Trois mois après notre installation à Montevideo, nous sommes retournés à Buenos Aires pour quelques jours. El abuelo Zeide, mon arrière-grand-père maternel, avait appelé lui-même ma mère pour la prévenir qu’il allait mourir. Juif du bout des doigts, cet animal robuste qui naquit dans un shtetl près de Kiev l’année où Lewis Carroll publiait Les Aventures d’Alice au pays des merveilles, cet adolescent fougueux qui aima à la folie une jeune fille de Tresorukovo qu’il fut forcé d’abandonner gelée sur la steppe infinie, cette loutre lymphathique qui traversa le Dniepr à la nage en plein hiver pour fuir en Amérique du Sud – cette loutre qui à la fin de sa vie était aussi silencieuse que la loutre graphomane qui vous entretient ici, à présent, à grands coups de queue imprégnée d’encre –, avait passé les dernières années de sa trépidante vie paresseusement installé dans la salle sombre d’un cinéma de l’Once une bouteille d’alcool pur à portée de la main.
Santiago H. Amigorena
Portrait de Santiago Amigorena - Janvier 2022, par Marionquantin Amigorena (Wikimedia)
Commentaires
J'ai lu un livre bouleversant d'Amigorena Le ghetto intérieur, Il y parle de la mémoire, de l'exil, de la famille. C'est fort. Un bel hommage!
bonne nouvelle semaine.
J'ai lu un livre bouleversant d'Amigorena Le ghetto intérieur, Il y parle de la mémoire, de l'exil, de la famille. C'est fort. Un bel hommage!
bonne nouvelle semaine.
Je n'ai lu que "le ghetto intérieur" de cet auteur, mais là je crois qu'il s'agit du "premier exil". Son style est tout de suite reconnaissable (et sa photo !)
Un personnage qui semble avoir eu une vie fort intéressante, hors-normes cet abuelo Zeide.
Ça donne envie de lire la suite...
Un texte pas banal ! Moi aussi cela me donne envie d'en savoir plus !