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la ville d'hiver

  • Intensité

    Bona poche.jpg« L’arrivée d’André V. la ramena à un sentiment bien différent et au moment qu’elle avait à vivre. Intensité de cette présence. Intérêt immédiat de Sarah. Mais autre chose aussi : une gêne, aussitôt perceptible parmi les amis d’Astrid.

    Il s’assit en face de Sarah. Son regard, son attitude, plus encore que son accent natal, soulignait qu’il n’appartenait pas au clan. N’y appartiendrait jamais. Il s’immisça pourtant dans la conversation, sans paraître décalé ni ignorant, comme c’était son cas. Ce Russe connaissait les us et coutumes de l’Aquitaine et les familles de l’establishment provincial comme un pur autochtone.

    – Je suis amoureux de cette ville, dit-il à Sarah. Même en Russie, je vis en symbiose avec elle.

    Symbiose… Il aimait les mots précis, savants, et parlait un français impeccable. Seul son accent russe, accent mélodieux et caressant, rappelait ses origines.

    Sarah se taisait pour mieux l’entendre et mieux le regarder. Elle n’aurait su dire pourquoi cet homme l’émouvait autant. Mais le fait était là : elle en était absorbée. »

    Dominique Bona, La Ville d’hiver

  • Arcachon, Villa Teresa

    Le début de La Ville d’hiver vous a plu ? Ce roman de Dominique Bona date de 2005 (le dernier paru). On la connaît souvent davantage par ses biographies (Camille et Paul Claudel, Colette, entre autres) et ses essais sur l’art, mais elle est aussi une romancière, membre de l’Académie française depuis 2013.

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    Dans la Ville d'hiver (photo ELLE)

    La Ville d’hiver, c’est un quartier d’Arcachon où Sarah séjourne en février dans une villa prêtée par une amie, « une folie de la Belle Epoque » qu’elle aurait pu trouver kitsch et prétentieuse, qui la séduit pourtant : « Sarah la découvrit d’abord avec curiosité, à la manière dont un touriste visite un site du temps passé. Mais, très vite, le sentiment d’une intimité croissante s’était imposé, lui donnant l’illusion d’y avoir déjà habité. »

    La villa Teresa est louée tout l’été, d’habitude on ne la chauffe pas en hiver. L’amie n’y vient plus depuis la mort de sa fille à Arcachon. Elle a veillé à ce qu’il y règne une température confortable. « La température extérieure n’en paraissait que plus clémente. Une douceur délicieuse empêchait de croire à l’hiver. » La Ville d’hiver, sur les hauteurs, au milieu des pins, avait été construite pour les tuberculeux qui venaient y chercher « le miracle de l’air de l’océan ».

    Très vite, la résidente s’interroge sur la maison, sur cette Teresa, la première à en avoir pris possession. Sarah « s’était fait une vie sans attaches » : ni enfant ni compagnon (depuis peu). Vincent, photographe, plus jeune qu’elle, « était retourné aux corps des jeunes filles qu’il traquait sans trêve ». Elle aimait leurs étreintes, ne l’avait pas retenu. La revue d’art pour laquelle elle travaillait depuis quinze ans venait d’être rachetée, d’où ces vacances « impromptues ».

    L’après-midi, elle se promène, lit les noms des rues qui serpentent entre des parcs, ceux des villas, d’anciens prénoms de femmes pour la plupart, puis descend vers la ville basse, le bord de mer. Une nuit, elle entend chanter un air d’Aïda sans comprendre comment la voix de Maria Callas parvient jusqu’à elle.

    La vaste bibliothèque de la villa Teresa n’est pas classée, la plupart des ouvrages sont en anglais. Elle y cherche des livres sur Arcachon, déniche quelques guides récents. Sarah aime « les vieux livres, les vieux rideaux, les tentures – tout ce qui évoquait une vie d’autrefois. » L’Histoire la passionne, elle est diplômée de l’Ecole du Louvre, s’intéresse à tous les arts. Dans cette ville « fleuron architectural » du XIXe siècle, où elle pensait trouver un abri, la voilà à nouveau reliée « à un monde ancien » et aux « ombres » du passé.

