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route de la soie

  • Planète bleue

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    Sphères © Russell Crotty / Dessins © Desmond Lazaro

    « Vue à grande distance, la Terre présente différentes couleurs mais le bleu y est largement dominant en raison de l’oxygénation de l’atmosphère qui l’entoure. D’où l’expression « planète bleue » devenue courante pour la désigner à partir des années 1960, c’est-à-dire à partir des premiers voyages dans l’espace. Mais les poètes avaient précédé les cosmonautes : dès 1929, Paul Eluard chantait dans un poème célèbre : « la Terre est bleue comme une orange ».

    Michel Pastoureau, Bleu. Histoire d’une couleur, Seuil, 2000. 

    ***

    « La route bleue - Périples et beautés, de la Méditerranée à la Chine »
    Villa Empain, Bruxelles, 27 septembre 2013 – 9 février 2014. 

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    Lumière née de la lumière © Bang Hai Ja

     

     



     

     

  • La route bleue

    Une autre expo bruxelloise en cours, à la Villa Empain déjà présentée ici, porte ce beau titre : « La route bleue ». On pense à la route de la soie, et c’est bien des avatars du bleu entre Orient et Occident – « Périples et beautés, de la Méditerranée à la Chine » – que nous parle cette sélection d’objets d’hier et d’aujourd’hui, fidèle au principe de la Fondation Boghossian. Un voyage dans la couleur aujourd’hui préférée des Occidentaux, comme le rappelle souvent Michel Pastoureau qui lui a consacré un de ses beaux livres (son « Vert » sera publié bientôt). 

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    La Villa Empain vue du jardin 

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    Chaque jour © Betty de Paris 

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    © Betty de Paris

    A droite de l’entrée, un salon présente des variations de Betty de Paris sur l’indigo – ce bleu végétal venu d’Inde – dont elle décline les nuances dans une série d’œuvres textiles, comme ce grand damier bleu et blanc en guise de store ou cette pelote de fil de ramie intitulée « Chaque jour ». 

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    © Raed Yassin

    Le grand hall ne manque jamais son effet, avec la grande baie vitrée du salon d’honneur qui donne sur la piscine et le jardin, mais le regard monte aussitôt vers les nymphéas d’Isabelle de Borchgrave suspendus dans l’air, feuilles et tiges bleues portant des fleurs blanches qu’on appréciera mieux d’en haut, une belle installation de cette artiste belge connue surtout pour ses robes anciennes en papier. Devant soi, on croit voir de grands vases chinois classiques ; de près, ces porcelaines fabriquées en Chine par des artisans locaux révèlent des motifs surprenants : Raed Yassin, né à Beyrouth en 1979, les a ornés de scènes de la guerre au Liban. 

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    Sèvres et Limoges (Cité de la céramique)

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    Plat d'Iznik, faïence, 1550-1560

    De part et d’autre, de précieuses pièces de céramique ancienne sont présentées dans des vitrines – vase florentin du XVIe siècle, porcelaines de Limoges, de Sèvres ou de Nevers, plats d’Iznik, vases de Chine ou du Japon… – en compagnie d’œuvres contemporaines comme la barque dressée d’Andrey Zouari ou les cercles de papier du dessinateur portugais Rui Moreira. 

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    © Arlette Vermeiren 

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    Détail© Arlette Vermeiren

    J’ai retraversé le hall pour aller contempler de près une de mes préférées parmi les œuvres exposées, aussi lumineuse qu’un vitrail : des papiers noués d’Arlette Vermeiren, une artiste bruxelloise qui s’est inspirée des itinéraires de la route de la soie, de la Méditerranée vers la Chine. Devant une large fenêtre, ses papillons de papiers noués colorés en bleu, avec des reflets d’or et d’argent, parfois du vert ou du rouge, volent et voilent la lumière du monde – c’est somptueux. 

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    Nymphéas © Isabelle de Borchgrave

    A la fenêtre de l’escalier qui mène à l’étage, une œuvre sur verre commandée récemment par la Villa Empain à la Coréenne Bang Hai Ja s’intitule « Lumière née de la lumière ». En haut, deux beaux disques de céramique calligraphiés par Alechinsky se répondent de part et d’autre du vide où flottent les nymphéas. 

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    We are so lightly here, 2009 © Hale Tenger

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    Blue Coconut Palm Leaf, 2012 © Desmond Lazaro

    Dans les salles plus intimes disposées tout autour, il reste beaucoup à découvrir, autant d’approches du bleu que d’œuvres, spectaculaires ou discrètes comme ce minuscule parachutiste en bronze, acrylique et émail, que Hale Tenger a déposé au centre d’un coussin de soie blanc – l’image est forte et elle m’a émue, j’ai aussitôt pensé aux parachutistes belges dont l’avion s’est écrasé il y a peu. L’artiste turque y propose une réflexion « sur la fragilité de la vie, entre la naissance et la mort ». En effet. 

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    © Yoshiro Kimura

    Dans cette pièce, des pigments bleus et or de Desmond Lazaro, des sphères ornées de paysages et d’écritures de Russell Crotty inspiré par les astres. Parmi les céramiques montrées à l’étage, ne manquez pas les porcelaines de Yoshiro Kimura, avec des effets extraordinaires de vagues en surface. 

