Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

alpage

  • Mi sembra lungo

    cognetti,le garçon sauvage,récit,carnet de montagne,italie,val d'aoste,alpage,solitude,nature,culture« Tu sais comment on dit quand on est triste ? me demanda-t-il. On dit mi sembra lungo : je le trouve long, en parlant du temps. C’est le temps, quand on est triste, qui ne veut plus passer. Mais l’expression vaut aussi pour quand on est nostalgique, qu’on se sent seul, qu’on n’arrive pas à dormir, qu’on n’aime plus la vie qu’on fait. Remigio décida un jour que ces trois mots ne sauraient lui suffire, il lui en fallait plus pour pouvoir dire comment il allait, et il se mit à les chercher dans les livres. C’est ce qui avait fait de lui un lecteur aussi avide. Il cherchait les mots qui lui auraient parlé de lui. »

    Paolo Cognetti, Un garçon sauvage

  • Carnet de montagne

    « Carnet de montagne » est le sous-titre du Garçon sauvage (2013, traduit de l’italien par Anita Rochedy, 2016), un récit de Paolo Cognetti publié quelques années avant son roman Les Huit montagnes. Il dédie ce carnet à ses « maîtres de montagne » et à son « esprit-guide », Chris McCandless, le jeune homme dont Krakauer a raconté l’histoire tragique dans Into the Wild. Cognetti cite à plusieurs reprises de beaux vers d’Antonia Pozzi, jeune poétesse milanaise comme lui, décédée à 25 ans à la suite d’une tentative de suicide en 1938.

    cognetti,le garçon sauvage,récit,carnet de montagne,italie,val d'aoste,alpage,solitude,nature,culture
    https://www.yanezmagazine.com/paolo-cognetti-scrittore-montagna-534/

    A trente ans, Cognetti a eu « un hiver difficile » ; il se sentait « à bout de forces, désemparé et abattu ». Attiré par les « expériences de solitude » de Thoreau, de John Muir, d’Elisée Reclus et de McCandless, il décide de remettre les pieds à la montagne où il a passé tous les étés jusqu’à ses vingt ans, de renouer en lui avec cet « enfant sauvage » dont la vie citadine l’a tant éloigné.

    « Au printemps, je trouvai l’endroit idéal dans la vallée voisine de celle où j’avais passé les étés de mon enfance : une baita en bois et en pierre à deux mille mètres d’altitude, là où les dernières forêts de conifères cèdent la place aux hauts pâturages. […] à l’horizon, les montagnes qui ferment la Vallée d’Aoste au sud, en direction de Grand Paradis ; mais aussi une fontaine creusée dans un tronc d’arbre, les restes d’un muret de pierres sèches, le murmure d’un torrent. »

    Le chalet est resté fermé pendant des mois, il l’aère en grand quand il y arrive, retrouve « l’odeur du bois et de la résine » qui lui donne le sentiment d’être « de nouveau à la maison ». Cela lui rappelle une nouvelle de Mario Rigoni Stern (1921-2008), Mes quatre maisons. Celle que Cognetti habite,  construite pour abriter bêtes et bergers pendant l’estivage, comporte deux pièces : l’étable en bas, devenue une chambre, à l’étage une pièce de séjour.

    Parcourir la montagne en tous sens, pour la saisir dans son ensemble et dresser la carte des environs est son premier objectif – « passé les premiers jours de dépaysement, j’étais affairé de tous côtés » – avec un catalogue des animaux et des plantes qu’il observe, le ramassage du bois pour le poêle, le nettoyage du pré autour de la baita. A la mi-mai, il se réveille sous une neige tardive qui lui donne l’occasion de trouver les traces d’un lièvre, d’un couple de chevreuils, et de découvrir la source d’un grand fracas entendu pendant la tempête : un mélèze dont le tronc a cédé à trois mètres de hauteur, « étendu de tout son long, inerte et encore vivant ».