    Quand elle s’enquiert dans une librairie d’autres ouvrages qui la renseigneraient davantage sur la Ville d’hiver, on lui propose une biographie de D’Annunzio qui a vécu longtemps à Arcachon. Comme elle dit se méfier du poète « ultradécadent » et fasciste, le libraire lui recommande l’ancien maire et pharmacien, un ami bibliophile, Bernard Maréchal, chez qui des chercheurs vont regulièrement consulter sa collection d’archives en tous genres.

    Sarah ne sait pas encore que la jeune fille au profil de statue qu’elle a remarquée dans la librairie puis au cinéma est la fille du sexagénaire, « parfait gentleman à l’anglaise », chez qui elle va se rendre pour voir s’il possède quelque document sur la villa Teresa. Sa visite chez le collectionneur valait la peine : l’homme est intéressant et lui met entre les mains une fiche reprenant l’historique de la maison construite en 1885 pour le baron Iffla Horus – mais rien sur Teresa.

    La Ville d’hiver distille une atmosphère mystérieuse et mélancolique. Les recherches de Sarah l’amènent tout de même au fameux D’Annunzio, poète et grand séducteur. Promenades, découverte de la ville, lectures, tout nourrit la curiosité que cette pause solitaire « en Arcachon », comme on disait, permet à Sarah de suivre à son gré. Elle s’intéresse à une Russe qui fut sa maîtresse, la Goloubeff, une femme ardente en qui elle se projette un peu, elle qui a toujours préféré les étreintes sensuelles et passionnées aux relations routinières.

    « Il y a un envoûtement à la lecture des vieux papiers. A condition de pouvoir s’y consacrer, le temps s’arrête, les soucis s’éloignent ; il se crée une mystérieuse intimité avec des personnages qu’on n’a pas connus mais qui finissent par prendre une place plus importante que les vivants. » Tout en flânant dans le présent ou le passé d’Arcachon, Sarah va découvrir aussi la face cachée d’un bibliophile et les liens secrets qui le relient à l’une ou à l’autre de ses amis. La Ville d’hiver a abrité bien d’autres amours que celles du poète et aussi des drames.

  • La ville d'hiver

    Du balcon, elle regardait le palmier et, au loin, l’ombre violette des dunes. Tout autour, invisible dans la nuit, s’étendait la ville morte.

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    En se penchant, elle aurait pu apercevoir la mer. Un petit bout de mer, entre le belvédère et les fûts sombres des cyprès. Mais elle ne bougeait pas. Incapable de détacher son regard du bel arbre à l’allure de gardien de phare, que la lune éclairait comme un projecteur, elle laissait le froid l’envahir. Le calme et le silence, si inhabituels à ses sens de citadine, l’enveloppaient entièrement. Un mouvement lui aurait paru offenser le paysage, troubler le mirage d’un bonheur parfait. L’air avait un parfum de citron ; il lui donnait envie de boire.

    Ce palmier qui la fascinait, dont l’ombre généreuse évoquait l’été, la sieste et les hamacs, il lui semblait l’avoir toujours connu. Ses palmes retombaient jusqu’à terre en de grands bras protecteurs. A lui seul il était un monde : il lui parlait du Sud. Un Sud sans frontières hostiles, où le Maroc, les plages de Cadaquès et les îles de la Méditerranée composaient son paradis terrestre. Après des années, elle le retrouvait intact dans cet hiver nocturne. L’arbre familier, presque familial, réveillait l’odeur acide et tenace de son enfance.

    Pas un bruit ne montait vers elle, pas un frisson de vent. La nuit se retirait, le matin se levait. Attirée par le demi-jour qui créait dans la chambre, à travers les voilages, une atmosphère irréelle et changeante, elle était venue jeter un coup d’œil au jardin. Et c’étaient des images incendiées de soleil qu’elle voyait surgir, ramenées de très loin, d’une autre nuit et d’un autre décor vide, tout semblable à ce jardin désert.

     

    Dominique Bona, La Ville d’hiver, Grasset / Livre de poche, 2007 (incipit).