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    © mounir fatmi

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    Veste de fonctionnaire civil, Musée Guimet

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    Sari Jamdani (détail), Musée Guimet

    Plus loin, un triptyque de mounir fatmi (la résistance de lartiste marocain aux traditions va jusqu’au refus des majuscules) a nécessité plus d’une centaine de tapis de prière, ainsi détournés vers la création artistique. En face de ce collage, en vitrine, une magnifique « veste de fonctionnaire civil » en satin de soie indigo (Chine, dynastie Qing, XIXe) a été prêtée par le Musée Guimet, de même qu’un « sari jamdani » en mousseline de coton brodée de fils blancs d’une extrême finesse. 

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    Des peintres sont présents sur « La route bleue » : d’Alechinsky encore, une belle toile, « Parole d’eau » ; « Le cheval de cirque » de Miró, du musée d’Ixelles ; un Yves Klein, pour les plus connus.  Dans une pièce consacrée aux parures anciennes, vous verrez d’extraordinaires bijoux réalisés avec des plumes de martin-pêcheur, très prisées dans l’aristocratie chinoise, emblèmes de fidélité conjugale : épingles à cheveux, broches, coiffes portées lors des grandes occasions. A côté, la sculpture « Indigo shadow » d’Abdulrahman Katanani évoque la cueillette de la plante à partir de laquelle se fabriquait la couleur. 

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    Pour ne pas être trop longue, je me contente de citer encore deux artistes en harmonieuse cohabitation (photo ci-dessus), Anne De Bodt avec les légères et subtiles embarcations de sa « Flottille » et Mahmoud Hojeij, « Re Palestina », une série de tirages photographiques déclinant les bleus du ciel et de la mer, du plus clair au plus sombre. D’autres photos et installations vous attendent dans l’escalier qui mène au sous-sol, je vous en laisse la surprise. 

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    © Tarek Al-Ghoussein - Courtesy of The Third Line, Dubaï

    Pour conclure, cette formule de Guy Duplat dans La Libre : « une exposition exquise de beauté et de finesse, mêlant art contemporain et ancien avec les arts décoratifs. Les yeux rivés sur l’Orient, proche et lointain. » Et cette phrase de Philippe Jaccottet citée dans son article : « Et le bleu n’est plus une matière, c’est un songe. »

  • Fraternité

    « Je n’avais jamais éprouvé cela auparavant : que l’amitié, l’amour, ne sont pas affaire de temps mais le résultat d’une secrète alchimie, et que l’éternité, non plus, n’est pas une affaire de durée. Tout homme, dit-on, revient changé d’un pèlerinage. Mes amis Kurdes et Turcs, pèlerin de la fraternité, je rentrerai à la maison avec votre sourire et votre accolade de l’adieu au fond de moi. »

     

    Bernard Ollivier, Longue Marche (I. Traverser l’Anatolie)

    Turquie Deux hommes.JPG

     

    Sur le départ, je vous ai mis de l’eau fraîche à bouillir, quelques bonnes feuilles de côté, sorti la belle porcelaine… Bonne dégustation ! Si vous laissez ici quelques bribes de conversation, je les savourerai à mon retour dans deux semaines – au printemps.

     

    Tania

  • Istanbul - Téhéran

    A soixante et un ans, Bernard Ollivier a décidé de refaire le chemin des caravaniers d’autrefois – A pied de la Méditerranée jusqu’en Chine par la Route de la Soie : c’est le sous-titre de Longue marche, le récit d’un voyage fou aux yeux des autres mais pour lui essentiel. Sa femme est morte dix ans plus tôt, ses enfants sont grands, il est retraité depuis un an. Enfance et jeunesse, vie d’adulte, il a déjà vécu deux vies « fécondes, pleines ». Mais il porte encore trop de rêves pour vieillir au coin du feu. « Et puis, dans ces vies, j’ai trop couru (…) toujours poussé par des nécessités bouffonnes dans le flot de la foule, sans cesse aller, cavaler, vite, plus vite. La société tout entière accélère encore cette galopade insensée. Dans notre folie de bruit et d’urgence, qui trouve encore le temps de descendre de sa machine pour saluer l’étranger. J’ai faim, dans cette troisième vie, de lenteurs et de silences. »

     

    Turquie un chemin.JPG

     

    Il est rentré « jubilant » des 2300 kilomètres qu’il a marché l’année précédente sur la route de Compostelle (76 jours). D’où son projet de parcourir la route « des hommes et des civilisations » par grandes étapes, en trois à quatre mois de marche par an. La première le mènera d’Istanbul à Téhéran. Le tome I de Longue marche s’intitule « Traverser l’Anatolie ». Avant le départ, en mai 1999, il se rend à Venise, la ville de Marco Polo, où il prend un gros ferry turc pour Izmir. Il y rencontre d’autres voyageurs au front ridé et au poil blanc, mais il est le seul à avoir embarqué sans véhicule. Pour se guider, il a choisi le chemin d’un commerçant français en pierres précieuses au XVIIe siècle, Jean-Baptiste Tavernier. Après une journée à Istanbul, il traverse le Bosphore : environ trois mille kilomètres à parcourir pour atteindre Téhéran.