    Son premier contact humain, c’est la visite de Remigio, le propriétaire, venu s’assurer que tout va bien et qu’il a encore de quoi se chauffer. C’est lui qui avait rénové la baita, passionné par la remise en état des vieilles maisons, dont il a fait son métier. Ce bon lecteur remarque les livres qu’il a emmenés avec lui et leurs échanges lui plaisent : « quand il parlait, il choisissait ses mots avec soin ».

    « Jardin », « Nuit », « Voisins », un nom suffit pour intituler la plupart des chapitres de ce Carnet de montagne.  On y suit les gestes et les états d’esprit d’un solitaire à qui l’été apportera la compagnie des bêtes et des hommes montés aux alpages. Les jours de pluie ne manquent pas, il faut se méfier de l’orage quand on marche hors des chemins balisés et que parfois l’on se perd.

    cognetti,le garçon sauvage,récit,carnet de montagne,italie,val d'aoste,alpage,solitude,nature,culture

    Le goût de la montagne, le goût des mots, le goût de la solitude et le goût des autres, voilà ce que raconte avec justesse et sans pose Le garçon sauvage. Après avoir assisté à la « désalpe » des autres, à l’automne, Paolo Cognetti finira par partir, lui aussi. « Il était temps de redescendre. Je savais déjà de quoi je rêverais tout l’hiver. »

  • Mandala

    paolo cognetti,les huit montagnes,roman,littérature italienne,montagne,famille,apprentissage,marche,escalade,sommets,amitié,alpage,nature,culture« Tout en disant ces mots, il traça à l’extérieur de la roue une petite pointe au-dessus de chaque rayon, puis une vaguelette d’une pointe à une autre. Huit montagnes et huit mers. A la fin, il entoura le centre de la roue d’une couronne qui devait, pensai-je, être le sommet enneigé du Sumeru. Il jaugea son travail un instant et secoua la tête, comme s’il avait déjà fait mille fois ce dessin mais avait un peu perdu la main dernièrement. Il planta quand même son bâton au centre, et conclut : « Et nous disons : lequel des deux aura le plus appris ? Celui qui aura fait le tour des huit montagnes, ou celui qui sera arrivé au sommet du mont Sumeru ? »
    Le porteur de poules me regarda et sourit. Je fis de même, parce que son histoire m’amusait et que j’avais le sentiment de la comprendre. Il effaça le mandala de sa main mais je savais que je ne serais pas près de l’oublier. Celle-là, me dis-je, il faut absolument que je la raconte à Bruno. »

    Paolo Cognetti, Les huit montagnes

  • Amis de la montagne

    Le roman de Paolo Cognetti Les huit montagnes (2016, traduit de l’italien par Anita Rochedy) est tout à fait à la hauteur des éloges lus dans la presse et dans la blogosphère : la passion du père pour la montagne, d’abord pesante pour son fils (le narrateur), imprègne toute leur vie de famille. Les parents avaient quitté la campagne pour vivre à Milan. « Leurs premières montagnes, leur premier amour, ça avait été les Dolomites. » Ils s’étaient mariés au pied des Tre Cime di Lavaredo – un mariage rejeté par les parents de la mère, célébré entre amis, en anorak, un matin d’octobre 1962.

    paolo cognetti,les huit montagnes,roman,littérature italienne,montagne,famille,apprentissage,marche,escalade,sommets,amitié,alpage,nature,culture
    Photomontage : https://www.gliscrittoridellaportaaccanto.com/

    A Milan, ils habitent au septième étage, sur un grand boulevard, dans le vacarme. La mère infirmière travaille comme assistante sanitaire, elle accompagne les femmes enceintes jusqu’au premier anniversaire du bébé. Le père, chimiste, n’en peut plus des grèves et des licenciements dans l’usine, dort mal. Vers la fin des années 1970, ils reprennent leurs chaussures de marche : cap à l’est, « direction l’Ossola, la Valsesia, le val d’Aoste, montagnes plus hautes et sévères »

    Découvrant le mont Rose, son père tombe amoureux de la région. Il lui faut les trois mille, les glaciers ; sa mère préfère les deux mille ou mille, la vie des « villages de bois et de pierres ». C’est elle qui trouve une maison, en 1984, dans le village de Grana. Pour le père, ce qui compte alors, c’est de monter au sommet ; pour la mère, d’agrémenter la vieille maison et aussi de pousser son fils Pietro à se lier davantage avec les autres.

