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Culture - Page 392

  • Peintres de Sienne

    Prolongée jusqu’au 25 janvier, l’exposition « Peinture de Sienne. Ars narrandi dans l’Europe gothique », plus discrète que celle consacrée à Rubens et ses héritiers, continue à accueillir de nombreux visiteurs au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (Bozar).  

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    Dietisalvi di Speme, La Vierge à L'Enfant en majesté entourée de deux anges, 1262, 142 x 100 cm, Siena, Pinacoteca Nazionale

    Marie, Jésus, les saints, le sujet de ces peintures du XIIIe au XVe siècle est bien sûr religieux, mais aujourd’hui, elles nous offrent surtout une belle occasion de découvrir un art de la représentation et de la narration raffiné, délicat, qui évolue peu à peu de la raideur des icônes vers une approche plus humaine et du récit biblique vers le portrait et même le paysage.

    A l’entrée, les deux Vierges dites « Hodegetria » (dans la tradition byzantine, Vierge qui désigne l’enfant Jésus bénissant) comptent parmi les plus anciens panneaux conservés à la Pinacoteca Nazionale de Sienne. La Vierge de Dietisalvi di Speme (1262, ci-dessus) nous regarde mais le mouvement de sa main aux très longs doigts attire l’attention vers Jésus.  

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    Famille Memmi, Vierge à l’Enfant en majesté avec un donateur, 1310-1320

    Marie était la sainte patronne de Sienne. On est frappé par la richesse de ces peintures siennoises, pas seulement à cause de l’or dont se servent en abondance les peintres, mais par la finesse des détails, les plis des vêtements, le soin du décor. Et les couleurs ! La Vierge à l’Enfant en majesté avec un donateur (Famille Memmi, 1310-1320) porte sur sa robe rouge un long manteau d’un bleu remarquable, quant au donateur, il se niche en bas, tout petit. 

    En observant les peintures racontant la vie de la Vierge, on découvre aussi Sienne, les intérieurs, l’architecture. D’une salle à l’autre – les œuvres sont présentées chacune dans un écrin de lumière qui accentue leur caractère précieux, en contraste avec la pénombre où passent les visiteurs – on remarque que les visages sont de plus en plus individualisés, humanisés, même si les postures correspondent aux codes de la représentation religieuse. Après les peintures mariales viennent des scènes de la vie de Jésus, de sa naissance à la Passion.  

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    Sano di Pietro, L'annonce aux bergers, 1450

    L’Adoration des bergers et l’Adoration des mages de Taddeo di Barto, côte à côte, montrent en gros plan la crèche dans une grotte, avec ses personnages traditionnels, sans oublier le bœuf et l’âne, l’étoile, en toute simplicité, tandis que Sano di Pietro montre L’Annonce aux bergers (1450, ci-dessus) dans un paysage de collines. Près de l’enclos où se pressent des moutons blancs et noirs, à l’écart d’un village, deux bergers et leur chien lèvent les yeux vers l’ange rouge aux ailes roses qui descend du ciel un rameau à la main.

    Une seule sculpture dans l’exposition : un Enfant Jésus bénissant de Francesco di Valdambrino. Ce genre de sculpture était placé sur l’autel pendant les célébrations de Noël. L’Institution de l’eucharistie, une peinture de Stefano di Giovanni, présente la Cène dans une salle voûtée (trois arcs, deux piliers). En haut des murs, des fenêtres en demi-lune laissent voir de fins feuillages au dehors.

    La Crucifixion a inspiré bien des peintres. Ugolino di Nerio en offre une très belle représentation sur fond rouge or : la Vierge et Saint Jean se tiennent de part et d’autre de la croix, Saint François d’Assise baise les pieds ensanglantés du Christ. De grandes fresques illustrent la Résurrection – fascinant Christ pâle debout, vêtu de blanc, à la sortie du tombeau (Pietro Lorenzetti) – et aussi le Jugement dernier. 

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    Giovanni di Paolo di Grazia, Le Jugement dernier, Le Paradis, L'Enfer (détail), 1460-1465, 42 x 253 cm, Siena, Pinacoteca Nazionale

    Giovanni di Paolo a peint au centre un Christ glorieux auréolé d’or, au-dessus des tombes d’où sortent les ressuscités pour aller vers la gauche dans un paradis verdoyant où tout le monde s’embrasse et où des petits lapins gambadent entre les fleurs, ou vers la droite en enfer, là où dragons et démons s’emparent des condamnés.

