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religion - Page 4

  • Toi, la Française

    laroui,fouad,ce vain combat que tu livres au monde,roman,littérature française,français,maghrébins,culture,religion,hommes et femmes,couple,société,islamisme« Ali lui cria du salon :
    Toi, la Française, on ne t’a rien demandé !
    Claire se rassit, choquée. Elle murmura :
    – Comment ça, « la Française » ? Et toi, tu es quoi ? chinois ? Et Malika, elle est quoi ? albanaise ? Malika fulminait.
    – Ali, tu ne parles pas comme ça à mon amie ! Tu ne la traites pas de Française !
    Claire éclata d’un rire nerveux.
    – En même temps, ce n’est pas une insulte…
    Malika se mit à rire à son tour. Brahim marmonna quelque chose. Malika, retrouvant son sérieux, se tourna vers lui, excédée.
    – Oui ? Il dit quoi, lui, l’intrus ? Brahim recula d’un pas en levant la main, comme s’il se retirait de la querelle.
    Kh’ti*, moi, je ne te parle pas, je ne rentre pas dans vos histoires.
    Malika s’avança vers lui.
    – Tu ne me parles pas mais quand tu es seul avec Ali, tu ne te gênes pas pour lui parler. Tu le montes contre moi et contre Claire. Tu crois que je ne vois pas ce qui se passe depuis quelques semaines ?
    Brahim avait toujours la main levée, la paume tournée vers Malika. Il grommela :
    – 
    Binatkoum**. Ça ne me regarde pas.
    Ali, qui était resté debout, fit un pas vers Malika, le doigt en l’air, menaçant.
    – Tu arrêtes d’agresser mon cousin ? Qu’est-ce qu’il t’a fait ? »

    * Ma sœur / ** C’est entre vous (notes en bas de page)

    Fouad Laroui, Ce vain combat que tu livres au monde

  • Un couple parisien

    Découvert sur une table de la bibliothèque, Ce vain combat que tu livres au monde de Fouad Laroui, paru l’an dernier, est le premier roman que je lis de cet écrivain qui a publié plus de vingt titres depuis 1996 : romans, nouvelles, livres pour enfants, chroniques, essais, et même poésie en néerlandais. Né au Maroc en 1958, ce Maroco-Néerlandais a fait des études d’ingénieur en France, séjourné au Royaume-Uni, avant de s’installer à Amsterdam où il enseigne l’économétrie (Wikipedia) et collabore à diverses revues.

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    Source : http://www.cannibalecafe.com

    D’emblée, on fait connaissance avec un jeune couple parisien, Malika et Ali, qui prennent un verre au Cannibale et décident de vivre ensemble. A peine leur conversation lancée, le narrateur l’interrompt pour faire entrer « l’Histoire » dans le récit, le contexte international de ce début d’été 2014, à l’arrière-plan des relations entre les quatre protagonistes du roman : Malika l’institutrice et Ali l’informaticien, Claire, l’amie de Malika, et Brahim, le cousin d’Ali.

    Ça fait six mois qu’ils se fréquentent, Malika et Ali. Elle hésite à franchir le pas – « Ce n’est pas rien, partager son quotidien, son intimité vingt-quatre heures sur vingt-quatre » – mais Ali la rassure, ils resteront « libres de faire machine arrière » et si elle ne sait pas cuisiner, lui bien. Elle propose de partager son appartement à Belleville, plus grand que son studio à lui, et situé tout près de son boulot. Elle le laisse alors pour appeler Claire avec qui elle va au théâtre, lui achète une revue au kiosque et tombe sur un titre, « Les accords Sykes-Picot ».

