Une autre expo bruxelloise en cours, à la Villa Empain déjà présentée ici, porte ce beau titre : « La route bleue ». On pense à la route de la soie, et c’est bien des avatars du bleu entre Orient et Occident – « Périples et beautés, de la Méditerranée à la Chine » – que nous parle cette sélection d’objets d’hier et d’aujourd’hui, fidèle au principe de la Fondation Boghossian. Un voyage dans la couleur aujourd’hui préférée des Occidentaux, comme le rappelle souvent Michel Pastoureau qui lui a consacré un de ses beaux livres (son « Vert » sera publié bientôt).
A droite de l’entrée, un salon présente des variations de Betty de Paris sur l’indigo – ce bleu végétal venu d’Inde – dont elle décline les nuances dans une série d’œuvres textiles, comme ce grand damier bleu et blanc en guise de store ou cette pelote de fil de ramie intitulée « Chaque jour ».
Le grand hall ne manque jamais son effet, avec la grande baie vitrée du salon d’honneur qui donne sur la piscine et le jardin, mais le regard monte aussitôt vers les nymphéas d’Isabelle de Borchgrave suspendus dans l’air, feuilles et tiges bleues portant des fleurs blanches qu’on appréciera mieux d’en haut, une belle installation de cette artiste belge connue surtout pour ses robes anciennes en papier. Devant soi, on croit voir de grands vases chinois classiques ; de près, ces porcelaines fabriquées en Chine par des artisans locaux révèlent des motifs surprenants : Raed Yassin, né à Beyrouth en 1979, les a ornés de scènes de la guerre au Liban.
Sèvres et Limoges (Cité de la céramique)
Plat d'Iznik, faïence, 1550-1560
De part et d’autre, de précieuses pièces de céramique ancienne sont présentées dans des vitrines – vase florentin du XVIe siècle, porcelaines de Limoges, de Sèvres ou de Nevers, plats d’Iznik, vases de Chine ou du Japon… – en compagnie d’œuvres contemporaines comme la barque dressée d’Andrey Zouari ou les cercles de papier du dessinateur portugais Rui Moreira.
J’ai retraversé le hall pour aller contempler de près une de mes préférées parmi les œuvres exposées, aussi lumineuse qu’un vitrail : des papiers noués d’Arlette Vermeiren, une artiste bruxelloise qui s’est inspirée des itinéraires de la route de la soie, de la Méditerranée vers la Chine. Devant une large fenêtre, ses papillons de papiers noués colorés en bleu, avec des reflets d’or et d’argent, parfois du vert ou du rouge, volent et voilent la lumière du monde – c’est somptueux.
Nymphéas © Isabelle de Borchgrave
A la fenêtre de l’escalier qui mène à l’étage, une œuvre sur verre commandée récemment par la Villa Empain à la Coréenne Bang Hai Ja s’intitule « Lumière née de la lumière ». En haut, deux beaux disques de céramique calligraphiés par Alechinsky se répondent de part et d’autre du vide où flottent les nymphéas.
We are so lightly here, 2009 © Hale Tenger
Blue Coconut Palm Leaf, 2012 © Desmond Lazaro
Dans les salles plus intimes disposées tout autour, il reste beaucoup à découvrir, autant d’approches du bleu que d’œuvres, spectaculaires ou discrètes comme ce minuscule parachutiste en bronze, acrylique et émail, que Hale Tenger a déposé au centre d’un coussin de soie blanc – l’image est forte et elle m’a émue, j’ai aussitôt pensé aux parachutistes belges dont l’avion s’est écrasé il y a peu. L’artiste turque y propose une réflexion « sur la fragilité de la vie, entre la naissance et la mort ». En effet.
Dans cette pièce, des pigments bleus et or de Desmond Lazaro, des sphères ornées de paysages et d’écritures de Russell Crotty inspiré par les astres. Parmi les céramiques montrées à l’étage, ne manquez pas les porcelaines de Yoshiro Kimura, avec des effets extraordinaires de vagues en surface.
Veste de fonctionnaire civil, Musée Guimet
Sari Jamdani (détail), Musée Guimet
Plus loin, un triptyque de mounir fatmi (la résistance de l’artiste marocain aux traditions va jusqu’au refus des majuscules) a nécessité plus d’une centaine de tapis de prière, ainsi détournés vers la création artistique. En face de ce collage, en vitrine, une magnifique « veste de fonctionnaire civil » en satin de soie indigo (Chine, dynastie Qing, XIXe) a été prêtée par le Musée Guimet, de même qu’un « sari jamdani » en mousseline de coton brodée de fils blancs d’une extrême finesse.
Des peintres sont présents sur « La route bleue » : d’Alechinsky encore, une belle toile, « Parole d’eau » ; « Le cheval de cirque » de Miró, du musée d’Ixelles ; un Yves Klein, pour les plus connus. Dans une pièce consacrée aux parures anciennes, vous verrez d’extraordinaires bijoux réalisés avec des plumes de martin-pêcheur, très prisées dans l’aristocratie chinoise, emblèmes de fidélité conjugale : épingles à cheveux, broches, coiffes portées lors des grandes occasions. A côté, la sculpture « Indigo shadow » d’Abdulrahman Katanani évoque la cueillette de la plante à partir de laquelle se fabriquait la couleur.
