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poésie - Page 38

  • Tu crois

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    Tu crois posséder, tu n'as rien.

    Tu crois avancer, tu n’as pas bougé.

    Tu crois appartenir, tu échappes.

    Tu crois habiter, tu traverses.

    Tu crois finir, tu commences.

     

     Liliane Wouters, Journal du scribe
    (in Francis Dannemark, Ici on parle flamand & français)

     

     

    * * *

     

    Un nouvel appel de Doulidelle à agir concrètement en faveur d'Haïti,
    avec un rappel historique :
    cliquer sur http://philippemailleux.blogs.lalibre.be/archive/2010/01/29/haiti-un-octogenaire-reveille-les-consciences.html

     

     
  • flamand & français

    La poésie est une respiration. Je n’ai pas dit une pause. Encore moins une pose – la poésie est sans affectation. Sur la page, le poème prend la place qu’il veut, il l’occupe comme lui seul peut le dire. Il ouvre un autre temps, il ne suit pas l’actualité. L’éternité ? Peut-être. 

    Chat au jardin.JPG

     

    Francis Dannemark a publié en 2005, « comme une boîte de chocolats, sans explication ni mode d’emploi », un recueil de poèmes belges sous le beau titre 
    Ici on parle flamand & français : « J’ai voulu rassembler ici un petit nombre de poèmes (et quelques aphorismes) parmi tous ceux qui ont été composés depuis un siècle dans le pays où je suis né et où je vis encore aujourd’hui. C’est un petit pays à la frontière de deux mondes (on dit deux pour faire simple, en réalité ils sont bien plus nombreux) et l’on y parle principalement le flamand et le français. » Dans une même anthologie en langue française se côtoient deux univers linguistiques, par la grâce de la traduction et de l’esperluette.

     

    Des poètes connus, méconnus. J’y ai glissé tant de signets qu’il m’est difficile de choisir. En citer plusieurs ? C’est tentant, mais non. J'écarte aujourd’hui les plus joyeux, les plus tristes. A chacun sa page, son heure, son jour – ou sa nuit. Place à Leonard Nolens (un Anversois né en 1947), traduit par Marnix Vincent.

     

    Vermoeidheid / Lassitude

     

    Quand nous, les grandes personnes, sommes las

    De causer les uns avec les autres,

    Quand nous sommes las de dormir

    Les uns avec les autres, de nous promener

    Et de commercer les uns avec les autres,

    De dîner et de guerroyer

     

    Les uns avec les autres, quand nous sommes si las

    Les uns des autres, de toute cette réciproquerie

    Des uns et des autres, alors nous posons le chat

    Sur notre épaule, entrons dans le jardin

    Et cherchons les voix enfantines derrière

    Les hautes haies et dans la cabane de l’arbre.

     

    Et silencieux, nous couchons notre lassitude

    Dans l’herbe, et les années qui, lourdes

    Et sombres, dormaient dans l’ourlet

    De notre manteau se dénudent là-haut

    Dans un gosier de gamin et dansent en

    Sautillant dans une bouche humide de fillette.

     

    Quand nous, les grandes personnes, sommes las

    De causer,

    De causer,

    De causer les uns avec les autres,

    Nous entrons dans le jardin et nous nous passons sous silence

    Dans le chat, dans l’herbe, dans l’enfant.

     

     (Laat alle deuren op een kier / Laissez toutes les portes entrouvertes, 2004) 

  • A des amis perdus

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    Vous étiez là je vous tenais

    Comme un miroir entre mes mains

    La vague et le soleil de juin

    Ont englouti votre visage

     

    Chaque jour je vous ai écrit
    Je vous ai fait porter mes pages

    Par des ramiers par des enfants

    Mais aucun d'eux n'est revenu

     

    Je continue à vous écrire

    Tout le mois d'août s'est bien passé

    Malgré les obus et les roses

    Et j'ai traduit diverses choses 

    En langue bleue que vous savez

     

    Maintenant j'ai peur de l'automne

    Et des soirées d'hiver sans vous

    Viendrez-vous pas au rendez-vous

    Que cet ami perdu vous donne

    En son pays du temps des loups

     

    Venez donc car je vous appelle

    Avec tous les mots d'autrefois

    Sous mon épaule il fait bien froid

    Et j'ai des trous noirs dans les ailes

     

     

    René Guy Cadou (1920 - 1951), Lettre à des amis perdus  (Pleine poitrine , 1946)

  • La parole

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    Voleuse

    O perle noire enrichie d'étincelles

    Ecuyère des mots

    Trapéziste du sang

    Lancée sur le circuit vertigineux du temps

    Convoi de mon amour

    Echarpe lumineuse

    Je te perds

    Je te prends

    Je te mets en veilleuse

     

    A nous deux

    Dans la nuit sans hâte des cachots

    Sur les marches du ciel

    Sur les premiers tréteaux

    Dans l'ascenseur doré de la lampe

    Tressant la flamme avec les barreaux de la cage

      

    Tu passes sur mes dents comme un givre léger

    Tu n'as pas le dédain des souffles étrangers

    Tu n'es que l'horizon des âmes

    L'aventure

    Le vent qui va plus loin achève ton murmure

    L'arbre mêle ses bonds à ton élan sans bord

    Et l'oiseau qui revient te reconduit au port.

     

     

    René Guy Cadou (1920 - 1951), La parole (La vie rêvée, 1944)

  • Les rêves impossibles

     

    Promenade (novembre 2009).JPG

     

    Tout est à jamais perdu pour l’homme

    qui sans retour renonce à son passé

    aux jeux à l’enfance des jours ensoleillés

    et ce qu’il n’a pas reçu en partage il l’invente

    Le ciel laissait tracés sur la pierre sèche

    les échelons des marelles de craie blanche

    La tête couronnée de l’odeur des lilas

    cueillis derrière les murs de la cour de l’école

    où je faisais les cent coups sous la pluie d’été

    j’escaladais les remblais des chantiers en détresse

    et dans l’angoisse des veillées les orages épiés

    venaient délirer tout haut leurs rêves impossibles

    Au bord des champs troués de pauvres fleurs de sang

    j'écoutais balbutier les complicités de la terre

    le langage entêté des oiseaux en colère

    je découvrais les feintes les soupçons trompeurs

    dans les souvenirs de jeunesse chassés à grands cris

    Le temps qui a passé et les jours de reste

    n'ont pas arrangé toujours au mieux mon lot

    la mémoire n’a pas eu la peau assez dure

    pour que j’oublie le poids et la brûlure des larmes

     

    Albert Ayguesparse (1900-1996), La traversée des âges (1992)