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  • Valdés au musée

    Les muses ne dorment pas (2021, traduit de l’espagnol (Cuba) par Albert Bensoussan), raconte une histoire entre récit et fiction née « les yeux clos », comme l’annonce Zoé Valdés en première page. « A Cuba, l’art m’a sauvée de la constante incurie sociale et politique » écrit-elle pour commencer, musées et galeries lui permettaient «  un saut immense, un bond tellurique, comme au ralenti, vers la liberté ». Zoé Valdés vit à Paris depuis 1995. En exil, l’art n’a cessé de l’aider à vivre, déclaration qui m’a rappelé le beau récit de Maria Gainza présenté ici.

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    Canaletto, La place Saint Marc à Venise, vers 1723 – 1724, huile sur toile, Madrid, Musée Thyssen-Bornemisza

    Le 10 mars 2019, la romancière cubaine est à Madrid pour passer une nuit au musée Thyssen-Bornemisza : après avoir vu Place Saint-Marc à Venise de Canaletto à l’atelier de restauration, visité une exposition temporaire consacrée à Balthus – peintre avec qui elle a un rapport très personnel –, Zoé Valdés monte au second étage où l’attendent un lit de camp, un bureau et une chaise, face au portrait de Misia Godebska par Bonnard. Zoé trouve que sa fille Attys Luna ressemble un peu à Misia. Pierre Bonnard sera l’autre « pierre angulaire » du livre.

    Voici Balthus, d’abord, pour qui « María » a posé nue, « en catimini », à vingt-trois ans. C’est un vidéothécaire voisin qui a remarqué la jeune femme ; elle emprunte régulièrement des films porno pour son mari, un diplomate cubain, peintre et tyran domestique. Serge lui propose de poser pour lui, dans son studio privé, pour deux cent cinquante francs l’heure. Il vend ses photos à un club d’amateurs de nus féminins.

    Après avoir refusé, notamment par crainte du service de sécurité de l’ambassade, elle accepte la proposition. L’argent facile à gagner pour compléter son emploi dans un bureau culturel lui permettra de s’offrir un peu de luxe. Elle a du succès. Serge lui remet un jour une lettre l’invitant à poser pour un peintre. Toujours à l’insu de son mari, à qui elle fait croire qu’elle visite tel ou tel musée, elle se rend avec une amie à l’adresse reçue : son épouse japonaise les accueille chez Balthasar Klossowski de Rola qui n’est autre que le fameux Balthus.

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    En couverture, Le Repos (Renée Monchaty) par Bonnard, vers 1920

    Tout se passe bien. Avec le temps, Balthus bavarde un peu, parle de son vieil ami Bonnard. D’une toile de Canaletto où un marchand semble regarder le spectateur du tableau. D’un « tableau mort » c’est-à-dire, lui explique le peintre, « un tableau qui a existé et qui est mort. Qui existe, bien qu’il soit mort. Qui ne se montre pas parce qu’il n’intéresserait personne ou par ce que le peintre n’aimerait pas qu’on le voie. Ou que la famille du peintre ne serait pas d’accord pour l’exposer, une fois qu’il ne serait plus de ce monde. » Mais un secret finit souvent par être dévoilé, en art comme dans la vie.

    Au début de « Bonnard » figure cette phrase du peintre : « Il ne s’agit pas de peindre la vie. Il s’agit de rendre vivante la peinture. » Le voici à Rome en 1921, accompagné par Renée, une de ses muses. Sur la toile intitulée Piazza del Popolo, on verra des gens affairés, la place baignée de lumière rose, comme dans une œuvre de Canaletto, et à gauche, cette jeune fille qui regarde le peintre, comme le marchand sur l’autre toile. Renée Monchaty est alors la reine de Bonnard, bien qu’il soit fiancé à Marthe. Elle est son modèle depuis cinq ans, et sa maîtresse. Il se dit « incapable de peindre sans aimer ».

    Quatre ans plus tard, à Paris, Renée, enceinte, lui demande de l’épouser, mais Bonnard refuse. Il va bientôt se marier avec Marthe. Désormais, Renée n’est plus que douleur. C’est la rupture. Quand elle le revoit un jour par hasard, il sort de chez une fleuriste avec un bouquet de roses jaunes. Puis c’est le drame. L’année suivante, Bonnard est à Cuba, à Matanzas ; une fillette l’interroge sur ce qu’il est en train de peindre, et on en apprend davantage sur le « tableau mort ».