    La dernière partie de l’exposition montre des saints et saintes vénérés à Sienne. Ici Saint Michel en armure terrassant le dragon, là des portraits plus sobres. Catherine de Sienne, qui vers 1450 a remplacé Catherine d’Alexandrie dans le cœur des Siennois, est représentée avec ses attributs : le livre, symbole de sa sagesse et de ses écrits, et le lys, symbole de pureté. J’ai admiré aussi cette Sainte Agathe.

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    Pietro Lorenzetti, Sainte Agathe, 1320-1329, Musée de Tessé, Le Mans

    Le Guide du visiteur vous en dira davantage. Je suis heureuse d’avoir vu cette exposition qui m’avait été recommandée par un connaisseur. Pour qui se tourne plus aisément vers la peinture moderne, il y a là de la beauté et de l’art auxquels on ne peut rester insensible. J’ai peu parlé des couleurs, pourtant ce sont elles qui m’ont portée d’une œuvre à l’autre – vous verrez si vous avez l’occasion de vous rendre à Bozar, il vous reste quinze jours.

  • Destin

    neuhuys,paul,on a beau dire,poésie,destin,anthologie,littérature française de belgique,écrivain belge,cultureNous avons tous notre destin

    Que laisserai-je à mes enfants
                       et à mes frères ?
    Que laisserai-je du festin
    que fut ma vie ? Un vieux carquois
    qui servit à je ne sais quoi
                       de téméraire
    deux exemplaires défraîchis
    d'anciens poètes d'aujourd'hui
                       
    le mal d'écrire
    et le tourment d'avoir aimé
    tant pour de bon que pour de rire 
                       le monde entier

    Paul Neuhuys, Octavie (1977)

    Portrait de Paul Neuhuys, gravure xylographique de Luc Boudens (2000) d'après un dessin de Floris Jespers (1921)





     

  • Neuhuys à nouveau

    Beaucoup d’entre vous ont aimé les poèmes de Paul Neuhuys que j’avais tirés du recueil On a beau dire en novembre dernier. Pour traverser ces jours sombres, je laisse à nouveau la parole au poète belge : une prière, cette fois, et puis des couleurs – à la vie, à la mort. 

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    Marie de Bièvre (1865-1940),
    Roses
     

    SEIGNEUR

     

    Seigneur, ayez pitié des hommes d’aujourd’hui.

    Ils ont déplacé les frontières de l’esprit

    Il y a beaucoup de poètes, en ce moment, à Paris

    Leur esprit est orné comme un arbre de Noël.

    L’âme de l’homme flotte comme du liège

    l’âme de l’homme brille comme du sel.

    Seigneur, ayez pitié des hommes d’aujourd’hui.

    Le bruit des voix a remplacé le sens des mots.

    Le samovar bout dans l’isba du moujik.

    Les jeunes ne vivront plus selon les vieilles lois

    Ils peignent des formes neuves avec des couleurs fraîches
    Ils étaient las d’attendre et si las d’espérer

    Et de regarder la vie à travers un vitrail décoloré.

     

    Paul Neuhuys, Le canari et la cerise (1921)

     

                ~   ~   ~   ~   ~   ~   ~

     

    BOITE A COULEURS

     

    Marronnier, carrousel d'oiseau

    Boire le thé
    avec des jeunes filles de qualité

    Pactole, Léthé

    Extraire l'opium de la vie

    Tirer le radium de l'esprit

    Rotation des zones

    Poésie, aliment complet

    coup d'œil à l'atterrissage

    Ah, mes petits lapins et mes petites chèvres

    Mourir, ne plus être

    dire qu'on ne peut rien contre ça

    Décor violemment colorié

    un ibis rouge dans le micocoulier

     

    Paul Neuhuys, Le zèbre handicapé (1923)

    ~   ~   ~   ~   ~   ~   ~

     

    CLAIR-OBSCUR

     

    Mi-ombre, mi-lumière,

    muy hombre, muy mujer,

    sourde rose assombrie

    dont le goût de folie,

    de folie et de mort,

    n'a décidément rien

    de pareil sur la terre.

