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Culture - Page 268

  • Je serai le témoin

    Le premier roman de Joan Didion traduit en français, si je ne me trompe, date de 1977 : Un livre de raison. Quel est le sens du titre original, A Book of Common Prayer (traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Gérard-Henri Durand) ? Le TLF définit le « livre de raison » comme un « Journal tenu par le chef de famille qui inscrivait, avec ses comptes, les événements tels que naissances, mariages, etc., et ses propres réflexions ». Le rapport avec Le livre de la prière commune des anglicans reste plus mystérieux au premier abord.

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    Le roman se présente sous la forme de six cahiers, le premier commençant par cette phrase : « Je serai le témoin de cette femme. » Point, à la ligne. Voici la suite : « Traduire ainsi seré su testigo, une expression qui n’apparaît pas dans les lexiques à l’usage des touristes, de quelle utilité serait-elle au voyageur prudent ? Cela s’est passé ainsi : elle a quitté un homme, puis un deuxième ; elle a retrouvé le premier pour voyager avec lui ; elle l’a laissé mourir seul. Elle a perdu un enfant par la faute de l’« Histoire » et un autre à la suite de « complications » (je me contente de reproduire certains commentaires). Elle s’est crue capable de se débarrasser de ces fardeaux et, un jour, elle a débarqué à Boca Grande – en touriste. Una turista. Comme elle l’a dit, elle-même. »

    Reconnaissez qu’il y a de quoi intriguer dans cet incipit. Qui parle ? de qui ? Grace Strasser-Mendana, née Tabor, se présente comme une anthropologue – « j’ai consacré cinquante de mes soixante années à étudier des illusions » – installée depuis 1935 en Amérique équatoriale où elle a épousé un planteur de cocotiers « ici, dans Boca Grande » et étudié la biochimie « en amateur ». Charlotte Douglas est la femme dont elle raconte l’arrivée, la vie et la mort à Boca Grande, ville et pays sans histoire (une fiction) que Charlotte considérait « comme le point central de l’économie des deux Amériques », une escale de ravitaillement pour certaines lignes aériennes.

    Pour son « rapport de témoin », elle rassemble d’abord des faits, décrit la ville où elle vit et la province où ils récoltent le coprah, nommée « Millonario », comme son beau-père, Victor Strasser, « l’homme riche ». Edgar, le fils aîné, a fait entrer Grace en l’épousant dans « l’une des trois ou quatre grandes familles » au pouvoir à Boca Grande, où les rivalités politiques et financières vont bon train. Elle dit continuer à vivre là parce qu’elle aime la lumière, « la seule raison ».

    Même si elle reçoit de ses nouvelles, son fils Gerardo lui est devenu « étranger » – machiste, susceptible, « une façon d’être que je n’admire pas. » Grace, qui va mourir bientôt d’un cancer du pancréas, ne s’intéresse qu’à Charlotte, elle n’arrive pas à comprendre le sens de son séjour à Boca Grande. Née en Californie, la quarantaine, Charlotte Douglas, « La Norteamericana », a beaucoup voyagé, son passeport l’atteste.

    A l’hôtel Caribe, on l’entendait taper à la machine dans sa chambre toute la nuit. Elle n’apparaissait que le soir au casino, sans y jouer, puis allait manger seule à une terrasse ou au Jockey Club. Partout, on la remarquait : extrêmement mince, des cheveux bouclés d’un roux clair, une grosse émeraude carrée à la place de l’alliance. Des vêtements de prix, avec « une sorte de délabrement ». Cherchant parfois à attirer l’attention, faisant preuve d’esprit « jusqu’à lasser ses interlocuteurs ». A la réception de l’hôtel, elle s’inquiétait des messages, n’en recevait pas. Elle se rendait fréquemment à l’aéroport sans raison apparente, y traînait au bar, y lisait le journal.