     

    Ses principes de base sont d’éviter les grands axes, de privilégier les villages et de rechercher en particulier les caravansérails, « ces auberges qui accueillaient hommes, marchands et bêtes pour leur repos, leur nourriture et leur sécurité. » La réalité n’est pas si simple, de vieux chemins ont disparu, le trafic est dense sur la route qui longe le Bosphore et « les conducteurs turcs sont des furieux ». En empruntant une route qui passe dans les bois, il arrive à Polonez, un village catholique qui possède une église et un cimetière.

     

    Les premiers jours de marche sont les plus éprouvants : le corps va se soumettre peu à peu : « La randonnée fabrique et installe l’harmonie. » Le thé en Turquie se boit à toute heure, on l’invite souvent : « Guel, tchaï ! » Le peu de turc qu’il a appris lui permet de se présenter (il se dit instituteur à la retraite plutôt que journaliste pour ne pas éveiller la méfiance) et de demander une chambre où loger. Bernard Ollivier découvre la formidable hospitalité turque, « missafeurperver », le devoir du croyant, les égards envers le voyageur.

     

    Mal aux pieds, rougeurs, ampoules, il paie bientôt le prix d’étapes trop longues : trente kilomètres par jour en moyenne au lieu des dix-huit à vingt-cinq prévus. Le doute l’assaille régulièrement : un de ses hôtes n’arrive pas à comprendre son but. Les chauffeurs qui freinent pour lui proposer de monter et essuient un refus le prennent pour un martien. Or pour ce marcheur, « la marche est liberté et échange ; les véhicules, prisons d’acier et de bruit, sont des lieux de promiscuité non choisie. »

     

    L’isolement dû à la langue, il l’a sous-estimé. Les destructions du patrimoine aussi. De vieux et merveilleux caravansérails ont survécu, mais beaucoup ont disparu ou sont en ruine. Son corps, malgré les blessures, s’adapte : « J’agis, je rêve, je marche, donc je vis. » Dans les villes, il peut se doucher à l’hôtel, se reposer vraiment même si l’appel à la prière le réveille à l’aube. Dans les villages, les haltes sont plus propices à de vraies rencontres mais il y a la fatigue des hommes qui défilent pour voir l’hurluberlu qui se rend à Téhéran à pied. Rares sont les familles où garçons et filles sont traités à égalité, comme chez cet étudiant ingénieur qui l’accueille à Tosya, « la plus belle ville que j’aie vue depuis Istanbul ».

     

    Ollivier rappelle à l’occasion l’histoire ancienne, décrit l’architecture locale, s’émerveille devant les maisons ottomanes préservées. Son récit médite souvent sur le sens de la marche – « Dans presque toutes les religions, la tradition du pèlerinage a pour objet essentiel, à travers le travail de l’être physique, d’élever l’âme. Les pieds sur le sol, mais la tête près de Dieu. » Lui est agnostique, mais se dit chrétien par prudence quand on l’interroge sur sa religion. Le 16 juin, il franchit le millième kilomètre sans trop prendre au sérieux les avertissements contre les « terroristes » qu’il risque de rencontrer. Mais il n’échappera pas toujours aux ennuis.

     

    Des kangals à ses trousses, ces redoutables chiens de berger contre lesquels on l’a mis en garde ; des hommes qui essaient de le coincer pour le voler ; des « jandarmas » alertés par un hôte méfiant, qui l’emmènent manu militari passer une nuit à la caserne… L’officier qu’il baptise « Zyeuxbleus », impassible devant sa révolte d’être ainsi traité sans pouvoir contacter son consulat, le confie à la police des étrangers dont le responsable est au contraire l’homme le plus avenant qui soit – les « deux visages de la Turquie actuelle », le soldat d’un côté, l’homme ouvert sur le monde de l’autre. Les femmes ? Elles lui paraissent partout de « sous-citoyennes », reléguées à la cuisine, « programmées pour l’effacement et l’effort ».

     

    Plus Ollivier avance, plus les dangers de son aventure se concrétisent : tentatives de vol, mauvais traitements auxquels il n’échappe que par ruse. Tout cela le tient malheureusement à l’écart des villages kurdes où l’armée est omniprésente. Le premier tome de Longue marche se termine sur un échec et sur un espoir. Ollivier ne pourra pas franchir la frontière iranienne. Malgré ses gros problèmes, il ne pense pourtant qu’à cela, fermement décidé à revenir au Mont Ararat reprendre le chemin interrompu. Si son récit nous fait parcourir une route historique, c’est surtout un livre de questionnement : sur soi-même et sur les autres, sur les modes de vie. Ollivier y rapporte de très belles rencontres. Le marcheur s’interroge, pose des questions, répond. Le chemin, c’est comme la vie : il y a un sens à trouver qui n’est sans doute pas au bout du voyage, comme le lui avait dit une femme sur la route de Compostelle, mais qui est dans le cheminement même.