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Textes & prétextes - Page 259

  • Deux

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    Ils étaient deux à nous suivre ou à nous précéder, curieux de l’animation, à un peu de distance. On appelle un chat ? Le plus souvent, sauf pour les familiers, il feint l’indifférence. Il vit sa vie. Pour celui-ci, tiens, c’était juste le moment de faire ses griffes. Pour l’autre, de surveiller ses arrières.

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  • Estivale au jardin

    Premier jour de l’été, première Estivale 2018 à Schaerbeek. La formule n’a pas changé : des promenades guidées sont proposées par l’asbl PatriS le jeudi à 12h30 et le dimanche à 17h, elles sont gratuites (sur inscription). Lorsqu’un lieu privé s’ouvre à la visite, c’est une aubaine, surtout quand on passe devant assez souvent.

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    La guide a donné rendez-vous à l’angle de l’avenue Demolder et du boulevard Lambermont ; à l’origine, en face, une brasserie occupait l’angle du côté impair, dotée d’une marquise au-dessus de sa terrasse – d’où le recul imposé à toutes les maisons construites dans le prolongement ; des jardinets, derrière des grilles, agrémentent les façades. Les travaux dans l’avenue Demolder sont loin d’être terminés, les barrières et le bruit du chantier seront un peu gênants (ensuite viendront la réfection des trottoirs et la plantation de tilleuls pour remplacer les platanes, pas tous, hélas, mais ce n’est pas le sujet du jour).

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    Notre guide signale, côté impair, une maison de briques rouges (ci-dessus à gauche) à l’allure plus modeste que ses voisines, qui a perdu des éléments de façade originaux ; c’est toujours intéressant de découvrir les photos ou dessins anciens conservés au patrimoine communal que la guide montre pour nous aider à comprendre comment une façade a évolué au cours du temps. Ces maisons ont été construites entre 1907 et 1913.

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    L’avenue Demolder est de style éclectique : des maisons « classiques », « beaux-arts », parfois « art déco » ou « pittoresques » s’y côtoient. Dans l’ensemble, beaucoup de riches détails architecturaux persistent un siècle plus tard, et c’est un enchantement quand les propriétaires les conservent et les font restaurer. Je vous renvoie à un ancien billet sur cette avenue, où sont évoqués les Teughels, Diongre ou Hemelsoet, entre autres architectes renommés de cette époque.

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    Quand des sgraffites retrouvent leur splendeur ou quand, les originaux perdus, des artisans d’aujourd’hui les renouvellent, quel bonheur pour les yeux ! Ainsi ces deux créations d’Elise Raimbault qui représentent, en haut d’une façade, la musique et la littérature. En face, nous admirons un sgraffite restauré : une jolie femme entourée d’enfants symbolise la douceur du foyer. Les deux maisons qui jouxtent cette façade présentent de beaux matériaux, mais la polychromie du sgraffite attire l’œil en premier. La guide montre sur une photo d’époque les grands sgraffites sur le même thème qui ornaient les maisons voisines, disparus.

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    Il est temps de nous diriger vers la large façade classique de l’hôtel de maître (1910) au jardin hors de l’ordinaire. La belle porte (vitre et fer forgé) ouvre sur un passage cocher qui mène à l’arrière. Le premier propriétaire, un entrepreneur, avait réservé tout le premier étage à une salle de billard. La guide résume l’histoire de cette demeure due à l’architecte Albert Dankelman, cite ses propriétaires successifs dont une danseuse tombée amoureuse d’un entrepreneur de jardins. Dans les années 1990, la maison a été remise à neuf, mais pas le jardin. La dernière propriétaire, qui a acquis cette propriété de 19 ares en 2010, lui a rendu sa beauté.

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    Première surprise en découvrant le jardin à l’arrière de la maison : le mur qui le longe porte un beau relief, une fontaine végétale, et aussi les marques de la serre qui a été enlevée, probablement pas d’origine. Ensuite, on aperçoit de magnifiques écuries, dans le fond, restaurées il y a un an, une construction en briques avec une tourelle à flèche ! Nous y entrerons plus tard.

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    Au bout du chemin, le jardin se déploie aussi vers la droite en intérieur d’îlot, à l’arrière des jardins des maisons suivantes. Un robot est en train de tondre la pelouse, un lapin qui l’a visiblement adopté comme compagnon de promenade ne cesse de lui tourner autour. Deux lapins, deux chats, c’est un jardin vivant. Quel superbe terrain de jeux pour une famille de quatre enfants !

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    D’autres belles surprises dans ce jardin : un pavillon à coupole avec sa balustrade neuve où s’appuie un beau massif d’hortensias, et dans le fond, près d’une pièce d’eau, une serre ancienne elle aussi remise en état, de style rocaille, flanquée de jardinières dans le même matériau qui imite les formes organiques de la nature.

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    C’était une serre chauffée, comme en atteste un très vieux poêle, peut-être destinée à la culture d’orchidées en vogue au début du siècle dernier. C’est en 1928 qu’on a trouvé la formule du ciment de Portland, un matériau liquide auquel on pouvait donner forme avant qu’il se solidifie et devienne un tronc d’arbre, jardinière en faux bois, voire un écureuil.

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    Durant cette visite centrée sur le patrimoine, on a peu parlé des plantations, mais lorsque la guide a déploré la perte d’une grande boule de buis dévorée comme tant d’autres par la pyrale et fait admirer d’autres buis encore intacts, un des participants a expliqué la méthode la plus écologique pour s’en préserver : installer des oies à proximité. Les larves de ce papillon nocturne font leur régal ! (Mieux vaut prévenir que guérir, les premiers signes d’attaque une fois visibles, il n’y a plus grand-chose à faire.)