    Six pages sur ces accords secrets. Fouad Laroui va à l’essentiel, non sans ironie, et on comprend déjà ici une thématique importante de ce roman qui raconte à la fois l’histoire d’un couple et celle du monde, en alternance : l’imaginaire des Français, voire des Européens, en contient une version très différente de l’imaginaire des Arabes, et pour ce qui est des faits, et pour ce qui est de leur importance – « Dans l’imaginaire des Arabes, les accords Sykes-Picot constituent un des grands désastres du XXe siècle. »

    Claire s’étonne de voir Malika, née en France, s’installer avec un Maghrébin, en contradiction avec ce qu’elle a toujours dit jusqu’alors. Pour le cousin d’Ali, la nouvelle est choquante, c’est « haram » (impur) de vivre ensemble sans se marier, mais Ali réfute toutes ses allégations, rétorque qu’« on est au XXIe siècle » et lui conseille d’abandonner ces principes d’un autre temps.

    Très vite, la vie d’Ali et Malika est troublée par un événement décisif : Ali, le « roi des logiciels », apprécié de ses supérieurs, après avoir dirigé et mené à bien un projet « sensible » sur des missiles, se voit écarté, une fois le contrat signé, de la mission qui en découle à Toulouse. Son directeur, embarrassé, finit par admettre que durant la procédure finale de sélection, un seul nom a été barré par leurs commanditaires sur la liste proposée : le sien, celui du seul Maghrébin de l’équipe.

    Pour Ali, qui aime Paris depuis qu’il y est venu pour ses études, c’est insupportable, il se sent atteint dans son honneur et démissionne. Malika le voit sombrer peu à peu dans la dépression et changer. Leur vie commune dont ils avaient fixé les règles ensemble en est chamboulée. Ali lui parle de moins en moins, il fréquente de plus en plus son cousin. Brahim ne cesse de critiquer Malika et Claire, rend Ali soupçonneux au point qu’il se rend un jour chez Claire pour lui demander de ne plus voir Malika.

    Ali se croyait un Français comme les autres, il s’est senti rejeté hors du paradis qu’il avait trouvé et veut comprendre ce qu’il en est, où il en est. Il revoit un intellectuel qui avait été un temps son mentor. En lui parlant du « récit national » français qui laisse à l’écart les contributions arabes à l’histoire des sciences, celui-ci attise son malaise. Brahim l’anti-occidental finira par entraîner Ali de son côté.

    Fouad Laroui revient dans un chapitre sur deux sur l’histoire du Moyen-Orient : Lawrence d’Arabie, Nasser, le conflit israélo-palestinien, etc. Malgré leur ton familier, ces sortes de cours sur la politique ou la guerre « vues par les Arabes », pour reprendre un titre célèbre d’Amin Maalouf, alourdissent la trame romanesque, mais ils éclairent les questions de fond. Ce vain combat que tu livres au monde a le mérite d’aborder les sujets sous-jacents au processus de radicalisation, à travers une histoire sentimentale qui tourne mal. Malika, elle, fera un choix différent d’Ali. A Claire qui l’interroge sur ce qui lui importe le plus, finalement, elle répondra : « Ce que je préfère, c’est vivre. »

    Fouad Laroui, qui a par ailleurs écrit De l’islamisme – Une réfutation personnelle du totalitarisme religieux (2006) et un texte plus léger sur La double onomastique de Bruxelles quand il était en résidence à Passa Porta (2010 et 2014), laisse s’exprimer ici des points de vue opposés, montre comment des jeunes d’origine maghrébine se positionnent diversement dans la société européenne, donne une place importante au point de vue arabe sur l’histoire. Méconnaître celui-ci serait une erreur pour qui veut construire ou reconstruire le vivre ensemble.

  • Bon ouvrier

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    « Je ne veux retenir et revendiquer au déclin de ma vie qu’une carrière bien remplie de bon ouvrier et de probité artistique, - en y mettant aussi beaucoup de mon cœur. »

    Constantin Meunier, 12 janvier 1904

     

     

    Catalogue Constantin Meunier, sous la direction de Francisca Vandepitte, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique / Lannoo, Bruxelles, 2014.