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    Pierre Bonnard, Piazza del Popolo, 1922, huile sur toile, collection privée

    Dans un musée de Madrid, une romancière rêve et voyage. Alina Gurdiel, qui a eu l’idée de la collection « Ma nuit au musée », présente Les muses ne dorment pas en ces termes : « Les muses sont des jeunes filles, des adolescentes parfois, des innocentes sacrifiées sur l’autel du désir des peintres. Aujourd’hui, elles feraient des procès. A l’époque, elles n’avaient le choix que de poser pour de l’argent, ou pire, par dévotion. »

  • Voix d'enfant

    Amigorena le-premier-exil.jpg« Et comme je réentends aujourd’hui en écrivant ma voix d’enfant – cette voix si rare, cette voix que je gardais toute la journée, jour après jour, enchaînée tout au fond de l’obscur cachot de mon ventre – proposer à Celeste :
    « ¿ Vamos a las rocas ? », et, comme je l’entends me répondre en aboyant : « Oui, oui, allons aux rochers ! »,
    ce n’est pas seulement l’air et le vent et le sable et l’eau couleur crinière-de-lion du fleuve colossal, ni la noire excitation et les noirs aboiements de joie de mon chien qui renaissent devant mes yeux, c’est la sensation absolue, purement physique, d’habiter le corps tendre et fragile de l’enfant que j’étais alors qui remplace celle d’habiter le corps vieilli, et souffreteux, où je vis à présent. »

    Santiago H. Amigorena, Le premier exil

  • Six ans en Uruguay

    Le premier exil (2021) est ma première rencontre avec l’univers de Santiago H. Amigorena. Né en Argentine en 1962, celui-ci reconstitue en français, depuis 1998 (Une enfance laconique), les différentes époques de sa vie marquée par deux exils. Le premier, raconté ici (avec la mention « roman » sous le titre), est celui de sa famille de Buenos Aires à Montevideo ; le second les mènera tous à Paris et le fera passer de l’espagnol au français.

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    L’incipit du Premier exil, que vous avez pu lire ici, se rapporte au décès de son arrière-grand-père maternel à cent quatre ans, en présence de toute la famille – l’auteur avait six ans : « Je regardais fixement son visage. Je regardais – et j’attendais. Tout le monde attendait. Tout le monde attendait – et il n’y avait plus rien à attendre. » Voulant demander à sa mère si son grand-père était mort, il lui dit : « ¿Me mori? » Une « erreur enfantine » révélatrice, il me semble. J’ai failli abandonner ce premier chapitre qui compte cent dix pages, tant il m’a paru égocentrique, voire égotiste.

    La prise de conscience du temps qui passe ou est passé est au cœur du récit de cet écrivain admirateur de Proust. La mort ouvre « une nouvelle ère de notre existence, celle de l’absence de l’être cher et disparu », écrit Amigorena, ajoutant bientôt qu’alors il ne savait pas encore « que le temps caresse la mémoire et que l’oubli atténue le manque, apaisant la première morsure de la disparition ». Cherchant à restituer le regard et la sensibilité de ses six ans, il ne masque pas pour autant la voix du narrateur de soixante ans, l’âge auquel il écrit ces souvenirs-là.

    Passer les vacances d’été en Uruguay était habituel pour sa famille comme pour beaucoup d’Argentins, mais cette fois, ils avaient fui leur pays après le coup d’Etat militaire de 1966 et une attaque de l’université : « Il y avait, dans cette manière explicitement fasciste de s’attaquer non seulement à la jeunesse, non seulement aux étudiants, mais à la pensée, aux penseurs – quel que fût leur âge, quelles que fussent leurs opinions politiques –, une violence nouvelle qui fit fuir d’Argentine des centaines et des centaines de professeurs. » Son père professeur de psychologie et sa mère exerçaient tous deux comme psychanalystes. « Autant dire que le chemin de l’exil nous ouvrait grand ses bras. »

