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Culture - Page 419

  • Photos pour Imogen

    Cela fait longtemps que je ne m’étais plus tournée vers Jonathan Coe. La pluie, avant qu’elle tombe (2007, traduit de l’anglais par Jamila et Serge Chauvin), est un roman tout en sensibilité, aux personnages attachants, même si l’histoire est sombre, et l’écrivain britannique a surpris ses lecteurs attachés à un ton plus ironique. La mort de son grand-père et les souvenirs des vacances passées chez lui quand il était enfant ont nourri son inspiration, entre autres, comme il l'explique sur son site. 

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    Mais ce roman donne voix surtout aux femmes. Gill apprend le décès de sa tante Rosamond à 73 ans, trouvée chez elle « assise bien droite dans son fauteuil ». A son enterrement au village, peu de gens se connaissent. Gill est heureuse de retrouver son père, son frère, et ses filles, Catharine et Elizabeth. De l’amie médecin de sa tante, elle apprend que celle-ci était en train d’écouter de la musique, et qu’elle tenait un micro relié à un vieux magnétophone.

    Rosamond, qui n’a pas eu d’enfant et avait perdu Ruth, sa compagne peintre, des années auparavant, a divisé son héritage entre Gill et David, ses neveux, et une « quasi-inconnue », Imogen, que Gill n’a rencontrée qu’une seule fois, il y a plus de vingt ans  la petite fille aveugle était à la fête des cinquante ans de sa tante. Comment retrouver sa trace ? Il faut de toute façon que Gill aille quelques jours dans le Shropshire pour trier les affaires de Rosamond.

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    Dans le modeste bungalow de sa tante, Gill trouve près du fauteuil tourné vers le jardin un portrait d’Imogen enfant, des cassettes, et un petit mot : « Gill, ces cassettes sont pour Imogen. Si tu ne la retrouves pas, écoute-les toi-même. » Sur l’électrophone, des Chants d’Auvergne par Victoria de Los Angeles. Près des autres disques, un verre à whisky et un flacon vide de tranquillisants. Gill en est bouleversée, puis décide de ne rien en conclure. Rosamond avait de graves ennuis cardiaques, elle avait refusé de se laisser opérer et savait sa fin proche – pourquoi en parler ?

    Quatre mois plus tard, malgré les annonces, Imogen reste introuvable. Gill se rend à Londres où vivent ses filles pour écouter les cassettes avec elles. C’est à Imogen que Rosamond s’adresse d’emblée, Imogen dont elle a perdu la trace depuis que ses « nouveaux parents » ont décidé d’éviter tout contact avec elle. Rosamond lui laisse de l’argent, mais elle a quelque chose d’« infiniment plus précieux » à lui transmettre : son histoire, « la conscience de (ses) origines, et des forces qui (l’) ont façonnée ». 

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    Elle a sélectionné vingt photos dans ses albums. Comme Imogen ne peut les voir, elle a choisi de les lui décrire et de raconter leur contexte, afin d’arriver au plus douloureux, une histoire qu’Imogen ne connaît pas et qui la concerne, une vérité que Rosamond est seule à connaître. La pluie, avant qu’elle tombe est le récit d’une vie, « l’album du destin selon Jonathan Coe » (Le Monde).

    Rosamond, avant de mourir, a revisité son enfance et les temps forts de sa vie, de la fin des années 1930 à ses cinquante ans. Sa cousine et deux femmes aimées ont énormément compté pour elle. Rosamond cherche les mots justes, se perd parfois en digressions, s’interrompt quand l’émotion la submerge. Sa voix révèle des pans secrets de sa propre vie, d’autres vies aussi, et la place qu’y tient Imogen, restée si proche dans son cœur malgré que la vie les ait éloignées l’une de l’autre. 

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    L’auteur est musicien, amateur dit-il, et son roman fait une belle place à la musique, notamment à travers le personnage de Catharina, la fille de Gill, qu’on y découvre en concert. Si le destin de ses personnages, ou plutôt leur quête de la vérité, captive en premier le lecteur, l’écrivain britannique possède l’art, par petites touches, d’évoquer en même temps une époque, des paysages. Dans son dernier roman, Expo 58, un personnage secondaire de La pluie, avant qu’elle tombe (Thomas, le père de Gill) est invité à se rendre à Bruxelles pour l’Exposition universelle – un autre rendez-vous prévu avec Jonathan Coe.

  • Une cartooniste

    Chaque jour, à la dernière page de La Libre Belgique, Cécile Bertrand signe de percutantes illustrations de l’actualité. Son nouveau site exploré récemment ma donné envie de vous présenter la cartooniste et son chat, qui joue de temps à autre le porte-parole de cette « dessinatrice éditoriale ». 