     

     

    Constantin Meunier, Hiercheuse à la lampe, vers 1886 © MRBAB, Bruxelles..

     

     

     

     

     

  • Meunier peintre et sculpteur

    La rétrospective Constantin Meunier (1831-1905) au Musée des Beaux-arts de Bruxelles (Musée fin-de-siècle) offre une très belle occasion de découvrir dans son ensemble l’œuvre d’un artiste belge qui a fait entrer le travailleur, l’ouvrier dans les arts plastiques, comme Zola en littérature. Rodin considérait Meunier comme « l’un des plus grands artistes » de son siècle, Van Gogh l’admirait. 

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    Constantin Meunier, Le faucheur,1892 © MRBAB, Bruxelles.

    Si c’est à ses sculptures qu’on pense d’abord, l’exposition permet d’approcher plus globalement son oeuvre, où la peinture occupe une large part, plus diversifiée qu’on ne le croit. « Empoigné » par une toile de Courbet, Les casseurs de pierres, Meunier trouve dans la peinture réaliste une voie pour rompre avec l’académisme. Allégorie de la mort de Lincoln (1865), prêt d’une université américaine, montre d’emblée son choix de sujets historiques et sociaux, son attention aux humbles : des noirs affranchis et des gens modestes viennent rendre hommage au président défunt à l’avant-plan, la bonne société en habits de deuil se tient derrière le catafalque. 

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    Constantin Meunier, Lamentation, vers 1870, Collection privée © Galerie Patrick Derom, Bruxelles.

    Influencé par Charles De Groux, Constantin Meunier commence par peindre des scènes religieuses, avec réalisme. Dans Lamentation (collection privée, vers 1870), une femme vêtue de sombre se penche sur le cadavre du Christ à terre, émacié, lumineux. Le clair-obscur, le cadrage, le ciel tourmenté, le rapprochement inévitable avec un chef-d’œuvre de Meunier qu’on verra plus loin – Le grisou – rendent cette petite toile poignante. Il peint sans relâche la solitude, la douleur, la souffrance, comme dans les deux versions sans concession de la mort de Saint Etienne, martyr.

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    Constantin Meunier, Jeune femme dans un intérieur - Portrait de Jeanne Meunier,vers 1885, Musée d’Ixelles.

    A côté de ces toiles très sombres, des tableaux historiques, des sujets plus gais, comme Jeune fille tricotant – installée dans l’herbe, les jambes allongées – ou La vieille commode et l’enfant : une fillette blonde, sa robe claire déployée au sol autour d’elle, observe une aquarelle sortie d’un tiroir – une jolie scène intime, comme celle des enfants voleurs de pommes. Pour vivre, Meunier a aussi peint d’élégantes bourgeoises, à la manière d’Alfred Stevens. Jeune femme dans un intérieur est un beau portrait de sa fille Jeanne. 

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    Constantin Meunier - Alfred Verwée, Moines laboureurs (détail), 1863, Collection de la Communauté flamande.

    C’est auprès des moines trappistes (il séjourne à plusieurs reprises à l’abbaye de Westmalle) que le peintre a côtoyé en premier la réalité du travail manuel : Moines laboureurs, une grande toile qu’il signe avec Alfred Verwée, peintre animalier, m’a rappelé certaines peintures russes par l’ampleur du paysage. 

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    Constantin Meunier, Le faucheur, Parc du Cinquantenaire, Bruxelles.

    Meunier recommence à sculpter en 1884, à près de cinquante ans ; c’était sa première formation à l’académie de Bruxelles. Les sculptures exposées restituent les gestes des paysans : Le semeur, Le faucheur, Le moissonneur… Meunier a l’impression que la sculpture magnifie davantage l’homme au travail que la peinture. Ce sont des hommes et des femmes réels qu’il représente, et non plus des figures mythologiques ou allégoriques. 

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    Constantin Meunier, Manufacture de tabac à Séville, 1883 © MRBAB, Bruxelles. 