     

    Je songe qu'elle seule,

    soleil de pauvreté,

    corolle de clarté

    et rose épanouie

    de mon coeur vieillissant

    me donne encore envie,

    envie d'être vivant. 

    Paul Neuhuys, Septentrion (1967)

  • Inconnue

    Alet couverture.jpg« Sur le comptoir carrelé de l’ancienne boucherie-charcuterie, je trouve une pile de catalogues de l’expo. Je feuillette l’exemplaire de démonstration aux pages déjà cornées par les doigts distraits des visiteurs. Les portraits se succèdent, un par page, accompagnés de légendes plus ou moins obscures, Tunnel d’un lundi pluvieux, Marche haute sur talons plats, Soupir anisé. A la page 32, je tombe sur un portrait d’Elisabeth. Celui de la chambre de Papy Louis, du piano des parents. Celui que j’ai cherché sur le mur, tout à l’heure, pressentant sa présence mais ne le distinguant pas des autres portraits. Le regard sombre d’Elisabeth porte la légende Inconnue. »

     

    Mathilde Alet, Mon lapin

  • Premier roman

    Premier roman de Mathilde Alet, Franco-belge née à Toulouse en 1979, Mon lapin raconte les adieux de Gabrielle à son grand-père, Papy Louis, le jour de son enterrement. Malgré l’insistance de ses deux filles, il avait été « hors de question d’aller s’enterrer dans un mouroir bourré de vieux » et il avait pu se faire aider à domicile grâce à l’association « Vieillir chez soi ». 

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    Firmin Baes (1874-1943), Jeune fille pensive

    Quand elle allait le voir, Gabrielle logeait dans la chambre rose préparée par la femme de ménage, et sortait le promener dans sa chaise roulante, comme Marc les autres jours, un jeune homme qui lui faisait aussi la lecture. Dans leurs conversations ordinaires où les mêmes questions étaient reposées à chaque fois, surgissait régulièrement le nom de sa grand-mère, Elisabeth, dont Papy Louis parlait « comme si elle était morte l’année dernière ».

     

    Gabrielle – c’est elle qui raconte, à la première personne – a du mal à imaginer sa mère Olympe et sa tante Victoire en petites filles emmenées par Elisabeth au Jardin des Plantes, elle écoute son grand-père les évoquer, elle imagine, elle s’arrête – « On marche encore un peu, mon lapin ? »

     

    L’enterrement a déjà commencé quand elle arrive, en retard à cause du train, mais sa sœur Clara la rassure, « ça vient juste de commencer ». Son grand-père ne voulait pas de discours. « Moi j’ai envie d’émotions déclamées, de sanglots, de poèmes, de marches funèbres, de Beethoven, de Mozart, de youyous. Allez, mon lapin, arrête de dire des bêtises et écoute un peu. »

     

    De l’église au cimetière, du cimetière au restaurant, on fait plus ample connaissance avec la famille. La tante Victoire, « une artiste » qui enseigne dans une école d’art, expose des photographies, intrigue Gabrielle par ses apartés avec une inconnue qui ressemble fort à sa grand-mère, dont la mort à 47 ans reste un mystère – un suicide ? – sur lequel elle aimerait connaître la vérité. Et puis, il y a ses proches, si prévisibles : Olympe et Michel, ses parents, sa sœur aînée Clara, son éternelle complice et rivale en même temps.

     

    « Ma ville natale, c’est l’appartement de Papy Louis. » Marc, qui s’était attaché au vieux monsieur, l’a entendu raconter bien des choses sur ses petites-filles et en sait plus sur Gabrielle qu’elle à son propos. Ils font connaissance le jour de l’enterrement. Sera-ce lui, la surprise de cette journée ?

     

    Mon lapin, un récit d’une centaine de pages, se lit très facilement : de petites scènes ordinaires, des souvenirs, écrits avec naturel, rien de forcé, de théâtral, juste la vie et les gens, les émotions, les doutes, les questions qu’on se pose mais qu’on ne pose pas. Un enterrement, c’est comme un bilan de famille, pas gai, mais pas si triste qu’on l’avait craint. Un enterrement, c’est un retour sur soi.