    La liste du Département d’Etat précisait qu’il fallait prévenir l’ambassade des Etats-Unis en cas d’incident, sans qu’on sache pourquoi. Quand les proches de Grace la rencontrent, Charlotte se montre très séduisante avec les hommes, avec Victor, le beau-frère de Grace, et leur raconte toutes sortes d’histoires à propos de Léonard, de Warren et de Marine. Interrogée, elle précise que Léonard, son second mari, un juriste, « s’occupe d’armes ». Sinon, elle reste dans les généralités, « comme si elle n’avait aucune vie personnelle ». A Grace, elle parle parfois de Marine, sa fille et elle seraient « inséparables ».

    Le deuxième cahier débute un peu plus d’un an après la mort de Charlotte, alors que Grace, très malade, devient indifférente à ce que disent ses proches ou son fils. La « turista » lui avait donné quelques informations sur la disparition de Marine, Grace en a reçu d’autres de Léonard Douglas – « mais l’essentiel de mon savoir, la part en laquelle je puis avoir le plus de confiance, me vient de ma formation en matière de comportement humain. » Le FBI s’était présenté chez Charlotte pour enquêter sur Marine, dix-huit ans, qui avait participé à un attentat à la bombe – c’était un an avant que sa mère se réfugie à Boca Grande.

    Un livre de raison est le récit d’une fascination, axé sur le désir de Grace de comprendre cette femme, cette épouse, cette mère, « en politique innocente », aux connaissances lacunaires, sensuelle, secrète, très fine dans ses reparties. Grace s’intéresse de moins en moins à sa propre vie, mais le spectacle, le comportement, les confidences de Charlotte, son attente désespérée de Marine, le puzzle de sa vie, dont elle a été témoin, la concernent, elle cherche à en résoudre l’énigme. Cette « enquête psychologique » se déroule sur un fond de corruption et de violence sociale.

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    Joan Didion en 1977 (Image via AP, source Pictorial)

    « Chez la Californienne Joan Didion, l’intelligence est un instinct sauvage. Son regard sur les choses, d’une acuité qui confine à l’effet spécial, agit sur le lecteur comme la détente d’un grand fauve. Son rapport au réel – et à la phrase – est animal : distant, juste, impitoyable, foudroyant plus souvent qu’à son tour », écrivait Judith Steiner dans le Magazine littéraire en 2009. Les retours à la ligne sont nombreux, les dialogues aussi, parfois coupés au couteau, parfois drôles (dans le genre vache).

    Les personnages de ce roman participent à la vie mondaine, mais leur ressort intime reste le plus souvent caché et leur solitude, profonde. L’approche du sujet, par son détachement, m’a rappelé parfois l’univers du nouveau roman. On y trouve déjà cette grande lucidité qui frappe dans L’année de la pensée magique (2005).

  • Ordre des choses

    ford,richard,entre eux,récits,littérature anglaise,etats-unis,père,mère,fils unique,famille,témoignage,culture« Quand il rentrait, le vendredi soir, c’était pour la retrouver. Quand il riait, et il riait souvent, c’était d’une phrase qu’elle avait dite. S’il avait du mal à comprendre quelque chose, ce qui n’était pas rare non plus, elle le lui expliquait. Quand les beaux-parents venaient pour Noël ou bien quand nous allions à Little Rock, il l’observait. Quand nous nous rendions chez sa mère à lui à Atkins, il était toujours à côté d’elle. Il la protégeait, mais elle le lui rendait bien. Si j’étais moins le nombril du monde, par voie de conséquence, j’ai pensé toute ma vie que c’était dans l’ordre des choses au sein d’une famille. »

    Richard Ford, Entre eux

  • Son père, sa mère

    Richard Ford a rassemblé leurs deux portraits dans Entre eux. Je me souviens de mes parents (Bethween them, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Josée Kamoun, 2017). Des « doubles mémoires » plutôt, comme il l’écrit, composés « à trente ans d’écart » pour évoquer son père, sa mère, et inévitablement le fils qu’il fut « entre eux ». « En tout état de cause, pénétrer le passé est une gageure dans la mesure où ce passé tend, sans complètement y parvenir, à faire de nous ce que nous sommes », écrit-il à 73 ans.