    Le torrent tout proche devient le terrain de jeu de l’enfant ; il finit par faire connaissance avec un garçon qui garde des vaches dans les prés, Bruno Guglielmina, qui a quelques mois de plus que lui, sans savoir encore qu’il se fait un ami pour la vie. C’est pour le retrouver à l’alpage que le garçon va suivre son père en haute montagne et apprendre ses règles : prendre un rythme et s’y tenir sans s’arrêter ; ne pas parler ; aux croisements, choisir la route qui monte.

    Heureusement sa mère lui a appris le nom des arbres et des plantes – « pour mon père, la forêt n’était rien d’autre qu’un passage obligé avant la haute montagne ». Il n’a pas son endurance, mais parvient tout de même à le suivre jusqu’à la cime où son père s’arrête enfin pour lui passer en revue « les quatre mille d’est en ouest, toujours du premier au dernier, parce qu’avant d’y aller, il était important de les reconnaître, et de les avoir longtemps désirés. »

    A la mort de son père, à soixante-deux ans, Pietro en a trente et un : « Je n’étais pas marié, je n’étais pas entré à l’usine, je n’avais pas fait d’enfant, et ma vie me semblait à moitié celle d’un homme, à moitié celle d’un garçon. » Il vit seul dans un studio à Turin. Fasciné par les documentaires, il s’est inscrit à une école de cinéma. Son père lui a légué une propriété à Grana, dont il ne sait rien, mais où Bruno va le conduire, lui qui a beaucoup accompagné son père dans ses courses en montagne.

    « Une paroi de roche lisse, haute, inhabituellement blanche, tombait sur ce plateau tourné vers le lac. De la neige dépassaient les restes de trois murs à sec, taillés dans la même roche blanche (…). Deux murs brefs et un long devant, quatre par sept, comme disait mon plan cadastral. » Un petit pin cembro. « Le voilà, mon héritage : une paroi de roche, de la neige, un tas de pierres de taille, un arbre. »

    Bruno était avec le père de Pietro quand il a vu et puis voulu ce terrain, « la barma drola » (la roche étrange), pour y construire une maison. Il en a dessiné les plans et fait promettre à Bruno de la construire. Pietro n’ayant pas d’argent, son ami lui propose de payer uniquement le matériel et de lui donner un coup de main. Ce sera « la maison de la réconciliation ».

    « Bruno et moi vivions peut-être le rêve de mon père. Nous nous étions retrouvés dans une pause de nos existences : celle qui met fin à un âge et en précède un autre, même si ça, nous ne le comprendrions que plus tard. » Cette maison devient le centre du monde pour Pietro, il y amène des amis, un jour une fille, Lara, qui tombe elle aussi amoureuse des alpages.

    Puis il repart. Sa passion pour l’Himalaya est la plus forte et quand Bruno, attaché pour la vie à « sa » montagne, l’interroge au retour de son premier voyage au Népal, il répond que « débarquer là-bas, c’est comme voir enfin un temple en entier après avoir contemplé des ruines toute sa vie. »

    Une lecture à ne pas manquer pour tous ceux qui aiment la montagne. Ceux qui ont fréquenté les chemins du Piémont ou du val d’Aoste retrouveront dans Les huit montagnes (prix Strega, prix Médicis étranger, 2017) des impressions inoubliables, en plus d’une belle approche des liens familiaux et de l’amitié.