvoir quand il parle, se révolte quand il l’empêche de suivre son dessin animé préféré. Quelle angoisse quand son père est invité à parler devant sa classe ! Il a prétendu un jour que c’était « un prince » et il craint un désastre. Mais tout se passe merveilleusement, son père est passionnant quand il leur décrit le Kenya. Avant de repartir, il danse devant lui et l’invite à danser avec lui, un moment inoubliable. C’est la première et la dernière visite de son père.

     

    « J’essayais de m’élever pour devenir un homme noir en Amérique, et, au-delà du fait acquis de mon apparence, personne autour de moi ne semblait exactement savoir ce que cela signifiait. » Arrogance des Blancs, radicalisme excessif de son copain Ray en « nègre pur et dur », Barack Obama zigzague entre deux mondes, conscient des règles imposées par l’homme blanc. Il lit Malcolm X, mais ne peut renier la part de sang blanc en lui. Il se sent « absolument seul ». Drogue, alcool, le jeune homme perçoit les risques et écoute sa mère qui l’accuse de traiter son avenir à la légère.

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    Inscrit à l’Occidental College de Los Angeles, il partage là les mêmes préoccupations que les autres : « Survivre aux cours. Trouver un job bien payé après les études. Essayer de coucher. » Il tourne en rond pendant un an, mais en deuxième, il s’investit dans une campagne pour inviter des représentants de l’ANC sur le campus, prépare un meeting, prend la parole. Il lui faut se sentir utile, actif.

     

    « Chicago », la deuxième partie, raconte comment Barack Obama devient un « organisateur de communautés ». Pour changer la société, il faut d’abord mobiliser la base, c’est sa conviction. Après quelques essais professionnels, il est engagé comme stagiaire à Chicago. La ville est fière de son maire noir, mais la situation économique est désastreuse. Il faut reconstruire des usines, recréer des emplois. Barack travaille à la création d’une nouvelle agence pour l’emploi dans le sud de la ville, interroge les gens, découvre la vie des familles noires qui ont réussi à s’acheter une petite maison avec jardin, mais craignent le déclin, l’insécurité pour leurs enfants. Les églises protestantes et catholiques sont les principaux lieux de rencontre entre les différentes couches sociales.

     

    A la Cité d’Altgeld Gardens (deux mille appartements pour Noirs pauvres non loin des décharges d’usines), il voit le délabrement, les besoins, travaille avec des femmes débrouillardes à obtenir de l’aide, à organiser des comités. Tout est lent, difficile. Lui-même ne sait pas exactement ce qu’il est, ce qu’il veut. « Lutter sans cesse pour faire converger la parole et l’action, nos désirs les plus chers avec un projet réalisable… et si, en définitive, ce n’était pas tout simplement de cela que dépendait l’estime de soi. » 

    La visite d’Auma, sa sœur kenyane, réveille sa curiosité pour son père, qu’elle appelle « le Vieil Homme ». Auma l’a vu partir pour Hawaii où il allait épouser Stanley Ann, en revenir avec Ruth, une autre femme blanche, avant de se remettre à fréquenter Kezia, sa propre mère. Le monde de Barack s’écroule, l’image de son père est brouillée : celui-ci était déjà marié en Afrique avant d’épouser sa mère, avait eu deux enfants, et il a eu d’autres femmes ensuite, d’autres enfants. Le voilà libéré du héros paternel – « Réveille-toi, homme noir ! » – mais de plus en plus curieux de ses racines africaines. Après avoir travaillé sur le terrain, pris la mesure des difficultés, Barack Obama décide de s’inscrire à l’université pour y acquérir davantage de compétences utiles à l’action. Il va bientôt partir pour Harvard.

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    Les rêves de mon père, récit d’une évolution personnelle et d’une prise de conscience, se termine par un voyage au Kenya. Dès son arrivée à l’aéroport de Nairobi, Barack Obama se sent chez lui : une jeune femme reconnaît son nom, son père était un ami proche de sa famille. Il loge chez Auma, dans un petit appartement confortable de professeur. Ensemble, ils vont en ville, au marché, ils rencontrent sa famille africaine, tantes et oncles, demi-frères, tous heureux de le voir au pays, curieux de sa vie américaine, envieux de son statut d’homme qui a étudié et réussi.

    Malgré la résistance de sa sœur, ils participent à un safari dans la « grande vallée du Rift », le plus beau paysage du monde. En famille, ils vont sur les terres du grand-père « La Terreur », réputé sévère et méchant, mais bon cultivateur. Barack rencontre sa grand-mère, s’incline sur la tombe de Hussein Onyango Obama dont la personnalité se révèle moins exemplaire qu’il ne l’imaginait. Cet homme soucieux avant tout d’autorité et de respect des anciens a choisi l’islam par amour de l’ordre. Au bout du voyage, Barack Obama sait mieux que ce qui importe vraiment, c’est d’avoir « foi dans les autres ».

     

    Si la figure paternelle est centrale dans son récit, les femmes jouent aussi un rôle de premier plan dans l’histoire d’Obama. Après six ans de droit à Harvard, entré dans un cabinet d’avocats, il se dit devenu plus « patient », grâce à sa femme Michelle et à son sens pratique qui compense son côté « doux rêveur ». On le sait, cette patience lui a permis de dépasser les rêves de son père, dont il a inscrit le nom et le prénom dans l’histoire.