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    Parker, Richard et Edna, La Nouvelle-Orléans, V-J Day, 1945

    Parker Ford est présenté en première partie : « Au loin. Je me souviens de mon père ». Des photographies en noir et blanc ponctuent ces mémoires familiaux dont j’ai envie d’écrire (c’est un compliment) qu’ils sont caractérisés avant tout par l’honnêteté : « Quelque part, au fond de mon enfance, mon père rentre de sa tournée, un vendredi soir. Il est voyageur de commerce. » Pour l’enfant qu’il était alors, au début des années 1950, il était un « grand type corpulent » content de retrouver sa femme Edna et son fils, de reconstituer leur trio.

    Longtemps, ses parents ont mené leur vie en duo. Richard Ford raconte leur rencontre, leur mariage, puis la route qu’ils prenaient ensemble, logeant ici et là aux étapes de la tournée commerciale. Parker Ford parcourait sept Etats du Sud des Etats-Unis au volant de sa Ford Tudor de fonction, jusqu’en Floride, pour rencontrer les grossistes, il s’occupait des commandes d’amidon de blanchisserie pour une entreprise de Kansas City.

    Ils n’avaient pas vraiment de résidence fixe jusqu’à ce qu’Edna, « à la surprise générale », tombe enceinte, en 1943. Richard Ford s’interroge sur le « bonheur ambigu » que cette grossesse a pu provoquer, après quinze ans de mariage – « Des enfants, ils en voulaient au départ, seulement il avait trente-neuf ans, une santé précaire, et elle en avait trente-trois : l’arrivée de ce bébé ne pouvait qu’être déstabilisante, sinon malencontreuse. » La route à deux, c’était fini, il leur fallait un endroit « central » pour y vivre ; ils louent un appartement à Jackson Mississippi, la ville où Richard est né en février 1944. Seize ans plus tard, son père mourra inopinément.

    La deuxième partie, « A la mémoire de ma mère » (My mother), date de 1988. La famille d’Edna Akin, née en 1910, est plus présente dans la vie de l’écrivain que la famille paternelle, qui désapprouvait le choix de Parker Ford. Se pencher sur la vie de sa propre mère « est une marque d’amour » pour Richard Ford : « Nos parents assurent un lien intime entre nous, qui sommes enfermés dans nos vies, et quelque chose qui n’est pas nous ; ils forgent l’écart et la passerelle, le mystère fécond, si bien que même avec eux nous sommes encore seuls. »

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    Edna et Richard, La Nouvelle-Orléans, 1974 (photos du livre)

    Il ne sait pas grand-chose de son enfance, mais possède une photo de son arrière-grand-mère avec sa grand-mère et son second mari, et sa mère aux « yeux noirs perçants ». Celle-ci avait aimé ses années chez les sœurs au pensionnat Sainte-Anne. C’est à Hot Springs qu’Edna, « caissière au kiosque à cigares » de l’hôtel Arlington à dix-sept ou dix-huit ans, a rencontré Parker, vingt-trois ans, employé dans une épicerie. Richard Ford les imagine « beaux et sympathiques, avenants et timides ». Ils se sont mariés l’année suivante, en 1928, sans attendre les présentations chez la grand-mère paternelle.

    Avec sa naissance, la vie de ses parents a changé radicalement, Edna restant avec lui, Parker partant seul sur les routes. Il était donc « absent les trois quarts du temps ». Richard Ford n’a que seize ans quand son père meurt d’une crise cardiaque. « Rien n’est jamais allé tout à fait bien pour elle après le 20 février 1960. Ils m’avaient eu, moi, m’avaient aimé. Mais pour elle, mon père était tout. »

    Richard Ford raconte leur nouveau mode de vie, les frictions, les inquiétudes. Deux ans plus tard, il s’en ira étudier à l’université du Michigan sans qu’elle ne l’y encourage ni ne l’en décourage. « Ensuite a débuté une vie qui nous pousserait vers l’avant en adultes ; une vie plus fragmentée, plus tronquée encore, jalonnée de visites, longues et courtes, de coups de fil, de télégrammes, de rendez-vous dans des villes lointaines, d’efforts pour se voir, de conversations dans des voitures, des aéroports, des gares ferroviaires. »

    « Ma mère et moi nous ressemblons. Grand front haut, même menton, même nez. » Sa mère travaillait à la réception d’un hôpital, « elle disait aimer son boulot ». Sans doute se découvrait-elle des compétences « indépendantes de ses vertus de mère et d’épouse ». Elle a « tenu le coup ». Elle a pu l’aider quand il était jeune marié lui-même, elle a bien vieilli, jusqu’au cancer du sein qui l’a emportée en 1981.