    L’Uruguay était « un petit havre de démocratie égaré dans un continent que le feu et le sang commençaient de dévorer de toutes parts ». La compagnie de Celeste, un cocker « noir comme l’encre » que ses parents lui avaient offert peu de temps avant le départ, et celle de son grand frère avec qui il allait sur la plage (au bord du Rio de la Plata) ont permis à l’enfant de six ans de ne pas trop souffrir de ce bouleversement. « Sentais-je déjà, enfant, que la passion pour la mer ne s’arrêterait jamais ? que semblable à celle de Tiepolo pour le ciel elle me ferait tourner sans cesse mon regard d’adulte vers l’azur partout répandu ? »

    Le nom du chien a été choisi par ses parents en hommage à Proust. Son père a-t-il voulu lui forger un destin d’écrivain ? – « cet Autre, Marcel, dont je ne cesserais jamais de suivre les pas, pastichant jusqu’à ses pastiches, avide de devenir l’ombre de son ombre, l’ombre de sa main, l’ombre de son chien. » Un mot des italiques : elles sont souvent utilisées par l’auteur pour citer et aussi se citer, en intercalant entre deux paragraphes des phrases retrouvées dans ses cahiers ou dans d’autres de ses livres. Ce sont parfois des vers :

    « On ment plus qu’il ne faut
    par manque de fantaisie :
    la vérité s’invente aussi. »

    Amigorena décrit l’univers de ses six ans : le quartier, la première et la deuxième maison où ils habitent à Montevideo – celle-ci, de quatre étages, « parmi les plus cossues » avait un jardin « riquiqui », mais un arbre « immense », son « gomero » (un gommier des Malouines ou de Magellan) auquel il consacre de très belles pages, son terrain de jeu, de lecture, de repos, où il lui arrivait de s’endormir malgré que ce fût interdit par sa mère.

    « Je croyais, il y a trente ans, qu’il me fallait tout écrire avant de publier, et je rêvais d’un seul ouvrage, de quelque trois ou quatre mille pages, qui mériterait le titre que je lui avais déjà attribué : Le Dernier Livre. Que j’avais tort ! Et que j’avais raison. Que j’avais tort et raison, et que – j’étais prétentieux. Presque aussi prétentieux qu’aujourd’hui où, ayant déjà publié quelques milliers de pages – et ayant compris que jamais je ne trouverai la pierre philosophale, que jamais je ne transformerai mon sombre silence en or trébuchant et sonore –, j’écris encore. » Plus loin : « ce n’est qu’en écrivant – ou en décrivant seulement comme c’est le cas ici – que les espaces du passé resurgissent dans la pensée. » On découvrira à la fin du livre le plan général de l’œuvre d’Amigorena en six parties. Il répète souvent ceci : « J’écris pour ne plus écrire. »

    Le thème de l’écriture, le seul enseignement sans lequel il ne serait pas ce qu’il est, sa « raison sociale », écrit-il, est omniprésent dans Le premier exil. A l’école, leur goût commun de la solitude le rapproche d’Abu, fils de diplomates africains. C’est aussi à six ans qu’il commence à suivre une analyse – il y gardera le silence, autre leitmotiv de son enfance « d’un mutisme farouche » – et à passer des après-midi chez le dentiste. Après ce long chapitre consacré à « la première année du premier exil », viendront la deuxième, la troisième et la quatrième.

    Au récit des amitiés d’école, des événements politiques, des jeux, de l’écriture, s’ajoute la souffrance de savoir son frère amoureux, « heureux avec quelqu’un d’autre » que lui. Au surnom ironique que lui donnent ses camarades, « le dieu du silence », répondra la déclaration de son « futur meilleur ami » : « Moi, je sais pourquoi il ne parle pas. C’est parce que tout ce qu’il a à dire il le dit à sa façon : en écrivant. » L’auteur instille dans son texte un rythme personnel à l’aide de tirets, de répétitions, de subjonctifs ou d’associations de mots fantaisistes, qui jouent sur les sonorités surtout.

