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  • Tempo

    « Comme le danseur, dont le corps a si bien apprivoisé la musique qu’il la suit tout en la dominant, marquant les accents et jouant avec le tempo, entre anticipation et retard, pour donner au rythme un relief que l’on ne soupçonnait pas, l’écrivain, esclave semi-consentant du temps, se soumet à la chronologie, à la logique du temps, tout en la domptant. La lecture se déroule, mais seul le poète est maître de la lecture. On aurait tort de croire que le rythme de lecture dépend du lecteur, de son acuité visuelle ou de ses talents intellectuels, le rythme est, par avance, défini par la main qui écrit. » 

    Geneviève Brisac, Agnès Desarthe, La double vie de Virginia Woolf

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  • Virginia, Mrs W.

    Ni biographie classique ni monographie critique, La double vie de Virginia Woolf (2004) se veut une entrée à la fois vers la femme et vers l’écrivain. Geneviève Brisac et Agnès Desarthe ne cachent pas leur sympathie pour celle qui « ne cessa de penser sa place parmi les autres, une femme au milieu des autres femmes ». Elles ont lu et relu ses romans, essais, lettres, nouvelles et son Journal pour en nourrir ce portrait de Virginia Woolf et amener leurs lecteurs à l’œuvre elle-même. Elles ont à cœur de dégager sa personnalité des qualificatifs péjoratifs – puritaine, dépressive, bourgeoise, narcissique – et de mettre en valeur l’artiste drôle, perspicace, imprévisible, sensuelle, travailleuse, plus proche de nous que certains ne l’imaginent..

    Une esquisse du passé évoque St Ives, en Cornouailles, où la famille Stephen passait ses vacances : « Si j’étais peintre, je rendrais ces premières impressions en jaune pâle, argent et vert. » (V. W.) - « Mais non, commentent ses biographes, elle est écrivain, c’est-à-dire qu’elle croit possible de faire ressentir des émotions à un lecteur en lui décrivant des choses impossibles à peindre, des gens impossibles à comprendre, des faits impossibles à expliquer, des souvenirs oubliés. » Le paradis de l’enfance prend fin en 1895, quand elle a treize ans. Julia, sa mère, meurt. Virginia en sera obsédée jusqu’à l’âge de quarante-quatre ans, où elle s'inspire d'elle pour la lumineuse figure de Mrs. Ramsay dans La promenade au phare.

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    Quant à son père, elle note dans son Journal en 1928 : « Père aurait eu quatre-vingt-seize ans. Quatre-vingt-seize ans. Mais Dieu merci, il ne les a pas eus. Sa vie aurait absorbé toute la mienne. Que serait-il arrivé ? Je n’aurais pas écrit, pas un seul livre. Inconcevable. » Intellectuel remarquable, Leslie Stephen était un parfait homme du monde en public, mais un tyran égocentrique pour les siens.

    « Bloomsbury, ce sont avant tout les jeudis de Bloomsbury, ou la vie légère et palpitante des sœurs Stephen après la mort de leur père en 1904 et jusqu’au mariage de Vanessa avec ledit Clive Bell, en 1907. » Une vie d’étudiants – sa
    sœur et elle n’ont pas eu accès aux études, il en sera question dans Une chambre à soi –, grâce aux amis de leur frère Thoby : Roger Fry, Duncan Grant, Morgan Forster, Maynard Keynes, et puis Leonard Woolf, qui épouse Virginia en 1912. « Dix ans plus tôt, elle avait confié à son amie Emma Vaughan : « La seule chose qui compte en ce monde, c’est la musique – la musique, les livres et un ou deux tableaux. » »

    La Hogarth Press, œuvre commune de Virginia qui écrit et de Leonard qui lit, leur
    sera « un irremplaçable instrument de liberté ». Sans les pressions d’un éditeur extérieur, stimulée par les encouragements de son mari, Virginia Woolf peut voler de ses propres ailes vers une nouvelle forme romanesque qui brise avec les convenances du roman victorien. En poète, elle cherche à restituer l’impression, la vision. Lily Briscoe, la peintre de La promenade au phare, l’exprime ainsi : « Si seulement elle pouvait les assembler, les coucher par écrit dans quelque phrase, alors elle aurait atteint la vérité des choses. »

    Mrs Woolf se promène, rend visite, reçoit, correspond. « Otez-moi l’amour que j’ai pour les amis, l’urgence dévorante qui m’attire vers la vie humaine, ce qu’elle a d’attirant et de mystérieux, et je ne serai plus qu’une fibre incolore que l’on pourrait jeter comme n’importe quelle déjection. » (Lettre à Ethel Smyth) « Pourquoi restons-nous muets comme des carpes, paralysés par la stupeur, alors qu’il n’y a rien de plus important au monde que notre commun besoin d’affection et d’admiration ? » (Lettre à Philip Morrell)

    Geneviève Brisac et Agnès Desarthe s’attardent sur les œuvres majeures, Mrs Dalloway, Les Vagues, sur les lectures incessantes – Proust, « le grand interlocuteur ». Bien sûr, aussi sur les essais, Une chambre à soi et Trois guinées, où elle examine la condition des femmes et leurs rapports avec les hommes pour qui elles sont, « depuis des millénaires, d’indispensables miroirs grossissants », pourvoyeuses d’énergie vitale.

    La mort de son neveu Julian Bell à la guerre d’Espagne, en 1937, réveille le souvenir de son frère Thoby, emporté par une typhoïde en 1906. La guerre entre pour de bon dans la vie de Virginia Woolf. Les accès de dépression, d’épuisement, la peur de la folie, lui font abandonner la lutte en mars 1941. « Seule dans un monde hostile » dit Rhoda, l’une des voix qui se croisent dans Les Vagues.