    La postface de Richard Ford dit l’importance que ses parents ont eue pour lui dans des termes à la fois personnels et universels, explique son intention en écrivant sur leurs vies « prématurément fauchées ». Avec franchise et simplicité, sans chercher à embellir ou dramatiser, Richard Ford réussit dans Entre eux à leur rendre un très bel hommage tout en esquissant un autoportrait de l’enfant qu’il fut de leur vivant. S’ils ont mené une existence ordinaire, ils n’en ont pas moins fondé ce qu’il est – et cela, malgré sa grande pudeur, se ressent très fort.

  • Au coeur

    kamel daoud,zabor ou les psaumes,roman,littérature française,algérie,lecture,écriture,société arabe,culture« Tu écris ce que tu vois et ce que tu écoutes avec de toutes petites lettres serrées, serrées comme des fourmis, et qui vont de ton cœur à ta droite d’honneur.
    Les Arabes, eux ont des lettres qui se couchent, se mettent à genoux et se dressent toutes droites, pareilles à des lances : c’est une écriture qui s’enroule et se déplie comme le mirage, qui est savante comme le temps et fière comme le combat.
    Et leur écriture part de leur droite d’honneur pour arriver à leur gauche, parce que tout finit là : au cœur.
    Notre écriture à nous, au Hoggar, est une écriture de nomades parce qu’elle est toute en bâtons qui sont les jambes de tous les troupeaux : jambes d’hommes, jambes de méhara, de zébus, de gazelles : tout ce qui parcourt le désert.
    Et puis les croix disent que tu vas à droite ou à gauche, et les points, tu vois, il y a beaucoup de points. Ce sont les étoiles pour nous conduire la nuit, parce que nous, les Sahariens, nous ne connaissons que la route, la route qui a pour guide, tour à tour, le soleil puis les étoiles.
    Et nous partons de notre cœur et nous tournons autour de lui en cercles de plus en plus grands, pour enlacer les autres cœurs dans un cercle de vie, comme l’horizon autour de ton troupeau et de toi-même. »

    Dassine Oult Yemma, musicienne et poétesse targuie du début du XXe siècle

    En épigraphe de Zabor ou les psaumes de Kamel Daoud (couverture éd. Barzakh)

     

  • Zabor ou l'écriture

    Dans un style très différent de Meursault, contre-enquête, le dernier roman de Kamel Daoud, Zabor ou les psaumes est un hymne à l’écriture et à ses pouvoirs. « Ecrire est la seule ruse efficace contre la mort », c’est la conviction et le don de Zabor, fils du premier lit du boucher d’Aboukir, écarté par son père d’abord fier puis honteux de ce fils « qui n’arrêtait jamais de lire », ce qui lui vaut les moqueries de la plupart, de ses demi-frères et des enfants du village.

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    A presque trente ans, célibataire, vierge, Zabor remplit autant de cahiers que de personnes rencontrées dans la journée ou de mourants auprès de qui on l’appelle – « Car, si j’oubliais une personne, elle mourait le lendemain. » En trois parties (Le Corps, La Langue, L’Extase), Daoud raconte comment un enfant repoussé, qui vit dans une maison du bas du village avec sa tante Hadjer et son grand-père, analphabètes, affine peu à peu son rêve d’écrire en faisant l’inventaire de toutes choses puis en repoussant la mort.