    Pour un parcours à la fois chronologique et thématique, on a rapproché les œuvres par genre ou par univers, comme dans cette salle « espagnole » consacrée au séjour de Meunier à Séville en 1882-1883. Ici une scène de cabaret, une tête de Sévillan, là des ouvrières au travail dans une manufacture de tabac, une grande toile qui nous plonge dans leur réalité quotidienne. Le peintre avait été envoyé à Séville pour y copier une Descente de croix du XVIe siècle. Cette mission alimentaire ne l’emballait pas, mais elle a permis à son art d’évoluer, entre autres vers la clarté et la couleur. 

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    En Belgique, Meunier témoigne des grandes industries de la seconde moitié du dix-neuvième siècle. Il observe sur place les ouvriers de l’acier au Pays Noir, les dockers d’Ostende, les mineurs et les hercheuses, les verriers du Val-Saint-Lambert… (Aurait-il apprécié les couleurs électriques de l’affiche sur son Mineur à la hache ? J’en doute.) Peintre ou sculpteur, l’artiste reste fidèle au réalisme : ses personnages ne posent pas, ils sont en plein effort ou au repos, comme ce magnifique bronze d’un Puddleur épuisé, placé près d’une toile monumentale, La coulée de l’acier à Seraing.  

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    Constantin Meunier, Le puddleur, 1884 / 1887-1888 © MRBAB, Bruxelles.

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    Constantin Meunier, La coulée à Seraing, 1880. Musée des Beaux-Arts de la ville de Liège © Ville de Liège – BAL

    Le billet d’entrée comporte d’office l’accès à un audioguide peu encombrant et pratique, il suffit de le rapprocher d’un logo pour déclencher le commentaire. Le parcours, dont les étapes sont évoquées sur le site de l’exposition, comprend aussi des études, de beaux dessins (crayon, fusain, aquarelle, pastel, gouache – les indications techniques manquent sur les étiquettes). On peut le compléter par la visite du musée Meunier à Ixelles (sa maison-atelier). 

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    Constantin Meunier, Hercheuse, s.d. © MRBAB, Bruxelles. Aquarelle sur papier.

    L’exposition se termine en apothéose avec des chefs-d’œuvre comme Le grisou, inspiré par la catastrophe de 1887 dans la mine de La Boule (Quaregnon) ; cet ensemble bouleversant, posé à même le sol dans l’ancien musée, perd un peu de son impact sur un socle. Le Vieux cheval de mine est très émouvant aussi. « Beauté tragique », la dernière salle, montre entre autres Femme du peuple, L’enfant prodigue, Maternité, et présente le projet du Monument au Travail. 

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    Constantin Meunier, Le Grisou. Femme retrouvant son fils parmi les morts, 1889 © MRBAB, Bruxelles. 

    Emile Verhaeren, dans la revue L’art moderne qui a soutenu Meunier, le décrit comme « le sculpteur et le peintre de la souffrance démocratique, plus encore qu’humaine, et certes plus que le peintre de la souffrance idéale. » Ne manquez pas cette rétrospective qui nous parle d’un monde pas si lointain, dont nous sommes les héritiers. On en sort rechargé d’un sentiment fort : la compassion.

     

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    Un autre regard sur l’exposition (10/11/2014) : http://sheherazade2000.canalblog.com/archives/2014/11/10/30931059.html

     

  • L'âme des objets

    « À travers la description minutieuse des textures, des couleurs, des matériaux, le peintre plonge dans l’âme des objets les plus humbles et leur insuffle une dignité particulière. » (Guide du visiteur) 

    Zurbarán, maître de l’âge d’or espagnol, Palais des Beaux-Arts, Bruxelles, 29/1/2014 – 25/5/2014. 

    Zurbarán_détail_de_la_Maison_de_Nazareth.jpg
    Francisco de Zurbarán, La maison de Nazareth (détail)