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  • Moskva kva-kva

    Les gratte-ciel de Staline, indissociables aujourd’hui du paysage urbain moscovite, ont inspiré à Vassili Axionov (1932-2009) un roman satirique, Les Hauts de Moscou (Moskva kva-kva en russe, 2006). Ces sept « gigantesques bâtiments ou « grimpettes », comme les avait baptisés le peuple », étaient réservés dans les années 1950 aux « meilleurs citoyens de l’Union Soviétique athée ». Glika Novotkannaïa, l’héroïne du roman, s’y plaît dans un splendide appartement attribué à son père, physicien et général, et à sa mère docteur en histoire de l’art et membre de divers conseils d’administration dont celui responsable du prix Staline. L’étudiante en journalisme et championne de canoë s’est fiancée sur un coup de tête à Kirill Smeltchakov, poète et héros de l’URSS, 37 ans, qui a déjà publié avec succès quinze recueils de vers, et bénéficie également d’un appartement au dix-huitième étage de la Iaouza, avec vue sur le Kremlin. La perle de l’intelligentsia russe trouve commode de s’afficher avec ce séduisant aviateur-poète qui accepte de jouer le rôle de « l’éternel fiancé d’une vierge éternelle ».

     

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    Kotelincheskaya Naberezhnaja Moscow © Dmitry Azovtsev

     

    Quelques mois plus tard, l’amerrissage en hydravion de George Mokkinaki, un amiral de la génération de Kirilli, sur la Moskva, subjugue tous les locataires du dix-huitième étage installés sur la terrasse et provoque un deuxième élan du cœur chez la jeune Glika, éperdue d’admiration. Kirilli a désormais un rival, mais un coup de téléphone
    de Iossif (Staline aime l’appeler quand il se saoule et exige alors qu’il l’appelle par son prénom), obsédé par Tito qui complote contre lui, ramène Smeltchakov à ses obligations : un congrès pour la paix à Paris, en compagnie de quelques écrivains soviétiques, puis une mission secrète au Japon.

     

    « Ah, cette Glika, me dis-je aujourd’hui en introduisant ces lignes dans mon ordinateur. C’est qu’elle avait alors mon âge moins dix mois. Il me semble que
    je l’ai rencontrée dans ce temps-là. 1952, cafardeux Childe Harold, je me
    balade autour du gratte-ciel, observant d’un œil sarcastique ses œuvres de granit : personnages, colonnades, tourelles pommes de pin. Je méprise de toutes les forces de ma jeune âme le style et le luxe de l’aristocratie stalinienne »
    confie alors le narrateur, qui ne fera son apparition dans le récit que plus tard, sous le nom discret d’Untel Untelovitch. « Et c’est vrai, des décennies ont passé depuis le milieu du Iks-Iks (XXe siècle) et qui pourrait imaginer Moscou sans ses sept grimpettes, sans ce défi au bon goût, ces monstruosités, cette hypertrophie pâtissière ? » Glika perd alors sa virginité, mais avec un autre personnage que ceux déjà présentés.

     

    Si sa fille porte à la manifestation du premier mai un portrait du bien-aimé Staline, avant de se rendre à une fête chez des « jouisseurs avides » qu’elle n’apprécie pas trop, Ariadna de son côté, rentre chez elle fatiguée de sa journée.  Faddéi lui sert du thé, le domestique est en réalité payé par les services secrets pour veiller à la sécurité du physicien aux travaux « top secret » et de sa famille. Un homme précieux, surtout quand on a un mari trop souvent absent, et en particulier quand ses absences coïncident avec un congé pour raisons familiales demandé par Nioura, l’épouse de Faddéi..

     

    Ni son père ni sa mère ne voient d’un bon œil Glika se rapprocher de Mokkinaki, mais ils ont trop à faire pour l’empêcher de s’envoler clandestinement avec lui vers l’Abkhazie, dans une villa somptueuse au bord de la mer – un endroit secret qui ressemble furieusement à Biarritz, idéal pour une demande en mariage. Glika dit oui, mais doit d’abord défendre les couleurs de son pays aux jeux olympiques d’Helsinki, d’où la jeune fille aux deux fiancés revient avec une médaille de bronze.

    Vous l’aurez compris, Axionov propose dans Les Hauts de Moscou un roman picaresque bourré de personnages improbables, de situations inédites, d’anecdotes. Sa description du Tout-Moscou et du régime Tout-Staline est d’une ironie inépuisable. Ses héros qui n’échappent pas tous aux vicissitudes du temps ont à composer avec les obligations de l’époque. XIXe Congrès du parti communiste, soirée du quarantième anniversaire d’Ariadna, jazz écouté en catimini, sous-marin dans la Moskva, les péripéties régaleront les amateurs d’action et de digressions, ceux qui ont aimé A la Voltaire.