  • Vers l'Europe

    « On ne connaît pas Turin et l’importance de sa cour. On pense surtout à Venise, Rome, Florence. Cette exposition à Bruxelles est nécessaire pour montrer qu’à Turin existait un goût international, qu’on savait regarder vers l’Europe, ne fût-ce qu’au travers des liens dynastiques. Et cela se voit dans la peinture. »

     

    Carla Enrica Spantigati, commissaire de l’exposition Da Van Dyck a Bellotto
    (propos recueillis par Xavier Flament, Bozar magazine, Bruxelles, février 2009)

     

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  • Turin - Bruxelles

    Pour découvrir Da Van Dyck a Bellotto, Magnificenza alla Corte dei Savoia, la grande exposition du Palais des Beaux-Arts (jusqu’au 24 mai prochain), les visiteurs tombent d’abord nez à nez avec une installation de Maurizio Cattelan, adepte du détournement et de la provocation. Dans le grand hall Horta, juché sur un énorme cube de terre fraîche, un olivier tutoie la verrière, déplacé, en exil. A-t-il de quoi abreuver ses racines ou est-il voué à la mort ? L’argent de ses feuilles semble déjà pâli.

    Derrière lui, en haut des marches, sur son cheval cabré, Le prince Thomas de Savoie Carignano, la grande toile de Van Dyck qui sert d’affiche à l’exposition, est l’œuvre phare prêtée par la Galleria Sabauda de Turin. D’autres portraits de la cour des Savoie, dont un raffiné Charles-Emmanuel I de Savoie à dix-huit ans (une œuvre de Jan Kraek, dit Giovanni Caracca), présentent le motif du huit, symbole d’amitié, sur les riches vêtements et bijoux : le nœud des Savoie.

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    Parmi les peintures religieuses, une Conversation sacrée d’un peintre du Piémont, nettement inspirée d’un Mantegna qui la jouxte, montre une Vierge à l’Enfant entourée d’anges musiciens. Quelle merveille de découvrir des enluminures aux couleurs si fraîches sur le vieux papier, comme cette page de Missel où des fleurs (l’ancolie par exemple, parfaitement dessinée) et des anges entourent joyeusement le texte. Abraham et les trois anges, de Guglielmo Caccia, tranche avec ce qui précède par le mouvement : les anges descendent en diagonale vers Abraham, une ville occupe l'arrière-plan  le paysage commence à apparaître dans la peinture.

    Même prévenue, j’ai ressenti une grande émotion devant l’Annonciation d’Orazio Gentileschi, un chef-d’œuvre qui justifie à lui seul le déplacement au Palais des Beaux-Arts. Sur une toile de près de trois mètres sur deux, dans la lumière de la fenêtre par laquelle est entrée une colombe, Marie ramène sur elle un manteau bleu qui couvre à demi sa robe rouge, écho au coin de ciel visible par la fenêtre ouverte. Elle lève la
    main droite, comme pour se protéger, vers l’ange Gabriel qui a mis un genou à terre. Le visage modestement penché se détache sur le somptueux drap rouge suspendu derrière elle. L’ange pointe l’index juste au centre du tableau, il tient un lys immaculé dans l’autre main. Les nuances de son vêtement chatoient elles aussi à l’ombre de ses ailes. C’est magnifique.

    Après avoir souri devant la Procession des Pucelles du Sablon par Antoine Sallaert, je me suis attardée devant Amaryllis et Myrtille, une étonnante bacchanale féminine de Van Dyck – en fait, Mirtillo s’y est déguisé en femme pour un concours de baisers, d’après un drame pastoral de Guarini. A côté, Les enfants de Charles Ier d’Angleterre, délicieux trio en longues robes comme en portaient alors garçons et filles jusqu’à l’âge de sept ans. L’aîné, en rouge royal, caresse son chien. Sa sœur, en robe claire, est plus concentrée sur sa pose que la cadette, en robe bleue et bonnet,
    de profil, une pomme dans les mains. Des roses, sur le tapis et derrière la petite l’ensemble est ravissant.

    Dans la salle des natures mortes, une grande coupe de fruits aux raisins dorés, près d’un délicat pot de porcelaine rempli de mûres, signée Isaak Soreau. Les bouquets de Cornelis de Heem et d’Abraham Mignon sont éblouissants par le rendu des tulipes perroquets, roses, pivoines, coquelicots et insectes typiques de ces natures mortes du XVIIe siècle.

    Après cette luxuriance, les paysages qui clôturent l’exposition apaisent. Un petit Paysage avec cours d’eau de Gottfried Wals aux personnages minuscules rend sa place à la nature. Place aux peintures du XVIIIe. Des marines, des ports, une Vue de Turin depuis le jardin royal par Bellotto. Enfin, deux scènes bucoliques de Jules César Van Loo - les alentours de Turin à l’aurore et au couchant - terminent ce parcours pictural d’une grande richesse. J’ai aimé dans cette dernière salle les deux Etudes de caractère de Nogari, un jeune homme à la pêche et une jeune fille.
    La vérité du visage y a pris le pas sur les atours. Annonce d'une autre époque.

  • Hors du temps

    « Car c’est une grande force, en vérité, que d’être hors du temps : de vivre dans les idées, dans le contact avec des auteurs de pays divers et de temps lointains, qui sont très différents et qui pourtant vous touchent, donc vous ressemblent. Cela fortifie, cela aide. Cela vous forme comme les voyages forment la jeunesse. Cela vous aide à jauger les « événements qui font l’histoire du monde » comme
    y aide la vue des ruines, des temples, des palais, dont au demeurant, chacun recherche avec passion la connaissance. »

    Jacqueline de Romilly, L'Enseignement en détresse

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