    Donnant peu à peu plus de place à ce qui se déroule autour de lui durant ces années-là, Amigorena poursuit sa recherche du temps perdu qu’il résume ainsi dans le dernier chapitre : « Si nos seules patries sont l’enfance et la langue, l’amour et l’amitié sont nos seules nations : ce sont les seules contrées où notre errance sur terre trouve un sol ferme où poser les pieds. Un sol ferme et mouvant : vivant – comme le sable, comme l’océan. »

  • Pouvoir d'évocation

    Dufy Catalogue bis.jpg« Il transpose dans son coloris de charmeur tous les thèmes qu’il choisit : régates, salles de concert, nus à l’atelier.  […] Ses teintes sont libres au point qu’elles ne se laissent pas enfermer par les limites des objets. Et ces limites elles-mêmes n’ont rien de figé : un trait des plus elliptiques les suggère. Pourtant nous avons affaire non à une manière désinvolte, superficielle, mais à un art qui se recommande par sa justesse et son pouvoir d’évocation. »

    « Dufy » in Dictionnaire de la peinture moderne, Hazan, 1980

  • Dufy et la couleur

    « L’ivresse de la couleur » : l’exposition Raoul Dufy vient de prendre fin à l’Hôtel de Caumont. Je suis heureuse d’avoir pu la visiter et d’un peu mieux connaître ainsi ce peintre, grâce aux œuvres prêtées par une vingtaine de musées (le Musée national d’art moderne de Paris, principalement) et des collections privées. En plus des huiles, des aquarelles et des dessins de Dufy (1877-1953), on y exposait aussi des gravures et des céramiques de l’artiste.

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    Raoul Dufy, L’Estacade à Sainte-Adresse, 1902, huile sur toile
    © Adagp, Paris / Jean-François Tomasian - Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP

    Né au Havre, Dufy est d’abord influencé par les impressionnistes : voyez comme il peint L’Estacade à Sainte-Adresse ou Le Yacht pavoisé au Havre dans les premières années du XXe siècle. J’ai admiré dans ces deux toiles (léguées par son épouse en 1963) le chant des couleurs, dont un délicat turquoise, et la belle lumière, en particulier dans L’Estacade, où les voiles des parasols se perdent dans le blanc un peu doré du sable.

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    Raoul Dufy, Paysage de Provence, 1905, huile sur toile, Musée d'art moderne de Paris

    Mon premier coup de cœur est ce Paysage de Provence avec ses arbres, ses bandes de lavandes, ses maisons qui ne font qu’un avec ce qui les entoure. J’aime ce choix d’une ligne d’horizon très haute qui permet au paysage de se déployer, cette toile saturée de couleurs qui m’a fait penser à Bonnard. Influencé par le fauvisme, Dufy évolue vers une touche plus libre, comme on le voit aussi dans La Terrasse sur la plage avec ses couleurs vives.

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    Raoul Dufy, La Terrasse sur la plage, 1907, huile sur toile, Musée d'art moderne de Paris

    L’exposition d’Aix « met tout particulièrement en lumière les liens étroits que le peintre a entretenus avec la Provence et l’œuvre de Cézanne » (les citations viennent du dépliant ou du catalogue). Dufy s’intéresse à la construction des formes « par la couleur, les plans et les volumes géométrisés » et séjourne à Marseille en 1907 et 1908. Il se rend sur les sites du maître et réduit sa gamme aux ocres et aux verts, suit son exemple en simplifiant les formes. Ses toiles cézaniennes sont assez austères et bientôt il réintroduit dans sa peinture des couleurs plus dynamiques.

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    Raoul Dufy, Maison et jardin, 1915, huile sur toile, Musée d'art moderne de Paris

    Dans Maison et jardin (1915), mon deuxième coup de cœur, « Dufy applique les leçons de Cézanne dans le jardin de sa maison au Havre » : la table de jardin bleue et verte supporte une coupe de fruits ; au-dessus, une rose du rosier grimpant entre la table et la maison blanche équilibre et anime cette composition en vert, bleu et blanc. Une formidable illustration de l’art avec lequel le peintre pratique une « stylisation décorative ».

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    Raoul Dufy, La pêche, 1910, gravure sur bois, Musée d'art moderne de Paris

    La petite salle sur laquelle s’achève la première partie de l’exposition présente des œuvres sur papier, notamment des gravures sur bois (La chasse, La pêche, La danse, 1910). Dufy a gravé des illustrations « jouant des contrastes de noir et de blanc » pour Le Bestiaire ou Cortège d’Orphée d’Apollinaire. Séduit, le couturier Paul Poiret lui demandera de reproduire plusieurs des motifs floraux et animaux sur tissu. Le goût de Dufy pour la liberté d’interprétation apparaît bien dans cette explication donnée en 1948 : « Il ne faut jamais suivre le texte. C’est une interposition que l’on introduirait dans l’esprit du lecteur. L’illustration, c’est une analogie. » En plus des livres sont  exposées là des aquarelles et des huiles montrant des paysages de Provence.