    Dans l’immeuble tour de la Iouza, les protégés de Staline ont d’étranges voisins dont ils ne soupçonnent pas l’existence. Quand on sort de l’ascenseur au dix-huitième étage, il y a toujours bien quelqu’un sur le palier prêt à vous ouvrir sa porte et  à vous embarquer dans son histoire. A ceux qui n’ont rien lu de Vassili Axionov, je recommande néanmoins Une saga moscovite (1995), sa fresque maîtresse, où le tragique et le comique sont aussi présents, mais sans la frénésie baroque qui, dans ce roman-ci, noie parfois le sujet, au risque de lasser. Quoique... A voir l’air délétère qui enfumait Moscou et une partie de la Russie cet été, sous l’effet conjugué de la canicule, des incendies et de la pollution, comment ne pas voir tout de même dans ces excès un certain écho… au chaos ?

  • Un art heureux

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    Maison au pays basque (détail) © Joseph Gillain - www.jijé.org

    « Un art heureux, spontané, qui détonne à l’heure où le trash a si volontiers la cote auprès des galeristes, critiques et collectionneurs ! Joseph Gillain, il est vrai, s’avouait adversaire de la peinture « cafardeuse, engagée, porteuse de message ». »

     

    F. Matthys, Quand Jijé est Joseph Gillain, La Libre Belgique, 21 juin 2010.

  • Gillain le peintre

    Joseph Gillain (1914-1980) ? Moins connu que le dessinateur Jijé, « un des maîtres européens de la bande dessinée » (F. Matthys), son alter ego (J. G.) - l’inventeur de Blondin et Cirage, de Fantasio (le compagnon de Spirou), de Jerry Spring, entre autres -, Gillain est aussi peintre. Juste à côté de la Gare centrale, la Maison de la bande dessinée lui consacre une exposition, jusqu’au 17 octobre : des peintures et quelques sculptures, une soixantaine d’œuvres issues de collections privées. François Deneyer, directeur de la Maison, publie une monographie de l’artiste belge aux quelque cinq cents peintures et sculptures.

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    © Joseph Gillain - www.jijé.org

    Après quelques planches originales des années ’50, c’est une succession de paysages, de portraits, d’intérieurs. Gillain a peint partout, chez lui ou en voyage : La moisson à Overijse, La chambre jaune à Cassis, L’arbre mort ou Le mistral à Aix. Coins de Bruxelles ou de Paris. « Vie heureuse d’un homme au talent étourdissant, qu’ensoleillait l’amour de son épouse, de leurs cinq enfants et nombreux petits-enfants », écrit Francis Matthys (La Libre Belgique, 21 juin 2010).

     

    Les couleurs intenses sont au rendez-vous, les influences aussi, surtout du côté du fauvisme. Annie à la jupe rayée, assise une cigarette à la main devant une porte vitrée, fait penser à un Matisse : rideaux souples retenus par des embrasses,
    balustrade et feuillages derrière les vitres, bouquet dans un grand vase bleu sur un guéridon, tapis à motifs. La jeune femme porte un corsage blanc sur une jupe à
    rayures vives, le rouge de ses lèvres répond à celui des embrasses, en contraste avec le mur ocre. C’est pimpant, c’est gai. On retrouvera Annie, l’épouse du peintre, plus loin, sur un canapé rose, entre autres.
     

     

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    Vent d'orage dans le Connecticut (détail) © Joseph Gillain - www.jijé.org

     

    A quoi tient le charme de Juliette et sa poupée ? Derrière un gros bouquet rose et bleu posé sur un coin de table, la fillette regarde vers nous – vers le peintre – de ses grands yeux bruns. Jolie frimousse. A-t-elle pris la pose, bien sage sur sa chaise, pour figurer sur une toile comme la poupée représentée au mur près d’elle, coiffée d’un chapeau cloche ? La plupart des sculptures présentées un peu bas dans des vitrines sont des bustes d’enfants, une tête de Benoît Gillain en terre cuite esquisse un beau sourire.

     

    A plusieurs reprises, Joseph Gillain a campé son chevalet devant une maison noyée dans la verdure : Maison au pays basque – toits orangés, ciel et ombres bleues sous les arbres – une peinture légère à la Dufy. Vent d’orage sur le Connecticut est beaucoup plus mouvementé : l’herbe et les arbres y tourbillonnent ; d’un fauteuil blanc à l’avant-plan, le regard glisse sur une barrière en bois avant de découvrir le haut d’une maison enfouie dans la végétation. Ailleurs une table dressée près d’un arbre avec ses chaises en fer forgé (Repas dans le parc), un arrosoir bleu vif dans l’allée sinueuse d’un jardin entre des plates-bandes bien fleuries. 

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    © Joseph Gillain - www.jijé.org

     

    F. Matthys, dont l’article enthousiaste m’a décidée à visiter cette exposition, a choisi Fantasme sur canapé pour l’illustrer, un des beaux nus aux cimaises de la Maison de la bande dessinée. Plusieurs d’entre eux sont curieusement intitulés « Nu privé », un autre, tout en rondeurs, Les sept collines de Rome ! Ce serait trop long de vous décrire ces citronniers du Mexique ou encore ce paysage ardennais sauvage, structuré comme un Raty mais dans de tout autres tons que le Liégeois, toute la gamme du  bleu foncé et du vert.

