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réflexion

  • Faire refuge

    Un nouvel essai d’Anne Le Maître, autrice et aquarelliste, vient de paraitre, au titre en phase avec nos préoccupations actuelles : Faire refuge en un monde incertain. Pendant que je le lisais, La Libre annonçait une exposition namuroise qui vient de s’ouvrir sur ce thème : « Anatomie d’une cabane, pour se réfugier ou réfléchir » (Guy Duplat, LLB, 16/4/2025).

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    Rembrandt, Le philosophe en contemplation, 1932, huile sur bois, musée du Louvre, Paris

    « Certains matins, la maison est un refuge. » D’autres jours, elle ne l’est plus, ne suffit plus « à nous protéger des mauvaises nouvelles qui déferlent par vagues et ne peuvent susciter que désespérance : tant de haine, tant de bêtise, tant de souffrance et en face, l’impuissance et la colère que nous avons seules à leur opposer. » D’où le sujet du livre : où et comment trouver refuge ?

    Anne Le Maître nous invite dans sa recherche, pour nous et pour d’autres, de « lieux sûrs où reprendre souffle, où poser nos valises et où mettre à l’abri ce qui nous est le plus cher. » Qu’en disent les dictionnaires ? Le refuge ou l’abri a de nombreux synonymes, qui désignent « un dedans qui s’oppose à un dehors menaçant », ce qui suppose une porte, une serrure. On le cherche pour s’éloigner d’un péril ou de la « laideur du monde », provisoirement.

    Le désir de cabane naît chez l’enfant qui se détache du cocon maternel. Anne Le Maître convoque ses lectures d’enfance sur le thème de la petite maison accueillante à laquelle substituer un jour la maison refuge avec sa chaleur, ses livres, un jardin… Parmi les lieux de fiction où nous entraîne parfois durablement la lecture d’œuvres qui ont compté et comptent encore, j’ai retrouvé Comment Wang-Fô fut sauvé, cette nouvelle de Marguerite Yourcenar qui me fascine aussi, Une chambre à soi de Virginia Woolf. La peinture du Philosophe en contemplation par Rembrandt. Entre autres.

    « Alors, qu’est-ce que je mets en sûreté quand je bâtis un abri ? Qu’est-ce qu’au contraire je veux tenir à l’extérieur des murs ? Qu’est-ce que je protège et qu’est-ce que je fuis ? Que suis-je capable d’affronter et pour servir quel but ? A quel moment et dans quelle intention vais-je pousser la porte et reprendre la route ? » La montée dans un refuge de montagne permet de « dépouiller un peu de soi-même et de l’humain moderne » et peut être beaucoup plus qu’un « divertissement », explique Anne Le Maître, qui se souvient de ses randonnées et des beautés de l’ascension. Ce n’est pas uniquement un effort sportif. Tout dépend du sens que nous y mettons.

    Faire refuge en un monde incertain est riche des questions posées autant que de la recherche de réponses. Si l’anxiété par rapport au monde actuel incite au repli sur soi, cet « inconfort » moral est sans comparaison avec les souffrances physiques et mentales des victimes de la guerre, des catastrophes naturelles, des effets délétères du changement climatique. Aussi la réflexion initiale s’élargit : «  la question est bien, non pas comment trouver, mais comment faire refuge. Et ce, pour d’autres aussi bien que pour moi. » Comment « jardiner des oasis » ?

    Le chapitre « Devenir gardiens » s’ouvre sur une question adressée à l’essayiste : « Mais comment peut-on seulement se permettre d’aspirer à la sécurité et à la tranquillité d’un refuge quand tant d’autres que nous, dans le monde, n’en ont ni la possibilité, ni même l’espoir ? » Celle qui la lui a posée est une « héroïne du quotidien », écrit-elle : jour après jour, celle-ci tente « non pas de trouver refuge, mais bien de faire refuge pour de plus mal lotis qu’elle. » Les derniers chapitres sont ceux que j’ai trouvés les plus intéressants, dans cette optique.

    Merci, Anne Le Maître, avais-je écrit ici en présentant Sagesse de l’herbe. Après Un si grand désir de silence et Le jardin nu, en cheminant dans la lecture de Faire refuge en un monde incertain où nous nous reconnaissons souvent (comme ce fut le cas dans Chez soi de Mona Chollet), nous découvrons le sens profond du titre, accrocheur au premier abord, devenu appel à l’engagement et à l’ouverture.

  • Blessure cachée

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    Siri Hustvedt,  Extraits d’une histoire du moi blessé, 2004 (Plaidoyer pour Eros)

  • Essais personnels

    La quatrième de couverture de Plaidoyer pour Eros de Siri Hustvedt, dont je vous ai présenté les premiers textes il y a peu, annonce avec justesse qu’elle y dresse « avec autant de simplicité que d’humanité la cartographie d’une vocation impérieuse, indissociable d’un parcours très personnel ». Ce recueil d’essais comporte en effet beaucoup plus d’éléments personnels que je ne m’y attendais, et cela dès le premier, Yonder, où elle évoquait son enfance.