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    Raoul Dufy, La jetée-promenade à Nice, s.d., huile sur toile, Musée d'art moderne de Paris

    De l’autoportrait de 1898 (à l’entrée de l’exposition) à celui de 1948 (au second niveau), un demi-siècle de vie et d’exploration de la peinture, de la couleur et du dessin.

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    Raoul Dufy, Autoportrait, 1948, huile sur toile, Musée des Beaux-Arts, Nancy

    La jetée-promenade à Nice, où on voit la coupole du casino détruit durant la seconde guerre mondiale, montre parfaitement l’art de Dufy : « des aplats de couleurs vives qui débordent des contours ou divisent les objets en zones d’ombres et de lumière, faisant abstraction du « ton local », à savoir la couleur propre d’un objet, en dehors des effets de la lumière » (notice).

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    Raoul Dufy, La Coupe bleue, 1938, faïence stannifère, H. 21 cm, Centre Pompidou, Paris

    Au milieu des peintures d’ateliers, de nus et de baigneuses, ce sont d’abord les céramiques qui m’ont attirée : une magnifique coupe bleue où les courbes des baigneuses se dessinent entre les ondulations de la mer, des vases, des carreaux de céramique sur le même thème. Dufy s’est réfugié à Perpignan de 1940 à 1945 « pour se soigner et fuir la capitale occupée » et il y a peint son atelier comme dans les différents endroits où il a vécu et créé.

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    Raoul Dufy, L’Atelier de Perpignan, « La Frileuse » et l’Atelier de Perpignan, rue Jeanne-d’Arc, 1942,
    huiles sur toile, Musée d'art moderne de Paris

    Dans L’Atelier de Perpignan, « La Frileuse » et l’Atelier de Perpignan, rue Jeanne-d’Arc (1942), les tons chauds et orangés dominent. La lumière circule davantage dans la toile de droite où les plafonds clairs et le drap sur lequel le modèle est allongé se répondent. La console jaune aux deux fenêtres (1948) a été peinte dans son second atelier, place Arago. J’aime le contraste audacieux des couleurs, dans cette composition symétrique, et celui des éléments rectilignes avec les formes contournées de la console et du miroir de style rocaille.

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    Raoul Dufy, La console jaune aux deux fenêtres, 1948, huile sur toile,
    Musée des Beaux-Arts Jules Chéret, Nice

    Les visiteuses se succédaient devant un superbe ensemble d’aquarelles florales : Dufy possède l’art de rendre le charme des fleurs et des bouquets champêtres – « Un bouquet, c’est un peu un feu d’artifice », disait-il. Ces aquarelles (66 x 50 cm environ) étaient accrochées au-dessus de livres illustrés par l’artiste, en particulier Pour un herbier de Colette (1950).

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    Raoul Dufy, plusieurs bouquets (aquarelle et gouache), Musée d'art moderne de Paris

    On passe ensuite au thème maritime privilégié par Dufy tout au long de sa vie, de la Normandie à la Méditerranée : ports, plages et régates. C’est là que se trouvaient les toiles encore impressionnistes que j’ai citées plus haut. La jetée de Honfleur (1928) illustre bien son goût pour les bords de mer animés. Les régates où les voiliers s’élancent, aussi légers que les mouettes, me plaisent davantage que les fêtes nautiques, des toiles plus chargées où il utilise plus de noir.

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    Raoul Dufy, Henley, régates aux drapeaux, 1932 /
    Port au voilier, hommage à Claude Lorrain, vers 1935

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    Raoul Dufy, Régates aux mouettes, vers 1930, huile sur toile, Musée d'art moderne de Paris

    L’exposition d’Aix en Provence se terminait avec une installation immersive de La Fée Electricité, l’œuvre monumentale (600 m2, 1937) conservée au Musée d’Art moderne de Paris. Je me serais volontiers attardée dans ce bain de couleurs et de figures au dessin très libre, mais même adossée au mur, je me suis vite sentie mal à l’aise – les expériences d’immersion visuelle ne conviennent pas aux personnes sujettes aux vertiges. Dorgelès appelait Raoul Dufy le « peintre de la féerie moderne » et c’est bien ce qui ressort de cette rétrospective résolument tournée vers la joie de vivre.