     

    Sans prétention mais avec un art très assuré, Gillain peint la beauté du monde et des êtres. De nombreuses photographies le montrent à l’œuvre. Je ne regrette pas de m’être déplacée spécialement pour cette rétrospective, sur la foi d’une critique d’art qui attendait depuis quelques semaines sur mon bureau. Les bédéphiles retrouveront Jijé au Centre belge de la bande dessinée qui propose jusqu’à la fin de l'année une grande exposition sur L’atelier de Franquin, Jijé, Morris et Will et même à Jambes où on lui rend aussi hommage. En outre, ils peuvent revoir ici, sur la petite mezzanine au fond de la salle, une vidéo (Bande à part avec Jijé) où Jijé-Gillain, installé dans sa camionnette au milieu des bois, répond aux questions sur son travail de dessinateur.
    En toute simplicité.

  • Oeil-de-boeuf

    Au bonheur des passants : la grille originale d’un œil-de-bœuf, aperçue en attendant le bus (en route pour le Mont des Arts).

     

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    « Quiconque a fait le premier pas peut apercevoir sur sa route des choses délicieuses, sans perdre une minute de son temps. Discerner ainsi ce qui nous entoure n’a rien de fatigant ; au contraire, cela revigore et rafraîchit le regard, mais aussi tout le reste. »

     

    Hermann Hesse, Propos sur les joies modestes de l’existence (L'art de l’oisiveté)

  • Au Mont des Arts

    A Bruxelles, le Mont des Arts relie le quartier de la Grand-Place à la Place Royale, le « bas » et le « haut » de la ville (comme on dit chez nous), un axe fort fréquenté, notamment par les touristes et par les visiteurs des musées (Musées Royaux des Beaux-Arts et MIM, entre autres). Rue en pente ou escaliers, vous avez le choix.

    Mont des arts (Vue vers la place Royale).JPG

    Bordée par la Bibliothèque royale de Belgique, cette terrasse urbaine s’est dotée en 2009 vers le haut d’un nouvel accès au Palais des Congrès sous la forme d’un grand cube de verre baptisé le Square (anglicisme destiné au public international et qui évite l’indispensable traduction dans une capitale bilingue). Certains se souviennent de l’époque où ce Palais des Congrès accueillait le Festival du cinéma de Bruxelles ou sa Foire du Livre, autant d’occasions d’admirer à l'intérieur la grande fresque de Delvaux ou encore celle de Magritte.

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    Samedi d’août ensoleillé, j’en profite pour prendre quelques photos, en commençant par les troncs d’arbres couchés çà et là depuis le début du mois, une installation éphémère pour promouvoir le Mont des Arts. Aux uns, ces grumes servent de banc, aux autres de support pour un cliché souvenir sous la statue de la reine Elisabeth (place de l’Albertine) en face de la statue équestre du roi Albert Ier. Les jardins, conçus comme un « tremplin visuel » par le paysagiste René Pechère, ont été replantés, les parterres fleuris protégés par de basses haies de buis, entre deux allées de platanes.

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    De nouvelles sculptures font le bonheur des passants, comme ce grand Loup de pierre bleue (Albert Aebly) dont les enfants raffolent – les parents n’hésitent pas à les installer dessus à califourchon, le temps d’une photo – ou, près du Square, un joyeux trio d’enfants accompagnés d’un chevreau, un beau bronze d’Eugène Canneel.

    Mont des arts (Enfants et chevreau d'Eugène Canneel).JPG

    Sous les arcades qui longent la rue, le café-brasserie ne désemplit pas, et cela semble aussi le cas du restaurant voisin avec sa grande terrasse avec vue sur les jardins. Il ne manque plus que quelques occupants aux vitrines du bas pour compléter cette rénovation.

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    Si vous descendez le Mont des Arts, vous n’y passez pas, si l’heure est près de changer, sans guetter le carillon de l’horloge aux rayons de soleil : un petit personnage en bronze (ce jacquemart est un « bourgeois de Bruxelles ») juché tout en haut de l’arcade sonne les heures. Les personnages des douze niches s’y animent au son du carillon, pour le plaisir des flâneurs.

    Mont des arts (Porte du bâtiment Dynastie).JPG

    C’est un des agréments de la vie en ville, quand on a le temps de s’y promener le nez en l’air : quelque chose est là depuis toujours, depuis longtemps, disons, et vous ne l’avez jamais vu : pour moi, ce furent les imposantes portes de bronze du bâtiment Dynastie qui jouxte l’horloge. Entre les deux grands personnages en bas relief porteurs l’un, de tables de la loi (la Constitution ?), l’autre, d’une couronne royale, figure notre devise nationale belge : « Eendracht maakt macht – L’union fait la force ». Faisons un voeu...