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    Cette première Estivale schaerbeekoise s’est terminée par la visite des élégantes écuries et de leur tourelle. L’intérieur a retrouvé ses voussettes originales au plafond, les murs sont en briques apparentes. Une grosse cuisinière anglaise en fonte et un établi de boucher font office de cuisine à proximité d’une grande table en bois, on sent que les propriétaires veulent respecter l’esprit du lieu. 

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    Au moment de saluer et de remercier la propriétaire, certains se sont enquis de l’intérieur de sa maison, également de style éclectique. Mais la visite organisée se limitait à ce beau grand jardin, si rare en ville, et je suis ravie d’en avoir fait le tour.

  • Accessible

    « Il est maigre et blond. Trop grand. Trop pâle. Trop fragSpaak couverture.jpgile. Pas du tout mon genre. J’aime les regards sournois, les teints basanés, les sourcils épais, les esprits torturés, les muscles saillants, les êtres sans foi, ni parole.
    Chez lui, au premier abord, tout semble accessible. Pas d’ombre, pas de drame. Le genre d’homme à voyager avec une valise à roulettes. Un bagage réglementaire permettant d’emporter son petit monde avec soi en cabine sans crainte de le perdre. » 

    Isabelle Spaak, Pas du tout mon genre

  • Amoureuse et seule

    C’est un roman court, concis. Me souvenant d’un billet à propos de son dernier livre sur Marque-Pages, j’ai posé la main à la bibliothèque sur Pas du tout mon genre d’Isabelle Spaak, le deuxième roman de cette journaliste et romancière belge, publié en 2006 sous une couverture mélo. (J’aurais pu intituler ce billet La seconde, mais ce serait trop glisser du côté de Colette. Voir plus loin.)

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    Gustave de Smet, Femme dans une chambre

    Comme pour Ça ne se fait pas, son premier roman sur la mort de ses parents dans des circonstances peu communes, l’histoire familiale est une des sources de celui-ci. Il ne manque pas de personnages romanesques dans la famille Spaak. La narratrice commence par évoquer l’enfance, les vacances en famille – « A l’île de Ré, maman est joyeuse. Je ne me souviens pas d’elle aussi gaie. » Elle regarde des photos, cite en épigraphe des vers d’Apollinaire : « C’est la réalité des photos qui sont sur mon cœur que je veux » (Poèmes à Lou).

    Ensuite, celle qui rêve de sentiments permanents se présente : « Je suis la seconde fille, la seconde épouse, le second violon. Je joue en sourdine une partie plus basse que le premier. » C’est par un printemps « d’une douceur inhabituelle » que la rancœur ressentie en l’absence de son amant la fait penser à Dominique Aury, plus douée qu’elle pour supporter que Paulhan passe ses vacances avec une autre (Histoire d’O.) Elle qui a horreur des cachotteries est tombée amoureuse d’un homme marié. Pas du tout son genre, en plus.

    « J’ai vu ma mère mourir à petit feu, déchirée par la double vie de mon père. Que savait-elle de ces femmes silencieuses, suspendues aux cadrans des pendules ? » Les trois filles adoraient leur père, qui préférait la benjamine – « Nous étions folles de jalousie. » Il les filmait et les photographiait souvent, fabrique à souvenirs. Son amant aussi est un « obsessionnel de la photographie » et lui montre, sans délicatesse, ses photos de vacances.

    Pas du tout mon genre passe du père à l’amant, de l’amant au père, du père à la mère, à l’enfance, aux grands-parents, du passé au présent douloureux d’une femme amoureuse et seule. Le roman est composé de fragments courts, d’une demi-page à deux pages, pas plus. Beaucoup de silences. Une façon de « laisser en suspens, d’offrir au lecteur la possibilité de ressentir les conséquences des situations et des phrases qui les disent », écrit Michel Zumkir (Promotion des lettres).

    Isabelle Spaak y croise dans l’histoire littéraire d’autres discours amoureux, d’autres amoureuses de l’ombre. Toutes n’ont pas la patience d’une Juliette Drouet.

  • Voix du texte

    Lemmen G. Dame lisant.jpg« On reconnaît un écrivain à sa voix. Il n’est que de le lire pour l’identifier. Un livre d’où elle ne se dégage pas, quand bien même d’autres l’appelleraient style, ton ou petite musique, n’est pas d’un écrivain mais d’un auteur. Une page, un paragraphe, parfois même une seule phrase suffisent à mettre un nom sur un texte, dès lors qu’on prête l’oreille au son qu’il émet. S’il est d’un inconnu qui signe là son premier roman, la voix suffit à flairer un nouvel écrivain. Ou pas. Elle permet de savoir à qui on a affaire, et qu’un tri s’opère. Qu’il s’agisse de Modiano, de Proust ou de Duras, la voix qui émane du livre ne trompe pas. Avec les étrangers, c’est plus délicat car la voix peut varier selon le traducteur, celui-ci superposant la sienne propre au romancier qu’il interprète en français. Mais des écrivains que l’on a eu le privilège de côtoyer et d’aimer, on retient au fond davantage la voix de la personne que celle de ses écrits. »

    Pierre Assouline, Dictionnaire amoureux des écrivains et de la littérature

    Georges Lemmen (1865-1916), Dame lisant