Pour ne pas être trop longue, je me contente de citer encore deux artistes en harmonieuse cohabitation (photo ci-dessus), Anne De Bodt avec les légères et subtiles embarcations de sa « Flottille » et Mahmoud Hojeij, « Re Palestina », une série de tirages photographiques déclinant les bleus du ciel et de la mer, du plus clair au plus sombre. D’autres photos et installations vous attendent dans l’escalier qui mène au sous-sol, je vous en laisse la surprise.
© Tarek Al-Ghoussein - Courtesy of The Third Line, Dubaï
Pour conclure, cette formule de Guy Duplat dans La Libre : « une exposition exquise de beauté et de finesse, mêlant art contemporain et ancien avec les arts décoratifs. Les yeux rivés sur l’Orient, proche et lointain. » Et cette phrase de Philippe Jaccottet citée dans son article : « Et le bleu n’est plus une matière, c’est un songe. »
Commentaires
Quelle belle idée d'expo que nous vivons grâce à toi
j'aime particulièrement la phrase de Jaccottet et les tableaux d'Arlette Vermeiren mais ce mélange de genres, de styles, d'oeuvre est vraiment très réussi
Quel enchantement azuré!
Tant de matières différentes, d'artistes de partout, de nuances de bleus...
Je vois bien ce store dans ma pièce; et ces papiers noués sont inattendus, très fins.
Merci pour cette superbe visite.
@ Ivredelivres : Heureuse de partager avec toi ce voyage dans le bleu, Dominique. (Disparue ma réponse de ce matin où j'avais mis un lien vers tes billets dédiés à Jaccottet, bizarre.)
@ Colo : Tu te plairais à cette exposition, c'est sûr. Tu as vu le site de Betty de Paris ? Belle après-midi, Colo. Ici du bleu fugace entre les bourrasques.
Oui, oui, je l'ai vu...tu peux ajouter un paravent à la commande!:-)
Tant de belle choses ! Personnellement, j'ai un faible pour les papiers noués d’Arlette Vermeiren. Faire du merveilleux avec du trivial : tout un art. Merci pour le partage !
@ Colo : D'accord ;-) Ici ce qui restait de bleu ciel s'est enfui à toute allure devant de gros nuages gris d'encre, quel spectacle !
@ Euterpe : Je n'ai pas noté le titre de cette oeuvre-voile-toile-étoiles, mais elle m'a littéralement fascinée. Bonne soirée, Euterpe.
Merci de nous conduire si agréablement parmi l'exquis songe bleu.
Plusieurs artistes ont retenu mon attention dans ton billet et il ne me semble pas qu'il y ait une photo de l'œuvre de Bang Hai Ja ? artiste vu plusieurs fois à Paris avec plaisir. J'adorerais ce lieu je crois.
@ Christw : Avec plaisir. Invitation au voyage.
@ Aifelle : Je viens de compléter mon billet de ce soir en guise de réponse. C'est sur ton blog que j'ai lu pour la première fois le nom de Bang Hai Ja.
Riche blog où, pour ma part, je vais de découvertes en découvertes, qu'elles soient picturales et/ou littéraires. Bravo et merci !
Merci & à bientôt, à la découverte des vôtres.
Le bleu me fait penser d'abord à la mer où le bleu de l'Atlantique n'est pas celui du Pacifique, mais également au ciel lorsqu'il est bien disposé, et enfin aux champs de lavande. Ah le bleu lavande !
Bonjour, Armelle. Merci pour le bleu lavande, sa couleur et son parfum. Ce matin, le ciel se tisse peu à peu de gazes transparentes, il est ma première source de bleu, mais pour vous, près de la mer, il en est indissociable, j'imagine bien.
Quelle superbe exposition et quelle bonne nouvelle : bientôt un nouveau livre de Michel Pastoureau ! Merci, Tania !
Il vient de sortir : http://www.seuil.com/livre-9782021093254.htm
Merci pour les impressions et les informations sur les créations de "la Route Bleue".
Elles m’ont donné envie de visiter cette superbe exposition, ce que j'ai fait!
Le fil conducteur du bleu nous permet surtout de modifier notre approche habituelle, de changer de point de vue et de voir le travail des artistes et artisans sous un autre angle.
Bienvenue, Cécile. Heureuse que vous appréciiez aussi cette exposition. A tout de suite sur votre blog où je vois que vous déroulez à votre tour le fil de la route bleue.
je suis retournée à l'expo avec un copain en visite à bruxelles, il était évidemment enchanté aussi - j'avais oublié ton beau billet, j'ai rajouté le lien à ma chronique
C'est gentil, merci à toi. Ce sont les derniers jours, en effet (fermeture le 9/2).