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    Etudes de peinture, illustrations pour enfants, je vous renvoie à sa biographie pour les détails de son parcours. Cécile Bertrand commence à dessiner pour la presse en 1990, d’abord dans Le Vif/L’Express, puis dans d’autres publications. L’album Les poux, en 2007, rassemble ses cartoons dans La Libre. Cette année-là, son chemin de croix pour illustrer la mort de Pinochet – « Pinochet conduit vers sa dernière demeure » – lui vaut le Grand Prix du Press Cartoon.

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    © Cécile Bertrand (La Libre Belgique/Cartoonbase)

    A l’approche des élections fédérales, régionales et européennes du 25 mai prochain, comment ne pas songer aux interminables tractations qui ont suivi celles de 2010 ? Je me souviens du dessin plein d’humour et de pertinence où elle montrait le roi songeur, à la recherche d’une solution : « Médiatrice ? Informatrice ? Formatrice ? Pacificatrice ? Créatrice ? Conciliatrice ? Exploratrice ? » (en écho aux innombrables « démineurs » qui se sont succédé avant la formation du gouvernement actuel). Son timbre 2011 évoquait aussi cette période de haut stress politique belge.  

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    Les dessins de presse de Cécile Bertrand sont souvent des diptyques, côté image et côté langage : « La Grèce / La grève » oppose aux caryatides classiques d’autres caryatides les bras croisés). « Ils mangent des produits éthiques – Ils mangent ? », un dialogue entre deux Africains pour illustrer la Journée mondiale du commerce équitable. 

    Cécile Bertrand aime juxtaposer, confronter – « J’aime souvent faire des parallèles : chez eux, chez nous, ou bien hier et aujourd’hui, c’est un peu mon truc de cartooniste. » (Arte). Par exemple, « Le temps se couvre pour la jeune génération ». Une mère en foulard interpelle sa fille devant la porte ouverte, prête à sortir. 1990 : « Tu ne vas pas sortir comme ça ? » (la fille est court vêtue, les cheveux longs). Même question en 2011 (la fille est entièrement dissimulée sous un tchador noir). Voyez plutôt. 

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    © Cécile Bertrand (La Libre Belgique/Cartoonbase)

    C’est parfois glaçant. Sous quatre croix, les prénoms de Julie, Mélissa, Ann et Eefje ; à côté une femme en prière en face d’un crucifix, Michèle Martin (« Dans un couvent ? ») Les scandales de pédophilie, les silences de l’Eglise, la mauvaise foi inspirent à la dessinatrice de presse, esprit très libre, des images si irrévérencieuses qu’elles sont parfois écartées : quelques-uns de ces « poux refusés » sont visibles sur son site. 

    « L’actualité vue par mon chat »  revient de temps en temps : qu’il dorme tranquillement en rond ou qu’il s’étire de tout son long, ce qu’il fait volontiers, ce chat philosophe, un vrai pacha, rappelle que la vie est aussi faite pour en jouir, tout simplement, ou pour se réjouir de ce qui va bien, « carpe diem ».  

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    © Cécile Bertrand (La Libre Belgique/Cartoonbase)

    Cécile Bertrand est également plasticienne, elle travaille « sur la trace que l’être humain laisse derrière lui ». Son autre site décrit une série photographique intitulée « Le fil bleu de ma vie ». En attendant l’occasion de découvrir cela de plus près, je serai à son prochain rendez-vous dans La Libre – ce matin, j’espère, inquiète de ce que je viens de lire sur le blog de Bado

    ***

    P.-S. Malheureusement, la mauvaise nouvelle est confirmée : Cécile Bertrand a été "virée" ! Nous ne trouverons plus ses dessins dans La Libre Belgique  un esprit trop libre ?

  • Bonne question

    bellow,une affinité véritable,roman,littérature anglaise,etats-unis,chicago,affaires,société,amour,culture« Je me vois prendre plaisir à cet assortiment de personnes, avec leurs motivations et leurs comportements. Seule l’une d’entre elles me tient réellement à cœur. Depuis des années maintenant, j’ai plusieurs fois par semaine des rencontres et des conversations imaginaires avec Amy. Au cours de ces discussions mentales, nous avons passé en revue toutes les erreurs que j’ai faites – par dizaines –, la plus grave étant mon incapacité à la briguer, à rivaliser pour elle.
    Elle aurait pu me dire : « Où diable étais-tu passé toute notre vie ? »
    Bonne question ! »
     

    Saul Bellow, Une affinité véritable

  • Bellow l’observateur

    De Saul Bellow, voici un court roman intitulé Une affinité véritable (The Actual, 1997, traduit de l’anglais par Rémy Lambrechts). En semi-retraite, bon observateur, l’air chinois, Harry Trellman a derrière lui une enfance à l’orphelinat (ses parents l’y ont placé), un don pour le commerce et de bonnes affaires en Birmanie qui l’ont « assuré d’un revenu jusqu’à (ses) vieux jours ». 

