Le roman de Paolo Cognetti Les huit montagnes (2016, traduit de l’italien par Anita Rochedy) est tout à fait à la hauteur des éloges lus dans la presse et dans la blogosphère : la passion du père pour la montagne, d’abord pesante pour son fils (le narrateur), imprègne toute leur vie de famille. Les parents avaient quitté la campagne pour vivre à Milan. « Leurs premières montagnes, leur premier amour, ça avait été les Dolomites. » Ils s’étaient mariés au pied des Tre Cime di Lavaredo – un mariage rejeté par les parents de la mère, célébré entre amis, en anorak, un matin d’octobre 1962.
Photomontage : https://www.gliscrittoridellaportaaccanto.com/
A Milan, ils habitent au septième étage, sur un grand boulevard, dans le vacarme. La mère infirmière travaille comme assistante sanitaire, elle accompagne les femmes enceintes jusqu’au premier anniversaire du bébé. Le père, chimiste, n’en peut plus des grèves et des licenciements dans l’usine, dort mal. Vers la fin des années 1970, ils reprennent leurs chaussures de marche : cap à l’est, « direction l’Ossola, la Valsesia, le val d’Aoste, montagnes plus hautes et sévères »
Découvrant le mont Rose, son père tombe amoureux de la région. Il lui faut les trois mille, les glaciers ; sa mère préfère les deux mille ou mille, la vie des « villages de bois et de pierres ». C’est elle qui trouve une maison, en 1984, dans le village de Grana. Pour le père, ce qui compte alors, c’est de monter au sommet ; pour la mère, d’agrémenter la vieille maison et aussi de pousser son fils Pietro à se lier davantage avec les autres.
Le torrent tout proche devient le terrain de jeu de l’enfant ; il finit par faire connaissance avec un garçon qui garde des vaches dans les prés, Bruno Guglielmina, qui a quelques mois de plus que lui, sans savoir encore qu’il se fait un ami pour la vie. C’est pour le retrouver à l’alpage que le garçon va suivre son père en haute montagne et apprendre ses règles : prendre un rythme et s’y tenir sans s’arrêter ; ne pas parler ; aux croisements, choisir la route qui monte.
Heureusement sa mère lui a appris le nom des arbres et des plantes – « pour mon père, la forêt n’était rien d’autre qu’un passage obligé avant la haute montagne ». Il n’a pas son endurance, mais parvient tout de même à le suivre jusqu’à la cime où son père s’arrête enfin pour lui passer en revue « les quatre mille d’est en ouest, toujours du premier au dernier, parce qu’avant d’y aller, il était important de les reconnaître, et de les avoir longtemps désirés. »
A la mort de son père, à soixante-deux ans, Pietro en a trente et un : « Je n’étais pas marié, je n’étais pas entré à l’usine, je n’avais pas fait d’enfant, et ma vie me semblait à moitié celle d’un homme, à moitié celle d’un garçon. » Il vit seul dans un studio à Turin. Fasciné par les documentaires, il s’est inscrit à une école de cinéma. Son père lui a légué une propriété à Grana, dont il ne sait rien, mais où Bruno va le conduire, lui qui a beaucoup accompagné son père dans ses courses en montagne.
« Une paroi de roche lisse, haute, inhabituellement blanche, tombait sur ce plateau tourné vers le lac. De la neige dépassaient les restes de trois murs à sec, taillés dans la même roche blanche (…). Deux murs brefs et un long devant, quatre par sept, comme disait mon plan cadastral. » Un petit pin cembro. « Le voilà, mon héritage : une paroi de roche, de la neige, un tas de pierres de taille, un arbre. »
Bruno était avec le père de Pietro quand il a vu et puis voulu ce terrain, « la barma drola » (la roche étrange), pour y construire une maison. Il en a dessiné les plans et fait promettre à Bruno de la construire. Pietro n’ayant pas d’argent, son ami lui propose de payer uniquement le matériel et de lui donner un coup de main. Ce sera « la maison de la réconciliation ».
