Je passe, je suis passée si souvent en voiture le long de ce quartier cossu, à la lisière de la région bruxelloise et de la forêt de Soignes, mais je ne m’y étais jamais promenée. Les frondaisons printanières, leurs multiples couleurs, les vieux arbres splendides dans les jardins de ces belles propriétés qui ressemblent parfois à des parcs m’ont enchantée.
Plutôt que de nous enfoncer dans la forêt à proximité, j’avais envie de jouir du bleu azur tant attendu et souvent éphémère chez nous, traversé par les lignes blanches des avions. Ce sera donc une balade le nez en l’air, à admirer ces arbres parés de vert déjà éclatant ou encore léger, selon les essences, et ces érables japonais aux jeunes feuilles pourpres ou vertes, souvent associés par contraste, d’autant plus fascinants quand on les regarde à contre-jour. (On en rencontre en ville aussi, d’une beauté explosive en ce moment.)
Je repensais à cet élévateur vu aux serres communales il y a peu, qui permet d’accéder à la cime des arbres. On voudrait être oiseau pour se poser là et regarder la terre, non pas vue du ciel – une vue magnifique mais si éloignée de ce que l’œil perçoit d’ordinaire – mais vue du haut des arbres, comme quand je montais dans le grand noyer au fond du verger de mes grands-parents et m’y laissais balancer, bercée par le vent, l’été, dans la campagne flamande.
La cime des arbres touche le ciel, les arbres se touchent entre eux – il paraît qu’ils se concertent – et c’est un bonheur de contempler leurs feuillages divers. Les hêtres pourpres mettent des accents de splendeur dans toute cette exubérance végétale qui prolonge la forêt de Soignes à proximité. Puis l’œil redescend à hauteur plus humaine, vers les cornus kousa, les pivoines arbustives, qu’un amateur de jardins m’a appris à reconnaître.
Nous n’avons croisé quasi personne durant ces deux heures de balade, seulement quelques voitures. Je crains d’avoir inquiété une propriétaire qui s’éloignait dans la sienne en photographiant cet arbre mort couché sur la pelouse, qui offre un si bel avant-plan à sa charmante maison blanche, vue de la chaussée.
Beaucoup de jardiniers travaillaient par ce temps clément, tandis que les robots tortues tondaient l’herbe. Même quand on ne possède pas de jardin à soi, on peut puiser ici de belles idées d’aménagements, comme ces ombelles violettes d’ail ornemental tout le long d’une haie ou ces azalées aux tons chauds assortis aux tuiles d’une maison pittoresque (les arceaux où s’enroule une clématite y répondent aux courbes d’une barrière en bois).
Ailleurs ce sont de fières italiques en fer forgé qui agrémentent une grille noire devant une maison blanche – entrée fermée – ou des topiaires, des haies taillées qui encadrent joliment une plante en bac – entrée ouverte. Plus loin, une haie qui s’interrompt offre au visiteur un chemin d’accueil et au passant un aperçu sur le bel érable pourpre à l’angle de la maison.
Pour terminer sur ces frondaisons fredonnantes, voici un dernier fouillis de verdure savamment agencé. « Les jardins sont une des formes du rêve, comme les poèmes, la musique et l’algèbre », écrit Hector Bianciotti. Je compléterai cette citation par une autre, d’Erik Orsenna : « Plus qu’aucun autre art, celui des jardins dépend d’un bon vouloir allié à de gros et durables moyens. » Pour reprendre à Pascale Seys la formule qui conclut sa formidable chronique matinale sur Musiq3, et vous, qu’en pensez-vous ?