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    Une vue de Sheridan Road à Chicago (Photo Wikimedia)

    A Chicago, il possède un commerce d’antiquités et un appartement « en bordure de Lincoln Park ». Sa réputation « de bon connaisseur de l’Orient » lui vaut d’être invité dans de bonnes maisons et, à un dîner, il rencontre « le vieux Sigmund Adletsky et Mme » – l’homme est célèbre pour avoir fait bâtir des palaces sur la côte mexicaine et d’autres « palais de rêve pour plages subtropicales », avant de confier son empire à ses descendants.

    Frances Jellicoe, qui a hérité d’une fortune et de tableaux de grands maîtres, divorcée à la demande de Fritz Rourke, le père de ses deux enfants, continue à l’aimer et à le recevoir. Au dîner qu’elle donne ce soir-là, celui-ci s’enivre et perd à nouveau le contrôle de lui-même – « Le vieil Adlestky était assis à ma table et lui non plus n’en perdait pas une miette. » Quelques jours plus tard, Harry reçoit un mot d’Adletsky qui voudrait le rencontrer.

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    Quand ils se revoient au sommet d’un immeuble, Adletsky ne lui pose pas de questions personnelles : « Ma vie et mes œuvres avaient été passées au crible par ses collaborateurs. Manifestement, j’avais survécu au test préliminaire. » Le vieillard a été frappé par sa grande culture générale et lui qui est « riche au-delà de l’entendement de la majorité des gens » l’interroge sur ce qu’il a vu ce soir-là chez Frances Jellicoe, les autres invités, le manège des uns et des autres. Adletsky s’est très peu mêlé à la vie mondaine tant qu’il était actif, il souhaite à présent qu’Harry, « un observateur de première classe », fasse partie de son « brain-trust ».

    D’un tout autre milieu, Amy Wustrin est la seule personne qui compte pour Harry ; ils sont brièvement sortis ensemble au lycée puis se sont perdus de vue, mais elle est restée son « objet d’amour » : « Un demi-siècle de sentiment est investi en elle, de fantasmes, de spéculations et d’obsessions, de conversations imaginaires. » Devenue décoratrice d’intérieur, Amy a rendez-vous avec les Adletsky dans un grand duplex qu’ils achètent aux Heisinger sur Sheridan Road – ceux-ci voudraient qu’ils reprennent aussi leur mobilier et Amy doit en estimer la valeur. Mme Heisinger avait été la cliente de Jay, le mari d’Amy, décédé un an plus tôt (l’ami de Harry depuis l’orphelinat). 

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    Ajoutez à ces relations et tractations un problème de caveau de famille au cimetière, et vous aurez les ingrédients d’Une affinité véritable. L’intrigue, assez embrouillée, y importe moins que les liens noués, dénoués, renoués entre les uns et les autres, le tout rapporté à la première personne par Harry, acteur et témoin. « Je n’aurais jamais osé penser qu’Amy attendait son heure tandis que je me rapprochais d’elle. » Une centaine de pages pour vérifier s’il existe ou non, entre Amy et lui, une véritable affinité, voilà le sujet du roman de Saul Bellow, qui avait une grande expérience en la matière (mariages et divorces).

    Hasard de lecture, le Courrier international parle cette semaine des « nouveaux ghettos des milliardaires » – « Les ultrariches s’emparent des villes ». Dans One Hyde Park, « l’immeuble résidentiel le plus cher de tout Londres », 80% des appartements ont été « achetés par des sociétés basées dans les îles Vierges britanniques ». Alex Preston (The Guardian, 6/4/2014) en a fait le tour avec un agent immobilier. 

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    On lui fait visiter les parties communes : « Premier arrêt, la bibliothèque, où l’on a manifestement voulu reproduire l’atmosphère d’un club. Aucun livre en vue. Et même s’il y en avait, il ferait trop sombre pour lire. Tout est bois sombre et pierre noire, et les coins de la pièce sont plongés dans les ténèbres. Il n’y a aucun être humain. » En suivant le journaliste des salles obscures et silencieuses (cinéma, piscine) aux appartements luxueux dont si peu de fenêtres s’éclairent le soir, je pensais aux vieux richards de Chicago observés par Saul Bellow, curieux de la comédie sociale et humaine.