« Bruno et moi vivions peut-être le rêve de mon père. Nous nous étions retrouvés dans une pause de nos existences : celle qui met fin à un âge et en précède un autre, même si ça, nous ne le comprendrions que plus tard. » Cette maison devient le centre du monde pour Pietro, il y amène des amis, un jour une fille, Lara, qui tombe elle aussi amoureuse des alpages.
Puis il repart. Sa passion pour l’Himalaya est la plus forte et quand Bruno, attaché pour la vie à « sa » montagne, l’interroge au retour de son premier voyage au Népal, il répond que « débarquer là-bas, c’est comme voir enfin un temple en entier après avoir contemplé des ruines toute sa vie. »
Une lecture à ne pas manquer pour tous ceux qui aiment la montagne. Ceux qui ont fréquenté les chemins du Piémont ou du val d’Aoste retrouveront dans Les huit montagnes (prix Strega, prix Médicis étranger, 2017) des impressions inoubliables, en plus d’une belle approche des liens familiaux et de l’amitié.
Commentaires
Il m'attend depuis un moment ... J'avais énormément aimé "le garçon sauvage", sur le thème de la montagne également.
Je n'ai pas encore lu celui-là (noté). J'ai beaucoup aimé celui-ci, pour le roman même et aussi pour son évocation d'une région proche du Val d'Aoste où j'ai souvent séjourné.
Ah grand merci! Je l'avais vu , puis oublié, chez Dominique. Ton résumé me fait le noter cette fois! Respirer l'air frais de la montagne me fera le plus grand bien, l'esprit d'amitié aussi.
Tu parles vraiment très bien de ce livre que j'ai beaucoup aimé. L'auteur montre combien la montagne est belle, fascinante même, mais en même temps dure pour ceux qui veulent y vivre et en vivre. J'avais lu le Garçon sauvage que j'ai mieux aimé, d'ailleurs. J'attends avec impatience une autre publication de Cognetti.
je vois que je vais devoir noter ces coordonnées et faire de l'alpinisme par livre interposé :-)
@ Colo : L'air y est vif et les sentiments bien rendus, je t'en souhaite déjà bonne lecture.
@ Bonheur du jour : Tu as raison de le souligner : entre se plaire à la montagne en été et y vivre aux quatre saisons, il y a une grosse différence et on la perçoit bien dans la situation des deux amis.
@ Adrienne : Laisse-toi tenter, c'est un bon roman. Bonne soirée !
Merci de ta visite. Je suis en transit entre deux périodes de vacances et croquis et prends plaisir à lire ton concentré puisque je ne prends pas le temps de lire en été.
J'imagine bien que croquer et dessiner prend une bonne partie de ton temps libre. Bonne continuation.
Bonsoir Tania. Je ne connais ni l'auteur ni le roman. Ta chronique donne envie de le lire. Bonne soirée
C'est le premier roman de Paolo Cognetti que j'aie lu. Heureuse de te la faire découvrir. Bonne soirée.
J'ai ce livre en réserve depuis des mois ! Revenant des Dolomites (splendides) et passant au retour par la vallée d'Aoste, inutile de te dire que je vais en faire une de mes priorités. J'avais déjà beaucoup aimé son précédent ouvrage.
Ce sera parfait pour retrouver l'atmosphère de la montagne !
J'ai adoré cette lecture, c'est un livre que je relirai certainement, pour le plaisir... Merci Tania, les balades en montagne ne peuvent se refuser. Bises ensoleillées. brigitte
Oui, c'est un roman qu'on est prêt à relire. Du soleil ici aussi ce matin, retour de la lumière après un lundi nuageux. Bises.
un livre que j'ai beaucoup aimé et beaucoup fait lire, c'est un bonheur de lecture
un livre que j'ai beaucoup aimé et beaucoup fait lire, c'est un bonheur de lecture
Merci de me l'avoir fait connaître, il m'a beaucoup plu.