    « Que croire, si la vie n’était pas une épreuve imposée par un dieu qui ne parlait que notre langue, mais la conjugaison d’un verbe étranger, venu de la mer, qui sous la main d’un débile de village à la voix de chèvre parvenait à redonner la respiration aux blessés, aux enfants malades empoignés par les fièvres et aux centenaires qui parcouraient, nombreux déjà, les rues du village, avec des sourires béats de nouveau-nés ? »

    Quand Abdel l’appelle au chevet de leur père mourant, Hadj Brahim, riche de ses troupeaux et de douze fils en plus de lui, Zabor désire d’abord la mort de celui qui a répudié sa mère avec lui, nouveau-né, pour mettre fin à la jalousie d’une autre épouse. Lui n’aurait pas d’enfant, « pour briser ce cycle ». Puis il accepte de se rendre une première fois auprès de lui, avec trois heures devant lui pour écrire, mais il sera interrompu et chassé.

    Zabor a été sauvé du malheur par les livres et il donne le titre de ceux-ci à ses cahiers, pour exercer sa « magie douce ». Mais sa différence ne lui permet pas de se mêler aux autres, il dort le jour et sort la nuit. Seule l’écriture donne sens à sa vie, cette mission qu’il s’est donnée de tout répertorier. Il aimerait épouser Djamila, une voisine avec deux enfants que sa répudiation condamne à l’isolement chez elle, mais sa tante, jamais mariée et qui lui voue un amour absolu, cherche à l’en dissuader.

    A quatre ans déjà, l’enfant, alors appelé Ismaël, a été chassé du haut du village, injustement accusé d’avoir poussé un autre au fond d’un puits. Puis tout l’a marqué comme un être à part, un malade : sa voix chevrotante, sa mémoire stupéfiante à l’école, avant d’en être renvoyé, ses évanouissements devant le sang, son refus de manger de la viande – la honte de son père.

    Sur un rythme incantatoire, Kamel Daoud déroule le récit de Zabor (ce nom veut dire « les psaumes » en arabe), de ses apprentissages et de ses douleurs, de ses découvertes et de ses désirs. Tel un « Robinson arabe », il s’est détourné des manuels scolaires et des versets sacrés pour écrire sa propre langue, ivre de joie quand il a trouvé la réponse au manque de livres et de bibliothèque dans son village : il avait ses cahiers pour tout inventorier, décrire, raconter. « Le monde ne doit sa perpétuité qu’à la nécessité de sa description par quelqu’un, quelque part – c’est une certitude. »

    Les mots, la langue, le livre, la calligraphie, l’encre… Tout ce qui se joue dans l’écriture est fouillé dans ce roman qui se veut chant et livre, comme un acte de liberté dans un monde d’exclusions. Obsessionnel, poétique, parfois difficile à suivre, Zabor ou les psaumes est un monologue où l’on peut se perdre sans jamais échapper à la note répétée, tantôt aiguë, tantôt grave. Un roman qui dénonce aussi la condition des femmes, l’obscurantisme religieux, le tabou de la sexualité.

    Sur le site de l’éditeur, Kamel Daoud confie ceci : « J’ai écrit Zabor pour raconter mes croyances : toute langue est autobiographique. Écrire, c’est se libérer ; lire, c’est rejoindre ou embrasser ; imaginer, c’est assurer sa propre résurrection. Le dictionnaire est une escalade du sens. Mais aussi une impasse : les livres sacrés racontent la chute mais ne disent rien du goût du fruit défendu. La langue est dans l’antécédent du mot : le goût. C’est aussi le but de cette fable, rappeler cette hiérarchie.
    L’idée était de sauver la Shéhérazade des Mille et Une Nuits et de reposer la plus ancienne des questions : peut-on sauver le monde par un livre ? Vieille vanité à laquelle le dieu des monothéismes a cédé quatre ou cinq fois. »

    Dans un entretien à RTL, l’écrivain algérien qui donne là un roman très personnel, où la fiction porte ses questions fondamentales, se dit « né dans un monde où le statut de la langue a changé, où c’est l’arabe qui est devenu langue de coercition, de violence contre les libertés et le corps et une langue de mort. » Le français est devenu sa « langue de dissidence ».