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    Siri Hustvedt & Paul Auster © Sébastien Micke (source)

    A la lecture du titre « Franklin Pangborn : apologie d’un comparse », ne connaissant pas cet acteur américain, j’étais prête à sauter le texte quand j’ai repéré un début de paragraphe autobiographique : « Quand j’étais enfant, ma Norvégienne de mère manifestait un respect des formes… ». Par exemple, ne jamais disposer de bougies à table sans avoir allumé les mèches, pour qu’elles soient entamées. Deux pages plus loin, l’empreinte maternelle se concrétise : « devenue une adepte zélée du ménage », Siri Hustvedt aime organiser et ranger, elle explique pourquoi, avant de revenir au personnage titre.

    « Huit jours en corset » est beaucoup plus amusant : elle y raconte une expérience de figurante, avec sa fille, dans le film Washington Square réalisé par une amie, la réalisatrice Agniezka Holland. Habillée d’un corset, d’une crinoline et d’un jupon, elle manque s’évanouir une fois son corset ajusté ; on lui apporte de l’eau et du raisin, elle se remet. Voilà Siri Hustvedt engagée dans une réflexion sur l’image de soi dans le miroir – une vision qu’elle n’aime pas – et sur la sensation très particulière ressentie dans ce corset, sur son air de « girafe à bouclettes » une fois coiffée, sur son rapport avec les vêtements. C’est à la fois drôle et intéressant.

    Etre une femme et parfois, dans ses rêves, un homme, cette ambivalence lui est familière : Hustvedt le raconte dans « Etre un homme ». Rendre visite à sa fille au camp lui sert d’entrée en matière pour « Quitter sa mère » où elle revisite aussi ses propres souvenirs d’enfance. New York, sa ville d’élection depuis les études à Columbia, est au centre de « Vivre avec des inconnus » sur son expérience de citadine. Dans « 9/11 : le 11 septembre, ou un an après », elle raconte comment elle a vécu ces événements et comment les New-Yorkais se sentaient un an plus tard. Comme d’habitude, elle développe un point de vue original dans son commentaire sur les attentats.

    « Les Bostoniennes : propos personnels et impersonnels » m’a donné fort envie de relire ce gros roman d’Henry James lu vers mes vingt ans et dont j’avais complètement oublié la couverture Folio typique du féminisme de ces années-là. Sept cents pages en petits caractères, mazette ! (Cela devrait exister, un site d’archives qui montrerait la succession des illustrations choisies par les éditeurs au fil des années, on y reconnaît des époques.) Siri Hustvedt écrit qu’elle a vécu « des années en compagnie des personnages et des récits de James » et qu’ils ne la quittent pas. Sa lecture de L’ami commun de Charles Dickens – Siri Hustvedt a rédigé une thèse sur Dickens à Columbia en 1986 – m’a laissée en dehors de « Charles Dickens et le fragment morbide ». Je n’ai pas lu ce roman.

    Plaidoyer pour Eros se termine avec « Extraits d’une histoire du moi blessé ». On y apprend que Siri Hustvedt est née prématurément et a passé quinze jours en couveuse. « J’ai été séparée de ma mère pendant les premiers jours de ma vie et je pense aujourd’hui que cette expérience se trouve à l’origine d’une personnalité particulière. » Elle dit avoir toujours porté en elle « l’impression d’être blessée » et  relie cette impression à diverses problématiques vécues : les nombres qui la faisaient souffrir « terriblement », la solitude durant ses années d’école où elle était harcelée (un mot qu’elle n’emploie pas), des migraines depuis l’âge de vingt ans – « mon système nerveux était instable », entre autres.

    L’autrice raconte des moments forts qui ont marqué sa destinée, son plaisir à lire et à écrire, des rencontres. A plusieurs reprises, dans le recueil, elle parle de Donald Woods Winnicott, pédiatre et psychanalyste britannique dont les idées l’ont aidée. J’ai pris un plaisir particulier à son récit du 23 février 1981 : sa première rencontre avec le poète Paul Auster (le romancier m’est familier, il serait temps de lire ses poèmes). Ils ont souvent parlé ensemble du besoin d’écrire – « Mon mari a dit souvent : « Ecrire est une maladie. » ». Ella a « peur d’écrire, aussi ». « Le moi blessé est-il le moi qui écrit ? Le moi qui écrit est-il une réponse au moi blessé ? » Bref, un recueil d’essais à lire, si l’on s’intéresse à cette écrivaine si singulière, à la littérature, à l’exploration du « moi ».

  • Exactement

    hustvedt,siri,plaidoyer pour eros,littérature anglaise,etats-unis,essais,réflexion,enfance,famille,érotisme,sexualité,gatsby le magnifique,fitzgerald,culture« Après le décès de mormor [grand-mère maternelle en norvégien], je suis sortie avec ma mère de notre maison dans le Minnesota, et elle m’a dit que le plus étrange, dans la mort de sa mère, c’était que ne fût plus là quelqu’un qui n’avait jamais voulu pour elle que ce qu’il y avait de mieux. Je me rappelle exactement où nous nous tenions, debout dans le jardin, quand elle a dit cela. Je me souviens du temps estival, de l’herbe un peu roussie par la chaleur, de la forêt à notre gauche. C’est comme si j’avais inscrit ses paroles dans ce paysage en particulier, et ce qui est curieux, c’est que, pour moi, elles y sont toujours inscrites. »

    Siri Hustvedt, Yonder (Plaidoyer pour Eros)

    Rik Wouters, Femme écrivant (détail)